Rafaël Barajas-Castro. Analyse d’un rêve apporté au début d’un traitement.  Extrait de la « Revue française de psychanalyse », (Paris) ; Tome XXI, n°1, janvier-février 1957, pp. 5-22.

Rafaël Barajas-Castro. Analyse d’un rêve apporté au début d’un traitement.  Extrait de la « Revue française de psychanalyse », (Paris) ; Tome XXI, n°1, janvier-février 1957, pp. 5-22.

 

Rafaël Barajas-Castro. Médecin et psychanalyste argentin.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de la thèse. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

Analyse d’un rêve
apporté au début d’un traitement
par RAFAËL BARAJAS CASTRO
(Mexico)

A la mémoire de John Leuba.

Dans le premier essai d’un jeune analyste, on doit pouvoir suivre les vicissitudes du travail clinique, et se rendre compte des particularités de la technique appliquée.

C’est pourquoi, au cours de cet exposé, où nous présentons l’esquisse d’un cas concret, nous montrerons d’abord comment nous avons été amenés à faire le diagnostic et à fixer le traitement. Puis, nous essaierons de démontrer par les faits, comment nous avons eu la confirmation de l’avis de maints analystes, selon lequel le premier rêve apporté à l’analyse est souvent d’une importance spéciale.

Racontons la première séance, où apparaît avec netteté l’articulation de la vie inconsciente avec le tableau clinique général de notre malade, ce qui nous fera saisir, sur le vif, le dynamisme du rêve. Ce premier apport onirique était, dans son langage propre, un récit des conflits que notre patient vivait sans le savoir, et une énumération assez complète des défenses mises en jeu pour conjurer les dangers supposés qui l’empêchaient d’accepter sa sexualité.

On peut difficilement trouver dans la littérature un exemple qui montre avec tant d’évidence l’utilité d’un apport onirique précoce. Un exposé comme celui-ci pourrait, peut-être, préciser les idées que quelques psychiatres (informés théoriquement seulement) se font de l’emploi du rêve en psychothérapie et qui reprochent aux psychanalystes un maniement arbitraire des symboles. Le problème de la validité générale des symboles est fascinant et de grande envergure théorique. Dans le travail clinique, il a un-intérêt pratique. Il nous aide à mieux [p. 6] comprendre les patients et à les précéder dans le long chemin que constitue chaque analyse personnelle. C’est pourquoi nous n’oublions jamais que le langage onirique à déchiffrer apparaît toujours inséré dans une conduite concrète et ses origines et ses ramifications ont un contenu affectif et une détermination strictement personnelle pour le rêveur.

On constatera, espérons-nous, au cours de ce travail, que nous préférons l’étude rigoureuse d’un matériel apporté par le sujet, à une interprétation « delphique ».

En le faisant ainsi, nous croyons nous maintenir dans la voie tracée par Sigmund Freud.

II

Un homme de 27 ans, d’une grande intelligence, est venu nous consulter pour essayer de résoudre une inhibition sexuelle apparaissant sur un fond d’anxiété. Au cours de la première entrevue, il parla spontanément, mais avec angoisse, et donna beaucoup de détails sur sa vie.

Depuis son adolescence, ses rapports sexuels n’étaient pas très satisfaisants. Il avait une éjaculation précoce et une chute prématurée de l’érection.

A l’occasion d’un voyage d’études, pendant un long séjour à l’étranger, et face aux nouvelles conditions que ce changement imposait à sa vie sexuelle, l’inhibition s’accentua de plus en plus, et il commença à se sentir angoissé. Il avait consulté, recherchant un soulagement, deux médecins et un neurologue. Il fit remarquer que chaque fois qu’il était rassuré par un médecin, l’appui moral ainsi fourni avait l’effet d’amer liorer légèrement ses symptômes. Mais le résultat n’était que passager, et quand il est venu nous consulter, son angoisse, son besoin d’appui et son inhibition étaient plus grands que jamais.

Quand il dansait, il avait une érection franche au contact de la femme. Pendant la nuit, quelquefois l’érection était si intense qu’il s’éveillait. L’érection tombait à l’occasion du coït.

Son esprit était presque exclusivement occupé à chercher une explication de son symptôme qui lui apparaissait comme une chose étrange et injuste. Il s’ensuit que son état avait une nuance asthénique et hypocondriaque. Il avait découvert que sur le pôle supérieur du testicule- droit une petite tumeur augmentait et diminuait alternativement. Il exagérait le rôle attribué à cette boule jusqu’à en faire une idée fixe.

D’après les médecins, c’était un simple varicocèle, mais il en doutait: ïl se demandait aussi si une vieille amibiase qu’il n’avait jamais [p. 7] soignée, ne pourrait être la cause de ses difficultés. En effet, son appétit était irrégulier, et il souffrait d’une constipation chronique. Il rapporta tout cela en ajoutant un détail qui lui paraissait curieux : après une tentative de coït sans résultat, une visite aux cabinets le soulagea tellement, qu’il put ensuite réussir d’une façon assez satisfaisante. Il se plaignait aussi de céphalées, de pertes de mémoire, de manque d’intérêt pour son travail et de la baissé de sa capacité intellectuelle. Sa préoccupation n’était sûrement pas étrangère à cet état de choses. Ces derniers symptômes et ses insomnies le préoccupaient également.

L’interrogatoire mit facilement en relief d’autres aspects du syndrome auxquels le sujet n’attachait pas d’importance.

