Lypémanie démoniaque. — Insomnie. — Marasme. — Alimentation forcée. — Guérison rapide. — Questions d’hérédité. épertoire d’ observations inédites. Par Jules Bailly. 1858.

BAILLYPOSSESSION0001Jules Baillly. Répertoire d’ observations inédites. Lypémanie démoniaque. — Insomnie. — Marasme. — Alimentation forcée. — Guérison rapide. — Questions d’hérédité. Article parut dans la revue « Annales médic-psychologiques », (Paris), tome quatrième, 1858, pp. 488-490.

Nous n’avons trouvé aucune information biographique intéressante sur ce médecin aliéniste, sauf qu’il fut interne dans le service du Dr Mérier en 1857, et suivi l’enseignement du Dr Renaudin.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé quelques fautes de typographie.
– Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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Répertoire d’ observations inédites.

Lypémanie démoniaque. — Insomnie. — Marasme.
— Alimentation forcée. — Guérison rapide. — Questions d’hérédité.

Par Jules Bailly

X… prêtre, est un homme de taille moyenne, d’un tempérament nerveux. D’une sobriété remarquable par suite d’habitudes religieuses et de pratiques austères, il travaillait souvent la théologte avec une ardeur peut-être exaltée, et des veilles nombreuses, jointes à. une nourriture ordinairement insuffisante, ont affaibli sa constitution. Il a cinquante-cinq ans et parît être sous l’influence héréditaire, car un de ses frères est mort aliéné à Maréville, à l’âge de vingt-trois ans.

Quoi q’il en soit, X… était estimé de ses supérieurs, aimé dans sa paroisse, et jamais n’avait offert le moindre signe d’aliénation mentale, à part un certain mysticisme. Ses connaissances en matière religieuse le faisaient rechercher de ses confrères, et c’est dans une réunion avec eux, à la fin de mars 1857, qu’il porta le défi d’essayer le pouvoir de Satan, en disant ne lui être soumis en rien.

Rentré le soir chez lui, la solitde, l’inquiétude, l’attente, la frayeur, l’insomnie portèrent les premiers troubles dans son intelligence, et, dès e lendemain, notre ùamade se condamna à l’austérité la plus ascétique ; il refusa la nourriture, son caractère devint sombre, ses nuits se passèrent sans sommeil, et, par suite, l’état physique empirait. Il se crut au pouvoir du diable, se vit entouré d’assassins armés par son ennemi, et cru au poison dns les mats qu’on [p. 488 – colonne 2] préparait. On essaya chez lui un traitement antiphlogistique qui fut certainement nuisible et enfin on l’amena à l’asile de Maréville, le 13 avril 1857, dans le service de M. Mérier, médecin en chef.

A son arrivée à l’asile, X… porte sur sa figure l’expression d’une profonde stupeur et, sur son visage amaigri par l’abstinence presque complète des derniers jours, est gravé, pour ainsi dire, le diagnostic de la lypémanie : front plissé, sourcils rabattus, yeux caves et cernés, lèvres blafardes, pommettes saillantes, maigreur extrême, haleine fétide, état physique des plus déplorables. Ce malade se croit possédé du démon et marmotte sans cesse des paroles inintelligibles ; il craint d’être empoisonné ; ses parents sont des agents de l’esprit malin chargé de le faire mourir.

Le 14, après de vives sollicitations, X… accepte un peu de nourriture, mais les conceptions délirantes se manifestent avec la même intensité.

Le 15, il refuse absolument de manger en disant qu’il est damné, qu’il veut mourir pour finir plutôt la pénitence. Le teint est pâle, les yeux baissés, caves, voilés par l’orbite, la langue fortement enduite, l’haleine fétide ; le malade est dans un marasme tel qu’il a lieu de craindre pour ses jours ; l’insomnie persiste.

Le 16, nous avons recours à la douche, puis à la sonde oesophagienne, et enfin à la bouche pour le forcer à prendre du bouillon et un peu de vin généreux ; après deux jours des mêmes manœuvres, X… qui prétend qu’on le torture, qu’on [p. 489 – colonne 1] veut sa mort, qui demande à Dieu d’être délivré de ses maux, ne consent enfin à prendre lui-même sa nourriture que peur éviter la contrainte dont on le menace.

