Jean-François Nicolas. COCHEMAR. Extrait du « Nouveau Dictionnaire universel et raisonné de Médecine, de Chirurgie et de l’art Vétérinaire… (Paris), tome II, 1772, pp.169-173.

Jean-François Nicolas. COCHEMAR. Extrait du « Nouveau Dictionnaire universel et raisonné de Médecine, de Chirurgie et de l’art Vétérinaire contenant Des connoissances étendues sur toutes les parties, & particulièrement des détails exacts & précis sur les Plantes usuelles, avec le traitement des maladies des Bestiaux. Ouvrage utile à toutes les classes de Citoyens, sur-tout aux Habitans de la Campagne, & mis à leur portée, par une Société de Médecins », (Paris), tome II, 1772, pp.169-173.

 

Jean-François Nicolas  (1738-1819). Médecin grenoblois.
— Manuel du jeune chirurgien. Paris, Hérissant, 1770.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

Tome Second, pp.169-173

COCHEMAR. Incube. (Med.). Ephialtes des Grecs. Le cochemar est une maladie de peu de durée dans laquelle on sent, pendant le sommeil, une espèce d’oppression, & un étouffement si grand, qu’on ne peut ni parler, ni crier, ni se remuer, et que les malades s’imaginent être accablés sous le poids d’un pesant fardeau, ou qu’une personne, ou un animal fait des efforts pour les suffoquer. Les sens sont troublés dans ces sortes de cas; on fait de vains efforts pour crier, & l’on ne rend tout au plus que quelques sons plaintifs et sourds qui indiquent l’état de mal-aise où l’on se trouve.

Outre ces symptômes, les femmes en éprouvent encore d’autres qui augmentent leur frayeur: elles s’imaginent être assaillies par des hommes brutaux qui cherchent à leur faire violence : quelquefois, elles croient avoir à leurs trousses le démon de la luxure & ne trouvent leur triomphe, que dans le moment de leur réveil, qui arrive bientôt par les mouvements que fait la malade, pour se dérober aux empressements du prétendu démon. Les enfants ne sont pas moins sujets à cette maladie.

D’après le tableau que nous venons de faire du cochemar; il est aisé d’en reconnoître l’existence. Les causes de cette maladie sont ou générales ou particulières. Elle n’a qu’une seule cause générale: c’est la difficulté que le sang trouve à parcourir les ramifications de l’artère pulmonaire, & du cerveau. Les esprits animaux sont aussi gênés dans leur course; de là naissent les rêves effrayans, le trouble et le désordre de l’imagination.

Les causes particulières du cochemar sont en grand nombre; tantôt il vient de ce que le sujet est pléthorique, ou excessivement sanguin; ou de ce que l’estomac a été surchargé d’une si grande quantité d’aliments, que les forces digestives ne peuvent en faire l’assimilation à l’ordinaire. Dans l’âge tendre cette maladie est souvent entretenue par les vers qui sont dans les premières voies, ou par les contes que l’on fait stupidement aux enfants sous prétexte de les endormir. On a vu des cochemar causés par une maladie du cerveau; quelquefois enfin cette maladie est vaporeuse ou hypocondriaque.

Les personnes d’un tempérament sanguin qui mènent une vie oisive, qui font bonne chair & peu d’exercice; celles en qui quelque évacuation périodique a été supprimée, qui ont coutume de dormir sur le dos, les bras croisés sur la poitrine, ces personnes dis-je, sont exposées au cochemar. Cette maladie est déterminée par la chaleur du lit, le poids des couvertures, & arrive plus fréquemment quand le vent du midi règne. C’est quelquefois cette même cause, la pléthore, qui occasionne aux uns des terreurs nocturnes & paniques; & aux autres, des pollutions involontaires, ou des gonorrhées bâtardes, & l’incube, lorsque le sang se porte avec impétuosité au cerveau, & ne peut en revenir qu’avec peine.

