Henri Beaunis. Contribution à la psychologie du rêve. Article paru dans la « Revue de l’Hypnotisme et de la psychologie physiologique », (Paris), 19e année, n°1, juillet 1904, pp. 20-26.

beaunisrevesHenri Beaunis. Contribution à la psychologie du rêve. Article paru dans la « Revue de l’Hypnotisme et de la psychologie physiologique », (Paris), 19e année, n°1, juillet 1904, pp. 20-26.

Article paru également dans le Journal of American Psychologie (voir ci-dessous et en ligne) avec quelques modifications.

Henri-Etienne Beauvais (1830-1921). Nommé à l’agrégation de physiologie en 1863, il enseigna à la Faculté de médecine de Strasbourg e occupera la chair de physiologie de Nancy en 1872. Il associera son nom aux travaux de Bernheim et de Liébault. Il organisera en collaboration avec Alfred Binet, en 1892, le premier laboratoire français de psychophysiologie. Sa formation le conduisit à séparer la psychologie de la philosophie.
Quelques-unes de ses publications :
—  Suggestion à 172 jours d’intervalle. « Revue philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), dixième année, tome XX, juillet à décembre 1885, pp. 332-333. [en ligne sur notre site]
—  Le somnambulisme provoqué. Etudes physiologiques et psychologiques. Deuxième édition augmentée. Paris, J.-B. Baillière et Fils, 1887. 1 vol. Dans la Bibliothèque scientifique contemporaine.
—  Les sensations internes. Paris, Félix Alcan, 1889. 1 vol. Dans la « Bibliothèque Scientifique Internationale».
—  Nouveaux éléments de physiologie humane comprenant les principes de la physiologie comparée et de la physiologie générale. Troisième édition, revue et augmentée, avec figures intercalées dans le texte. Tome premier. Prolégomènes. Chimie physiologique. Physiologie générale. – Tome second. Physiologie spéciale. Physiologie de l’espèce. Technique physiologique. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1888. 2 vol. in-8°.
—  [sous le pseudonyme de ABAUR Paul] (1830-1921). Contes physiologiques. Madame Mazurel. – l’autopsie. – L’obsesion. – La légende de l’orang-outang. – L’irrésistible. – Le délire. Le Docteur Micaper. – Abeille. Paris, Société.
—  Impressions de campagne. Paris, Félix Alcan et Berger-Levrault et Cie, 1887. 1 vol.
—  Contribution à la psychologie du rêve. « The American Jiurnal of Psychology », Vol. XIV, n°3/4, (Jul.-Oct.- 1903, pp. 271-287. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 26]

Contribution à la psychologie du rêve

par M. le Professeur H. Beaunis
Directeur honoraire du Laboratoire de Psychologie physiologique de la Sorbonne.

Par l’analyse, les phénomènes du rêvet se décomposer en trois phases qui se succèdent rapidement.

1°Une impression provenant soit de l’extérieur (impressions sensorielles, bruit, sensations tactiles, etc.), soit des organes (sensations internes, sensations musculaires, génitales, etc.), constitue le point de départ initial du rêve, phase d’excitation initiale.

2°L’excitation initiale se transmet à certains centres cérébraux dont elle met en jeu l’activité sous forme de souvenirs, phase du souvenir.

3°De ces centres l’excitation s’irradie dans un plus ou moins grand nombre de centres cérébraux sensitives, moteurs et psychiques, et produit [p. 27] ainsi la multiplicité et la variété phénoménale du rêve, phase d’irradiation.

En ce qui concerne la première phase, il est certain que toutes les impressions sensitives provenant soit de l’extérieur, soit des organes peuvent devenir le point de départ de rêves. Chez moi ce point de départ se trouve spécialement dans les sensations tactiles, musculaires et dans les impressions partant des organes digestifs.

On peut se demander si, dans la production du rêve, cette première phase est nécessaire et si les centres cérébraux dans lesquels surgissent des souvenirs ne peuvent pas entrer en activité par de simples variations de pression sanguine, des changements de composition du sang, des actions chimiques, etc., en dehors de toute incitation sensitive. La question est presque impossible à résoudre ; cependant je serais porté à répondre par l’affirmative. Certains aliments, le gibier par exemple, qui produisent des toxines, détermine constamment chez moi des rêves plus fréquents, plus intense et plus compliqué.

