J. E. M. Guiaud. Essai physiologique et pathologique sur le sommeil. Thèse n°114 présentée et soutenue à la Faculté de Médecine de Paris, le 13 juin 1816… Paris, de l’imprimerie de Didot jeune,1816. 1 vol. in-4°, 38 p.

J. E. M. Guiaud. Essai physiologique et pathologique sur le sommeil. Thèse n°114 présentée et soutenue à la Faculté de Médecine de Paris, le 13 juin 1816… Paris, de l’imprimerie de Didot jeune, 1816. 1 vol. in-4°, 38 p.

 

J. E. M. Guiaud. Docteur en médecine. Autre publication :
— De l’influence de quelques sciences naturelles sur la physiologie. In « L’observateur Provençal des sciences médicales dédié à Hippocrate. Tome premier, 1821.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images on été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. V]

PHYSIOLOGIQUE ET PATHOLOGIQUE
SUR LE SOMMEIL.

AVANT-PROPOS.

La bienveillance flatteuse qu’ont daigné me témoigner dans mes examens les célèbres Professeurs de cette Faculté m’imposait le devoir de soumettre à leur jugement un travail digne de l’École qu’ils illustrent par leurs écrits et leurs leçons ; si la volonté et le désir de bien faire suffisaient pour le mérite d’une dissertation, celle-ci, j’ose le croire, trouverait grâce à leurs yeux, et ne compterait qu’un petit nombre de taches ; mais à ces qualités il faut unir encore le talent, précieux avantage que chacun croit tenir de son amour-propre, et que la nature n’accorde qu’à un petit nombre de ses favoris. C’est lui qui fait l’ornement des productions de l’esprit ; un juste oubli s’étend sur celles où on cherche vainement ses traces ; un souvenir honorable se rattache à celles qu’il pare de sa lumière ; a-t-il répandu quelques-unes de ses lueurs sur ce léger essai, premier fruit de mes études médicales ? Je suis [p. VII] loin de le croire ; je ne pourrai cependant repousser un sentiment intérieur de satisfaction , si les yeux de mes Juges, en le parcourant, ont résisté sans effort à

l’influence du sujet que ma plume neuve encore a essayé d’y tracer. [p. 7]

ESSAI

PHYSIOLOGIQUE ET PATHOLOGIQUE
SUR LE SOMMEIL.
Considérations générales.

Parmi cette multitude d’organes, instrumens des différentes fonctions qui s’exécutent dans l’économie animale, tous n’ont pas une action continue dans leur exercice ; ceux, au moyen desquels l’homme établit ses rapports avec les objets environnans sont soumis à une loi d’intermittence diurne, périodique, marquée par la suspension de leurs mouvemens. Cet intervalle, pendant lequel un repos plus ou moins long remplace l’action de ces organes, a reçu le nom de sommeil, (somnus des Latins). Appelé chaque jour par la fatigue qu’éprouvent l’homme et les animaux à la suite des impressions extérieures souvent répétées, chaque jour il vient fermer la scène où se développent ces impressions ; chaque jour, il vient réparer les organes qui en sont le siège ou qui les transmettent, lorsqu’un exercice trop prolongé commence à les affaiblir ; c’est ainsi qu’il redonne aux facultés intellectuelles leur activité, aux sens leur énergie, et aux muscles leur vigueur. Abandonnant souvent l’homme livré à une indolence habituelle, il répand sa douce influence sur l’agriculteur et l’ouvrier laborieux ; l’infortuné, tourmenté par des peines morales, ne l’implore pas toujours en vain; on l’a vu même s’approcher du criminel soumis aux horribles tortures de la question, et surmonter ainsi, [p. 8] par son pouvoir celui des douleurs les plus affreuses, moyen précieux pour le maintien, l’ordre et la régularité de toutes nos fonctions, agent salutaire, employé souvent par la nature pour rompre la chaîne d’un grand nombre de phénomènes pathologiques. Il a spécialement fixé l’attention des physiologistes, des botanistes et des poètes ; mais tout ce qu’ils ont écrit à ce sujet porte l’empreinte de l’esprit de système chez les uns, et d’une imagination exaltée chez les autres.

Les physiologistes anciens, en se livrant à la recherche de la nature intime du sommeil plutôt qu’à l’examen de ses phénomènes, ont émis à cet égard des opinions entièrement effacées par les connaissances physiologiques de nos jours, comme nous le verrons dans l’exposition des causes du sommeil. C’est d’après ces opinions erronées qu’on a regardé le fœtus renfermé dans la matrice comme un être livré au sommeil ; déterminé par la fatigue des organes sensoriaux, locomoteurs et intellectuels, comment le sommeil étendrait-il son influence sur le fœtus, puisque ces organes, chez lui, restent plongés dans un repos continuel ? Le système musculaire, il est vrai , est le siège de quelques mouvemens qu’exécute le fœtus au milieu des eaux de l’amnios ; mais ces mouvemens, résultat d’un excitant intérieur, agissant sympathiquement sur le cerveau, ne sont ni assez multipliés, ni assez prolongés pour amener ce repos qui caractérise l’état de sommeil.

Thomas Nast – 1866

Les botanistes , exagérant la vitalité des végétaux, ont aussi prétendu que ces corps organisés jouissaient de la faculté du sommeil ; c’est dans ce sens qu’ils ont dit que le germe des plantes est endormi dans l’enveloppe qui le renferme ; les alternatives de mouvement et de repos observés chez certaines plantes à différentes époques du jour et de la nuit n’ont-elles pas fourni au célèbre naturaliste suédois l’idée de son horloge de Flore, et ne dit-on pas, d’après lui, que les plantes dorment et s’éveillent à des heures réglées ? Nous pensons que ces expressions doivent être prises dans un sens purement métaphorique ; le sommeil est exclusivement [p. 9]le partage des êtres doués du sentiment et du mouvement volontaire ; il est déterminé par le besoin qu’éprouvent du repos le cerveau, les nerfs et les muscles, agens des fonctions sensoriales et locomotrices ; rien dans les végétaux n’accuse l’existence de ces organes et des fonctions qui leur sont assignées ; le sommeil ne peut donc pas être leur partage.

L’état d’immobilité que gardent l’homme et les animaux livrés aux douceurs du sommeil, l’heure mystérieuse qu’il choisit pour se manifester, cette interruption complète qu’il produit dans les impressions extérieures, avaient fixé l’attention des deux plus beaux génies de l’antiquité, Hésiode, Homère, et après eux, de tous les poètes grecs et latins : mais ces grands hommes, peu versés dans la connaissance des phénomènes de la vie, et suivant l’impulsion de leur imagination brillante, firent du sommeil un être animé, et le placèrent au rang des divinités. Fils de l’Erèbe et de la Nuit, ce n’est que pendant les ténèbres que l’homme éprouve son influence ; frère de la Mort, comme elle il rend immobiles les êtres soumis à son pouvoir ; amant du silence, c’est dans la contrée brumeuse des Cimmériens, au milieu d’une caverne où pénètre à peine une clarté douteuse, qu’il a fixé son palais ; là, jamais ne se fait entendre le rugissement de l’aquilon et le fracas impétueux des torrens ; jamais les fleurs des pavots qui ombragent cet asile ne sont agitées par le souffle des vents orageux ; et le fleuve de l’Oubli seul, par le murmure monotone de son onde, invite aux douceurs d’un voluptueux repos. Ces idées sur le sommeil, ornées du charme d’une versification enchanteresse, et de l’harmonie des deux plus belles langues qu’aient jamais parlées les hommes, devinrent une croyance pour les peuples grec et latin, et , dans le temple de leurs dieux, c’est entre la statue du Silence et celle de la Mort que reposait la statue du Sommeil. Laissons à la poésie ses brillantes fictions, ses images et son langage figuré, et, sans chercher à combattre une idée dont le temps a depuis des siècles entièrement détruit le prestige, retournons dans la route que nous nous [p. 10] proposons de parcourir en nous éclairant du flambeau de la physiologie.

