Yves Delage. La conscience psychique. A propos d’un livre récent de M. Kaploun. Article paru dans le « Bulletin de l’Institut Général Psychologique », (Paris), n° 4-6, 1919, pp. 163-187.

Yves Delage. La conscience psychique. A propos d’un livre récent de M. Kaploun. Article paru dans le « Bulletin de l’Institut Général Psychologique », (Paris), n° 4-6, 1919, pp. 163-187.

 

Yves Delage (1854-1920). Zoologiste reconnu, polémiste, créateur de la revue « L’Année biologique » en 1895, il est nommé membre de l’Académie des sciences en 1901. Il s’intéresse de très près à la psychanalyse et surtout au rêve sur lequel il publie de nombreux articles, dont celui que nous mettons ici en ligne, qui sea  repris dans son l’ouvrage parut l’année de sa disparition : Le rêve. Etude psychologique, philosophique et littéraire. Paris, Presses Universitaires de France, s. d. [1919]. 1 vol. in-8°, XV + 696 p. En outre il publia cette critique de la psychanalyse ainsi que deux autres articles sur le rêve :
— La nature des images hypnagogiques et le rôle des lueurs entoptiques dans le rêve. Article paru dans la revue « Bulletin de l’Institut Général Psychologique », (Paris), 6e année, n°1, janvier-mars 1905, pp. 235-257.  [en ligne sur notre site]
— Sur les images hypnagogiques et les rêves. « Bulletin de l’Institut Général Psychologique », (Paris), 6e année, n°1, janvier-mars 1905, pp. 114-122. [en ligne sur notre site]
—  Psychologie du rêveur. “Bulletin de l’Institut Général Psychologique”, (Pais), 13e année, n°4, juillet-octobre 1913, pp. 195-206. [en ligne sur notre site]
— Portée philosophique et valeur utilitaire du rêve  « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger« , (Paris), 1916.
— Le rêve dans la littérature moderne. « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger« , (Paris), 1916.
— Une psychose nouvelle : la psychanalyse. « « Mercure de France », (Paris), vingt-septième année, n°437 ; tome CXVII, 1er septembre 1916, pp. 27-41. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

La conscience psychique.

A propos d’un livre récent de M. Kaploun.

Par M. le Professeur Yves Delage.
Membre de l’Académie des Sciences.

[p. 163]

Kaploun vient de publier, sous le titre Psychologie Générale tirée de l’élude du Rêve, (1) un livre qui se signale à l’attention des lecteurs par diverses particularités d’où il tire un parfum d’originalité très personnel.

L’auteur connaît toutes les finesses du langage psychologique, et le manie avec la science d’un maître. On reste surpris et parfois charmé de la concision de certaines propositions où sont exprimées, en un nombre minimum de mots des idées parfois très complexes, dont l’exposé exigerait, dans le langage commun, de longues périphrases. Ce n’est pas à dire que la lecture du livre soit aisée. Au premier abord, on a l’impression d’avoir compris ; mais si l’on veut creuser, on s’aperçoit qu’il n’en est rien : on relit, on retourne en arrière, on feuillette, et finalement on reconnaît qu’on a affaire à un long cryptogramme réclamant de sérieux efforts pour être bien compris. Cela tient surtout à la rareté des exemples et des comparaisons, au rejet de la méthode d’exposition objective, à l’emploi presque exclusif du langage métaphysique le plus abstrait. Or, les termes subjectifs, s’ils disent brièvement beaucoup de choses, les disent d’une façon plus ou moins incertaine, car leurs acceptions sont infiniment diverses, et au lecteur incombe la charge de deviner laquelle de ces acceptions il doit choisir. Une petite périphrase y pourrait aider, mais aux dépens de la concision. Au temps où nous étions sur les bancs du collège, et aujourd’hui encore, [p.164] quand nous avons quelque difficulté grammaticale à résoudre, nous ouvrons la grammaire au bon endroit et nous lisons la règle. Neuf fois sur dix, nous ne la comprenons pas, mais nous ne nous attardons pas à la creuser, nos yeux sautent sur l’exemple et aussitôt nous avons compris. Si nous nous reportons alors à la règle abstraite, celle-ci, obscure à l’instant d’avant, apparaît aussitôt parfaitement claire. Et bien, le livre de M. Kaploun est une grammaire psychologique où, sauf rare exception, les exemples font défaut.

Une autre particularité est la phobie des noms propres. Dans ce livre de près de 200 pages, on n’en trouve que deux : celui de M. Bergson, auquel est consacré un paragraphe de quelques lignes, et celui de Brillat-Savarin qu’on ne s’attendait guère à trouver ici. De là pourrait résulter pour le lecteur l’impression que tout, dans cet exposé touffu, est l’œuvre originale de M. Kaploun. Ce n’est certainement pas le but de l’auteur de le laisser croire : cette manière d’écrire ne saurait résulter que de son amour de la concision. A un certain point de vue nous ne pouvons que l’en louer : les noms intéressent seulement l’histoire des sciences, la science elle-même est anonyme. Cependant, sous un certain rapport, la chose est regrettable ; car on rend son idée plus claire en partant d’une donnée connue, ou en la définissant par ce qui la différencie ge la conception de tel ou tel auteur. Ce travail de comparaison, le lecteur est amené à le faire, et il s’aperçoit parfois que ce qu’il a cru nouveau sur la foi d’une dénomination originale, n’est qu’une variante de quelque conception ancienne, modifiée en quelque point plus ou moins secondaire. D’ailleurs, l’amour de la concision n’est pas la seule raison de cette élimination des noms propres : ainsi, à un certain moment il est question de Freud : il est désigné par une allusion parfaitement claire, mais qui exige autant de mots qu’il y a de lettres dans ce nom propre monosyllabique.

Mais tout cela ce sont les bagatelles de la porte ; entrons à l’intérieur de l’édifice, voyons ce qu’il contient d’essentiel.

On y trouve deux choses : une théorie du Rêve, et un système psychologique. Ce dernier domine toutes les pensées du livre, et éclaire toutes les interprétations. Quel que soit l’ordre de succession des idées sur le Rêve et de la conception psychologique dans la genèse de la théorie, logiquement [p. 165] c’est la conception psychique qui précède et conditionne la théorie du Rêve : aussi est-ce par cette conception qu’il convient de commencer.

I. LE SYSTÈME PSYCHOLOG1QUE

Le domaine psychologique comprend deux parties, l’inconscient et le conscient. C’est là une notion banale ; mais ce qui l’est moins ce sont les propriétés attribuées à ces deux régions. L’inconscient pour M. Kaploun c’est la totalité du domaine psychologique, à l’exception de la toute petite parcelle à laquelle la pensée s’applique au moment présent. D’autre part, il n’y a pas, dans la conception de M. Kaploun, cette différence de nature qui est implicitement admise à l’ordinaire, et qui fait que ce qui est inconscient reste inconscient sauf les cas très rares où, par un effort spécial, la pensée vient l’éclairer un instant dans la nuit où il reste plongé. Pour M. Kaploun, ce qui est inconscient à la minute présente, peut devenir conscient à l’instant qui suit, et inversement, tout ce qui est conscient retombe dans l’inconscient dès que la pensée cesse de s’y appliquer.