Les souvenirs qui constituent la deuxième phase peuvent se rattacher aux événements soit du jour même, de la veille ou des jours précédents, soit, moins souvent chez moi, de périodes antérieures quelquefois très éloignées. Je dois remarquer que même dans ce dernier cas, ma personnalité actuelle était toujours conservée ; jamais je n’ai rêvé que j’étais enfant ou jeune homme, même quand mes rêves se rapportaient à des événements de ces périodes de mon existence.

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 Avant d’aborder les caractères de mes rêves je noterai les points suivants :

Je n’ai jamais pu rêver à volonté ni déterminer d’avance les sujets et les caractères de mes rêves. Jamais non plus je n’ai pu volontairement mettre fin à mon rêve en me réveillant.

D’après ce que j’ai observé sur moi-même, je suis porté à croire que je rêve toutes les nuits. Je n’irai pas cependant jusqu’à dire qu’il n’y a pas de sommeil sans rêve ; ce serait peut-être trop absolu. Mais je crois que c’est seulement dans le sommeil naturel profond et dans le sommeil hypnotique sans suggestion qu’on rencontrera l’absence complète de rêve et l’inactivité absolue de la pensée. ( Voir mon livre, Le somnambulisme provoqué, 2° Edit. p. 210). En tout cas, les rêves dont je me souviens nettement sont ceux qui se présentent dans la seconde moitié de la nuit.

J’étudierai successivement la façon dont se comporte chez moi les diverses aux images mentales dans le rêve.

Images visuelles. – Je suis un visuel, mais un visuel incomplet. Si je ferme les yeux et que je veuille me représenter mentalement un objet, un arbre, une personne, l’image mentale n’a jamais la netteté de l’image réelle ; les images sont toujours un peu indécises, un peu floues, [p. 21] comme en grisaille ; les couleurs sont un peu passées ; c’est plutôt une sorte de vision mentale plus facile à comprendre qu’à expliquer. Si j’entends prononcer un mot, je vois le mot imprimé, en caractères ordinaires, plutôt que l’objet lui-même est souvent c’est le mot seul que je vois. Je dois dire que j’ai beaucoup lu et que, soit habitude, soit organisation innée, je lis des yeux seulement et très rapidement.

Dans mes rêves, les images visuelles ont à peu près les mêmes caractères de vague et d’indécision ; en général les objets sont vus plus nettement que les personnages, les mots plus que les objets, les dessins (dessins d’anatomie et d’histologie par exemple), les cartes plus nettement encore.

Cependant, dans mes rêves en grisaille comme je les appelle, certains objets, certaines figures peuvent présenter une netteté de contours et de couleurs presque comparables à la réalité, mais c’est toujours limité à une fraction de l’étendue visuelle du rêve, fraction qui joue le rôle principal et sur laquelle je fixe mon attention. J’ai même conscience que l’effort d’attention augmente la netteté de l’image. En tout cas, il est très rare chez moi que les images mentales visuelles soient au civil que dans la réalité.

Les images auditives ne sont jamais chez moi très intense ; j’entends nettement des voix, mais elles sont comme assourdis, voilées ; ma propre voix, sauf de rares exceptions, m’arrive avec les mêmes caractères. Je noterai que, quoiqu’aimant beaucoup la musique et en attendant assez souvent, je n’ai jamais entendu en rêve de symphonies ou d’auditions musicales réelles ; tout s’est borné à quelques fragments de café-concert ou à quelques refrains grotesques (une seule. Cependant un air de la Favorite). Rien de spécial pour les sensations tactiles et les sensations de température. Je n’ai ressenti que très rarement de douleur, quelquefois seulement un peu de gêne ou de fatigue.

Autant qu’il m’en souvienne, je n’ai jamais eu de sensations olfactives. Une seule fois j’ai éprouvé une sensation gustative très nette.

Je ne m’arrêterai pas sur les sensations génitales : elle ne présente rien de particulier.

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Absence de référence.

Les sensations organiques jouent chez moi un rôle assez important et constituent les éléments d’un grand nombre de mes rêves. Spécialement les besoins correspondants aux fonctions du rectum et de la vessie se présente souvent dans mes rêves et parfois dans les circonstances les plus invraisemblables et les plus grotesques sur lesquelles il est inutile d’insister.

Les sensations de mouvement (images motrices) sont un des éléments les plus importants de mes rêves. Je ne suis pourtant pas un moteur ; quand je lis un mot, je ne le prononce jamais mentalement ; cette tendance motrice, cette ébauche de mouvement ne se montre chez moi que pour les chiffres, et très faiblement encore, jamais pour les mots.

