P. Jolly. Cauchemar. Extrait du « Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique – Andral », (Paris), tome cinquième, 1830, pp. 105-108.

P. Jolly. Cauchemar. Extrait du « Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique – Andral », (Paris), tome cinquième, 1830, pp. 105-108.

 

Paul Jolly (1790-1879). Médecin membre de l’Académie de médecine de Paris. Il est à l’origine de nombreuse publication et étude sur l’hygiène, le tabac et l’absinthe.
Quelques publication :
— Essai sur la statistique et la topographie médicale de la ville de Châlons-sur-Marne, Boniez-Lambert, 1820, 84 p.
— De l’état sanitaire et des moyens d’assainissement des Landes de Bordeaux,[rapport fait au Conseil de salubrité institué près la compagnie d’exploitation et de colonisation de cette partie de la France], Pillet Aîné, 1834, 39 p.
De l’Imitation considérée dans ses rapports avec la philosophie, la morale et la médecine, J.-B. Baillière (Paris), 1845, 27 p.
— Le tabac et l’absinthe, leur influence sur la santé publique, sur l’ordre moral et social, Paris, 1875.
— Hygiène morale, J.-B. Baillière et fils (Paris), 1877, 276 p.

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CAUCHEMAR, incube de quelques auteurs, épilepsie nocturne de Galien, έφιάλτης des Grecs ; On désigne sous ce nom un sentiment plus ou moins pénible d’oppression ou de suffocation, qui [p. 106] survient lu plus ordinairement pendant le sommeil, s’accompagne alors d’anxiété, de frayeur, d’impossibilité de se mouvoir et d’articuler des sons, jusqu’à ce qu’un réveil en sursaut rende l’individu qui en est affecté à la liberté de la respiration, des mouvemens et de la parole. Le cauchemar peut se manifester dans l’état de veille, comme dans l’état de sommeil. Dans le premier cas, il constitue une sorte d’hallucination, et n’a guère lieu que chez les individus atteints ou menacés de maladies mentales ; il résulte ordinairement d’idées fausses ou de réminiscences qui viennent traverser l’esprit d’une manière soudaine ; Georget l’a observé chez un mélancolique qui était frappé tout à coup de l’idée qu’il devait être suffoqué toutes les fois qu’il entrait dans un lieu clos. M. Boisseau parle aussi d’un individu qui était affecté de cauchemar vigil, quand il avait éprouvé les symptômes du cauchemar nocturne ; à l’instant où il fixait quelqu’un, il se rappelait l’être fantastique dont l’image l’avait tourmenté pendant la nuit ; il éprouvait un sentiment de malaise qui se peignait sur ses traits profondément altérés ; sa respiration était troublée, sa parole, son maintien, sa physionomie, tout en lui décelait un homme frappé soudainement du souvenir effrayant ou de la vue d’un objet qui inspire la crainte. Le cauchemar nocturne on somnolent est un véritable rêve qui s’exerce sur la sensation du besoin de respirer, comme il en est qui s’exercent sur les sensations de la faim, de la soif, de la vision, de l’audition, du toucher.