Enfin, l’inconscient n’est pas pour M. Kaploun une sorte de système directeur anonyme qui influence nos sentiments, nos jugements, nos pensées et nos actes d’une manière indirecte et détournée, livrée au hasard. L’inconscient est en état de tension perpétuelle ; cette tension est une attention automatique, un état de surveillance qui s’applique non à quelque chose en particulier, mais à tout en général, à tout ce qui pourrait survenir et qu’on ignore, et à quoi il peut devenir urgent que la pensée s’applique : l’auteur la caractérise par l’expression heureuse attitude interrogative. Cette tension est comparable à celle du système nerveux de quelqu’un qui, sous la menace d’un danger imminent, ne sachant ni sa nature, ni le lieu, ni l’instant où il surgira, se place dans une condition telle qu’il réduit au minimum le temps de latence des réactions motrices qui deviendront brusquement nécessaires pour y parer.

Pour marquer ce mode d’activité, M. Kaploun donne à l’inconscient le nom de moi automatique, et l’étroite parcelle du domaine psychique à laquelle la pensée s’applique pour l’instant [p. 166] est le moi central : les échanges sont incessants entre le moi central et le moi automatique;

D’après M. Kaploun, le moi central ne peut, exclusion faite du rêve et de la rêverie, opérer que sur les éléments qui lui sont fournis par le moi automatique ; à tel point que, si une impression, même vive, trompant la surveillance du moi automatique, pénètre jusqu’au moi central, celui-ci ne peut la percevoir : c’est ainsi qu’un blessé ne sent pas tout d’abord le coup qui l’a frappé. Il est douteux que l’explication paraisse satisfaisante. N’est-ce pas plutôt que le moi central est si énergiquement appréhendé par l’objet de sa préoccupation qu’il n’est plus disponible pour recevoir une perception surajoutée.

M. Kaploun déclare aussi que le moi central est adynamique. Le moi central éclaire sans effort l’objet de la pensée, et celle-ci n’a pas des variations d’intensité, mais seulement des variations d’assiduité. Penser fortement à un objet, c’est seulement maintenir sa pensée appliquée sur lui sans défaillance : et cet effort vient non du moi central, mais du moi automatique, qui réfrène les impatiences des éléments qui tentent d’avoir il leur tour l’honneur de devenir l’objet de la pensée consciente. M. Kaploun résume cette conception en disant que le moi central ne voit le monde extérieur) ou même intérieur, qu’à travers le moi automatique. .

Pour illustrer sa conception, l’auteur propose comme première approximation, comme explication provisoire, ce qu’il appelle la Pointe. La Pointe est un style projetant par son extrémité effilée un dard lumineux très étroit, qui selon l’expression heureuse de l’auteur éclaire de conscience la parcelle du domaine psychique à laquelle s’applique pour l’instant la pensée, tout le reste, infiniment plus vaste, étant plongé dans le crépuscule du moi automatique.

Cette Pointe, non seulement n’est pas immobile, mais est animée de sautillements incessants qui la font se porter avec la vitesse de l’éclair vers les points les plus divers, d’où résulte l’impression illusoire que le moi conscient embrasse au même instant un domaine très vaste, idée tout à fait contraire à la conception de M. Kaploun.

Dès ces premiers pas dans l’exposé de la théorie, nous rencontrons une difficulté très grave: qu’est-ce qui dirige les sautillements de la pointe? La question est de savoir non [p. 167] pas pourquoi elle est agitée de sautillements, mais pourquoi elle se porte du point M sur le point N, et non vers un autre quelconque des innombrables points du domaine psychique. M. Kaploun reconnaît qu’il n’a pas résolu cette difficulté, mais il affirme qu’elle se dresse de même dans toutes les autres conceptions relatives au fonctionnement de l’esprit. Peut-être réussirons-nous, à la fin de cet article, à montrer que cette affirmation est trop absolue. Provisoirement, M. Kaploun donne du problème une solution purement verbaIe : ce qui oriente la Pointe vers le lieu actuellement utile pour la poursuite de la pensée, c’est la Fonction explicatrice qu’il appelle par abréviation la F. E. Il faut citer ici les propres paroles de l’auteur : « Les éléments que contient l’esprit sont innombrables ; et pourtant ce ne sont: que ceux qu’il faut qui arrivent ; et ils arrivent sans qu’on les appelle sciemment et volontairement, on ne les connaît que lorsqu’ils sont déjà là, car si le sujet conscient était capable de les appeler c’est qu’il les connaîtrait déjà : c’est un cercle vicieux connu. » (p. 21, § 10).

Ces réserves faites, admettons provisoirement la F. E. comme si elle était une cause réelle et efficiente. Pendant que la Pointe est fixée sur un point pour l’élaboration d’une pensée, le moi automatique, qui veille en nous et sur nous, dirige une foule d’actes inconscients : telle dévote égrène tout un chapelet uniquement occupée de critiquer sans aménité les faits et gestes des personnes présentes ou la conduite de ses relations absentes ; de même, l’on peut rentrer chez soi absorbé dans la lecture du journal et franchir les trottoirs, éviter les passants, suivre les détours des rues, sans en avoir le moindrement conscience; mais survienne tel geste, tel cri qui peut avoir pour nous un intérêt immédiat, la Pointe se dirige vers le lieu du domaine psychique qui a été impressionné, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à une F. E. bien spécialisée pour le faire comprendre.

Il n’en est plus de même si, dans l’élaboration d’une pensée, nous faisons appel à tout ce qui peut documenter ou orienter notre jugement. Dans le crépuscule de l’inconscient, des points très divers méritent également d’attirer la pensée, et, quel que soit l’intérêt qui leur sera reconnu, quand ils auront été éclairés par la Pointe, cet intérêt n’étant pas actuellement connu, on se demande quelle force peut diriger la [p. 168] Pointe précisément vers le lieu convenable. Invoquer la F. E. n’explique rien, tant que la F. E. n’est pas elle-même expliquée.

Il vient à l’idée des personnes peu versées dans la psychologie (au nombre desquelles je demande à être compté) d’invoquer ici l’Association des Idées. M. Kaploun, suivant le courant d’opinion moderne se refuse énergiquement à admettre son existence. En ma qualité de psychologue vieux jeu, et qui tient à sa routine, je veux exposer et discuter les raisons de M. Kaploun. J’y suis fort intéressé, non pas spécialement pour le cas actuel, mais parce que c’est une des bases de ma théorie du Rêve, et qu’après avoir beaucoup médité, je crois, en dépit de la mode, que cette base reste la seule sur laquelle on puisse édifier une théorie solide.

Partons du texte même de M. Kaploun.