Les rêves de mouvement consistent en marches, courses, ascensions quelquefois pénibles, descentes, très rarement chutes dans des précipices. [p. 22] Un rêve que j’avais souvent autrefois, c’était de voler à un ou deux mètres au-dessus du sol en parcourant ainsi d’un bond léger dix à vingt mètres ; c’était pour moi une sensation délicieuse de légèreté et de vitesse en même temps qu’une vive satisfaction d’amour-propre d’avoir résolu le premier le problème de la locomotion aérienne et cela sans mécanisme particulier et en vertu d’une organisation supérieure. Ce rêve a tout à fait cessé depuis une vingtaine d’années.

Je n’ai presque jamais rêvé que j’écrivais. J’ai passé cependant une partie de mon temps à écrire. Le même fait a déjà été signalé par Guardia qui a énormément écrit et n’a jamais rêvé qu’il écrivait. Je n’ai jamais non plus rêvé que je dessinais ou que je modelais, ce qui m’arrive assez souvent en réalité.

Pour ce qui concerne la parole, je renverrai aux rêves intellectuels.

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 Sujets des rêves. — Mais rêves portent tantôt sur des objets inanimés, connus ou non (paysages, monuments, etc.), tantôt sur des personnes connues ou imaginaires ; ou bien ce sont des scènes dans lesquelles je joue ordinairement un rôle actif non pas seulement un rôle purement contemplatif

Les objets ou les personnes connues ne sont jamais tout à fait semblables à la réalité ; souvent même il n’y a qu’une ressemblance lointaine, ce qui ne m’empêche pas de les dénommés sans hésitation. Pour les personnes imaginaires, il m’arrive souvent de leur attribuer un nom, celui d’un personnage célèbre par exemple, sans que je sache pourquoi.

J’ai vu passer souvent en rêve des personnes mortes de la famille ou de mes amis sans que je puisse me rendre compte des motifs qui m’ont fait apparaître telle personne plutôt que tel autre. Ainsi je n’ai jamais vu ni mon père, ni ma mère, tandis que j’ai vu plusieurs fois un frère et une sœur.

Dans ces rêves de personnes décédées, je ne puis être d’accord avec de Sanctis qui prétend que l’image d’une personne chère qu’on a perdue ne peut être jamais vu en rêve que longtemps après la mort. J’aurais occasion de revenir plus loin sur ce genre de rêve.

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J’arrive maintenant au rêve que j’appellerai rêves intellectuels.

L’activité psychique peut, dans certains cas, se manifester dans le rêve dans des limites assez étendues et peut se traduire par le fonctionnement des centres cérébraux supérieurs. On peut, en effet, dans le rêve, analyser, comparer, juger, raisonner ; la tension peut se porter volontairement sur tel ou tel sujet ; on discute les questions les plus abstraites ; la plupart du temps, les raisonnements sont faux, les [p. 23] discussions étranges, les conclusions erronées, mais il n’en est pas toujours ainsi.

En tout cas, je puis conclure de mes observations que la conscience subsiste dans le rêve, dans son intégrité, et je ne pourrais admettre la distinction, qui me paraît tout à fait arbitraire, que font Spitta et Radestock entre la conscience de soi qui serait supprimé dans le rêve et la simple conscience qui serait seule conservée. La personnalité et le sentiment du mois ont toujours été conservés dans mes rêves. Je n’ai jamais observé de dédoublement du moi dont ont parlé quelques auteurs.

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Les sentiments affectifs sont en général très affaiblis chez moi dans le rêve est bien moins intense que dans la réalité. Jamais de terreurs, sauf dans les cauchemars que j’avais étant enfant, jamais de peurs réelles ; un peu d’appréhension (rêves dans lesquels je courais quelque danger, rêve que j’allais être opéré, etc.), Un peu d’inquiétude, de honte (certains rêves où je jouais un rôle ridicule), de l’ennui, c’est à cela que se bornent, en général, les émotions désagréables de mes rêves. Les sentiments agréables sont plus intenses (plaisir de la locomotion aérienne, ravissement devant un beau paysage). Le sentiment de l’amour-propre, si j’en juge d’après quelques cas, est assez prononcé ( rêve de locomotion aérienne).

