L’art en prison. Dessins de Criminels. Par Jean Lacassagne suivi de Impressions sur l’art des Criminels par J. Couty. 1939.

LACASSAGNE0001Jean Lacassagne 1886-1960, est le fils du très célèbre criminologue Alexandre Lacassagne (1843-1924). Médecin, spécialiste des MST, on retiendra de lui surtout : Les expressions populaires, le langage familier et l’argot en dermato- vénéréologie, Lyon, Legendre, 1922. Et L’argot du milieu, Paris, Albin Michel, 1928.

Les [p.] renvoient aux numéros, non imprimés, de la pagination originale de l’article. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

L’art en prison. Dessins de Criminels. Par J. Lacassagne et J. Couty. 1939. Albums du crocodile? Septième année. N° 1. Janvier – février 1939. Avec 28 illustrations monochromes et 2 en couleur.

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L’ART EN PRISON
DESSINS DE CRIMINELS

par Jean LACASSAGNE et Jean COUTY.

QUELQUES COMMENTAIRES
par le docteur Jean LACASSAGNE

Les prisons sont de bien curieuses maisons, elles abritent une population hétérogène et bigarée : Des gens de tous les pays, de toutes les conditions sociales, de tous les âges constituent les pensionnaires de ces sombres demeures dont la paille a la réputation d’être humide…

Il est bien certain que pour le médecin, le sociologue, le psychologue, les geôles représentent une mine inépuisable de recherches et d’observations de toute sorte ; l’étude des criminels apporte incontestablement une utile contribution à la connaissance de l’homme,

L’hérédité est une force à laquelle on ne saurait s’opposer et c’est sans doute pour cette raison que j’ai toujours été attiré par les questions de criminalistique. Le milieu criminologique où j’ai été élevé a du contribuer également à renforcer chez moi ce goût inné,

Tout jeune, j’ai fréquenté les prisons de Lyon : étant au Lycée, j’accompagnai mon père, le dimanche matin, dans la visite qu’il faisait aux détenus de la Prison Saint-Paul. C’est là, qu’en 1904, je vis pour la première fois, un condamné à mort, le parricide Caron. Je garde, très précise, l’impressionnante vision de cet homme dont les poignets et les chevilles étaient entravés par de lourdes chaînes, Depuis, au cours de mes fonctions médicales dans les prisons, j’ai eu, en vingt années, l’occasion d’approcher des milliers de détenus. Je les ai observés, j’ai essayé de les connaître et, c’est ainsi qu’il m’a été possible de réunir les éléments de mes recherches sur les tatouages et sur l’argot. Cela m’a permis, en outre, de constituer une importante et intéressante collection de, dessins exécutés en cellule par des repris [p. 4] de justice dépourvus, bien entendu, de toute éducation artistique et qui n’ont eu à leur disposition que quelques crayons, de l’encre et du mauvais papier.

Les auteurs de ces dessins n’appartiennent pas à la catégorie des criminels d’occasion, mais à celle des criminels d’habitude, constituée par le gibier ordinaire de correctionnelle ou de cour d’assises comprenant des voleurs et cambrioleurs de métier, des souteneurs, tous gens sans profession avouable ayant déjà eu maille à partir avec la justice.

Toute cette pègre, sans être illettrée, est en général peu instruite. Il n’empêche que parmi ces mauvais garçons, quelques-uns ont des dons innés, de véritables prédispositions pour certains arts; leur absence de culture est parfois compensée par d’étonnantes aptitudes pour la musique, ou pour la danse, ou pour le dessin ou même pour la poésie. Le bandit Fimbel, surnommé le balafré qui, en 1935, terrorisait le quartier de la Guillotière – il est maintenant au bagne – avait d’indiscutables qualités de poète. Je tiens de lui quelques intéressantes pièces de vers composées pour moi dans sa cellule.

J’ai connu dans nos prisons des détenus qui n’avaient jamais voulu exercer un métier et qui pourtant étaient d’une extraordinaire habileté manuelle ; ils sculptaient admirablement le bois ou modelaient à merveille la mie de pain, faute de glaise. J’ai pu ainsi grâce à des artistes au talent varié, contribuer à garnir de pièces curieuses les vitrines du musée criminologique de mon ami Edmond Locard.