« Si on entend par association le retour simultané de faits psychiques déjà liés entre eux, nous n’avons jamais observé ce phénomène. Sans doute certains faits « s’associent » lorsque l’esprit les pense, mais l’associationnisme entend qu’il existe des liens psychiques déjà tout faits. L’habitude mentale est, non une association entre éléments, mais une activité psychique que la répétition a déterminée dans son devenir… » « L’objet avec ses multiples détails, est, en veille, un système de connaissances, ou parfois même un fait psychique un, et c’est une loi que nous connaissons que, lorsque notre esprit est occupé par un fait, les connaissances relatives à ce fait se présentent, et celui-ci se complète. »  « Il ne faudrait pas prendre pour un processus associatif le passage de la partie au tout… On a ici le simple travail de la F. E., travail intellectuel. Les éléments sont appelés par le sujet central, et ne se traînent pas l’un l’autre. Ils arrivent parce que la pointe reste sur le sujet qui les contient. » « On a pris à tort pour, une association par similitude l’amnésie provisoire, suivie du retour, à l’occasion d’un fait analogue, du fait oublié. La représentation du premier fait dirige notre esprit sur un sujet qui contient le deuxième et on sait qu’il suffit que l’esprit soit orienté vers un objet pour que les connaissances relatives à cet objet affluent. La connaissance qu’on croyait avoir oubliée était donc latente, et elle arrive quand le genre cl ‘occupation de l’esprit devient propre à la recevoir… » «… En conclusion, nous n’avons jamais observé d’association [p. 169] proprement dite. A part l’habitude mentale, c’est toujours par l’effet du sujet central que les éléments psychiques se présentent à la conscience. »

En somme, cette argumentation revient à dire que les idées ne sont pas liées entre elles objectivement, en dehors de celui qui les pense. Si telle était nécessairement la définition de l’association des idées, nous serions entièrement d’accord avec M. Kaploun. Mais la définition qu’il donne est presque enfantine ; et c’est enfoncer une porte ouverte que de la combattre.

Ainsi, d’après M. Kaploun les idées ne sont pas liées entre elles par un lien infrangible et tel que l’une traîne nécessairement l’autre à sa suite, chose sur laquelle je pense que tout le monde est d’accord, mais l’association repose sur le fait que la F. E. va pêcher au bon endroit, dans l’inconscient, les idées utiles à l’élaboration de la pensée actuelle, lesquelles idées sont le plus souvent celles qui sont reliées à la première par une similitude de quelque nature.

Mais ici encore, expliquer quelque chose par la F. E. qui est elle-même inexpliquée, sinon inexplicable, ce n’est point fournir une explication.

Pour nous l’association doit être définie de la manière suivante : une idée est associée à une autre lorsqu’elle a avec elle, non pas objectivement, mais dans le passé psychique de celui qui la pense, un élément commun et tel que la présence de cet élément dans la conscience est une condition favorable pour l’introduction de la seconde idée sur la scène. Il s’agit de montrer que, aussi bien d’après les lois psychologiques que d’après celles du fonctionnement nerveux, la présence d’un élément commun à deux idées peut constituer entre elles un lien associatif tel que l’une, je ne dis pas doit nécessairement, mais peut entraîner l’autre à sa suite sur la scène de la conscience.

Pour être bien compris, je dois rappeler ici brièvement la conception que j’ai développée dans un autre travail (2), J’ai montré que les idées sont composées d’un assemblage d’éléments constitutifs, relativement peu nombreux, mais dont les combinaisons sont pratiquement infinies, à peu près comme les dix chiffres permettent la constitution de tous les nombres, comme les vingt el quelques lettres de l’alphabet permettent [p. 170] celle de tous les mots, de toutes les langues ; de même que les quelques dizaines de notes du clavier permettent celles de toute la musique de tous les pays et de tous les temps. J’ai présenté en outre comme hypothèse raisonnable que chaque cellule pyramidale correspondait à un de ces éléments d’idées ; et comme ces cellules pyramidales sont au nombre de plusieurs milliers, on voit que la richesse de leurs combinaisons dépasse de beaucoup celle des nombres, des mots et des airs de musique, ce qui est beaucoup plus qu’il n’en faut pour les exigences de la théorie. Enfin, j’ai suggéré une hypothèse, assurément plus hasardeuse, à laquelle j’ai donné le nom de localisation des reliquats. En deux mots, cette conception consiste à imaginer que chaque cellule pyramidale est unie à toutes les autres par une jonction protoplasmique et que le long de cette jonction les différences de structure d’où résulte leur hétérochronie, condition de leur indépendance fonctionnelle, s’atténuent de telle façon que la vibration de l’une amorce la vibration de l’autre. Il ne faut voir, dans ces hypothèses, qu’une tentative en vue de fournir à l’esprit une représentation matérielle raisonnable pour objectiver la façon dont l’entrée en activité d’une idée peut amorcer l’entrée en activité d’une idée associée. Soient, en effet, a, b, c, d, e, f, g, les éléments constitutifs d’une idée R ; g, h, i, j, k, l, m, n, les éléments constitutifs d’une idée V. Quand R occupe la conscience, les cellules pyramidales correspondant à a, b, c, d, e, f, g sont en vibration ; or, g appartenant aussi au groupe g, h, i, j, k, l, m, n, on voit que l’entrée en vibration de ce groupe est ainsi amorcée, ce qui est une condition efficiente pout que l’idée Ventre à son tour dans la conscience. Renvoyant’ pour le détail au travail ci-dessus indiqué, contentons-nous de conclure que l’association des idées peut reposer sur le fait que deux idées ayant au moins un élément constitutif commun sont entraînées l’une par l’autre à entrer en activité (c’est-à-dire à prendre successivement place dans la conscience), ce qui revient à dire que la première y entraîne la seconde.

Il faut bien noter d’ailleurs que l’existence d’un élément commun entre les idées est une condition favorisante, mais, non suffisante à elle seule, pour que la présence de l’une dans la conscience détermine l’arrivée de l’autre. Chaque idée présente dans la conscience a quelqu’un de ses éléments [p. 171] commun avec un nombre considérable des idées plongées dans le crépuscule de l’Inconscient, et cependant toutes n’arrivent pas à la fois ; il y a là une lutte entre les idées éligibles qui sont favorisées à des degrés très divers, et l’élue sera celle qui l’aura emporté sur toutes les autres. Il faut tenir compte ici des autres facteurs déterminant l’entrée des idées dans la conscience, et, au premier rang, de leur énergie de réviviscence, résidu disponible de leur énergie potentielle initiale après qu’une partie de cette énergie potentielle s’est dépensée au cours des autres interventions de cette idée dans nos pensées.

Tout cela est dit ici de façon beaucoup trop brève, et sans la prétention de répondre à toutes les critiques. Ici encore je dois renvoyer, pour le détail, à mes écrits antérieurs (3).

Ainsi, nous concluons que l’Association des idées, bien loin d’être inexistante, joue un rôle considérable dans la formation de nos pensées. Un rôle considérable, ce n’est même pas assez dire ; pour rendre à ce facteur ce qui lui est dû, il faut dire un rôle capital, un rôle si essentiel que, sans lui, la pensée humaine serait réduite à un état rudimentaire.

Les conditions dans lesquelles le moi conscient peut fonctionner sans le secours de l’Association des idées sont très exceptionnelles, et, à vrai dire, je n’en connais que deux. La première, c’est quand une impression sensorielle ou cénesthésique détermine une perception. Celle-ci n’exige rien, ni antérieurement à l’excitation, ni en collaboration avec elle, et je ne suis nullement convaincu de la vérité de la conception de M. Kaploun quand il affirme que toute excita lion, pour produire une perception, doit passer par le moi automatique, et que si elle trompe la surveillance de ce moi ; elle n’est pas perçue. En fait, il arrive très souvent que nous percevons des sensations à la fois légères et imprévues, ce qui est contraire à l’idée que nous combattons. La seconde condition est celle d’un commencement de rêve, lorsque le sommeil se substituant à l’état de veille est venu rompre la chaine de nos pensées, ou lorsque, entre deux rêves, s’est interposée une lacune de sommeil sans rêve. Il est de toute évidence que, dans ce cas, la première pensée qui envahit la conscience ne saurait y être en traînée par l’association puisque, actuellement, la conscience est vide. D’ailleurs, il est [p. 172] exceptionnel que cette première pensée ait pour origine, comme dans le cas ci-dessus, une excitation sensorielle ou cénesthésique. J’ai développé ailleurs, dans un livre actuellement en cours de publication (4), une explication que je ne veux ici que résumer sous une forme très brève. Cette explication consiste à dire que l’excitation du groupe de cellules pyramidales dont la coaction conditionne, la première idée apparaissant dans le cerveau vide, peut être d’origine interne et due à quelque brusque variation du métabolisme, sous l’influence de variations locales de l’activité circulatoire et de la composition chimique du sang irriguant lesdites cellules pyramidales. Je demande qu’on ne se hâte pas de juger cette explication qui, sous cette forme trop sommaire, ne réalise pas toute sa valeur démonstrative.