Quand le cochemar dépend du mauvais état de l’estomac, le sang est épaissi par un chyle mal élaboré qui passe dans les voies de la circulation, & gêne le cours du sang. Le poids du ventricule sur le diaphragme, comprime les nerfs de ce viscère, le cours des esprits animaux est ralenti, la circulation se fait lentement, les poumons jouent avec peine, & de-là, naissent tous les symptômes dont le cochemar est accompagné. Il n’est pas aisé de se méprendre sur la cause qui produit cette maladie, dans la circonstance dont il s’agit ici. Les malades ont la langue couverte d’une crasse épaisse & blanchâtre; des rapports aigres ou puants, des nausées, la tête pesante, & ils ont sujets à faire des excès dans le boire au dans le manger; ils auront presque à coup sûr, le cochemar, si après avoir bien bu ou bien manger, ils vont se coucher tout de suite, s’ils dorment sur le dos, la tête basse. Cette cause de l’incube est la plus fréquente; les symptômes & l’insomnie varient en raison des habitudes, & du caractère du malade: un homme lascif fait des rêves lubriques: un militaire croit être aux prises avec l’ennemi: le marchand dans ses calculs: l’homme de le ttres croit mettre au jour des productions qui s’évanouissent avec le sommeil. (sic)

Les enfants que l’on fait trop manger sans avoir égard à la foiblesse de leurs organes, sont exposés à l’incube par pléthore; les vers leur donnent quelquefois la même maladie; mais alors, le petit malade se plaint que ce qui l’étouffoit, étoit fixé à la région épigastrique.

On trouve dans le Sepulchretum de Bonet,   deux observations de malades sujets au cochemar, et auxquels on avoit trouvé après leur mort, les ventricules du cerveau remplis de sérosité: ces observations ont fait croire à quelques Auteurs que le siège de l’incube étoit dans le cerveau; mais l’expérience a prouvé la fausseté de cette opinion.

Il est une espèce de cochemar qui attaque les femmes sujettes aux vapeurs, & les hypocondriaques, même pendant leur réveil. Les objets qui s’offrent à l’imagination de ces sortes de malades, ne sont pas toujours effrayans, dit M. Boissier de Sauvages. Fortis rapporte qu’une jeune fille rêvoit souvent que son amant la serroit fortement dans ses bras; mais elle s’éveilloit subitement avec un sentiment de pesanteur sur la poitrine; sa respiration étoit gênée, sa voix entrecoupée, son visage baigné de sueur; sa tête lourde et pesante. Craanen dit avoir observé la même chose sur un homme. Heurnius  & Forest  se citent eux-mêmes pour exemple du cochemar hypocondriaque ou spasmodique. Cælius Aurelianus dit que cette espèce d’incube, fut autrefois épidémique à Rome.

La cure du cochemar doit varier selon la cause qui le produit. Si les malades sont pléthoriques & sanguins, on leur fera quelques saignées: leur régime sera plus réglé: on leur ordonnera de se dissiper, de ne point souper le soir, de se coucher sur le coté, la tête relevée. Si la maladie dépend de quelque évacuation supprimée, on tâchera de la rappeler par les remèdes indiqués en pareil cas. (Voyez. Evacuation. Pléthore.)

Lorsque l’estomac est chargé d’aliments mal digérés, on commencera par donner aux malades l’émétique en lavage; on les purgera le lendemain avec la potion suivante:

Prenez Des feuilles de mauve, une poignée,
séné, deux gros,
sel de tartre, un scrupule.

faites infuser le tout, dans une demie livre d’eau de fontaine, presque bouillante; coulez et faites fondre dans la colature, une once & demie de manne; ajoutez-y une demie once d’huile d’amende douce. Cette purgation sera répétée, s’il en est besoin: on mettra en même temps le malade à un régime exact; on lui recommandera de manger moins qu’à son ordinaire, de ne point souper, de bien tremper son vin, s’il ne peut s’en passer, & d’éviter avec soin les liqueurs spiritueuses, & les viandes noires, telles que celle de lièvre, etc. Si l’estomac étoit faible, on prescriroit les stomachiques amers, tels que le rhubarbe, le quinquina & l’aloes. On pourra avoir faire usage de l’élixir stomachique, dont nous avons donné la formule. (Voyez. Amers. Stomachique.)

Quand les enfants sont attaqués du cochemar, parce qu’on les allaite, ou qu’on les fait manger trop souvent, on diminuera leur nourriture; & s’ils ont des vers, on leur donnera des vermifuges. V.Vers. Sur-tout on aura la plus grande attention à ce qu’on ne leur fasse aucune histoire qui puisse les épouvanter. Rien de plus dangereux que cette coutume d’endormir les enfants par des contes; cette cause est une de celles qui donnent à la société le plus grand nombre d’épileptiques.

Enfin, si l’on voit que l’incube soit spasmodique & qu’il étoit l’effet des vapeurs, on se comportera dans ce traite-ment, comme nous le dirons au mot: VAPEURS, HYPOCONDRIACISME.

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