Il y avait des variations .qualitatives et quantitatives de l’appétit sexuel. Si, en ce moment, il cherchait le contact des femmes, ce n’était pas par désir, mais par angoisse, et dans l’espoir qu’une amélioration soudaine lui apporterait une surprise agréable. En réalité, il n’avait jamais porté un. véritable intérêt au coït.

L’éjaculation était saccadée, mais rapide, prématurée, sans contrôle, et le laissait insatisfait.

L’orgasme ne lui procurait aucune jouissance subjective, mais lui laissait une sensation de vide. Au cours de quelques-unes de ses expériences sexuelles, il s’occupait plutôt du plaisir de la femme que du sien propre.

L’agréable abandon post-coïtal était remplacé chez lui par un soulagement « parce que c’était fini ».

Il avait du mal à se mouvoir, comme l’homme doit le faire au cours du coït et il jugeait lui-même son attitude comme étant craintive. Il n’y avait pas non plus de transition claire entre les mouvements volontaires et les mouvements automatiques qui annoncent l’éjaculation.

Il ajouta spontanément quelques données biographiques. Jusqu’à un certain âge, il avait vécu en province dans un milieu strict envers la vie sexuelle. Son père était mort lorsqu’il avait sept ans. Il avait eu des difficultés scolaires, et sa carrière ne le satisfaisait pas entièrement. En vérité, ajouta-t-il ironiquement, son impuissance pouvait s’étendre à d’autres champs de sa conduite.

Vers la fin du rendez-vous, il demanda un pronostic précis de ses troubles. Nous lui répondîmes sans plus que le traitement était indiqué. Nous lui avons dit la règle fondamentale et les conditions des honoraires. Nous lui avons signalé que s’il lui arrivait de rêver, le récit de ce rêve pouvait être utile pour l’analyse.

Il demanda, non sans réticence, quels seraient les avantages d’un [p. 8] si long traitement ; sa demande étant justifiée, d’après lui, par la fixation des honoraires. Nous lui avons répondu qu’il y trouverait peut-être, la clef de certains de ses problèmes.

Après avoir pris trois jours pour réfléchir, il se présenta pour sa première séance.

Le traitement était indiqué parce qu’il n’y avait pas de base organique, parce que l’automatisme génital était conservé, parce que le symptôme était réversible, et parce qu’il était lié à une anxiété et à des difficultés probablement névrotiques.

III

Dans la première séance, il s’étendit sur le divan avec hésitation. Il dit qu’il ne croyait pas au traitement, et il se retourna, cherchant l’analyste du regard. Il demanda avec insistance qu’on l’interrogeât. Je lui répondis qu’il n’était pas nécessaire d’y croire, et que je lui demandais seulement de faire un effort honnête pour suivre la règle.

II rétorqua aussitôt qu’il avait beaucoup pensé à la règle, et que cela avait déclenché chez lui une véritable tempête de souvenirs, de sentiments et d’idées, qu’il croyait ensevelis pour toujours, et qui se dressaient soudain devant lui.

Il serait donc amené à raconter beaucoup de choses personnelles et intimes, ce qui lui serait très désagréable ; il n’oserait peut-être pas. Il voulait que l’analyste lui dise si tout ceci passerait, si tous ces souvenirs se sédimenteraient de nouveau et reprendraient leur place. Au silence de l’analyste, il réagit en assurant qu’il ne comprenait rien au traitement, et raconta le rêve suivant :

« Devant l’hôtel où je suis logé, je regardais une église en flammes qui allait s’écrouler.

« J’avais la sensation de danger et j’avais peur que ma voiture ne fût écrasée, car elle était auprès de l’édifice. Je me rappelai qu’à l’intérieur était mon appareil photographique, de très grande valeur. Je demandai la clef du moteur à mon hôtelière, et celle-ci me la donna. Je montai rapidement dans l’automobile et je m’enfuis pour sauver mes affaires » (cosas).

Tout en disant « sauver mes affaires » d’une façon rapide, automatique, il plaça ses mains sur ses organes génitaux. Lorsque l’analyste le lui fit remarquer, il montra une grande surprise. Et il demanda si ceci était en rapport avec le rêve. L’analyste lui répondit en lui demandant son opinion personnelle. Après une brève réflexion, il dit : « Oui, bien sûr, c’est une suite. » [p. 9]

Il fit ensuite quelques associations sur le rêve. « Feu, flammes, chose qui brûle… (ironiquement) le feu de l’amour…, l’hôtelière, pourquoi a-t-elle la clef ? Ma voiture, puissance…, mon appareil photographique, ce que j’ai de plus coûteux…, surtout, crainte… église, mon éducation chose sacrée… Clef, vous, clef du secret… Hôtel, où l’on est logé, il y a du monde… »

Et il finit la séance surpris d’avoir dit tant de choses dénuées de sens.

IV

Au cours de l’analyse, les thèmes représentés dans le rêve apparaissaient et se mêlaient de différentes façons dans ses associations, comme un leitmotiv. Je dirai que, après quatorze mois d’analyse, les dernières implications de ces thèmes n’ont pas été assimilées par le patient. Néanmoins, un matériel plus clair le pousse chaque fois davantage à les découvrir.

V

Le médecin sait que le fait de connaître le déterminisme d’un processus ne suffit pas pour guérir le malade.

L’analyste reconnaît que ses déductions sont soumises à une révision continuelle, et que, au cours de n’importe quelle séance il peut se voir amené à repenser totalement le problème de son malade.