En dehors de ces cas très particuliers, je prétends et j’affirme que l’Association des idées est la condition nécessaire, indispensable, de toute pensée. Elle seule apporte dans la conscience les éléments qui servent : 1° à la documentation, sans laquelle aucun cours de pensées ne pourrait se poursuivre ; 2° à la comparaison, sans laquelle aucun jugement ne pourrait prendre naissance. Dans un cours de pensées, que ce soit une vague rêvasserie ou un raisonnement serré, les choses se passent toujours de la même façon : une première pensée occupe la conscience, elle ne se suffit point à elle-même ; il faut l’étayer, la documenter, la développer, l’étendre, la poursuivre. Par quel moyen ? Uniquement par l’Association des idées : l’idée présente dans la conscience en appelle, par le processus que nous avons indiqué, une autre qui a avec elle un ou plusieurs éléments communs. Cette nouvelle pensée introduite peut présenter deux conditions : ou bien elle est jugée inutile et immédiatement rejetée, ou bien elle apporte quelque notion utilisable et elle est retenue ; une troisième idée ayant quelque élément commun avec l’une des deux précédentes est introduite dans la conscience de la même façon et traitée de la même manière, et ainsi de suite. Ainsi l’idée centrale, celle d’une question à résoudre par exemple, s’entoure d’un groupe d’idées de plus en plus nombreuses, qui toutes apportent un élément à la solution de la question posée. Le moi central ne s’applique pas à toutes [p. 173] à la fois, il les étudie une à une, mais tandis qu’il rejette bien loin celles qu’il ne veut pas utiliser, il retient près de lui, dans la région périphérique du moi central, celles qui lui sont utiles et qu’il veut conserver comme éléments de jugement. Pour illustrer cette conception, je voudrais substituer à la Pointe de M. Kaploun une autre figure qui n’a, comme cette dernière, que la valeur d’une comparaison, mais nous paraît plus heureuse : c’est celle que j’appellerai l’œil psychique.

Ce qui fait la difficulté, dans la conception de M. Kaploun, c’est qu’en dehors du lieu étroit éclairé par la Pointe, tout le reste est dans les ténèbres de l’Inconscient, en sorte que rien ne permet de comprendre comment la F. E., qui n’a point de lanterne, arrive à trouver, dans ce chaos de ténèbres, précisément ce qui convient. Il en est autrement pour l’œil psychique.

On se rappelle comment est constitué l’œil organique. Un point central, la fovea, perçoit avec précision les moindres détails des images qui se forment sur elle ; le reste de la rétine perçoit de même les formes et les couleurs, mais d’une façon vague, juste suffisante pour nous informer de la présence et de la localisation, dans l’espace ambiant, des objets déterminant les images correspondantes, sans que ces images soient assez précises pour troubler la perception des images centrales formées sur la fovea. Bien plus, il y a une dégradation progressive de la sensibilité de la rétine depuis la fovea centrale jusqu’à la périphérie. En sorte que les objets sont entrevus de plus en plus vaguement à mesure qu’ils s’éloignent de l’axe central. On comprend tous les avantages de cette disposition : l’œil voit avec précision tous les détails du point spécial que nous regardons, sans être gêné par des impressions nettes provenant des points voisins. Mais cependant, nous avons connaissance, d’une façon vague, de tout ce qui nous entoure dans des limites très étendues ; et ainsi nous ne risquons pas d’être pris à l’improviste. Si, pendant que je me dirige en ligne droite vers un ami que je viens d’apercevoir à vingt pas de moi dans la rue, un passant coupe ma trajectoire de manière à rendre possible une collision, j’en suis informé à temps pour l’éviter ; dès que son ombre aborde les limites de mon champ visuel je sais qu’il est là, j’entrevois la direction de son déplacement, il y en a là assez [p. 174] pour déterminer un brusque mouvement de l’œil (j’allais dire un brusque saut de la Pointe) sur l’objet inquiétant ; celui-ci est aussitôt reconnu dans tous ses détails, et par là sont déterminés de façon presque automatique les mouvements correcteurs qui empêcheront la collision. Dans ce système, la F. E. de M. Kaploun a une lanterne, et sa recherche ne devient plus un travail impossible.

Nous venons d’expliquer que les idées associées présentes dans l’Inconscient sont rejetées bien loin quand elles n’ont pas d’utilité actuelle, et retenues tout près lorsqu’elles en ont une. Il résulte de là qu’au cours de l’évolution d’une pensée principale, les éléments de connaissance qui constituent ce que j’ai appelé ailleurs notre fortune psychique, subissent, autour du moi central, un perpétuel réarrangement ayant pour effet de maintenir au voisinage immédiat les plus utiles, dans une région plus périphérique celles qui le sont moins, et de rejeter dans la nuit de l’inconscient, c’est-à-dire hors du champ de l’œil psychique, celles qui n’ont pour le moment d’utilité d’aucune sorte. De là résulte un minimum d’efforts pour déterminer l’entrée dans la conscience de tout ce qui est actuellement utile. Pour prendre un exemple, imaginons un chasseur battant un champ avec son chien ; il n’a d’yeux que pour les déplacements et les altitudes de ce dernier. Cependant, non loin de sa pensée, et toutes prêtes à être appréhendées, sont les idées du mouvement d’épauler, de s’abriter les yeux contre le soleil, de la place à sa ceinture des projectiles des divers calibres, éventuellement du garde champêtre qui peut survenir s’il est en faute, etc. etc., et bien loin de sa pensée la généalogie des empereurs de la Chine, et ce sera l’inverse quand ce même chasseur, s’il est en même temps professeur orientaliste, sera à sa table de travail, préparant quelque leçon sur les compétitions des dynasties chinoises et mandchoues. Je crois que ce perpétuel réarrangement des éléments de notre fortune psychologique autour de l’objet central de notre pensée, selon leur degré d’utilité par rapport à celui-ci, est un phénomène réel et important, et qu’il a pour base, non pas quelque merveilleuse disposition finaliste, pas plus qu’une non’ moins mystérieuse Fonction Explicatrice, mais l’attraction des idées associables et leur rejet plus ou moins loin de la conscience selon qu’elles sont plus ou moins adéquates à l’objet actuel de la pensée.[p. 175]