Le criminel jeune et vigoureux qui a l’habitude de réaliser dans la vie courante de magnifiques performances sexuelles, souffre, durant son incarcération, de la chasteté forcée à laquelle il est astreint. Malgré le recours aux équivalents : masturbation ou manœuvres homosexuelles, il demeure un insatisfait, car il s’accommode mal de ces « ersatz » de l’amour. Aussi doit-il refouler en permanence, son instinct génésique. Dans ces conditions, son érotisme mal contenu explose parfois et se traduit, soit par des inscriptions lubriques sur les murs des cellules, soit par des tatouages obscènes, soit encore et surtout par des dessins où le détenu peut donner libre cours à ses instincts fougueux. Il se complaira à crayonner des organes génitaux, des scènes variées de fornication, des accouplements étranges. La pratique du dessin devient pour celui qui s’y livre, un véritable exutoire, c’est une façon pour lui de se soulager. [p. 5]

Pour ne pas procurer de désagréments à notre ami Rousset, gérant de cette publication, nous nous abstenons de reproduire dans cet album des échantillons de ces dessins spéciaux, c’est bien dommage, car il s’agit là de documents qui  perdent, pour des yeux médicaux, leur caractère obscène.

L’homme du milieu manque en général d’imagination, c’est pourquoi il reproduit sur le papier, avec force détails, avec la plus grande minutie, ce qu’il connaît ou ce qu’il voit. Il dessinera donc volontiers des filles, des souteneurs, des scènes de prison, de bordel et de bals musettes, des cambriolages, des règlements de compte, La plupart du temps on retrouvera dans ces dessins trois des qualités maîtresses du tempérament criminel, elles dérivent d’ailleurs l’une de l’autre : la haine, l’esprit vindicatif et la violence,

Parfois cependant le criminel se laisse aller dans ses dessins à une sentimentalité délicate et touchante, Il dessine des fleurs, des femmes qui pleurent, le Christ en croix, la Sainte Vierge, des anges, des paysages bucoliques. Qui sait si la constatation de cette sensibilité chez un criminel ne pourrait être: considérée comme un critère de relèvement possible !

Quoi qu’il en soit, il me semble que les dessins exécutés en prison ne sont pas l’expression de l’art propre du criminel. L’incarcération fausse son inspiration. L’homme emprisonné se sent vaincu, sinon dompté, sa mentalité n’est plus la même que lorsqu’il est en liberté, ses réactions sont donc différentes, par conséquent ses réalisations « artistiques » subiront, elles aussi, l’influence de la captivité.

Comment alors concevoir l’art du criminel à l’état pur ? J’avoue que je n’ose porter un jugement, les documents me faisant défaut. Au reste, j’ai l’impression que ces documents doivent être rares, car le criminel qui jouit de sa liberté, liberté d’ailleurs toute provisoire, a bien autre chose à faire qu’à gribouiller du papier,

Une constatation mérite d’être soulignée : les détenues femmes ne dessinent pas. Certes, elles tracent bien sur les murs de leur cellule des inscriptions d’un érotisme d’autant plus effréné qu’elles sont plus jeunes ; elles ne manquent pas de les illustrer d’impressionnants phallus, mais ce ne sont là que de simples graffiti, ce ne sont pas des œuvres. Cette rareté des dessins féminins vient sans doute de l’insuffisance créatrice de la femme dans tous les domaines et plus particulièrement dans les arts plastiques. [p. 6]

Pour mener à bien cette courte étude, j’ai pensé qu’il serait intéressant de demander à un peintre de vouloir bien choisir dans ma collection les dessins les plus représentatifs de l’art criminel et de les commenter. Je me suis adressé à mon jeune ami Jean Couty. Couty a un talent vigoureux et personnel, il s’intéresse à tout ce qui touche de près ou de loin à son métier, il a l’esprit critique et c’est un enthousiaste: Voilà bien l’homme qu’il me fallait, je lui passe la parole.