D’après ces deux considérations, une interprétation ne doit jamais être communiquée prématurément, même si l’on est sûr d’avoir vu juste. Une interprétation émise trop tôt peut être ressentie aussi étrangère que le symptôme lui-même.

La règle consiste à attendre patiemment que le moi de l’analysé soit sur la voie et à l’y mettre avec ses propres mots. Le moment venu, une intervention minime l’aidera à franchir l’obstacle, sans éveiller de résistances.

Tout ce qui s’oppose à l’apprentissage de la règle est une résistance, qui doit être liquidée par une analyse génétique et causale. L’étude de ces résistances, et du transfert en particulier, sont les seuls guides possibles au cours du traitement.

Ainsi, notre but est que le moi soit revigoré par les pulsions mêmes contre lesquelles il luttait auparavant. [p. 10]

VI

Le patient fit un premier pas en avant lorsqu’il accepta qu’il y eût entre ses rêves et ses problèmes un certain rapport. Jusque-là, il les avait considérés comme des incidents au cours du sommeil. Quand il remarqua que son geste et son rêve exprimaient la même chose, son intérêt pour cette thérapeutique augmenta.

VII

Pour interpréter ce rêve et en tirer profit, il suffit d’accepter quatre hypothèses de travail :

  1. Le rêve n’est pas accidentel : il doit avoir un déterminisme rigoureux.
  2. Il doit être en rapport avec la situation nouvelle, actuelle pour le sujet.
  3. Si la nouvelle situation a déclenché le rêve, le rêve à son tour doit contenir certains éléments qui permettront de mieux comprendre cette situation.
  4. Le sens réel du rêve s’éclaircira dans le cours d’associations postérieures.

VIII

Le dynamisme apparaît dès la première séance : « Il ne croit pas au traitement, et cependant il y est venu. Il cherche l’analyste du regard, tendance également représentée dans le rêve. »

Dans le plan conscient, il attend de nous le même appui que celui qu’il a trouvé chez d’autres médecins. Il se heurte, par contre, à une règle du travail qui le décontenance, et qui rompt l’équilibre préexistant et vers lequel il voudrait toujours retourner, comme vers un refuge. C’est pourquoi il voulait savoir, de son analyste, si tout ce trouble passerait (au conditionnel ; c’est-à-dire, s’il pourrait revenir, le cas échéant, à un état dont la stabilité le rassurait). Il prend conscience dans cette amorce de transfert de son besoin d’aide et « il ne comprend pas ».

La règle fondamentale apparaît comme une cause de trouble capable de déclencher « une tempête de souvenirs, etc. ». Il s’est déjà produit un changement dans l’équilibre psychologique, et le traitement apparaît déjà comme un élément dynamique.

Ensuite vient le rêve, qui révèle un désir de collaborer. Malgré sa perte de mémoire, prétextée, il se souvint du rêve, au complet, et sans la [p. 11] moindre hésitation. Puisqu’il avait consenti, selon la suggestion de l’analyste, à apporter un rêve, il s’assurait ainsi par sa « bonne conduite », la protection de l’analyste. Examinons le contenu latent, pris littéralement,

1. Regarder une chose qui brûle veut dire en espagnol considérer un problème ardu et lui faire face. Il a devant soi le feu de l’amour.

2. La vie sexuelle c’est du feu dangereux, puisqu’il lui inspire de la crainte pour ses « affaires » (cosas) de valeur.

3. Au lieu de faire face au danger et de le surmonter (but conscient de l’analyse), il prend la fuite. (Pourquoi n’avoir pas rêvé qu’il éteignait l’incendie ?)

4. Si le rêve est déclenché par l’entrée en analyse, on pourrait s’attendre à ce que l’analyste soit présent dans le contexte. Il n’en est rien apparemment : aucun homme n’apparaît représenté comme tel.

5. Pourtant, une femme lui remet la clef, et il n’hésite pas à associer cette clef avec la clef de son problème, qu’il espère recevoir de son analyste (féminisation de l’analyste).

6. Il ne refuse pas seulement de faire face au danger avec l’aide de l’analyste, mais encore il espère que celui-ci l’aidera à fuir.

7. Le fait d’avoir placé ses « affaires » près de l’église les met eh danger.

8. Parmi les objets de grande valeur, pour lui se trouve ce qui se rapporte à la protection, à la vue, au mouvement et à l’argent.

IX

On peut voir se profiler quelques-uns des mécanismes de défense caractéristique du patient et auxquels il a eu recours quand la présence de l’analyste l’a angoissé. Quelques-uns de ces mécanismes sont devenus conscients et ils ont commencé à se liquider à travers l’interprétation systématique du transfert. Le mouvement et le désir exprimés dans un rêve sont d’une importance capitale. Dans le rêve que nous rapportons, les actions suivantes s’y trouvent impliquées : être, « estar » (dans l’hôtel), regarder l’ (incendie), demander (la clef), fuir (à l’intérieur de l’automobile).

La tendance régressive la plus remarquable était celle de la fuite.

Au commencement, il accueillit avec scepticisme la prévision que nous lui fîmes dans le sens qu’il essaierait d’échapper au traitement. Puis, plus tard, lorsque l’image de l’analyste fut ressentie comme dangereuse, les prétextes pour manquer aux séances se firent nombreux ; prétextes qui, invariablement, n’étaient jamais valables objectivement. [p. 12]

La tendance à fuir fut rendue consciente d’une façon vécue. Au commencement, il ressentait l’interprétation comme étrange et lointaine et soudain, elle prit corps et fut assimilée. Phénomène fréquent qui établit la différence entre une analyse de mots et une analyse de pulsions. On put assurer la continuité du traitement, et la fuite montra qu’il fuyait aussi bien la femme que l’homme, quand il s’agissait de montrer sa virilité ouvertement.