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’entrée dans ta conscience des idées associées n’est pas le résultat d’un effort de la pensée, laquelle n’a aucun moyen d’accomplir un pareil travail, et sous ce rapport, mais avec les différences d’acception que l’on devine, j’admets, d’accord avec M. Kaploun, que le moi central est adynamique. Quand nous cherchons quelque chose, nous ne pouvons rien activement pour le trouver ; tout ce que nous pouvons faire est de nous mettre en état de surveillance, d’attention expectante, pour épier les moindres idées que l’association nous présentera, afin de les juger d’un coup d’œil, de les rejeter bien loin, ou de les maintenir près de nous après en avoir extrait ce qu’elles ont d’utile; et l’opération ne cesse que lorsque nous sommes arrivés, par ce moyen, à un jugement satisfaisant et complet. Ici encore prenons un exemple. Il me revient à la pensée une image d’un journal humoristique, montrant un rapin chevelu dans une attitude désespérée, tenant en main sa palette auprès de la toile vierge et immaculée sur le chevalet. Et au-dessous on lit : « N. d. D. c’est demain la clôture du concours et je n’ai pas encore trouvé mon sujet ! » Mais que peut-il faire en effet, le malheureux peintre ? S’il s’agissait de brouetter de la terre, il ne serait point embarrassé ; il n’aurait qu’à retrousser ses manches, saisir sa pelle, et se mettre à l’ouvrage. Mais ici que faire ? Se mettre à l’ouvrage pour trouver un sujet, c’est simplement se prendre la tête dans les mains, fermer les yeux, chasser toute idée profane et …attendre : attendre que l’Association des idées en fasse apparaître dans l’esprit une qui sera reconnue acceptable, qui en attirera d’autres par le même processus associatif et se complètera par elles, jusqu’à former un tout satisfaisant. Il est vrai que s’il cherche un sujet d’histoire, il pourra évoquer les souvenirs historiques de telle ou telle époque ; mais, là encore, c’est l’Association des idées qui sera intervenue : c’est le mot histoire qui, formant l’objet central de sa pensée, aura attiré par association l’appel dans sa conscience de ces divers souvenirs. S’il est ainsi désespéré à la veille de la clôture, cela peut tenir à bien des causes. Cela peut tenir à la pénurie de ses connaissances historiques, mais peut-être aussi à la pauvreté de sa faculté d’association, ayant pour base l’insuffisance relative des fibres du chevelu de ses neurones pyramidaux, ou encore à l’absence de cette finesse de jugement qui lui permettrait de découvrir, [p. 176] dans une idée en apparence banale, les éléments d’une composition intéressante. En somme, à côté de la perspicacité intellectuelle, de la finesse du jugement, de l’acuité du sens critique, la condition essentielle de l’intelligence c’est la richesse des associations. Pour être intelligent, il faut d’abord et avant tout être doué d’une faculté d’association riche et rapide, qui fasse défiler sous les yeux de l’esprit tous les éléments utilisables de la fortune psychologique, leur utilisation étant affaire de sens critique, de sens esthétique, etc.

Pour montrer jusqu’où va, dans mon esprit, ce rôle capital de processus d ‘association, je formulerai une proposition qui sera, par la plupart, considérée comme une ineptie sinon comme un blasphème, et que je crois cependant parfaitement vraie. Cette proposition est celle-ci : l’imagination n’existe pas. J’entends par là qu’il n’est pas en nous un pouvoir créateur qui puisse par un effort d’une nature spéciale tirer quelque chose de rien. L’imagination est adynamique ; elle ne cherche pas, elle ne quête pas comme le chasseur qui fouille les sillons et les taillis ; elle guette comme le chasseur à l’affût. L’esprit se met en état d’attention expectante, et il attend ; il attend que les idées viennent ; et il ne peut rien pour les faire venir. Elles viendront si elles font partir de sa fortune psychologique, elles viendront si des associations efficaces se sont établies entre elles ; elles viendront si les cellules pyramidales sont nombreuses, bien fournies de chevelu, bien en relation chacune avec toutes, et si, dans chaque prolongement protoplasmique, s’est établie cette localisation des reliquats des vibrations synchrones qui sont la base de l’appel, par une idée, de celles qui ont été associées avec elle dans les cours de pensées antécédents (5). Cette arrivée dans la conscience des éléments de toute création intellectuelle est donc indépendante de nous ; elle se soustrait à nos efforts, et toute notre activité, dans la production des œuvres d’imagination, se limite à la surveillance des apports de l’association des idées, à leur étude critique, et à leur arrangement esthétique.

Je ne veux pas dire, cependant, que l’Imagination n’est faite que de souvenirs réarrangés et recombinés. Elle procède aussi par réarrangement et recombinaison de fragments de souvenirs, et les produits de ces réarrangements peuvent être [p. 177] nouveaux et constituer des images mentales différentes de celles qui existaient toutes faites dans la mémoire. Pour prendre un exemple qui, pour être réduit à une simplicité rudimentaire, n’en contient pas moins l’essentiel de ma pensée, je dirai : si une perception ou l’association des idées vous apporte l’image d’un papillon rouge butinant une fleur bleue, vous faites œuvre d’imagination et vous créez une image nouvelle en concevant un papillon bleu butinant une fleur fouge. Mais ce qui est essentiel dans ma conception c’est que, non seulement l’imagination n’utilise comme matériaux que des éléments d’idée déjà présents dans la conscience (ce que, je crois) personne ne contestera, mais qu’elle ne peut rien pour évoquer ces éléments, sinon de se mettre dans l’altitude d’attention expectante et d’attendre leur arrivée, ou tout au plus de maintenir l’attention sur l’ordre d’idées particulier où elle estime avoir le plus de chances de trouver ce qu’elle désire.

Ainsi que nous l’avons dit, la Pointe et la F. E, ne sont pour M. Kaploun qu’une première approximation, grossièrement spatiale, pour acheminer vers l’expression finale de sa pensée. Avant d’arriver à cette dernière, il en propose une autre, un peu plus évoluée : celle d’un orgue immense aux tuyaux innombrables, où chaque note est présente avec toutes ses particularités de hauteur, de timbre, d’harmoniques, etc. En vertu des lois de la résonnance, quand une note vibre, tout le groupe des notes similaires entre en vibration et il en résulte une harmonie. Cette note qui vibre la première, c’est l’image qui occupe la pensée consciente ; celles qui vibrent par résonnance, ce sont celles que la F. E. va réveiller dans l’inconscient ; et M. Kaploun imagine, en outre, pour enrichir sa comparaison, que ces tuyaux, en même temps qu’ils vibrent, s’illuminent de couleurs variées, formant ainsi une symphonie à la fois auditive et visuelle. L’image est poétique, mais il ne me semble pas qu’elle explique grand’chose, et j’y vois surtout ce défaut que, dans cet orgue merveilleux, chaque note fait nécessairement vibrer tous les tuyaux reliés à elle par les lois de la résonnance ; tandis que dans notre esprit une idée éveille une à une successivement, et toujours incomplètement, un lot, déterminé par le seul hasard, des idées associées. Ma conception des cellules pyramidales hétérochrones avec leurs infinis prolongements, partiellement [p. 178] synchronisés avec ceux des autres pyramidales, est certainement plus terre à terre, mais peut-être, tout en ayant des fondements moins fragiles, est-elle plus adéquate à l’explication requise.