Le 20, ce malade est presque physiquement méconnaissable, la figure se colore ct reprend un peu d’ernhonpoint. Sous l’influence d’une nourriture substantielle, d’un régime tonique. le sommeil a reparu, l’état physique s’amende et l’état mental s’est déjà amélioré. X…, en effet commence â prêter attention aux questions qu’on lui pose ; ses réponses, souvent justes, prouvent déjà que la raison se dégage et que l’intelligence reparaît. Il a complètement renoncé à ses terreurs chimériques et cependant il n’a pas entière confiance, il cède encore à la crainte des punitions, en un mot, il n’a pas de spontanéité. Il demande, pour Iaire tout ce qu’on ordonne, l’autorisation de son évêque.

Le 22, celui-ci envoie à son prêtre une lettre toute paternelle qui achève de rassurer cette conscience encore inquiète et qui ne contribue pas peu au complet rétablissement de la ralison de ce malade.

Du 25 avril an 13 mai 1857, X… jouit de la plénitude de ses facultés intellectuelles, il a conscience de son état antérieur, il déplore ses erreurs et accepte avec reconnaissance les soins qu’on lui prodigue. Il voit souvent l’aumônier de l’asile qu’il repoussait autrefois. Les conceptions maladives ne se manifestent pius, il n’y a plus le moindre symptôme de l’affection mentale. Ce malade est jugé tellement amélioré, sinon guéri, qu’il est rendu à sa famille, à sa paroisse le 13 mai 1857, un mois après son entrée dans 1’asile.

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Que conclure de cette observation déjà remarquable au triple point de vue de l’invasion brusque du mal, de la marche excessivement rapide de l’affection mentale et de la transition [p. 489 – colonne 2] presque subite d’un état alarmant à une guérison franche ? — Que l’aliénation mentale a été causée lici ài la fois par la frayeur, dans l’ordre moral, et par l’affaiblissement constitutionnel, dans l’ordre physique ; que ces deux causes, par une corrélation fréquente en psychologie, ont jeté dans l’organisme, et simultanément, une perturbation profonde, que dans les pulsions dépressives, le dépérissement du corps et l’affection psychique, l’un aidant l’autre, s’aggravent ; que, dans bien des cas, si l’on parvient à arrêter le premier par unie alimentation choisie, on peut modifier avantageusement la seconde. Je crois que chez X… l’amélioration mentale a succédé à l’amendement physique et que ces deux phénomènes ont succédé en partie au retour du sommeil : car, non-seulement l’insomnie et un des symptômes primordiaux de la folie, mais elle en provoque souvent la manifestation et aggrave toujours. si elle persiste, l’aliénation mentale. Circonstance remarquée déjà et dont M. le docteur Renaudin a pu dire avec vérité dans ses Observations sur l’influence pathologique de l’insomnie : « En général, quand une cause morale a été point de départ de l’aliénation mentale, il est rare que l’insomnie n’ait pas joué un rôle important dans la pathogénie de l’affection qui, préparée par l’élément psychique, ne s’est définitivement organisée que quand l’élément somatique a été de la partie par suite de la perturbation fonctionnelle résultat- de l’insomnie. » (Annales méd.-psychol. 1857.)

Ce malade doit-il être considéré comme radicalement guéri ? À cause de la prédisposition héréditaire une réponse négative semblerait la vraie, et si l’on considère les rechutes si fréquentes dans la folie, on serait encore plus tenté de nc le regarder que comme amélioré. El cependant qu’on [p. 490 – colonne 1] me permette ici une courte observation : parmi les ascendants de X… on n’a pas rencontré d’aliénés ; un frère de ce malade, plus âgé que lui, est un professeur distingué au caractère égal, au jugement droit ; un autre frère est mort aliéné, c’est vrai, et cela suffit généralement pour établir la prédisposition héréditaire.

Mais X… qui est parvenu à l’âge de cinquante-cinq ans sans avoir jamais donné le moindre signe de vésanie atteint subitement de lypémanie, complètement rétabli dans un mois et qui, depuis prés d’une année, [p. 490 – colonne 2] n’a pas failli, ne doit pas je crois, être sous l’imminence d’un pronostic aussi grave que celui de l’incurabilité par cause héréditaire. L’aliénation mentale de son frère ne suffit pas au cas particulier, selon moi, pour imposer à la lypémanie démoniaque de X… le cachet de l’hérédité : c’est une coïncidence qui est toujours fâcheuse, en ce sens qu’elle rend quelquefois l’aliéniste plus sévère dans ses appréciations.             .

Jules Bailly,
Interne à Maréville.

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