Si le feu représente l’excitation sexuelle qu’il fuit, l’église pourrait représenter une femme. Les associations qu’il apporta ensuite justifièrent cette hypothèse. Mais, pour rester dans le contenu manifeste, il suffit de voir que le mouvement général du rêve l’éloigné aussi de l’hôtelière.

Cette image était celle de la femme « chez qui il logeait ». L’inconscient du sujet avait pris ceci au pied de la lettre : il sortait rarement de sa chambre. Quand, plus tard, il décida de sortir et de jouir de la vie extérieure de Paris, il perçut jusqu’à quel point c’était lui-même qui limitait sa propre liberté.

En outre, l’hôtelière le nourrissait. Elle s’occupait de son petit déjeuner. Elle avait placé dans l’hôtel un frigidaire auquel le patient avait recours dans les crises soudaines de faim qui lui arrivaient pendant la nuit.

Puis, par sa façon particulière de dépenser, il se mettait dans la situation d’emprunter de l’argent pour ses repas, à cette femme. Dans d’autres rêves où elle apparaissait, elle avait l’aspect d’une image nourricière. C’était elle aussi qui lui donnait la « clef » de sa chambre, et contrairement à ce qu’il attendait, elle ne s’opposa jamais à ce qu’il fit monter des femmes dans sa chambre.

Cette femme, en le logeant dans un pays étranger où il se trouvait loin de sa patrie, était ressentie comme particulièrement bienveillante. Il avait choisi cet hôtel parce que l’aspect convenable de l’hôtelière l’avait attiré. On lui avait dit que cette femme n’avait pas de rapports sexuels avec son mari ; et il fut très choqué quand il découvrit qu’elle avait un amant.

Ceci était typique de sa façon de comprendre la femme.

Les femmes, pour lui, étaient nettement divisées en deux catégories : « celles qui disent non » et « celles qui disent oui ». « Celles qui sont décentes, et celles qui disent oui. » Ce qui signifiait celles qui n’ont pas de vie sexuelle et qui sont bonnes, et celles qui disent oui et savent de quoi il s’agit. Il éprouvait du dégoût pour ces dernières qui devaient être forcément laides et indignes d’amour. [p. 13]

X

Il justifiait ses opinions par ses premières expériences érotiques qu’il eût dans un bordel de province et qui lui laissèrent un mauvais souvenir. Grâce à cette chaîne d’associations, il se rendit compte que son inhibition augmentait devant les femmes excitées sexuellement, tandis que tout allait mieux lorsqu’elles ne bougeaient pas. Il comprit qu’il ne désirait pas la femme en tant qu’objet sexuel, et il trouva la clef d’un autre de ses problèmes : il ne pouvait pas accepter que les rapports sexuels fussent accompagnés de relations affectueuses. De plus, il craignait les femmes qui disent oui, et il justifia cette crainte de plusieurs façons. Peur du chancre, de la grossesse, de l’avortement ou du mariage, tout était bon. Et pour éviter un contact avec elles, il inhiba son érection.

Envers les femmes de l’autre groupe, il éprouvait une grande vénération. Elles étaient la synthèse de tout ce qu’il y a de bon. Elles existaient surtout dans son imagination, et là elles étaient tellement parfaites, qu’il aurait été impossible de les trouver dans la réalité. Sa recherche de la perfection rendait ces femmes inviolables et sacrées, puisqu’il n’osait pas les « souiller ». Et pour demeurer chaste et fidèle vis-à-vis d’elles, il se servit de son inhibition.

Il avait placé sa mère sur un autel spécial, sa mère qui avait tant fait pour lui. Ce fut la mère en effet qui, à la mort du père, prit en mains la direction de la maison et l’éducation des enfants. Femme d’une énergie à toute épreuve, elle se voua à ses enfants, et ne se remaria pas, malgré les occasions qu’elle eût de le faire. Elle lui communiqua sa foi religieuse, et ce fut elle qui choisit le collège catholique dans lequel il fut éduqué. En outre, elle considérait avec méfiance les velléités sexuelles de son fils et les jeunes filles qu’i fréquentait. Elle était sévère envers les ménages mal accordés et, à cause de ceci, le malade craignait de faire un mariage qui, plus tard, ne marcherait pas.

Il évoqua sa mère gérant les affaires et lui donnant de l’argent. Plusieurs de ses souvenirs montrèrent l’attitude résolue de cette femme pendant la persécution religieuse qui eut lieu dans son pays. Un jour, fusil en main, elle se mit à la recherche des bandits qui, croyait-elle, avaient pénétré dans la maison. Mais, surtout, un souvenir de cette époque, le rapprocha de l’église du rêve. Les rebelles entrèrent dans sa ville natale, et sa mère cacha dans son berceau les objets sacrés du culte. Ils ne furent pas trouvés. Quand on lui raconta cet incident, il se sentit très satisfait de la confiance qu’on avait eue en lui (pour sauver l’église) malgré son très jeune âge.

Son enfance fut soumise à l’influence exclusive de cette femme et à celle de ses tantes, également pieuses. Au cours du traitement analytique [p. 14] il comprit qu’à cause de cela il avait chez lui des identifications féminines assez poussées.