Puisque le sommeil ne s’observe que chez les êtres doués du sentiment et du mouvement volontaire, puisqu’il est marqué par le repos des organes qui produisent ces deux espèces d’action, on peut donc le définir : Cet état de suspension plus ou moins prolongé, diurne et périodique des fonctions intellectuelles, sensoriales et locomotrices. Cette définition, tirée des phénomènes qui caractérisent le sommeil, et de l’état des parties qu’il tient sous sa dépendance, doit être préférée à toutes celles basées sur sa nature intime, nature intime qui, comme celle de tous les phénomènes physiologiques, se dérobera probablement toujours à nos recherches.

Après ces considérations générales émises sur le sommeil, après avoir donné de cet état la définition la plus simple et la plus conforme aux connaissances physiologiques modernes, je dois exposer l’ordre que je me suis tracé dans la composition du sujet qui m’occupe. Pour ne rien omettre dans un objet aussi important, il m’a paru convenable de considérer le sommeil sous le double rapport de la physiologie et de la pathologie ; ce double rapport forme les deux sections dont se compose cette dissertation ; dans la première, considérant le sommeil sous le rapport physiologique, je le distingue en sommeil général, caractérisé par le repos absolu des organes sensoriaux, intellectuels et locomoteurs, et en sommeil partiel, caractérisé par le repos de quelques-uns de ces organes et l’action de certains autres. Examinant d’abord le sommeil général, j’exposerai successivement ses causes, ses phénomènes précurseurs et concomitans, l’état des fonctions intérieures pendant sa durée, cette durée elle-même et ses nombreuses variétés ; l’époque la plus favorable pour le sommeil, ses effets sur l’économie animale complèteront cet examen. Dans le sommeil partiel, les rêves, le somnambulisme, fixeront successivement aussi mon attention ; enfin l’exposition des phénomènes du réveil terminera [p. 11] le tableau de la première section. Dans la seconde, le sommeil, considéré sous le rapport pathologique, me fournira l’étude des nombreuses altérations qu’il éprouve dans les différentes maladies, celles des signes qu’il présente pour le diagnostic, le prognostic et les crises, celle enfin du moyen précieux qu’il offre dans plusieurs affections, où calmer et pallier sont les seules indications que le médecin puisse remplir.

SECTION PREMIÈRE

Du sommeil considéré sous le rapprt physiologique.

Nous avons dit que le sommeil peut être complet ou général, incomplet ou partiel : le premier va d’abord nous occuper.

Du Sommeil général.

Il est moins fréquent que le sommeil partiel ; rarement en effet tous les organes qui nous mettent en rapport avec les objets extérieurs restent dans cette complète inaction qui constitue le sommeil général ; cependant, comme on l’observe chez un certain nombre d’individus, et qu’il fournit tous les caractères du sommeil parfait, nous allons l’examiner sous les différens rapports que nous avons énoncés dans les considérations générales.

1.° Causes du Sommeil général. Nous les distinguons en éloignées et en prochaines. Les causes éloignées sont extrêmement nombreuses ; on peut les réunir sous deux ordres : dans le premier, viennent se ranger celles qui dépendent des conditions physiques dans lesquelles l’homme peut se trouver ; dans le deuxième se placent celles qui résultent de l’état dans lequel peuvent se présenter les différentes parties de notre organisation, Parmi les causes du premier ordre, [p. 12] nous devons compter la température élevée, comme celle de la canicule, d’un bain, d’un appartement échauffé par un poêle ; le froid excessif, tel que celui qui règne dans les régions polaires et le nord de la Russie ; on connaît le sommeil funeste déterminé par ce froid rigoureux, et les nombreuses victimes qu’il a moissonnées. Le grand Boerhaave faillit succomber à son influence, et ne dut la prolongation de ses jours qu’aux violences amicales de ses compagnons qui l’arrachèrent aux trompeuses douceurs de ce sommeil mortel ; le soldat placé en sentinelle dans les glaces de la Norwége succombe souvent à son pouvoir destructeur ; combien de vaillans guerriers n’a-t-il pas enlevés à notre patrie, dans la désastreuse campagne de Moscou !

Le sifflement du vent, la chute d’une cascade, les moulins à eau, le ton uniforme d’un sermon ou d’un plaidoyer mal débités ; le récitatif de nos grands opéras, frappant l’oreille d’un bruit monotone, appellent aussi le sommeil. On peut encore rattacher à ces causes les sons d’une harmonie lente, égale et douce : c’est par eux que la harpe du roi-prophète calmait les transports impétueux de Saül, et le plongeait dans cette molle langueur, prélude du sommeil auquel ses sens fatigués ne tardaient pas à se livrer.

Parmi les causes du deuxième ordre se trouve, 1° l’obésité. Le célèbre Haller cite l’exemple d’un professeur qui, surchargé de graisse, vivait dans un état habituel de somnolence ; il cite aussi Denys d’Héraclée qu’on ne parvenait à éveiller qu’en lui enfonçant des aiguilles à travers la peau ; 2.° l’absence des différens excitans qui mettent en jeu les organes sensoriaux, comme la lumière pour l’œil, les sons pour l’ouïe, les odeurs pour l’olfaction. Il est cependant un organe qui, par l’absence de son stimulus ordinaire, éloigne le sommeil, et le provoque au contraire quand il est en contact avec ce stimulus ; c’est l’estomac ; en effet, quand il est vide depuis quelque temps, la faim se fait sentir et le sommeil s’éloigne : est-il rempli par les alimens, le sommeil ne tarde pas [p. 13] à se manifester. Du reste, ce phénomène est loin d’être constant, et nous verrons par la suite que le sommeil appelé par la réplétion de l’estomac n’active pas ordinairement les fonctions digestives.

Telles sont les circonstances nombreuses que l’on peut regarder comme causes éloignées du sommeil ; les causes prochaines sont beaucoup moins connues, et c’est dans leur recherche que les physiologistes ont émis une foule d’opinions hypothétiques : les anciens, faisant jouer un grand rôle aux esprits animaux, ont pensé que l’embarras apporté dans la circulation de ces esprits les forçait à remonter vers le cerveau, qui, se trouvant alors comme oppressé par eux, déterminait le sommeil. Cette hypothèse a été reproduite de nos jours par un écrivain dont les ouvrages justement célèbres illustrent la médecine. Cabanis attribue en effet le sommeil au reflux des puissances nerveuses vers le cerveau, qui est leur source commune. D’autres physiologistes n’ont vu dans cet état qu’une accumulation du sang vers l’encéphale, et par suite la compression des nerfs de la troisième paire, par les artères cérébrales postérieures et cérébelleuses supérieures, entre lesquelles ces nerfs sont placés selon quelques autres, la cause déterminante du sommeil se trouve dans l’épuisement du principe d’action émané du cerveau. Les notions physiologiques modernes détruisent complètement ces idées hypothétiques. Les esprits animaux n’ont jamais existé que dans l’imagination de leurs créateurs ; d’ailleurs, en les admettant, comment des êtres aussi subtils pourraient-ils par leur accumulation déterminer le collapsus de l’organe cérébral ? La compression des nerfs de la troisième paire produirait seulement le sommeil des yeux ; enfin l’épuisement du principe d’action émané du cerveau est une supposition tout aussi gratuite que celle des esprits animaux. Laissons dans le juste oubli où les a plongées une physiologie éclairée ces idées hypothétiques, et, en avouant franchement que les causes prochaines du sommeil nous sont inconnues, disons cependant que l’action [p. 14] de celles énoncées comme prédisposantes peut, quand elle est longtemps continue, devenir cause efficiente.