Impressions sur l’art des Criminels

par J. COUTY

Lauréat du Groupe Paris-Lyon (prix de peinture 1937)

Comme tous les dessins ou représentations colorées des autodidactes, les compositions de nos prisonniers sont riches en naïveté et en spontanéité. Les sujets dont ils disposent sont toujours soutenus par des tons purs. La joie de la couleur, le dessin direct, les personnages cernés à gros traits, les rapports violents, toutes choses prises directement dans la vie des gestes sont autant de liens qui les apparentent aux peintres indépendants.

Nous avons le regret de ne pouvoir publier plusieurs de leurs compositions en couleurs qui montreraient parfaitement combien ces hommes donnent libre cours à leur imagination, à leur plaisir de couleurs pures. Après Dignimont, Touchagues, Kisling, Marius Mermillon qui ont pu examiner la riche collection du Dr Lacassagne, je suis obligé de constater que ces dessins dépassent de beaucoup la simple curiosité que l’on pourrait avoir en pareil cas. Dans cette collection, je suis étonné des qualités qui se livrent toutes entières dans les lois cependant assez rigoureuses de la composition.

La séduction qu’exerce sur nous le dessin n° 11 est déterminée par le sens exact des rapports, des lignes et des couleurs. Le trait précis et vigoureux fixe les attitudes au réalisme poignant. Rien à redire en somme à cette atmosphère étrange dirigée et contenue par un motif central à égale distance d’éléments identiques. Fanfan a su tirer du sujet le maximum d’acuité visuelle, en faisant jouer les surfaces entre elles. Un [p. 7]

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ton d’ensemble unifie les groupes et donne plus d’intérêt plastique. L’échelle des personnages est là particulièrement bien ordonnée. La beauté du drame est renforcée par une savante harmonie de frottis superposés.

C’est souvent avec une puissante orchestration que ces artistes détenus se servent des bleus, des cadmiums, des noirs et des émeraudes. Parfois laissant la véhémence de la couleur, ils obtiendront des effets plastiques avec de simples hâchures ou des légers frottis de crayon à la mine de plomb. Aucun amour, ni joie nuancée par quelques rêveries ne sont à la source de nos tableaux de prisonniers. Le trait incisif, jeune et cruel et très souvent orgueilleux viendra avec la couleur jetée brutalement les délivrer de leur érotisme violent, de leurs passions arrêtées. Le refoulement de leurs instincts génésiques se canalisera dans les scènes du milieu et parfois quittant le naturalisme descriptif ils se laisseront bercer par quelque invitation au voyage sur une terre lointaine, et ce sera le cas de Fanfan, par exemple. Tous ces hommes ont à la base de leur description oet instinct sauvage, ce primitivisme des premiers âges chez lesquels triomphaient le muscle. Leurs dessins ont cette fraîcheur animale et cette verte chaleur du mâle à l’état pur. Aucune cuisine de civilisé ne viendra alourdir l’action et le feu de leur écriture. Ils ne se laisseront pas aller à une hypocrisie de métier qui est souvent chez beaucoup d’artistes un manque total de tempérament et de lyrisme créateur. On a généralement le métier de son tempérament.

Ils se présenteront simplement dans toute la richesse de leur brutalité charnelle. Il faut avant tout voir dans leurs dessins un besoin très réel de reproduire avec minutie les moindres faits et gestes qu’ils ont pu voir ou bien accomplir.

Comme chez beaucoup de primitifs, il s’ajoute bien souvent à la précision du détail objectif un certain dépassement dans le trouble des objets, qui nous conduit à un angle souvent abstrait des choses. Il faut aussi voir chez eux cette genèse de l’Homme livré à lui, à la multiplicité du jaillissement de son subconscient déchaîné. Toute cette crudité de lignes et d’expression n’ira pas sans poésie, et le seul fait de ne pas avoir cherché l’acte poétique les conduira vers une œuvre curieuse, souvent naïve, mais jamais indifférente. Il y aurait beaucoup à dire dans le rapport, les similitudes que nous trouvons entre leurs propres essais et la technique visionnaire de beaucoup de primitifs. Ce sont des démons de trivialité et des diables grotesques qui [p. 8] s’agitent derrière les fantômes de ces hommes traqués : un peu de ce monde qui anime les personnages de Jérôme Bosch ou de Breughel. C’est aussi un peu l’enfer qui déjà les précède pour nous donner un avant-goût d’effrayantes rumeurs.