Sa sœur eut aussi une grande importance sur sa formation. Il satisfit avec elle sa curiosité visuelle en essayant de trouver la solution du mystère de la conformation du corps féminin.

XI

Vis-à-vis des femmes, le respect et la crainte le faisaient fuir.

Il se souvint d’avoir pris la fuite, littéralement au pas de course, un jour qu’on voulut le faire danser avec une jeune fille, dans son adolescence.

Ses changements continuels de fiancées, sa recherche d’une perfection introuvable, apparurent comme une série de petites fuites. Lorsque, au cours de l’analyse, il eut sa première maîtresse, il la fuit aussi. Il s’échappait lorsque, étant couchés ensemble, il la possédait dans son imagination sans la toucher. Il la fuyait quand, ayant la possibilité de la posséder, il préférait se masturber. Et, surtout, fuite devant tout projet’ de mariage et de situations qui signifieraient une responsabilité vis-à-vis d’elle.

Toutes ces interprétations furent rattachées à sa conduite de fuite. Au cours du transfert, il apparut clairement qu’il consentait à s’approcher d’un objet féminin seulement quand il se sentait protégé par une virilité empruntée. Quand il était question de sa virilité à lui, et qu’il était seul, la retraite était rapide.

II arriva à interpréter de lui-même l’éjaculation précoce comme une retraite précipitée — encore une autre — devant la femme.

XII

La conduite sexuelle d’un individu reflète tout son comportement.

Il fuyait non seulement la femme, mais aussi l’homme. Ainsi le prouvaient largement le développement du transfert et sa biographie, qui, du reste, s’éclairaient mutuellement.

Par exemple, il avait supposé que l’analyste serait content s’il étudiait avec enthousiasme. Il manqua deux séances, « parce que, si je ne travaille pas, le résultat de l’analyse en sera compromis et votre travail superflu, docteur ». Même absent, il payait les séances et il nous fut facile de lui montrer que sa passivité était une défense contre une lutte ouverte.

Dans la première phase de l’analyse, pleine de fantasmes de fuite, le matériel apporté se succéda comme suit :

  1. Phase de pseudo-impuissance, où il utilisa l’inhibition pour ne [p. 15] pas suivre la règle. Il n’avait pas de mémoire, ses rêves étaient incohérents, il n’avait pas d’idées.

L’analyste interpréta ceci comme un moyen actif pour échapper à une tâche difficile, ce qui suffit pour passer à la 2e phase, de contenu homosexuel, et au cours de laquelle il raconta comment il avait éprouvé son premier orgasme sexuel, dans son adolescence, en jouant avec son cousin germain. En outre, il s’accusait d’avoir eu des fantasmes de féminisation.

  1. Phase de contenu exhibitionniste. Là apparurent tous les jeux exhibitionnistes de l’enfance, avec sa soeur et sa cousine. Quand il imaginait qu’une femme voyait son pénis, il avait rapidement une érection. Ce fut le premier chemin qu’il retrouva pour résoudre son symptôme. Vers l’âge de 22 ans, il avait fait en sorte que la domestique le vit tout nu dans le bain, ce qui amena à des rapports sexuels entre eux.

Nous signalons ici en passant que la polarité voir — être vu — est implicite dans le rêve, et elle eut une grande importance dans sa vocation professionnelle.

  1. Phase de contenu masturbatoire. Après un long préambule, il confessa sa masturbation, commencée quand il était déjà à l’école secondaire. Elle s’accompagnait d’images de punition et de la sensation très aiguë, « de commettre un grand péché contre quelque chose de sacré ».
  2. Phase où il parla de sa culpabilité à cause de ses désirs sexuels, et du mal qu’il avait à contrôler ses fantasmes érotiques.

Toutes ces confessions semblèrent le soulager et son angoisse diminua. Le transfert s’était établi, et ayant gagné la confiance du patient, l’analyse progressa, après une interruption d’un mois. Il profita de ses vacances pour prendre la première maîtresse de sa vie, trois mois et demi après avoir commencé le traitement.

A cette époque, nous considérions qu’il avait cherché à se faire une idée de l’analyste et de ses réactions éventuelles, et il s’était débarrassé du matériel conscient qui l’angoissait le plus.

Nous apprîmes plus tard que chacune des phases décrites pouvait se situer dans le transfert et c’étaient des défenses contre un seul sentiment : l’angoisse vis-à-vis de l’homme.

XIII

Il semble que l’homme n’apparaisse pas dans le rêve et on peut supposer que son existence est niée, comme dans le dogme catholique, au sujet de la virginité de Marie. Sa biographie explique la cause de cette [p. 16] négation et montre une fuite systématique devant tout adversaire éventuel. Au cours de ses études, il avait fui constamment la présence de certains professeurs à l’occasion des examens. Malgré son intelligence éveillée et sa préparation soutenue, il était pris de panique devant le jury. Dans ces conditions, il ajournait ses examens et, pendant deux ans de suite, ne fut jamais ainsi en situation scolaire régulière. L’exemple le plus clair de cet état de choses fut un examen, pour lui décisif, qui resta le cauchemar de sa carrière.