2.° Phénomènes avant-coureurs et concomitans du sommeil. Quand les fonctions locomotrices sensitives et intellectuelles se sont exercées pendant un certain espace de temps, l’homme éprouve un sentiment de malaise, de fatigue, qui l’avertit de chercher le repos, comme un agent réparateur de ses forces épuisées ;ce sentiment de malaise se manifeste par des bâillemens, des pandiculations, un engourdissement général ; en même temps l’œil se lasse de la lumière, l’oreille du son, les surfaces olfactives des odeurs, les muscles du mouvement, et le sommeil envahit ces organes d’une manière successive ; l’œil s’endort le premier, la paupière appesantie tombe sur lui et le dérobe à la lumière ; après lui s’endorment graduellement les organes du goût, de l’odorat et du toucher ; l’ouïe enfin vient fermer la scène en partageant la dernière le sommeil des autres sens. Les facultés intellectuelles suivent le même ordre que les fonctions sensoriales ; la mémoire, l’attention, le jugement et le raisonnement s’affaiblissent d’abord, puis s’effacent entièrement ; seule de toutes ces facultés, l’imagination semble d’abord résister au sommeil général, mais, après un temps plus ou moins long, elle cède à son influence.

Le sommeil s’empare plus ou moins facilement de nos organes, suivant la position dans laquelle nous nous trouvons à son invasion. Sommes-nous placés dans un fauteuil ou sur une chaise, nous pouvons nous livrer au sommeil assez promptement, les membres inférieurs étant reposés, et le tronc trouvant en arrière dans le dossier un point d’appui solide ; mais la tête n’étant pas soutenue dans ce sens, se fléchit sur le cou, d’abord par un mouvement lent et gradué, puis brusque et rapide, qui nous réveille en sursaut, et nous porte à la relever pour la fléchir de nouveau; c’est pour donner à la tête un point d’appui que, dans quelques circonstances, [p. 15] nous la soutenons dans la paume de la main pendant que le coude repose sur les cuisses.

Le sommeil est extrêmement difficile dans l’état de station ; cette position exige de la part du système musculaire une action dont la fatigue qu’il éprouve le rend incapable ; on dort de bout, dit-on vulgairement, quand la lassitude accable ; mais on confond, en s’exprimant ainsi, l’invasion du sommeil avec cet état lui-même ; cette invasion en effet peut surprendre l’homme dans la station, mais aussitôt que le sommeil s’empare de tous ses organes, s’il ne trouve pas un point d’appui dans les objets qui l’entourent, il tombe accablé sous le poids de la fatigue et de l’engourdissement des forces locomotrices. Seuls de tous les animaux, les oiseaux ont la faculté de dormir debout sur les branches des arbres que balance le vent ; mais cette faculté tient à des particularités de conformation qui rend chez eux la station indépendante de tout effort volontaire.

Quand nous sommes libres sur le choix de la position que nous pouvons prendre pendant le sommeil, nous préférons celle dans laquelle le corps repose sur un plan horizontal ; nous plaçons alors sous la tête un appui qui la tient élevée ; nos membres, d’abord étendus, prennent bientôt l’état de demi-flexion, le tronc se courbe ; si nous nous abandonnons au sommeil après l’épuisement total de l’action musculaire, la position des membres nous devient alors indifférente ; notre corps se place dans la situation que les appuis déterminent jusqu’à ce que les muscles soient assez réparés par le repos pour placer les membres dans la demi-flexion.

Nous affectons ordinairement de nous coucher sur le côté droit ; nous trouvons plusieurs avantages dans ce mode de décubitus : 1.° le foie se trouve soutenu par l’espèce de paroi que forment les côtes avec les parties molles, et par l’appui que lui fournit le plan sur lequel nous reposons ; 2.° dans cette position, le cardia se trouvant beaucoup plus élevé que le pylore, l’estomac présente un plan plus incliné qui facilite la descente des alimens dont il [p. 16] peut être encore rempli. Dans le décubitus sur le côté gauche, au contraire, le foie, mal soutenu par les parties qui l’environnent, tiraille le diaphragme, pèse sur l’estomac, qui n’offre plus le plan incliné favorable à la descente des alimens dans le duodénum. Malgré le désavantage de ce mode de coucher, l’habitude, qui modifie tout, peut le rendre commode à quelques individus, tout comme elle rend indifférent le coucher sur l’un ou l’autre côté.

Le décubitus sur le dos n’est pas ordinaire, on ne l’observe que chez les personnes fatiguées par un très-long exercice, et chez les malades frappés de fièvre adynamique dont il forme un des principaux caractères.

Quant au coucher sur le ventre, il a rarement lieu dans l’état de santé ; la gêne qu’il détermine sur le diaphragme refoulé par les viscères abdominaux, celle qu’il apporte à la dilatation du thorax, pressé d’un côté par le plan sur lequel nous reposons, et de l’autre par le poids du tronc, explique suffisamment pourquoi l’homme, libre sur le choix du décubitus, ne prend jamais celui-ci quand il veut se livrer au sommeil.

Quoique le sommeil général soit caractérisé, comme nous l’avons dit, par le repos des organes locomoteurs, sensoriaux et intellectuels, tous ces organes ne sont cependant pas inactifs au même degré ; il en est qui, faiblement endormis, peuvent encore répondre à leurs excitans ordinaires ; ainsi l’ouïe pendant le sommeil, peut percevoir différens bruits plus ou moins éloignés, et la voix répondre à l’excitation de ce sens. Comme la volonté ne participe pas alors à ces phénomènes, on a adroitement employé la faculté qu’ont certaines personnes de répondre aux questions qu’on leur adresse pendant qu’elles dorment pour leur arracher des secrets qu’elles n’auraient jamais dévoilés dans l’état de veille. L’organe du tact répond aussi aux divers excitans qu’on peut diriger sur lui ; n’est-ce pas à des impressions tactiles que nous obéissons quand nous quittons en dormant une position pénible [p. 17] pour en prendre une autre plus commode ? La sensibilité, qui préside à l’exercice de ce sens, est même très-exaltée pendant le sommeil ; c’est ainsi que des personnes endormies, piquées par la morsure d’une puce, ont cru avoir reçu de violens coups d’épées ; mais à l’exception de ces deux sens, tous les autres, ainsi que les facultés intellectuelles, jouissent d’un repos parfait pendant le sommeil général.

Il n’en est pas de même des fonctions intérieures ; aucune d’elles ne partage cet état de repos; toutes exécutent les actions qui leur sont départies ; plusieurs d’entre elles même, suivant quelques physiologistes, ont, pendant le sommeil, une marche plus rapide. Examinons, en parcourant chacune de ces fonctions en particulier, jusqu’à quel point leur opinion est fondée.

1.° La digestion. C’est particulièrement sur elle que les physiologistes se sont appuyés pour prouver l’exercice plus actif des fonctions intérieures pendant le sommeil. La plupart des animaux carnivores, disent-ils, s’endorment après avoir dévoré leur proie ; les hommes sauvages se livrent au sommeil immédiatement après avoir assouvi leur faim. Les Romains ne prenaient leur principal repas qu’au déclin du jour , afin de s’abandonner peu de temps après au repos. Ces faits sont réels , mais viennent-ils à l’appui de l’opinion des physiologistes qui les citent ? Nous ne le pensons pas. Ne peut-on pas dire, en effet, que le sommeil des animaux carnivores, après leur repas, est nécessité par la fatigue que détermine la poursuite d’une proie rarement obtenue sans de grands essorts des puissances musculaires ? Ne peut-on pas dire encore que les circonstances dans lesquelles vivaient les Romains, le climat qu’ils habitaient, leurs mœurs, leurs usages imprimaient à l’exercice de leurs fonctions des différences qu’on ne rencontre pas dans l’homme civilisé de nos jours ? Ces réflexions ne sont – elles pas applicables aux sauvages ? Sans nier le pouvoir tout puissant de l’habitude dans les différens actes de l’économie, l’observation [p. 18] journalière nous prouve d’ailleurs qu’un grand nombre de personnes digèrent mal quand elles se livrent au sommeil immédiatement après leurs repas ; elle nous prouve qu’une promenade douce, agréable, une lecture, une conversation intéressante, rendent bien souvent mieux que le sommeil la digestion active. Nous ne pouvons donner un meilleur appui à l’opinion que nous émettons qu’en rapportant une expérience citée par M. le professeur Chaussier, qui nous paraît concluante : deux chiens de même âge, et à peu près de la même force, firent un repas copieux ; on laissa dormir l’un d’eux immédiatement après , et on conduisit l’autre à la chasse ; les deux animaux ayant été ouverts au retour de cet exercice , on trouva l’estomac du premier encore rempli par les alimens, et celui du second entièrement vide.