Quant à la conception finale de M. Kaploun, celle où, écartant toute comparaison, toute intrusion d’idée spatiale, il cherche à donner l’expression purement métaphysique de la nature de la pensée, j’avoue qu’elle reste pour moi singulièrement vague, sinon obscure. Je me contenterai de reproduire entre guillemets les propositions les plus essentielles, laissant au lecteur la charge de se faire une idée de leur signification : « … les connaissances inconscientes, c’est ce que l’esprit fait. » « Qu’est mon esprit ? — Tout ce que je sais ; que fais-je ? — Je pense ceci ou cela. » … « Le pouvoir éclairant de la Pointe n’est donc pas une « propriété », c’est la définition, la nature même de l’esprit qui, logiquement, ne peut être autre ; c’est, si l’on veut, son unique propriété. Si l’on se débarrasse de toute conception spatiale, ou si, pour conserver le moins de spatialité possible, on voit toutes les connaissances de l’esprit comme étant au même endroit, on comprendra facilement que penser veuille déjà dire éclairer de conscience ce dont on s’occupe, et cela seulement. (Par l’« occupation » de l’esprit, nous n’entendons pas quelque action matérielle, mais un sujet de pensée, la conscience est le sens d’un fait). La F. E. n’est, dès lors, que la nature même de la pensée, sa définition logique. Il n’y a ni appel, ni arrivée des éléments : on ne les pense pas — ou on les pense. » … « La présence (consciente ou inconsciente) des connaissances est donc la nature même de la substance psychique ; leur latence seule résulte de la tension de veille. » … « L’interprétation qu’on vient de lire ne concerne que le moi central : la Pointe et la F. E. s’évanouissent, leurs propriétés deviennent la nature même de la pensée. » … « Quant au moi automatique, il n’est pas atteint par notre transposition. Sa tension, son influence sur les démarches du moi central et sur l’organisme, le contrôle de la pensée, en elle-même approximative, par la totalité des connaissances qu’il maintient latentes, tous ces caractères restent en dehors de notre esquisse métaphysique. Au lieu de dire que le moi central est « uni » au moi automatique, ou en est « séparé », il suffira de dire qu’il « pens » à la réalité ou qu’il n’y pense pas ; ce changement de mots [p. 179] ne modifie d’ailleurs aucun des effets de ce que jusqu’à présent, nous avons appelé leur union ou leur séparation. » … « Nous nous garderons bien d’être trop clair, en l’occurrence. »

II. — NATURE ET CARACTÈRES DU RÊVE

Après cet exposé et cette critique de la conception psychologique de M. Kaploun passons à sa théorie du rêve.

Dans la partie relative au Rêve, le mode d’exposition cher à M. Kaploun se retrouve encore plus accentué s’il est possible. L’auteur a exécuté le tour de force peu enviable d’exposer toute une théorie du Rêve, complexe et touffue, dans un langage rigoureusement abstrait. Après une lecture lente, attentive, le crayon en main, et coupée de méditations, de l’ensemble du livre, j’ai repris tout ce qui est relatif au Rêve, et je suis sorti de cette seconde lecture presque fourbu. Dans ce long exposé, pas une seule narration de rêve apportant quelque précision ou quelque soulagement à l’esprit. Et ce n’est pas que cette documentation ait fait défaut : à propos d’un type rare de Rêve, l’auteur déclare ne pas l’avoir rencontré plus de deux fois sur mille, ce qui implique une riche documentation.

En raison de ces conditions, le fond de la pensée de M. Kaploun n’est pas toujours facile à saisir, et sur certains points, je n’ai pas réussi à lever toute indécision. Je vais cependant essayer d’exposer ce système, tel que je l’ai compris, m’excusant d’avance dans le cas où sur certains points je n’aurais pas entièrement saisi la pensée de l’auteur.

Le Rêve se définit par ses différences avec l’état de veille. La caractéristique de l’état de veille est l’attitude interrogative du moi automatique et le fait que, le moi automatique entourant de toutes parts le moi central, celui-ci ne communique avec le monde extérieur que par l’intermédiaire de celui-là. Par suite, toute perception est la réponse à une question implicite du moi automatique ; et ainsi cette réponse se trouve toujours ajustée à son objet : de là résulte la cohérence des cours de pensées à l’état de veille. Durant le rêve, l’attitude interrogative du moi automatique est abolie ; par suite, les excitations du monde ambiant ou n’arrivent pas au moi central, ou, lorsqu’elles parviennent jusqu’à lui, n’étant [p. 180] pas la réponse à une question, ne sont point adaptées à un objet déterminé, d’où résulte l’incohérence habituelle du Rêve. De plus, tandis que, dans l’état de veille, les perceptions, les conceptions, sans cesse documentées et contrôlées par les apports de la F. E., se maintiennent les unes par les autres dans une juste limite, il s’établit entre elles un ordre de subordination, et celles qui sont franchement inadéquates sont entièrement rejetées. Rien de tel dans le Rève, où tout ce qui aborde la conscience est accepté tel quel, sans contrôle. Les images qui peuplent la pensée du rêveur ne proviennent pas du moi automatique et ne retournent pas à lui ; elles naissent et meurent dans le moi central, étant les produits de la pure imagination.

L’auteur va jusqu’à dire que, tandis qu’à l’état de veille, le moi central est en communication perpétuelle avec le moi automatique, durant le Rêve, un voile entoure le moi central et empêche les projections lumineuses de la Pointe d’arriver au moi automatique. Mais sûrement, en s’exprimant ainsi, il dépasse sa pensée, car il admet, ce que personne ne saurait nier, que les souvenirs de la vie réelle jouent un rôle capital dans le Rêve. Or, ou je n’ai rien compris à sa théorie, ou ces souvenirs, tant qu’ils sont latents, sont logés dans l’inconscient et appartiennent au moi automatique ; mais au lieu de se contrôler les uns par les autres pour éliminer comme cela a lieu à l’état de veille les conceptions contradictoires, ils sont acceptés sans contrôle, côte à côte, même s’ils sont exclusifs l’un de l’autre.

Un autre caractère essentiel de l’état de rêve, c’est ce que M. Kaploun désigne par l’appellation très heureuse d’adhésion intellectuelle. Il y a, de la part du rêveur, adhésion immédiate, sans discussion, à tout ce qui entre dans la conscience. La critique, le doute, la comparaison, l’élimination imposée par la logique de ce qui serait contradictoire, tout cela est l’apanage exclusif de l’état de veille, tout cela manque dans le Rêve ; et par là se trouve non seulement résolue, mais même supprimée, la question : Pourquoi le rêveur prend-il ses hallucinations pour des réalités ?

Ainsi, les images du Rêve sont les unes des conceptions, produit immédiat de l’imagination dans le moi central, les autres des souvenirs ou de vagues perceptions sensorielles ou cénesthésiques, mais les uns et les autres, ne répondant [p. 181] pas à une question du moi automatique, ne sont point maintenus dans leur signification légitime, et sont transformés, défigurés, transposés et le plus souvent amplifiés. Par là s’expliquent à la fois l’incohérence et les exagérations du Rêve .

A côté de l’adhésion intellectuelle, il y a une adhésion émotive qui permet toutes les exagérations provoquées par les états cénesthésiques : sous l’influence d’une euphorie, les impressions ou les conceptions les plus banales pourront devenir merveilleuses ou infiniment agréables, tandis que par l’effet d’un état dépressif, des conceptions banales apparaîtront infiniment tristes, et des impressions sensorielles ou viscérales seront transformées en douleurs excessives. La preuve en est, d’après M. Kaploun, que le rêveur peut avoir, sous de telles influences, de véritables cauchemars qui cependant ne le réveillent pas, tandis que la plus légère piqûre le tire de son sommeil : donc, la gêne cénesthésique qui engendrait le cauchemar était moins intense que la douleur de cette simple piqûre. C’est par là qu’il explique (après d’autres) les rêves prophétiques : une impression viscérale pénible, mais si légère qu’elle n’attirait pas l’attention à l’état de veille, devient angoissante dans le Rêve, et au réveil le souvenir de cette angoisse pousse le sujet à consulter le médecin qui découvre les premiers indices d’une affection viscérale naissante.