Il ressentait l’examinateur comme particulièrement agressif, et il ne parvint à montrer ce dont il était capable qu’au moment où il put l’annuler en se présentant à l’examen pendant un séjour de ce professeur à l’étranger. Dans sa vie, le père n’avait existé vraiment pour lui que jusqu’à sept ans. Nous avons appris bientôt que sa vie se divisait en « avant » et « après » la mort de papa. Tout au contraire de ce qu’il essayait de croire, l’image paternelle fut d’une importance capitale pour le développement de sa personnalité. Dans le plan conscient, il se posa rarement la question d’élucider la nature exacte des relations affectives qui le liaient à son père. Un des plus grands bénéfices de cette analyse fut d’amener à la conscience un matériel apparemment disparu, et de le confronter avec un moi plus mûr.

Cette division affective apparut dans tout son sens à mesure qu’on remontait du présent au passé. A mesure que le temps passait, après la mort du père, son image se déshumanisait, et il arriva à être un modèle de perfection impossible à atteindre. Les exclamations des amis et des parents y contribuèrent : « Ah, si tu avais connu ton père ! » » « Tu n’arriveras jamais à la cheville de ton père. » « Tu devrais bien lui ressembler. » Et il le transforma en une statue de pierre qui ne le soutenait pas, mais qui l’écrasait d’un prestige anachronique au point de suffoquer, dans le plan conscient, la rébellion qui est si salutaire à tout enfant.

Par contre, il s’abrita derrière son inhibition, et refusa toute lutte ouverte avec certains hommes qu’il ressentait comme supérieurs.

La disparition du père eut des conséquences : la mutilation du foyer, la perte de la situation financière, plus tard, de l’héritage. De sorte que l’homme qui l’abandonna devint le disparu qui le privait d’appui, d’argent, et auquel il ne pouvait rien reprocher. Ceci se reflète dans la situation transférentielle : peur de l’homme qui lui prend des honoraires, crainte d’être abandonné. A côté de ceci, pour la première fois de sa vie, il avait la possibilité de se révolter sans risquer de sanctions. Vint ensuite le récit de la mort du père. Il vécut de nouveau une série [p. 17] de scènes. Vision de la mère qui descendait de l’avion, de retour de l’hôpital, toute habillée en noir pour la première fois, et pleurant devant ses enfants. Puis, le lent retour à la maison, et le souvenir de l’oncle qui essayait de consoler l’enfant qui ne comprenait rien. Ici, l’image de l’église qui s’écroule, s’éclaircit davantage. L’oncle le conduisit à la chapelle de la maison. Il ordonna à l’enfant de se mettre à genoux devant l’autel, et il lui dit : « Papa est parti. Il est au ciel, avec Dieu. Dorénavant, tu prendras sa place auprès de ta mère. Tu vas te conduire en homme, parce que tu es l’âme de la maison. » A ce moment, l’enfant eut l’impression que la chapelle s’écroulait, et le patient accepta sur le divan le bouleversement que cette scène lui avait fait éprouver.

Point essentiel de technique : laisser se faire le travail de deuil sans autre intervention qu’un silence respectueux et bienveillant. Le temps et la prise de conscience sont les meilleurs alliés pour permettre au processus thérapeutique de se poursuivre et liquider les résistances jaillies de la culpabilité inconsciente.

XIV

Le transfert avait pris une nuance spéciale que j’essaierai de décrire, et qui s’aiguisa dans la dernière partie du traitement, interrompu lorsque le patient fut obligé de rentrer dans son pays.

L’analyste en lui demandant des honoraires, le privait d’argent, tout comme le père. Dans le plan conscient, le paiement était ressenti comme une injustice. Ce qu’il y avait dans le fond, c’était la réactivation de tous les conflits non liquidés au sujet de son père vivant. Réactivation qu’il essaya d’annuler désespérément.

Il niait parfois notre présence : « Je sens que je parle tout seul » ; « Je doute que vous m’écoutiez », de fantasmes et des rêves où l’analyste partait en voyage.

D’autres fois, il se présentait de nouveau comme un petit être sans défense, et jouait un rôle de victime constante, vis-à-vis du paiement des honoraires ou des circonstances de la vie.

Parfois, dans son angoisse, il accentuait sa virilité par des fantasmes exagérés de puissance et de possession.

Puis, il se fit passif afin de recevoir une puissance empruntée dont il ne serait pas responsable, et qui ne lui coûterait rien.

Mais, son plus grand moyen de défense consistait à transformer l’analyste en une figure protectrice, calquée sur le modèle maternel. Il commença par demander ses séances à crédit, sous prétexte qu’il [p. 18] avait besoin de l’argent pour se nourrir, et il aboutit littéralement à demander de l’argent pour quelques repas.

Il ajourna le paiement de ses séances jusqu’à son départ, et donna comme excuse qu’il était en train de vendre son automobile (la voiture du rêve). Mais le but qu’il poursuivait était clair : c’était d’éviter le contact avec un homme qui le « ruine » et la reviviscence de ce qu’il représentait pour lui. Les conditions sociales dans lesquelles l’analyse se déroulait, justifiaient une patience toute particulière de l’analyste quant aux honoraires.

Nous espérons qu’en reprenant cette analyse à son retour, nous pourrons franchir cet écueil, et le patient sera soumis à des conditions moins conciliantes.

Nous ajoutons que, dans un autre rêve, l’analyste prenait la place de l’hôtelière.

XV

Nous voulons faire un bilan de ce que cet homme a acquis dans son expérience analytique qui, d’ailleurs, n’est pas terminée.

Sur le plan social, il parvint à vaincre une grande partie de ses inhibitions scolaires, et partit après avoir mené à bonne fin les études qu’il était venu faire à Paris. Sa panique aux examens s’atténua beaucoup. Il se rendait compte aussi qu’il avait le droit de progresser dans sa profession, de choisir une spécialisation qui lui plût et il partit plein d’enthousiasme et de projets.