2.° Respiration. Elle est manifestement ralentie pendant le sommeil ; les mouvemens respiratoires s’exécutent avec moins de fréquence ; mais la dilatation de la poitrine est bien plus marquée par l’action diminuée du diaphragme. Cette dilatation plus grande du thorax, en permettant l’entrée d’une plus grande quantité d’air dans les poumons, rendrait-elle plus actifs les phénomènes chimiques de la respiration ? et déterminerait-elle ainsi l’accroissement de la chaleur animale pendant le sommeil, comme le pensent quelques physiologistes ? Nous ne le croyons pas : 1.° parce que, l’action du diaphragme étant diminuée , l’ampliation de la poitrine l’est aussi ; 2.° parce qu’en admettant que l’action du diaphragme reste la même, et coïncide avec la dilatation du thorax à l’expansion des poumons, cette dilatation, quoique plus grande, s’opérant avec lenteur pendant le sommeil, ne peut, dans un temps donné, introduire une quantité d’air aussi considérable que celle que font pénétrer les mouvemens respiratoires plus rapides pendant la veille dans le même temps donné.

3.° Circulation. L’examen de cette fonction, qui a des connexions si intimes avec la respiration , vient fortifier ce que nous venons [p. 19] de dire à l’égard de cette dernière ; le pouls, en effet, pendant le sommeil, est plus faible, plus lent et plein. Cette plénitude, qu’on a signalée comme une preuve d’un accroissement d’action dans le système circulatoire, ne prouve-t-elle pas, étant unie à la lenteur, la diminution de l’énergie dans l’exercice de cette fonction ? En admettant que, chez quelques individus livrés au sommeil, le pouls soit fort et plein, des exceptions ne peuvent détruire des observations générales.

4.° Sécrétion. On ne peut pas avancer, d’une manière certaine, si le sommeil accroît ou ralentit l’action des glandes sécrétoires. Quelques-unes, comme les salivaires, la lacrymale, étant sous-traités pendant le sommeil à leurs excitans ordinaires, éprouvent, peut-être du ralentissement dans leur exercice ; l’accumulation des larmes sur le globe oculaire, n’est pas une preuve de l’accroissement d’action de leur glande sécrétoire pendant le sommeil ; elle s’explique par l’espèce de voile que tendent sur l’œil les deux paupières, qui empêchent ainsi la vaporisation des larmes par l’air atmosphérique. Nous connaissons trop peu la quantité des fluides sécrétés pendant un temps donné par les glandes biliaire et pancréatique pour déterminer l’influence du sommeil sur ces deux sécrétions. Quant à celle des organes urinaires, si l’on a égard à la quantité d’urine que l’on rend à l’époque du réveil, on sera porté à croire que l’énergie de ces organes est accrue pendant le sommeil ; mais, en tenant compte de l’espace de temps que nous consacrons au repos, espace pendant lequel l’urine s’accumule dans la vessie, nous en conclurons que l’action sécrétoire des reins reste la même que dans l’état de veille.

5.° Absorption. Nous n’entendons parler ici que de celle qui , s’opère à l’extérieur, soit par la peau, soit par la membrane muqueuse qui recouvre les voies aériennes ; il est assez généralement admis, par les médecins et la plupart des physiologistes, que cette [p. 20] absorption est plus active pendant le sommeil. Cette opinion compte parmi ses partisans un homme doué d’un grand savoir et d’une rare sagacité, l’illustre Baglivi ; il recommande aux Romains de ne pas s’endormir au soleil couchant surtout, dans le voisinage des marais Pontins, l’observation lui ayant appris que les miasmes qui se dégagent de ces endroits marécageux, rapidement absorbés, déterminaient des fièvres intermittentes graves et rebelles aux moyens thérapeutiques. C’est encore celle d’un écrivain moderne qui a su parer la science physiologique des grâces d’un style toujours élégant et pur. « L’absorption est fort active pendant le sommeil, (dit-il dans ses Nouveaux Élémens de physiologie ) ; de là le danger de s’endormir au milieu d’un air insalubre. » Mais, tout en respectant le sentiment de personnages aussi célèbres, qu’il me soit permis d’avancer que, probablement, l’absorption n’acquiert pas une activité plus grande pendant le sommeil, et que la facilité avec laquelle les miasmes s’introduisent dans l’économie pendant cet état peut dépendre de ce que la résistance vitale, moins énergique alors, lutte avec moins de succès contre les différentes causes délétères qui agissent sur elle ; n’est-ce pas aussi en diminuant la résistance vitale que la crainte, la peur favorisent l’introduction des principes contagieux, tels que ceux du typhus et de la peste ?

6.° Exhalation. Ici, comme dans l’absorption, nous n’avons égard qu’à l’exhalation extérieure, la seule dont les produits soient appréciables depuis les belles expériences de Sanctorius. Cette exhalation ne paraît pas augmentée pendant le sommeil ; et si nous avons souvent alors la peau très-moite, ou même humide de sueur, cet état dépend de ce que les couvertures dont nous nous enveloppons ordinairement pour dormir empêchent la vaporisation du fluide exhalé. Qu’on n’allègue pas ici que la face, qui reste découverte, est souvent baignée par la sueur : ce phénomène ne s’observe que pendant le sommeil agité par des rêves ou quelque [p. 21] irritation, soit intérieure, soit extérieure, et ce n’est pas l’étude de ce sommeil qui nous occupe maintenant.

7.° Chaleur animale. Intimement liée aux fonctions circulatoire et respiratoire, elle doit, comme elles, être ralentie ; c’est ce que nous prouve l’observation journalière. L’homme, en effet, supporte mal le froid en dormant, et quand il a négligé de se couvrir convenablement, son sommeil est, souvent troublé par des frissons qu’on n’observe pas durant la veille ; ce froid ne dépend point de la différence qui s’établit entre la température extérieure et celle du corps qui serait accrue pendant le sommeil, selon quelques physiologistes, mais bien de la diminution de cette dernière, l’autre restant la même. Du reste, cet accroissement de la chaleur animale pendant le sommeil, admise par quelques physiologistes, est la conséquence de celui qu’ils ont admis dans la digestion, la circulation et la respiration pendant ce même état ; nous avons essayé de prouver que ces fonctions sont au contraire ralenties, cela étant, la chaleur animale doit aussi partager ce ralentissement.

8.° Nutrition. On ne peut rien avancer de positif sur l’état de cette fonction pendant le sommeil ; on dit bien généralement que les veilles prolongées maigrissent, que l’enfant et les personnes qui jouissent d’un long sommeil ont de l’embonpoint ; mais la nutrition de l’enfant et de ces individus ne porte que sur le système cellulaire et lymphatique, les autres systèmes ne le partagent pas ; quant à la maigreur déterminée par les veilles prolongées, elle ne dépend pas seulement de l’altération de la nutrition, c’est un état maladif ressenti par toutes les autres fonctions de l’économie.