Pour se faire une juste idée du cauchemar, il faut se rappeler en effet que toutes les sensations internes ou externes peuvent s’exercer pendant le sommeil comme pendant la veille, que toutes peuvent être mises en jeu par des rêves, comme par des souvenirs, et offrir alors toutes les nuances, toutes les anomalies dont elles sont susceptibles dans l’état de veille. On rêve que l’on éprouve une difficulté ou une impossibilité de respirer, comme on rêve que l’on éprouve le besoin de la faim ou de la soif, etc., que l’on aperçoit un précipice, que l’on entend une voix menaçante, que l’on sent une odeur fétide, etc. Or, le cauchemar n’est autre chose que l’exercice insolite, exagéré, et en quelque sorte imaginaire, de la sensibilité qui préside au besoin de respirer, et qui fait naître la crainte de la suffocation. Quelquefois l’estomac seul paraît être le siège du cauchemar, comme Moreau de la Sarthe l’a observé chez un sujet qui, bien que soumis à une diète rigoureuse, rêvait, chaque fois qu’il s’endormait, qu’il avait mangé du jambon ou tout autre aliment indigeste, qui lui cousait les angoisses d’une indigestion. Mais, le plus ordinairement, tous [p. 107] les organes qui sont sous la dépendance du nerf pneumo-gastrique participent cette affection. Ainsi, l’estomac, le poumon, le larynx, sont simultanément affectés. La coordination du sentiment et du mouvement, nécessaire à l’exercice de leurs fonctions, se trouve suspendue, par suite d’une anomalie d’action de l’appareil nerveux de la digestion, de la respiration et de la phonation. Il est remarquable que cette difficulté d’articuler, dans le cauchemar, est réellement un des caractères propres de la maladie ; le malaise, les souffrances causées par d’autres rêves, qui mettent en jeu d’autres sensations, qui font naitre d’autres besoins, ne privent pas de la faculté de parler, de crier, comme il arrive dans le cas de cauchemar.

Le cauchemar peut, comme toutes les anomalies des sensations en général, tenir à trois ordres de causes, savoir : ou à un état de souffrance quelconque des organes digestifs et respiratoires, ou à quelque affection des nerfs qui leur appartiennent, ou, ce qui est le plus ordinaire, à un trouble de la faculté percevante de toute sensation, à un exercice insolite du cerveau ; comme on le remarque lorsque cet organe est sur-excité par des affections morales tristes, par une forte contention d’esprit, une imagination exaltée, une hypocondrie, etc. Je suis même persuadé quo la surcharge de l’estomac, que l’on regarde généralement comme la seule cause du cauchemar, est le plus ordinairement étrangère à cette affection. L’exemple observé par Moreau de la Sarthe, et que nouss avons relaté, peut servir de preuve à cette opinion. Il est surtout remarquable que le cauchemar affecte plus particulièrement les enfans , les individus qui sont doués d’une imagination vive, ardente ; ceux qui se livrent habituellement à des travaux intellectuels, à ceux qui sont atteints ou menacés d’hypocondrie, d’hystérie, de manie, etc. , en un mot, ceux dont la sensibilité cérébrale est plus ou moins exaltée. Or, chez aucun de ces individus, les digestions ne sont ni plus lentes ni plus laborieuses que chez beaucoup d’autres qui n’ont jamais connu les effets du cauchemar. Il en résulte évidemment que le cauchemar doit être considéré comme une maladie essentiellement nerveuse, et dont il faut toujours rechercher les causes dans les circonstances qui peuvent imprimer à la sensibilité digestive, respiratoire ou cérébrale, une modification accidentelle. Par la même raison, le cauchemar n’est jamais continu, alors même qu’il est lié à quelque affection organique. Quelques auteurs disent l’avoir observé sous le type tierce.

Le traitement du cauchemar est entièrement subordonné aux causes qui peuvent lui donner naissance, et nous avons vu que [p. 108]  ces causes peuvent avoir une triple origine. Quand la maladie tient évidemment à la surcharge de l’estomac (ce qui est loin d’être aussi ordinaire qu’on le croit généralement), il est facile de la prévenir par la simple abstinence d’alimens le soir ; mais il n’est pas aussi facile d’y remédier quand elle est liée à quelque affection du cœur ou du poumon, comme cela arrive bien plus fréquemment. Il en est de même quand le cauchemar est symptomatique d’une affection du cerveau ou d’une maladie mentale ; le traitement doit, dans l’un et l’autre cas, varier d’après la nature de la cause qui y donne lieu, et ce serait nous exposer à des répétitions inutiles et fastidieuses que de rappeler ici les règles d’après lesquelles le praticien doit se conduire en pareil cas.

(P. Jolly).

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