Du point de vue sexuel, il put avoir une maîtresse et l’entretenir. Il se rendit compte que la vie sexuelle n’était pas en contradiction avec la dignité humaine et la tendresse et prit conscience des entraves que son éducation lui avait imposées.

La religion devint moins sévère et plus humaine, et il commença à critiquer quelques-uns des préjugés qui l’écrasaient jusqu’alors.

Il comprit l’importance de ses conflits sociaux et familiaux et de l’inutilité de les méconnaître.

L’analyse des résistances lui permit d’accepter sans peur les fantaisies féminines qui le tourmentaient auparavant.

Il y a encore beaucoup à faire : il y a à liquider totalement le conflit paternel et celui de la désexualisation des figures féminines, devant lesquelles il est encore incapable de prendre une responsabilité. Mais nous espérons qu’il reprendra son traitement et qu’il arrivera à accepter, sans crainte, son rôle d’adulte. [p. 19]

XVI

Nous avons laissé pour la fin une synthèse des problèmes que pose le rêve, et du sens latent qu’on peut attribuer à celui-ci. C’est peut-être le seul paragraphe devant lequel l’analysé prendrait encore la fuite en déclarant que c’est faux et hypothétique, mais moins précipitamment qu’il ne l’aurait fait avant le traitement. Un si beau rêve, qui contient tant d’implications, a sollicité constamment notre attention et celle de l’analysé. Dans son langage propre, d’une façon plastique, l’inconscient nous a montré les conflits- d’une personnalité. En écoutant un malade, on se trouve plongé dans une atmosphère affective particulière, qui permet de pénétrer quelques faits par intuition. Ces impressions impalpables sont impossibles à transcrire. Mais, par contre, on peut présenter des hypothèses qui pourront se soumettre à des discussions et des critiques. Les hypothèses, nous nous empressons de le dire, ont été suggérées par les faits du récit et par la théorie.

C’est un rêve très condensé où se trouve, peut-être, la biographie affective du sujet, centrée autour d’un événement très important. On voit qu’il y a nié toutes ses pulsions sexuelles, car dans le contexte tout se passe comme si celles-ci n’existaient pas. Mais nous croyons qu’il a symbolisé également l’origine de cette inhibition.

Le fait d’être dans l’hôtel signifie probablement pour lui qu’il se trouve à l’abri, dans un endroit nourricier, tiède, et qui le contient. II est probable que l’hôtel est le corps de sa mère « chez qui il a été logé ». L’hôtel est un prolongement de la femme qui le contint. Il a peut-être choisi un hôtel pour figurer un corps féminin avec ses multiples grossesses.

Puis, se trouvant en sûreté, il perçoit un événement inusité qui le trouble. Une église est en flammes. Nous essaierons de suivre les deux éléments, et de voir où ils mènent. L’église pourrait bien représenter son éducation religieuse susceptible de s’effondrer devant une analyse rigoureuse. Derrière cette éducation, on trouve toujours présente l’influence de la mère, et dans un plan plus reculé, cette même image avec son caractère sacré de veuve non remariée et intouchable. D’autant plus que la foi de cette femme et la persécution religieuse de l’époque imprégnèrent son enfance. L’apprentissage de la règle mettait en danger sa conception enfantine, protégée à tout prix, qui faisait de sa mère un être asexué. Il devait penser, un jour ou un autre, à ses origines et à celles de ses frères, et le conflit originel devait réapparaître.

Derrière ce symbole se trouve aussi la mort du père, qui fit de sa [p. 20] mère une femme intouchable par d’autres hommes, et la scène de la chapelle, qui l’avait tant troublé, s’y trouve aussi.

J’ajouterai aussi qu’un jour, en parlant de sa maison, il se rappela soudain qu’il existait presque à côté d’elle, les murs d’une église qui avait été incendiée. Il est possible que cet incendie ait eu lieu quand il avait 3 ou 4 ans, pendant la révolution. Il fut très surpris de retrouver ce détail, si précis, après l’avoir oublié pendant des années, et il promit de vérifier la date de cet événement. Si la date correspond aux données que le patient nous a communiquées, cette correspondance fournirait à notre hypothèse de travail une base chronologique exacte.

Il y eut sans doute une erreur de technique, dont nous prenons maintenant conscience. Nous ne lui demandâmes jamais de nous décrire avec détail l’église du rêve, et ceci aurait mis au point bien des choses. En général, chez lui, les églises ont deux tours, ce qui pourrait être une allusion aux seins, ou aussi une allusion à une conception phallique de la mère, également, comme le fait supposer l’image de l’hôtelière douée d’autorité. Et l’on arrive à l’association habituelle de mère-église, qui aurait pu paraître saugrenue si on l’avait exposée au début. Mais, dans le rêve, l’église est en flammes. Ceci fait penser qu’il a la certitude que le feu peut arriver jusque-là. Tout son système de classement des femmes semble vouloir nier cette possibilité, et je m’empresse de dire qu’il lui est impossible d’accepter l’image de la mère comme objet sexuel vis-à-vis du père, même maintenant. Son idée divinisée de la mère lui permettait de nier la présence du père chez elle. La flamme se trouve, dans le langage courant, toujours associée à l’amour. Ce qui n’empêche que, pour lui, ce soit un élément qui inspire la crainte, et capable de transformer la femme en un être dangereux, aussi bien que de la détruire. Pour lui, le coït n’était pas seulement dangereux parce qu’il pouvait détruire « ses affaires », mais encore parce qu’il était capable de provoquer l’écroulement d’une image jusqu’alors considérée comme sacrée, et devenue ainsi dangereuse. Contrairement à ce que nous attendions, au cours du traitement il montra très peu d’indices d’une crainte de détruire, lui-même, la femme. L’action de regarder est doublement signalée : par l’action de regarder de l’hôtel et par la présence de l’appareil photographique de grand prix. Sa curiosité visuelle était très accentuée, mais elle avait une nuance particulière : pour l’exercer, il lui fallait se trouver en sûreté, que ce soit de l’hôtel, que ce soit au travers d’un appareil photographique, il lui était nécessaire de rester à l’abri pour protéger ses yeux. Il approcherait ainsi les spectacles de lui, tout en restant en sûreté. Particulièrement claire en [p. 21] ce sens, fut l’importance qu’il donna à un télé-objectif, engin qui approche les choses tout en les gardant à distance. Très tôt, il a eu la curiosité du corps de la femme; peut-être ceci est-il représenté par le fait de regarder de l’hôtel. On a vu, par la suite, se développer tout un système voyeuriste-exhibitionniste.