De tout ce que nous venons de dire sur l’état des différentes fonctions intérieures pendant le sommeil découlent les corollaires suivans : 1.° la digestion, la respiration, la circulation et la chaleur animale sont manifestement ralenties ; 2.° l’exhalation, et [p. 22] vraisemblablement l’absorption, restent les mêmes que pendant l’état de veille ; 3.° parmi les sécrétions, quelques-unes paraissent diminuées ; on ne peut apprécier le degré d’activité des autres ; 4.° enfin, dans l’état actuel des connaissances physiologiques, on ne peut pas apprécier davantage l’influence du sommeil sur l’action nutritive,

Durée du sommeil. Elle est extrêmement variable, selon une foule de circonstances dépendantes de l’âge, du sexe, du tempérament, de l’habitude, des professions, du climat, des substances alimentaires, des boissons, de la volonté, enfin des passions et des affections de l’âme. Nous allons examiner l’influence de chacune de ces causes en suivant l’ordre de leur énumération.

1.° L’âge. L’enfant dont toutes les parties sont animées d’une grande énergie, jouit d’un sommeil très-long ; de plus, comme tout ce qui l’environne frappe vivement ses organes extrêmement irritables, la nécessité du repos doit chez lui revenir plus souvent. A mesure qu’on s’éloigne de l’époque de l’enfance, on voit diminuer graduellement la durée du sommeil ; l’adulte en effet repose beaucoup moins long-temps que l’enfant ; et le vieillard, dont les organes usés sont incapables d’un long exercice, ne goûte plus qu’un sommeil léger et court, suffisant cependant à la réparation de ses forces.

2.° Le sexe. La femme qui, par la mobilité de son système nerveux, sa constitution, a tant de points de ressemblance avec l’enfant, se rapproche encore de lui par la durée de son sommeil , qui est ordinairement plus longue que celle de l’homme.

3.° Le tempérament. Les individus doués d’un tempérament sanguin, exerçant beaucoup les organes sensoriaux et locomoteurs, [p. 23] jouissent par cette raison d’un sommeil prolongé ; l’homme lymphatique, au contraire, abandonnant ses organes à l’indolence, et dépensant ainsi faiblement le principe qui les anime, n’est soumis au sommeil que pendant un espace de temps assez court, quoiqu’il paraisse habituellement plongé dans un état de somnolence, dû à cette indolente oisiveté, partage de son existence.

4.° L’habitude, qui étend son pouvoir sur tous les actes de l’économie animale, a une influence bien marquée sur la durée du sommeil ; c’est ainsi qu’on voit des personnes accoutumées à ne reposer que pendant deux heures, tandis que d’autres ne peuvent jamais dormir moins de dix heures. Boerhaave observe, à l’égard de ce sommeil prolongé, qu’il émousse les facultés intellectuelles; il a connu un médecin instruit que l’habitude qu’il avait contractée de dormir pendant un temps assez long plongea dans un état d’idiotisme. L’habitude exerce encore une influence sur l’époque du sommeil ; c’est ainsi que les personnes accoutumées à se coucher à une heure réglée ne peuvent vaincre le besoin du sommeil lorsque le temps la ramène ; on les a vues s’arracher alors aux plaisirs d’une table splendide, du spectacle, des sociétés, pour satisfaire ce besoin irrésistible.

5.° Le climat. Dans les climats chauds, la sensibilité de l’homme étant exaltée, ses excitans diminuent par cela même plus promptement son énergie ; aussi le sommeil est plus fréquent, mais il dure peu. Dans les climats froids au contraire, l’homme, moins sensible, moins impressionnable, est soumis à un sommeil moins fréquent, mais de plus longue durée.

6.° Les alimens et les boissons influent aussi sur la durée du sommeil ; il est long chez l’homme qui fait sa principale nourriture des substances animales, et qui use sobrement des liqueurs spiritueuses ; il est plus court chez celui qui préfère l’usage des alimens [p. 24] tirés du règne végétal, et dont les organes sont continuellement excités par le café et les liqueurs alcoholiques.

7.° Les professions. Celles qui exercent beaucoup les fonctions locomotrices déterminent un sommeil long et profond, par la fatigue qu’éprouvent les organes de la vie de relation ; l’ouvrier, l’agriculteur dorment pendant un temps assez prolongé ; cependant la fatigue des forces musculaires éloigne le sommeil quand elle dépasse les limites physiologiques. Les professions qui mettent en jeu les facultés intellectuelles déterminent moins que les autres le sommeil à la suite de leur exercice ; il est de courte durée pour le littérateur, le musicien, excités par la chaleur de la composition ; et jamais Apollon n’a pénétré du feu sacré le poète trop long-temps livré aux douceurs de Morphée.

8.° La volonté. Elle a beaucoup de pouvoir sur la durée du sommeil, qu’elle peut abréger ou prolonger ; c’est elle qui agit sur nous lorsqu’une affaire pressante exige que nous devancions l’heure ordinaire de notre réveil. Tissot, dans son Traité de l’onanisme, cite l’exemple d’un homme qui s’éveillait volontairement à une époque fixée de la nuit pour éviter les pollutions qui se manifestaient ordinairement à cette même époque quand il était livré au sommeil.

9.° Qui ne connaît l’influence des passions violentes et des affections de l’âme sur la durée du sommeil ? Observez l’ambitieux couvant dans son sein l’espoir d’un rang, d’une renommée qui l’environneront du plus grand éclat ; voyez cet homme au teint pâle, aux traits flétris, les yeux fixés sur le dez fatal qui va ruiner sa dernière espérance ; contemplez le brûlant Saint-Preux, l’intéressante reine de Carthage dont le prince des poètes latins nous a tracé en vers immortels la touchante infortune; écoutez les plaintes de Thémistocle à la vue des trophées de Miltiade, celles du terrible Marius caché dans les roseaux de Minturne, rarement le [p. 25] sommeil a porté un calme long et bienfaiteur dans ces âmes tour à tour agitées par les passions les plus vives et les peines les plus amères.

Après avoir examiné toutes les variétés apportées dans la durée du sommeil par les différentes causes que nous venons d’exposer, pour compléter tout ce qui est relatif au sommeil général, il nous reste à parler du temps le plus favorable pour s’y livrer , et des effets qu’il produit sur l’économie animale.

Le calme, le silence des ténèbres, l’absence des différentes impressions extérieures qui agissent sur nos organes, la fatigue, résultat de leur exercice pendant la journée, tout nous porte à choisir la nuit comme le temps le plus propice pour goûter les douceurs du sommeil ; mais plusieurs circonstances dépendantes de de l’habitude, de la manière de vivre, de l’attrait des plaisir, peuvent intervertir ce choix dicté par une sage prévoyance : c’est ainsi que plusieurs personnes consacrent la journée au sommeil, et la nuit à la veille ; mais de combien de jouissances sont privés les individus qui renversent ainsi les lois de la nature ! Les rayons du soleil levant, l’air frais d’une belle matinée du printemps, ne portent plus dans leur corps cette excitation si douce, si favorable à l’exercice des fonctions ; semblables aux plantes privées de l’influence de la lumière, comme elles ils s’étiolent : leur figure pâle, leurs traits affaissés, leurs mouvemens indolens décèlent un état habituel de malaise et de mélancolie.

Cette préférence que certaines personnes accordent au jour pour le repos peut dépendre aussi de quelque particularité dans l’organisation du sens de la vue ; on sait que plusieurs animaux, le hibou entre autres, livrés au sommeil pendant le jour, ne poursuivent leur proie qu’au milieu des ténèbres ; s’il faut en croire les relations du voyageur Waffer, il existe une peuplade entière d’hommes chez lesquels on observe le même phénomène ; ils habitent l’isthme qui sépare la mer du Nord de la mer Pacifique ; remarquables par la blancheur de leur peau et de leurs cheveux, [p. 26] ils ont reçu le nom de Dariens ; Maupertuis, dans sa Venus physique, retrace avec des couleurs pittoresques la manière de vivre de ce peuple singulier : « Quand, dit-il, l’astre du jour a disparu, et laissé la nature dans le deuil ; quand tous les autres habitans de la terre, accablés de leurs travaux ou fatigués de leurs plaisirs, se livrent au sommeil, le Darien s’éveille, loue ses dieux, se réjouit de l’absence d’une lumière insupportable, et vient remplir le vide de la nature ; il écoute le cri de la chouette avec autant de plaisir que le berger de nos contrées entend le chant de l’alouette, lorsqu’à la première aube, hors de la vue de l’épervier, elle semble aller chercher dans la nue le jour qui n’est pas encore sur la terre…. Le soleil paraît…. Les Dariens n’ont pas attendu ce moment, ils sont déjà retirés…. Le seul homme raisonnable qui veille est celui qui attend midi pour un rendez-vous ; c’est à cette heure, c’est à la faveur de la plus vive lumière , qu’il doit tromper la vigilance d’une mère , et s’introduire chez sa timide amante. »

L’ensemble de ces détails, remarquables par leur piquante originalité, démontre que ce peuple, semblable aux Albinos, et comme eux nyctalope, ne peut goûter le sommeil que lorsque la lumière du jour par son éclat enlève à ses yeux affaiblis la vue des objets qui l’entourent.