Cette adhésion intellectuelle immédiate explique nombre des particularités du Rêve. Du rêve sont exclus l’ailleurs, l’au­delà, l’avant ou le plus tard (sinon à une distance spatiale ou temporelle très faible), le doute, l’étonnement, le rire, etc… En effet, toute conception d’une chose antérieure ou future, ou pouvant se passer ailleurs ou au delà, se réalise immédiatement en rêve dans le présent, et, par là, supprime tout ce qui n’est pas le présent. L’auteur va jusqu’à dire que la notion du jour et de l’heure manque dans le Rêve. Je m’inscris en faux énergiquement contre une telle assertion. Voici en effet un rêve très fréquent chez moi. Je dois me rendre à la Sorbonne pour y faire un cours, ou même au collège pour m’y asseoir sur les bancs en qualité d’élève. Je sais que je dois y être présent à telle heure, et cette heure est une préoccupation qui ne me quitte pas ; tantôt je veux m’habiller et je ne trouve pas mes vêtements, tantôt je m’égare dans les rues et ne trouve point le lieu où je dois me rendre et, pendant ce temps, je sens que l’heure approche, qu’elle est [p. 182] arrivée, qu’elle est passée, à chaque instant je regarde ma montre et me désespère de ne pouvoir arriver à temps.

D’après M. Kaploun, l’adhésion immédiate aux choses les plus illogiques et les plus contradictoires est exclusive du doute, de l’étonnement et du rire ; jamais la F. E. n’introduit dans le Rêve un élément négatif, c’est-à-dire ayant pour effet d’inhiber un élément antérieurement présent. Aussi contradictoire que soit l’élément apporté, il prend sa place dans la scène onirique, et s’accommode avec les autres éléments présents, sans les gêner et sans être gêné par eux, même s’il forme avec eux un ensemble illogique qui, grâce à l’adhésion intellectuelle, est accepté sans protestation.

Cependant, d’après M. Kaploun, dans quelques cas exceptionnels, on rencontre dans le Rêve l’étonnement ou le rire, le premier naîtrait quand l’explication apportée par la F. E. serait lente à venir : le second ne serait pas cette manifestation de la gaîté bien connu à l’état de veille, ce serait l’audition d’un bruit scandé interprété comme rire et laissant le sujet parfaitement indifférent.

Bien des auteurs, Freud un particulier, pensent que ce sont seulement les faits de la journée qui peuvent reparaître dans le Rêve. M. Kaploun étend cette durée jusqu’à trois jours. Pour l’un comme pour l’autre, si un fait plus ancien reparaît en Rêve, c’est qu’il a été repensé dans la période plus récente de un ou de trois jours. Quand, ce qui est fréquent, on ne trouve aucun souvenir de cette réapparition récente du fait ancien dans la mémoire, c’est, dit M. Kaploun, parce que le souvenir de cette réapparition s’est lui-même perdu. C’est aisé à dire, mais parfaitement arbitraire. J’ai dans mon expérience personnelle de nombreux exemples de rêves reproduisant des faits anciens de mon existence, et d’une nature telle que, si je les avais repensés depuis peu, cela, à ce qu’il me semble, ne m’aurait pas échappé. Je ne vois vraiment aucune raison de nier qu’à côté du cas habituel de l’influence des événements récents puisse prendre place, à titre exceptionnel, l’intervention d’éléments anciens.

D’accord avec Clavière, M. Kaploun estime que la prétendue vitesse foudroyante des rêves n’est qu’une illusion. Les événements, en rêve, marchent avec la vitesse qu’ils auraient dans la vie habituelle, et si l’on peut faire beaucoup de choses en très peu de temps, c’est parce que le Rêve supprime, entre [p. 183] le point de départ et le point d’arrivée, une multitude de stations intermédiaires qui s’imposent à nous dans la vie réelle. Je suis entièrement d’accord avec lui sur ce point.

Par contre, je suis en mesure de réfuter par des observations personnelles cette affirmation que le rêveur ne fait ni introspection, ni observation. Non seulement il peut faire l’une et l’autre, mais il peut même faire de l’expérimentation. Voici un cas que je reproduis d’après une de mes publications antérieures (6). Dans mes études sur les lueurs entoptiques, j’avais fait remarquer qu’un caractère permet toujours de distinguer une lueur entoptique d’une image rétinienne objective : il suffit de porter le regard à droite et à gauche, ou en haut et en bas ; si c’est une image réelle, elle paraîtra se déplacer par rapport à la ligne du regard ; si c’est une lueur entoptique, elle suivra celui-ci. Je rêve que je suis invité à un dîner chez le Prince de M… et, situation singulière pour un convive, mais dont je ne songe pas à m’étonner, je suis sur une petite passerelle, portant une soupière vers la salle à manger. Tout à coup je m’arrête et me demande si celle scène n’est pas un rêve (doute, introspection) ; je me l’appelle alors le caractère différentiel que j’ai signalé, et me décide à faire l’expérience cruciale : je place la soupière à la hauteur de mes yeux et, tenant celle-ci immobile, je porte mes regards vivement en haut et à droite (expérimentation). La soupière ne suit pas le mouvement, d’où je conclus que l’image rétinienne est objective, et que je ne rêve pas (raisonnement). C’est au réveil seulement que m’est apparue l’absurdité de cette conclusion, en me rendant compte que j’avais rêvé que je portais les yeux en haut et à droite, tandis qu’en réalité ils étaient restés immobiles. Bien des fois, j’ai rêvé que j’avais recouvré la vue, mais dans le rêve même un doute me reste, je me demande si je ne rêve pas ; et une fois, pour m’en assurer, je prie une tierce personne de me pincer le bras. Ainsi fait­elle, je sens la douleur, et j’en conclus que je ne rêve pas. Le réveil m’apporte la désillusion. Que M. Kaploun explique cela s’il le veut par l’adhésion intellectuelle, mais qu’il ne dise pas que l’observation et l’introspection font défaut.

De même, l’expérience journalière de tous proteste contre l’assertion que les préoccupations de la vie réelle n’interviennent [p. 184] pas dans le rêve. On rêve souvent de ce qui vous a préoccupé, surtout lorsqu’on a cherché à écarter l’objet de la préoccupation, et à la condition tout au moins qu’on n’ait pas épuisé, en y appliquant assidûment son esprit, toute l’énergie potentielle du sujet de la préoccupation. Dire avec M. Kaploun que les phénomènes de la vie réelle s’équivalent en tant que causes éventuelles de rêve, n’est pas exact ; cela est vrai peut-être comme moyenne, mais nullement dans des cas individuels.