Sa tendance à regarder s’était sublimée, et il était devenu un excellent photographe. Nous soupçonnâmes que cette curiosité envers les intérieurs, les choses qui sont en profondeur, détermina aussi le choix de sa profession, en rapport avec l’exploration des profondeurs de la terre. L’hôtelière est un symbole qui s’explique par lui-même pourvu qu’on le prenne au pied de la lettre. Il est curieux que ce soit elle qui lui ait remis la clef. Dans la vie elle l’avait fait, elle lui avait permis de laisser monter des femmes dans sa chambre, et avait ainsi accordé une permission tacite de son activité sexuelle. Il l’associe avec l’analyste qui lui donne la clef de ses secrets, lui permet une activité sexuelle, et qui aurait dû le protéger comme l’hôtelière.

Le fait que la clef soit petite (clef de moteur) doit être une allusion à une activité sexuelle plus petite par rapport à celle que représenterait l’église en flammes. C’est, peut-être, un symbole qui a trait à la masturbation infantile. Le fait de la recevoir de l’hôtelière ou de l’analyste doit signifier le désir qu’on autorise son activité masturbatoire et trahit la difficulté de s’offrir sa propre clef.

L’automobile est clairement un symbole de puissance qu’il associa plus tard au paiement de ses honoraires. Cette puissance par l’automobile proviendrait des figures masculines, de la famille, et notamment d’un oncle, substitut du père qui faisait admirer sa grande voiture. Il est intéressant de constater qu’il se place dedans pour se sentir en sûreté, ou que, quand il fuit, c’est grâce à une vitesse empruntée à l’engin qui le protège.

La crainte que ses affaires soient abîmées est, sans le moindre doute, une crainte de castration, réactivée au cours de la première séance, puisqu’il a protégé ses organes génitaux. On pourrait se demander si le fait de recevoir la clef de l’hôtelière ne symboliserait pas aussi son impression d’avoir reçu quelque chose de plus que sa soeur aînée, chez laquelle il a constaté la différence de sexes. Mais ceci est une hypothèse qui, jusqu’à présent, n’est pas solidement étayée sur un matériel fourni par le malade.

De toutes ces impressions on pourrait conclure ceci : peut-être, étant enfant, le sujet a-t-il vécu une scène primordiale. D’après les plans de la maison, la chambre de ses parents se trouvait à côté de la sienne où [p. 22] il dormait avec sa sœur. Si l’on suppose qu’il pût avoir été réveillé, une nuit, par un bruit de coït parental, on s’expliquera son anxiété et sa crainte d’une catastrophe, aussi bien que son désir de jouir du spectacle tout en restant en sûreté. Si ce fut en outre une expérience répétée, il n’est pas exagéré de penser qu’elle aurait déclenché sa masturbation enfantine, et son désir de voir chez sa petite soeur la solution d’un mystère qui se posait ailleurs. Il est plus problématique que ce soit elle qui l’ait initié aux jeux de l’enfance. Si l’incendie de l’église avait eu lieu vers cette époque, il aurait été la cause qui l’aurait éveillé et lui aurait permis de surprendre des bruits inexplicables.

Et sa névrose, et une bonne partie de son activité, ne seraient pour nous qu’une tentative de fuir tout ce qui, même de loin, pourrait éveiller chez lui les affects que cette scène déclencha.

Le problème œdipien, base de toute sexualité saine, doit avoir été vécu très tôt, et on peut soupçonner qu’il n’a pas été liquidé. Il en résulta que la mort du père fut ressentie de la façon suivante : ses vœux restaient exaucés. Tout ceci se trouve dans le chemin qui reste à parcourir, mais nous sommes en droit d’espérer qu’un si long effort l’aidera à être plus heureux. Nous attendons de lui, qu’il arrive à accepter les responsabilités d’un adulte, et qu’il devienne sans crainte un homme complet : source de vie.

Ceux qui pensent que la théorie des rêves et de l’inconscient est entièrement fantaisiste, sont dans leur droit de le croire.

Nous, nous croyons qu’il y a peu de merveilles aussi surprenantes que l’inconscient, capable de condenser en quelques images précises tant de conflits.

Et qu’il y a, dans le monde, beaucoup de mystères, susceptibles d’être éclaircis, lorsqu’on a le désir sincère de les affronter.

 

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