Les effets du sommeil varient suivant qu’il est calme ou agité. Le sommeil parfait produit un sentiment de bien-être, naissant de la réparation des organes ; l’homme qui l’a goûté est de nouveau disposé aux exercices du corps et de l’esprit ; ses muscles ont repris leur vigueur, ses sens et ses facultés intellectuelles leur énergie ; il est pour ainsi dire alors régénéré pour le mouvement et l’entendement ; mais si le repos a été troublé par des rêves effrayans, si quelque irritation physique ou autre en a abrégée la durée, l’homme reste lourd, inactif, langoureux et mélancolique, jusqu’à ce qu’un sommeil plus réparateur vienne redonner à ses organes leur force habituelle. [p. 27]

Après avoir terminé l’exposition de ce qui est relatif au sommeil général, nous allons nous occuper du sommeil partiel ; offrant dans ses causes, dans ses phénomènes avant-coureurs, dans l’état des fonctions intérieures pendant sa durée, les mêmes caractères que le sommeil général ; nous ne devons l’examiner que dans ses phénomènes concomitans, qui établissent une différence entre lui et ce sommeil.

Du Sommeil partiel.

Nous avons dit que le sommeil général était caractérisé par le repos complet des organes locomoteurs, sensoriaux et intellectuels, le sommeil partiel, au contraire, est distingué par la continuité d’action ou le repos imparfait d’un plus ou moins grand nombre de ces organes ; toujours dans ce sommeil quelques-unes des facultés intellectuelles sont en activité, et, suivant qu’elles agissent seules ou de concert avec les organes locomoteurs, elles produisent les rêves ou le somnambulisme.

Résultat d’une associations d’idées tantôt justes, tantôt disparates, les rêves sont toujours déterminés par des impressions extérieures ou intérieures, qui mettent en jeu les facultés intellectuelles. Ils ont eu beaucoup de célébrité dans toutes les sectes religieuses ; les livres saints parlent des songes naturels et surnaturels ; Moïse, dans le Lévitique, défend au peuple israélite de consulter les hommes qui se mêlent d’expliquer les songes naturels ; le dieu des armées, ses prophètes, le grand-prêtre revêtu de l’éphod, seuls jouissent de ce merveilleux privilège. Ces mêmes livres nous retracent plusieurs exemples de songes surnaturels ; tels sont ceux que Saint-Mathieu a placé au commencement de son évangile ; celui de Joseph, de Jacob, et des trois rois qui allèrent reconnaître l’homme dieu.

Les orientaux attachaient la plus grande importance aux songes ; des philosophes connus sous le nom de mages, sans se dire inspirés, prétendaient , au moyen d’un art particulier, leur donner ([p. 28] une interprétation ; assemblés par Nabuchodonosor pour rappeler et expliquer celui qu’il avait eu, et qu’il feignit être effacé de sa mémoire, leur pénétration échoua, et ils s’excusèrent en disant que les dieux seuls avaient le pouvoir de rappeler les songes que l’homme a oubliés ;Daniel paraît après eux devant Nabucodonosor, devine le rêve, l’explique, et le superbe roi de Babylone, frappé de respect, s’humilie devant le prophète, en s’écriant que l’esprit des saints dieux est en lui.

Les sauvages de l’Amérique septentrionale célèbrent en l’honneur des songes une fête comparable aux orgies des Bacchantes ; elle se prolonge pendant quinze jours ; toutes les actions que peuvent enfanter les idées les plus singulières, les plus bizarres, sont alors permises ; chaque sauvage, le visage barbouillé, le corps chamarré de mille couleurs, court, erre comme un furieux de cabane en cabane ; il renverse, brise, détruit tout ce qui se présente à sa vue, sans que personne ait le droit de s’y opposer ; ainsi, courant, suant, haletant, il demande au premier venu l’explication de son rêve, et, quand celui-ci l’a satisfait, le sauvage est obligé de lui remettre les différens objets qu’il a rêvés ; la fête terminée, les objets donnés sont réciproquement rendus, et le calme succède aux bruyans éclats d’une joie souvent licencieuse. Les différens peuples de la terre ont donc tour à tour attaché la plus grande importance à ces prestiges créés par le sommeil ;plus d’une fois ils firent trembler le potentat sur son trône et le courtisan en faveur ; mais les progrès des lumières ont fait évanouir ces vaines terreurs, et ces trompeuses illusions qu’ils inspiraient sur l’avenir ; il reste cependant encore quelques traces de cette croyance dans notre siècle, et, pour certaines personnes, les rêves sont encore des avertissemens prophétiques qui comblent leur âme de joie ou les frappent de crainte.

Les rêves présentent beaucoup de variétés dans les sensations qu’ils déterminent ; souvent l’imagination entre seule en action [p. 29] sans le jugement, et produit ces visions fantastiques, ces formes bizarres des objets, incohérens assemblages des idées les plus disparates ; d’autres fois, au contraire, l’association des idées est plus exacte, et les rêves retracent alors les objets dont nous nous occupons pendant la veille ; c’est alors que leur douce illusion nous représente les traits chéris d’une épouse, d’une amante, l’image non moins chérie encore d’un père et d’une mère dont nous sommes séparés ; alors le guerrier se précipite dans les rangs ennemis, le laboureur sourit à la moisson dorée que lui promet un champ fertile, le poète commerce avec les Muses, l’extatique dévote, ravie au troisième ciel, goûte d’ineffables délices, tandis que le valeureux chevalier de la Manche, occupé d’objets plus terrestres, perce, enfonce, détruit ces innombrables armées de géans dont son bras doit purger le monde. Quelquefois, dans les rêves, les idées sont tellement exactes, le jugement est si précis, la pensée si nette, que l’homme, doué alors d’une énergie intellectuelle plus active, produit des conceptions refusées à son intelligence pendant l’état de veille ; c’est alors que des mathématiciens résolvent des problèmes embarrassans, et achèvent des calculs très-compliqués ; c’est alors que Condillac aplanit des difficultés qu’il n’a pu surmonter dans la veille, et se lève agréablement surpris pour confier au papier le produit de ses heureux songes.

Certains besoins intérieurs, tels que ceux de la copulation, de la soif, de la faim, peuvent déterminer des rêves qui ont rapport aux excitations produites par ces besoins ; c’est ainsi que des émissions voluptueuses soulagent le célibataire continent, et la fille adolescente dont le tempérament ne s’accorde pas toujours avec la pudeur ; c’est ainsi que l’homme tourmenté par la soif se croit environné de ruisseaux dont l’onde limpide va calmer l’ardeur qui le dévore ; c’est encore ainsi que le baron de Trenck, prisonnier en Turquie, dévorant dans son cachot un morceau de pain que lui tendait une main avare, se transportait [p. 30] ;toutes les nuits en songe au milieu des tables somptueuses de Berlin.