Enfin, M. Kaploun explique d’une façon singulière la fausse impression de déjà vu fréquente en rêve. « Elle [l’impression de déjà vu] est un cas particulier de la rationalité des faits, rationalité toujours nécessaire à l’esprit ; on « comprend » un fait quand on a retrouvé ses antécédents. La F. E. inventera donc des antécédents propres à justifier la situation présente, et, par l’adhésion intellectuelle, on croira que ces antécédents ont effectivement existé. Le passé, de même que le présent, est vu comme il doit être vu, pour que la scène ait un sens. » L’explication est ingénieuse, mais il est une objection à laquelle elle ne résiste pas. Si deux causes d’ordre aussi général et aussi constamment présentes dans le Rêve que la rationalité et l’adhésion intellectuelle déterminaient l’impression de déjà vu, cette impression serait constante ; et l’on n’observerait jamais ce fait extrêmement fréquent au point d’en être banal que, dans une scène de rêve, apparaît brusquement un personnage qui est on ne sait qui, qui vient on ne sait d’où, et qui se mêle ou non à l’action. Je renvoie pour l’explication du sentiment de déjà vu à ce que j’en ai dit dans une conférence à l’Institut de psychologie (7) et qui a été publiée sous le titre : Quelques points de la Psychologie du Rêveur.

Nous avons exposé et critiqué au passage les points accessoires de la théorie du Rêve ; il nous faut maintenant, en terminant cette étude, voir à quoi se ramène ce qui en elle est essentiel, la chose par laquelle tout le reste s’explique, c’est-à-dire les relations réciproques du moi automatique et du moi central dans le Rêve.

Tout se ramène, d’après M. Kaploun, à un isolement du moi central par rapport au moi automatique et à la disparition de l’attitude interrogative de ce dernier. Sont-ce là des idées [p. 185] bien neuves ? En apparence, peut-être ; mais au fond, je ne vois pas grande différence entre cette conception et celle du désengrènemenl des rouages psychiques de Tannery, ou celle du désintéressement de Bergson. Qu’est-ce en effet que ce désengrènement des rouages, si ce n’est le fait que les rouages de l’Inconscient, ou ceux mis en mouvement par les impressions extérieures, peuvent tourner sans actionner le rouage central qui fait marcher les aiguilles, lesquelles représentent ici la pensée du dormeur. Qu’est-ce aussi que le désintéressement de Bergson si ce n’est un isolement du dormeur par rapport aux excitations extérieures et à tout ce qui vient de l’ambiance ? La différence n’est pas grande avec la conception de M. Kaploun : celle-ci est à coup sûr plus élaborée que celle de M. Tannery (qui n’est, en somme, qu’une comparaison), plus précise dans l’explication de son mécanisme que celle de Bergson, (laquelle exprime un état sans indication de sa cause) ; mais au fond, la conception essentielle est la même. D’ailleurs, ce n’est pas seulement aux deux théories indiquées qu’elle se montre conforme : elle est d’accord avec la conception universellement admise, et qui n’est au fond qu’une observation presque banale, savoir que le sommeil isole le dormeur du monde ambiant.

Cette théorie de la désolidarisation des deux moi, explique en effet plutôt le sommeil que le Rêve, car, pour rendre compte de ce dernier il ne suffit pas de montrer qu’il possède un haut degré d’indépendance par rapport à la vie réelle, il faut encore expliquer d’où viennent les images oniriques et à quoi sont dus leurs caractères. Les attribuer, comme fait M. Kaploun, à l’imagination du moi central, est un peu bref ; et expliquer leur rapport lâche avec le moi automatique par l’état détendu de ce dernier est un peu vague.

Ce qui me frappe surtout, lorsque j’examine les caractères du Rêve, c’est qu’Il n’est pas une qualité de l’intelligence à l’état de veille qui ne se retrouve, fût-ce pour un instant, au même degré dans le Rêve ; c’est qu’il n’est pas une opération de l’esprit que le Rêveur ne soit, fût-ce exceptionnellement, en état de réaliser ; et c’est que, par contre, il n’est pas une déficience de l’esprit, une faute de raisonnement, une injure au bon sens ou à la logique, dont le rêveur ne soit capable à un instant donné. Ce qui est caractéristique du Rêve, ce n’est en aucune façon un abaissement régulier du niveau [p. 186] intellectuel, mais c’est une irrégularité de ce niveau, si générale qu’elle devient elle-même une règle. L’esprit du rêveur possède d ‘une façon parfaitement claire, et qui ne le cède en rien à celle de l’état de veille, certains des éléments de ce que j’ai appelé sa fortune psychologique que réclame, pour sa compréhension complète, le tableau onirique ; mais il ne les possède jamais tous : nombre d’entre eux restent dans l’ombre, une logique impeccable voisine avec les pires absurdités, une connaissance très fouillée avec des trous, des lacunes considérables dans les souvenirs.

C’est tout cela que j’ai cherché à expliquer en définissant l’état psychique du Rêveur une amnésie partielle non systématisée. J’ai développé cette idée ailleurs, et je ne puis ici que la résumer brièvement. Les fautes contre la logique, contre le plus élémentaire bon sens, celles qui proviennent d’une lacune des souvenirs, d’une absence dans la documentation, tout cela est à mettre sur le compte d’une amnésie qui prive le dormeur, pour un instant, d’une partie des connaissances qui constituent sa fortune psychologique.

Mais cette amnésie est partielle, puisque à côté de vastes lacunes, nous trouvons, dans des régions limitées du domaine psychique, un exercice des fonctions intellectuelles qui ne le cède en rien, pour un temps et dans un espace limités, à ce même exercice de la pensée à l’état de veille.

Enfin, en ajoutant le qualificatif non systématisée, je veux dire que ce n’est pas sur une partie toujours la même de notre domaine psychique, que ce n’est pas sur une catégorie définie et persistante de nos souvenirs ou de nos moyens intellectuels comme dans certains états pathologiques tels que la cécité verbale, que porte cette amnésie. Elle se déplace sans cesse, et ce qui était, il y a un instant, dans l’obscurité de l’inconscient, entre dans la pleine lumière de la conscience, et inversement. Et c’est pour cela que j’ai comparé l’ensemble de notre domaine psychologique à un ciel criblé de nuages sur lequel un projecteur envoie un jet brillant de lumière qui, se déplaçant sans cesse, éclaire tantôt un point, tantôt un autre, laissant le reste dans l’obscurité.

Par cette comparaison je n’entends pas représenter l’incessante variation des images oniriques, ce qui serait parfaitement banal, mais l’incessante variation de nos moyens intellectuels et de la documentation de souvenirs qui est la cause [p. 187] de l’extraordinaire irrégularité des processus psychologiques dans le rêve.

D’ailleurs, ces déplacements incessants de la lumière projetée ne sont, en dépit de leurs irrégularités, qu’en apparence dépendants du hasard ; ils sont régis par ces deux facteurs essentiels des tableaux du Rêve : l’Association des idées et l’énergie de réviviscence des souvenirs ou des éléments de souvenirs. Je m’en suis expliqué ailleurs avec tous les détails nécessaires et ici je ne puis encore que renvoyer à mes autres travaux.

NOTES

(1) Lausanne, 1910.

(2) Essai sur la constitution des idées. Rev. Générale des Sciences. Rev. Phil. 1815, 2589-323, 28 fév. 1913.

(3) Rev. Scient., 91.

(4) Le Rêve. Etude psychologique, philosophique et littéraire, in-8°, Paris, 1920.

(5) Rev. Phil., loc. cit., 1915.

(6) Bull. de l’Inst. gén. psychol., 1903.

(7) Bull. de l’Inst. gén. psychol., 1919, n°1-3.

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