Un fait à noter, c’est que dans les rêves de personnes mortes, je n’éprouve ni douleur de les avoir perdues, ni joie de les revoir vivantes en rêve. Je n’éprouve d’autre sentiment que de l’étonnement, de la surprise. Il en est de même quand je rêve que des personnes vivantes sont mortes, même des personnes qui me sont chères.

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Dans le cours de mon existence déjà longue (je suis né en 1830), j’ai pu suivre l’évolution de mes rêves et les variations que l’âge a pu leur faire subir. Laissant de côté mon enfance et mon adolescence sur lesquels mes souvenirs ne sont pas assez précis, je puis dire d’une façon générale que les sujets de mes rêves ont varié suivant mes occupations habituelles.

Jusqu’à 30 à 35 ans, mes rêves étaient surtout des rêves visuels (paysages, villes, etc.) et des rêves de mouvement, parmi lesquels je mentionnerai ce rêve de vol aérien qui se répétait fréquemment ; dès que mes fonctions de professeurs commencèrent, je rêvais très souvent que je faisais mon cours et ce genre de rêve cessa presque complètement quand je pris ma retraite. Vers l’âge de 50 ans, les rêves de locomotion aérienne disparurent tout à fait. Les rêves à proprement parler intellectuels ont commencé quand je m’occupai spécialement de questions psychologiques et surtout quand je fus nommé directeur d’un [p. 24] Laboratoire de Psychologie physiologique. Les rêves littéraires coïncident avec une période où ma santé, n’interdisait tout travail scientifique, je me rejetais sur des travaux littéraires auxquels j’avais toujours pris, du reste, un très vif plaisir. Les rêves à caractère grotesque ont à peu près disparu depuis une dizaine d’années.

À propos de l’influence des préoccupations habituelles sur les sujets des rêves, je mentionnerai les deux exceptions suivantes :

Pendant plusieurs années, à Nancy, j’ai consacré beaucoup de temps à l’étude des phénomènes de l’hypnotisme, et cette question me préoccupait vivement tant au point de vue physiologique qu’on point de vue psychologique. Jamais, pourtant, je n’ai rêvé que j’hypnotisais ou fait un rêve se rapportant à cette question.

Pendant la guerre de 1870-1871, j’ai subi le siège de Strasbourg où j’avais un service d’hôpital ; j’ai fait, dans les conditions que l’on sait et que j’ai décrites (Impressions de campagne), les campagnes de la Loire et de l’Est comme médecin en chef d’ambulance. Jamais, dans cette période où tout mon être n’avait qu’une pensée, la guerre à laquelle j’assistais, jamais je n’en ai rêvé.

Si les sujets de mes rêves ont varié, comme je l’ai dit plus haut, dans le cours de mon existence, les caractères mêmes de mes rêves n’ont pas varié. Les images mentales se sont toujours présentées dans les mêmes conditions ; ce sont toujours les mêmes tableaux en grisaille, les mêmes voix assourdies et la description que j’en épelle ci-dessus reste valable pour toutes les périodes de mon existence.

Actuellement, mes rêves sont surtout des rêves visuels dans lesquelles l’élément moteur joue un rôle de moins en moins considérables.

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 Jusqu’ici, les auteurs qui se sont occupés de cette question ont étudié surtout l’influence des phénomènes psychiques de la veille sur le rêve ; il me semble que l’autre face de la question, savoir l’influence du rêve sur les phénomènes psychiques de la veille, mérite aussi d’être étudié et j’essaierai, aussi brièvement que possible, d’en faire ressortir l’importance. S’il y a une action des idées sur les rêves, il y a aussi une réaction inverse du rêve sur les idées.

On sait quel rôle considérable jouait les sombres chez les peuples primitifs et chez les anciens ; même encore aujourd’hui, dans les classes inférieures, cette influence s’est conservée et la clé des songes constitue avec l’Almanach et les histoires de brigands le fonds de la bibliothèque du colporteur. Chez les êtres ignorants et grossier, comme on le voit dans les temps barbares ou dans les époques troublées, comme au Moyen Âge, par exemple, les rêves prenaient une importance dont il nous est difficile actuellement de nous faire une idée. Les légendes qu’on trouve à l’origine de toutes les religions, les croyances aux êtres fantastiques les plus invraisemblables, les visions des mystiques, les [p. 25] manifestations quelquefois si étranges de l’art primitif (hindou, étrusque, etc.), ont en grande partie leur point de départ dans les souvenirs du rêve du rêve à la vision, il n’y a qu’un pas à franchir. La vision n’est qu’un rêve prolongé qui a laissé son empreinte dans un cerveau surmené, surexcitable est malade. L’Apocalypse de Saint-Jean n’est qu’un long rêve sur lequel a vécu le Moyen Âge. Ce sont les rêves des mystiques qui ont engendré cette doctrine de l’Adoration du Sacré-Cœur, qui a transformé le catholicisme, et on sait qu’elle est aujourd’hui l’influence de cette doctrine sur les consciences.