Il suffit à notre objet d’avoir signalé les différences que présentent les rêves suivant les causes qui les déterminent. Passons maintenant à l’examen d’un autre phénomène qu’on remarque assez souvent dans le sommeil partiel, et bien digne de fixer notre attention par les effets qu’il présente : nous voulons parler du somnambulisme, analogue aux rêves, parce que souvent, comme eux , il s’exerce sur des objets dont l’homme s’occupe pendant la veille, il en diffère en ce qu’il s’accompagne de mouvemens locomoteurs très-étendus. Il y a donc dans le somnambulisme action simultanée des facultés intellectuelles et locomotrices ; les différens organes des sens sont inactifs, du moins ils ne réagissent pas sur les impressions extérieures ; l’œil du somnambule, suivant la remarque de Van-Swieten, ne répond pas à l’excitation de la lumière ; un flambeau approché de cet organe quand il est ouvert, comme cela arrive quelquefois, ne détermine aucun resserrement dans la pupille ; l’oreille est insensible aux sons qui la frappent : on sait combien il est difficile de réveiller les personnes qui sont dans cet état. Le tact et le toucher sont obtus ; cependant le somnambule semble voir, entendre, et toucher : aurait-il des sensations qui ne lui parviendraient pas par les organes des sens , et le fameux axiome : Nihil est in intellectu quod prius non fuerit in sensu, éprouverait-il ici une modification ? Nous ne le pensons pas, parce que le somnambule se conduit le plus ordinairement d’après les impressions produites dans l’état de veille, lesquelles ont certainement été reçues et transmises à l’encéphale par les organes des sens.

Les différens ouvrages publiés sur les songes et le somnambulisme sont remplis de faits les plus curieux, les plus extraordinaires sur les individus qui se trouvent dans cet état. Fidèles aux impressions habituelles déterminées par leur profession, on a vu des postillons, des cochers se lever, descendre à l’écurie, détacher leurs chevaux, les conduire à l’abreuvoir, les étriller, changer [p. 31] leur litière, et venir ensuite se recoucher sans se réveiller, après avoir mis dans l’exercice de toutes ces actions la même précision, la même justesse que dans l’état de veille. Il est d’autres somnambules qui, dirigés par des impressions diflérentes, montent sur les fenêtres, sur des lieux élevés, escarpés ; et comme les sens inactifs chez eux ne les avertissent pas de ce qui peut menacer leur existence, on les voit assez fréquemment se précipiter des toits, des escaliers, surtout si l’on a l’imprudence de les réveiller au moment où ils se trouvent placés dans une position dangereuse.

Dans le somnambulisme, comme dans les rêves, les facultés intellectuelles acquièrent souvent une énergie plus grande. On lit dans l’ancienne Encyclopédie qu’un jeune ecclésiastique somnambule se levait toutes les nuits, prenait du papier, de l’encre, des plumes, écrivait et composait des sermons, relisait tout haut et d’un bout à l’autre la page qu’il venait de terminer, et corrigeait avec beaucoup de justesse les défauts de ses productions. Tissot parle d’un étudiant en médecine de Leipsikc qui se levait aussi tout endormi, relisait les notes qu’il avait prises à ses cours, cherchait et trouvait dans le dictionnaire plusieurs mots qui l’embarrassaient, et agrandissait ainsi la sphère de ses connaissances. Henricus ab Heers cite l’exemple d’un jeune homme qui fit et écrivit pendant son sommeil des vers latins très-coulans, à la composition desquels sa muse capricieuse s’était refusée durant la veille.

Dévoilerai-je ici les étonnans miracles du somnambulisme magnétique ? Un Hébreu fut jadis frappé de mort pour avoir eu la témérité de toucher l’arche d’Israël. Les livres, mystérieux dépositaires des prodiges magnétiques, sont des objets sacrés pour les vrais croyans ; et j’aurais à redouter la foudre de ces coryphées, si, dans ma coupable incrédulité, j’osais y porter une main profane.

Les faits curieux que nous venons de citer, tout en prouvant [p. 32] l’influence puissante des facultés intellectuelles sur les phénomènes du somnambulisme, nous laissent dans une complète ignorance sur leur explication. Bornons-nous à les connaître ; évitons l’écueil funeste où viennent se briser toutes les idées hypothétiques, et sachons que la nature couvre souvent ses opérations d’un voile impénétrable que nous tenterions en vain de déchirer.

Après avoir exposé l’ensemble des circonstances relatives au sommeil général et partiel, il ne nous reste plus, pour achever le tableau du sommeil considéré sous le rapport physiologique, qu’à tracer les phénomènes qui signalent le réveil.

Du réveil. Puisque le sommeil n’est autre chose que la suspension plus ou moins prolongée des fonctions locomotrices sensoriales et intellectuelles, n’est-ce pas définir le réveil que l’appeler le retour de l’activité de toutes ces fonctions ? Ses causes varient suivant qu’il est lent ou brusque. Le réveil lent, qui est le plus naturel, est déterminé par la nécessité qu’éprouvent les organes suffisamment réparés de reprendre leur exercice ; le retour de la lumière, les différens bruits qui viennent frapper notre oreille, le besoin d’expulser l’urine et les matières fécales accumulées pendant la durée du sommeil, se réunissent à cette cause pour déterminer le réveil naturel. Celles du réveil brusque subit se trouvent dans des rêves effrayans, ou dans l’action de quelque excitant extérieur porté sur nos organes ; les phénomènes de ces deux espèces de réveil, les effets qu’ils produisent diffèrent beaucoup. Le réveil est-il brusque, les différens organes sensoriaux restent quelque temps engourdis ; l’œil perçoit imparfaitement la Iumière, l’oreille les sons, les surfaces olfactives les odeurs ; la locomotion est gênée, lourde, la respiration embarrassée : de là les bâillemens, les pandiculations pour rétablir la contractilité musculaire ; les facultés intellectuelles partagent cet état d’engourdissement, et l’on voit enfin se développer les phénomènes qui caractérisent l’invasion du sommeil. Les philosophes ont senti les inconvéniens du réveil [p. 33] brusque ; c’est pour les éloigner que le célèbre Montaigne faisait réveiller son fils au son de deux flûtes, dont les tons doux, harmonieux s’élevaient graduellement à mesure que l’enfant reprenait l’exercice de ses organes. Quand le réveil est lent, au contraire, toutes les fonctions acquièrent une activité bien marquée ; la lumière, le son, les odeurs sont facilement perçus ; la locomotion s’exerce avec aisance et facilité ; les facultés intellectuelles ont repris toute leur vivacité ; enfin un bien-être général dispose nos parties à concourir d’une manière douce aux plaisirs de notre existence.

SECTION II.

Du Sommeil considéré sous le rapport pathologique.

Le sommeil ne se manifeste pas toujours suivant le rhythme ordinaire de nos fonctions ; les troubles apportés dans leur exercice par les différentes maladies étendent leur influence sur lui, et l’exposent ainsi à une foule d’altérations. Ces altérations présentent à l’observateur des signes précieux pour le diagnostic d’un grand nombre de maladies, et les crises qui peuvent les accompagner ; on conçoit combien leur connaissance est importante. C’est le sommeil ainsi considéré sous le rapport de ces altérations et des indices qu’il fournit à la séméiotique que nous allons maintenant examiner. Nous terminerons son étude en indiquant le moyen précieux qu’il fournit pour la thérapeutique de plusieurs affections.

Du Sommeil considéré dans ses altérations par les différentes maladies. Ces altérations sont nombreuses, et relatives 1.° à sa durée, 2.° à ses phénomènes.

La durée du sommeil peut être augmentée ou diminuée dans les maladies.