Ces hommes accoudés au bord d’une maison suspecte éclairée par une lumière, étrange, ces objets qui nous dévisagent et nous soupçonnent, nous pouvons peut-être les rapprocher dans une certaine mesure de certains intérieurs fabuleux de Van Gogh. Le réalisme et le fantastique confondus fixent en traits sombres la fatalité de quelque assassinat. Tressons une couronne à ce Fanfan, par exemple, qui a dépassé la vulgarité type de ces dessins ; il y a chez lui une complète libération et il échappera à la considération anecdotique créant l’accident. Dans la plupart des cas, aucune aération ne viendra reposer nos yeux et il est impossible de s’arrêter et de prendre haleine sur quelques plaines de l’idéal.

Dans leurs décors lubriques et la gesticulation grimaçante de ces visages défaits, la nature de leurs personnages effleurera les doigts de Satan. La sarabande infernale posera une interrogation dans sa course méfiante le long des murs d’une maison hospitalière. Leur individualisme est tel qu’ils se plairont à l’exagération du moindre détail afin d’enfler la hantise de leurs désirs.

Lorsque nous étudions la lubricité chez les maîtres, une douceur champêtre truculente auréole avec simplicité l’intimité charmante du viol consentant, même dans l’atmosphère chaude du moyen âge les grâces bucoliques ne seront pas exclues. Constatons un peu de cette beauté grecque d’avant la renaissance dans l’affirmation décisive de leur volonté. On peut même ajouter que leur insensibilité morale leur crée cette impersonnalité qui les situe aux confins du tragique et du comique. Les êtres qu’ils nous offrent seront cernés de tons vifs et violents, avec la même intensité que l’on retrouve sur les toiles de l’Ecole Fauve.

Le criminel dans son existence aura épuisé une somme de combines, de mensonges, de trouvailles hypocrites ; face à lui-même dans l’austérité monacale de quatre murs, il retrouvera une enfance innocente qui lui rendra une blancheur ancienne. Je veux dire par là que son sujet crapuleux qui s’attache désormais à lui trouvera sa traduction dans une écriture où il faut bien reconnaître l’ingénuité et la fraîcheur. A ce point de [p. 9] vue là les grands autodidactes et les primitifs ont réagi semblablement, Avec la ferveur mystique et la force d’âme en plus, ils transposeront la vivante Kermesse, le carnaval ou la Parabole. Les primitifs cachent dans l’enfance de leur époque des vérités essentielles voilées par de multiples accidents particuliers, Afin d’aller au cœur des choses, ils passèrent par le tumulte joyeux ou bizarre des plus petits accidents de la vie.

Tout artiste, disait Elie Faure, même le plus bas, possède dans sa vie terrestre, quand il aime, toute la poésie du monde.

Souvent nos détenus touchent à l’abstrait par cette seule raison qu’ils distribuent dans la composition des éléments usuels qui, eux aussi, jouent un rôle, créent un drame.

Quant à nous, penchés sur ces dessins de prisonniers, nous sommes troublés par l’excès tyrannique de leurs balbutiements inhumains.

Tous les clichés en noir et en couleurs de ce fascicule, comme d’ailleurs tous ceux du Crocodile et des Albums du Crocodile ont été exécutés par les « Clichés Artistiques », R. OCTOBON, 210 bis, rue de la Guillotière. Nos lecteurs
 apprécieront le talent de cet artiste.

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2 commentaires pour “L’art en prison. Dessins de Criminels. Par Jean Lacassagne suivi de Impressions sur l’art des Criminels par J. Couty. 1939.”

  1. Jeannick furLe jeudi 20 avril 2017 à 22 h 46 min

    J’adore ……super dessins. Merci Michel.
    Je pense que l’enfermement peut démultiplier un don….pour de dessin c + facile que le piano….😀

  2. L’art en prison. Dessins de Criminels. Par J. Lacassagne et J. Couty. 1939… – CriminocorpusLe vendredi 21 avril 2017 à 9 h 25 min

    […] Pour en savoir plus voir le billet publié sur le site histoiredelafolie […]