Si on envisage cette question du rêve à un point de vue strictement philosophique, on peut dire, fait déjà entrevu par quelques auteurs, que la croyance à la survivance après la mort à son germe dans le rêve. C’est, du moins, me semble-t-il, la seule explication rationnelle qu’on puisse en donner, si l’on consent à lui chercher une explication rationnelle.

Voilà un homme primitif, ignorant, qui, dans un rêve, voit apparaître un être qu’il a perdu, père, frère, compagne. C’est peut-être lui parle, va, vient, agit dans les occupations auxquels il se livrait de son vivant. Il en conclura naturellement que cette lettre n’est pas mort tout à fait et que quelque chose survit après le trépas. Ce qui survit ainsi ne peut-être le corps lui-même qui se corrompt et se détruit. C’est donc quelque chose à côté du corps est distinct de lui. Comme les images du rêve sont en général peu intenses et affaiblies, ce quelque chose qui survit doit être une sorte de forme vague, un double, une ombre. Puis, graduellement, cette idée qui ne s’est développée ni en un jour ni chez un seul homme, mais par une lente élaboration dans une série de générations, cette idée se transforme et s’épure ; de la croyance grossière à une ombre qui survit à la mort avec les mêmes goûts et les mêmes occupations que pendant la vie, se dégage peu à peu, dans ses diverses manifestations, la conception philosophique et religieuse d’une âme immortelle et d’une vie future, avec son cortège de récompenses et de châtiments. Je me borne à ces considérations que je ne puis développer ici. Elles suffisent pour montrer le rôle que joue le rêve dans les phénomènes psychiques et qu’elle est aussi son importance dans l’évolution religieuse et morale de l’humanité.

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Conclusions :

1° En prenant les précautions nécessaires, on peut avoir confiance dans les souvenirs des rêves tels qu’ils se présentent au réveil ;

2° les phénomènes du rêve peuvent se décomposer en trois phases : phase d’excitation initiale, phase de souvenirs, phase d’irradiation ;

3° La seconde phase semble pouvoir se produire en dehors de toute excitation initiale sensitive, sous une simple variation de pression ou de composition du sang (action chimique) qui agit directement sur un [p. 26] centre cérébral pour déterminer l’apparition d’un souvenir, point de départ du rêve ;

4° Les souvenirs qui apparaissent dans les rêves peuvent provenir d’événement du jour même, ou des jours précédents, ou d’époques plus ou moins éloignées. Les deux ordres de souvenirs peuvent s’amalgamer dans le même rêve ;

5° D’une façon générale, les sujets des rêves correspondent aux occupations habituelles ;

6° L’évolution biologique du rêve correspond assez exactement à l’évolution organique et psychologique de l’individu ;

7° Les cas sont fréquents dans lesquelles le rêve ne peut être ramené à une simple succession de tableaux ;

8° Les sentiments affectifs sont conservés dans le rêve, mais atténués. Cependant, chez moi, les sentiments de plaisir et d’amour-propre restent très vifs encore ;

9° La personnalité actuelle est conservée dans le rêve ;

10° La conscience de soi est conservée dans le rêve ;

11° On peut, dans un rêve, avoir conscience morale ;

12° Les manifestations psychiques les plus élevées : raisonnement, attention, comparaison, jugement, etc., peuvent se montrer dans le rêve (rêves intellectuels) ;

13° La volonté peut être conservée dans le rêve, mais elle est affaiblie. En ce qui me concerne, je n’ai jamais pu me réveiller volontairement au milieu d’un rêve ;

14° L’influence des rêves sur les idées et par suite sur les doctrines philosophiques et religieuses, a été méconnue et mérite d’être étudiée ;

15° Le rôle du rêve a surtout été très important chez les peuples primitifs et chez les anciens ;

16° Les visions ne sont que des rêves prolongés et transformés ;

17° La croyance à la survivance après la mort et à la vie future avec toutes ses conséquences philosophiques et religieuses à son germe dans le rêve.

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