Elle est quelquefois augmentée dans le cours de certaines fièvres [p. 34] aiguës, comme la fièvre inflammatoire, muqueuse, adynamique, après les accès de certaines affections nerveuses, comme l’hystérie, l’épilepsie. N’est-ce pas à un état nerveux maladif qu’on doit rapporter le sommeil prolongé de l’anatomiste Bertin, dont Condorcet nous a exposé les détails dans l’éloge qu’il a consacré à la mémoire de ce médecin ? Les commotions du cerveau, sa compression par des épanchemens, par des esquilles, les différentes affections soporeuses, telles que la léthargie, le coma, le carus; tous ces états morbides ne sont-ils pas marqués par un sommeil presque continuel ? La durée du sommeil est abrégée dans le début de presque toutes les maladies aiguës, et dans plusieurs maladies chroniques, comme la phthisie, le cancer, et différentes autres altérations organiques ; on observe surtout cette courte durée dans l’invasion et le commencement des aliénations mentales : ne sait-on pas que, dans la manie délirante, dans l’hypochondrie, un grand nombre de jours s’écoulent souvent sans sommeil ? Ces insomnies peuvent aussi dépendre de mauvaises digestions, et d’un exercice trop prolongé des facultés intellectuelles ; telle était celle qu’éprouva le célèbre Haller : il passait des nuits entières sans repos, et il ne parvint à rappeler le sommeil qu’en s’abstenant de substances animales , en faisant usage d’un vin généreux pris en petite quantité, et en donnant du relâche à ses facultés intellectuelles trop excitées. Les différentes maladies peuvent encore altérer le sommeil dans ses phénomènes concomitans : c’est ainsi qu’il est marqué par des rêves sinistres, effrayans, dans le début de certaines fièvres, comme les sièvres inflammatoire bilieuse, ataxique : dans les fièvres adynamique ataxique, les malades rêvassent souvent, et ne jouissent que d’un sommeil fatigant. Dans les altérations organiques du cœur, dans les hydropisies et les divers épanchemens du thorax, le sommeil est sans cesse interrompu par des réveils en [p. 35] sursaut, qui augmentent l’anxiété qu’on remarque généralement dans ces affections. Le cauchemar est une altération bien remarquable du sommeil, et nous pensons que c’est à leur examen qu’il doit être rapporté plutôt qu’à celui des rêves, et du somnambulisme, qu’on ne doit pas faire entrer dans le domaine de la pathologie ; déterminé par des digestions pénibles, par la présence des gaz dans l’estomac, caractérisé par des rêves effrayans, par le sentiment d’un poids affreux qui oppresse la poitrine, il laisse toujours après lui un état de malaise et d’engourdissement général dans l’exercice des fonctions.

Du Sommeil considéré sous le rapport de la séméiotique. La manière dont le sommeil s’exerce, soit à t’invasion, soit pendant le cours des maladies, a été prise en considération par les médecins, comme pouvant fournir des signes importans propres à établir le diagnostic et le prognostic. Un sommeil calme, long, profond, périodique, se rapprochant ainsi du sommeil parfait, est d’un bon augure dans les maladies aiguës ; est-il au contraire de courte durée, agité, entrecoupé de rêves sinistres, on a à craindre que la maladie ne revête un caractère fâcheux ; et le médecin doit alors redoubler d’attention sur la marche des symptômes. Celui qui survient après l’hystérie, l’épilepsie, le délire, est salutaire quand il est long et tranquille ; celui, au contraire, qui est inquiet, troublé par des grincemens de dents, entrecoupé de réveils en sursaut, est le prélude des convulsions, plus particulièrement encore chez les enfans, quand les yeux sont ouverts, fixes et brillans, Chez les maniaques, le retour du sommeil est d’un présage favorable pour le rétablissement de la raison ; mais s’il se prolonge pendant long-temps avec persistance de délire, il peut être regardé comme une marque presque certaine de l’incurabilité, ou du moins d’une durée très-longue de la maladie. Quand le sommeil est remplacé par une longue insomnie dans les affections aiguës, le délire ne tarde pas à se manifester. [p. 36]

Les songes qui accompagnent le sommeil ont été regardés par Hippocrate, Galien, Fernel, Stahl, et Desjardins comme pouvant fournir aussi des signes propres au diagnostic de plusieurs maladies : ils se fondent sur l’influence des effets physiques sur les opérations de l’entendement ; mais il faut distinguer les rêves produits par les sensations acquises au moyen des impressions extérieures, ou par la prolongation de celles que nous recevons pendant la veille, des rêves qui trouvent leur source dans certaines dispositions intérieures de nos parties. Les premiers doivent être rejetés par le médecin, comme ne fournissant rien à la séméiotique ; les seconds, au contraire, doivent être pris en considération, parce qu’ils ont quelque valeur dans cette partie de la pathologie. Les songes qui représentent à un homme affaibli par une longue maladie des tables couvertes d’alimens, indiquent le retour des voies digestives à leur état naturel, et celui de l’appétit ; ceux dans lesquels le malade se croit entouré de mers, de rivières, sont des signes assez certains des différentes hydropisies : Boërhaave dit avoir connu des personnes qui pendant longtemps avaient rêvé qu’elles nageaient ou se précipitaient dans l’eau, et dont les cadavres lui avaient offert un cerveau inondé de sérosité. Suivant Fernel, les songes qui déterminent la sensation d’un coup porté sur une partie du corps annoncent un état de souffrance intérieure, ou l’invasion d’une maladie. Manget, dans sa Bibliothèque de médecine pratique, cite l’exemple d’un homme qui, ayant rêvé qu’un soldat lui lançait un violent coup de pierre sur le sternum, trouva sur cette partie en s’éveillant une forte contusion , qui menaça pendant quelques jours d’une dégénérescence gangréneuse. Un malade que soignait Galien rêva que sa jambe était transformée en pierre, et la vit peu de jours après frappée de paralysie. Les songes qui transportent certaines personnes au milieu d’un incendie ou de plusieurs objets qui leur paraissent colorés en rouge, sont, suivant Stahl, des signes précurseurs de l’épistaxis. [p. 37]

On voit, par tout ce que nous venons de dire, que les songes résultant d’une disposition intérieure de nos organes peuvent offrir des signes assez importans ; mais le médecin doit être réservé dans l’application de ces différens signes pour le prognostic et le diagnostic des maladies : il doit suivre avec beaucoup d’attention la série des idées qu’ils présentent avant de déterminer d’après eux l’état intérieur dans lequel peut se trouver l’économie animale.

Les crises ont beaucoup de connexion avec le sommeil ; un sommeil long, tranquille, profond, pendant lequel le médecin trouve le pouls égal et la peau moite, précède fréquemment des crises salutaires : survient-il immédiatement après une crise, il est encore d’un très-bon augure, et on peut le regarder alors comme réparateur de l’économie vivement ébranlée par les mouvemens critiques. Souvent il est lui-même l’agent qui opère les crises ;c’est ce qu’on observe spécialement pour les affections nerveuses, maladies dans lesquelles on a nié l’existence des crises, parce qu’on ne les a pas assez étudiées. C’est ainsi qu’il termine d’une manière partielle ou générale les accès d’hystérie, d’épilepsie, des affections vaporeuses, lorsque le cours de ces accès n’a pas été dérangé, interverti par une foule de remèdes mal entendus ; c’est ce que fait très bien remarquer M. Double, dans un mémoire sur le sommeil considéré comme crise dans plusieurs maladies.

Le sommeil est souvent aussi employé comme un palliatif bienfaisant dans ces affections désespérantes qui frappent le tissu de nos organes d’une effrayante destruction, et pour le traitement desquelles les ressources de l’art sont stériles. Quel précieux agent le médecin ne trouve-t-il pas dans l’opium pour calmer les douleurs intolérables qui souvent les accompagnent ? C’est par lui qu’il fait briller le rayon de la joie sur les traits flétris de cette malheureuse dont un horrible cancer détruit l’organe reproducteur ; [p. 38] c’est par lui que, berçant le phthisique des vaines illusions d’une guérison prochaine, il couvre de quelques fleurs la tombe prête à l’engloutir ;c’est par lui enfin que l’homme dont un fer conservateur va retrancher quelque organe altéré , oublie bientôt dans les charmes d’un doux sommeil les vives angoisses d’une opération douloureuse.

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