Elie Méric L’imagination et le rêve prophétique] Extrait de la« Revue du monde invisible », (Paris), quatrième année (1901-1902), 1902, pp. 449-465, 513-522, 578-589.

Elie Méric L’imagination et le rêve prophétique] Extrait de la« Revue du monde invisible », (Paris), quatrième année (1901-1902), 1902, pp. 449-465, 513-522, 578-589.

Joseph Elie Méric (1838-1905). Écclésiastique français, docteur en théologie, philosophie et lettres, et professeur à la Sorbonne. Il fut président de la Société des Recherches Psychiques, dont il démissionna, puis en 1898 il créa l’Académie des sciences psychiques et devient directeur de sa La Revue du monde invisible qu’il publia pendant dix ans (1898-1908).Parmi ses très nombreux articles et ses ouvrages nous avons retenu :
— L’autre vie, Palmé (Paris), 1881
— Le Clergé sous l’Ancien Régime, Joseph-Élie Méric, 1890

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été ajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 449]

L’IMAGINATION
ET LE RÊVE PROPHÉTIQUE

Les images du monde extérieur pénètrent par le grand chemin des sens jusqu’à notre cerveau où elles persistent sous les noms d’images visuelles, auditives, gustatives, olfactives, motrices ; elles sont réglées par la raison, à l’état de veille, et livrées à elles-mêmes, pendant le sommeil.

Le rêve prend des caractères divers, tantôt ordinaires, tantôt extraordinaires, et même surhumains.

Dans le rêve ordinaire, notre âme reste encore en communication avec le monde extérieur, d’une manière particulière, et le rêve prend le caractère de l’impression, ou douce ou violente, qui modifie l’état des organes des sens. Une lumière qui passe, un bruit qui n’a pas l’intensité nécessaire pour nous éveiller, un parfum dont l’odeur pénétrante nous enveloppe devient le point de départ des incidents qui composent le rêve où nous jouons le rôle principal.

D’autres fois le rêve se rattache aux vives impressions que nous avons ressenties à l’état de veille, dans la journée, à nos pensées, à nos travaux, à nos conversations, à la dernière lecture ou au dernier entretien qui a précédé notre sommeil. En vertu de la force acquise, il semble que notre machine continue son mouvement accéléré et inconscient.

Il arrive aussi, souvent, que le rêve est l’effet de l’état pathologique de notre organisme, d’une souffrance chronique, d’une maladie qui commence, sans qu’aucun signe extérieur la révèle encore à l’observateur, d’une lésion secrète qui poursuit sourdement ses ravages, et ce rêve fournira des [p. 450] renseignements précieux au médecin dont le diagnostic était jusque-là incertain (1).

Nous n’avons étudié encore que le rêve ordinaire, celui qui relève de la psychologie et de la physiologie dans les limites de l’ordre naturel. Mais il faut bien le reconnaître, il existe aussi une catégorie de rêves, caractérisés par des signes particuliers, qui ne se rattachent ni à la causalité du monde extérieur, ni à l’état de nos organes, ni aux pensées et aux émotions ordinaires de notre vie. Je veux parler des rêves qui ont un rapport avec l’avenir, rêves prophétiques, mystérieux dans leur origine et leur nature et qui méritent un examen particulier.

Les faux savants en négligent l’étude, par impuissance ou par dédain ; ils ont peur de rencontrer le merveilleux et le surnaturel, et de paraître superstitieux ; ils parleront volontiers de centres nerveux, de la circulation du sang, des neurones, de tout ce qui constitue la partie matérielle du rêve, ils affecteront d’en négliger la partie élevée, celle par laquelle l’homme semble se détacher de ce monde et de son propre corps, pour entrer dans des régions inconnues, et défier, en quelque manière, l’espace et le temps.

Et, cependant cet aspect du problème du rêve attire invinciblement les esprits, Que faut-il penser des rêves par lesquels nous sommes avertis d’un malheur ou d’un danger, d’un événement important qui va s’accomplir loin de nous, des précautions que nous devons prendre et des actes que nous devons faire pour obéir à une autorité supérieure, divine ? Cette connaissance claire, précise de l’avenir est-elle toujours l’effet de l’imagination, si capricieuse dans ses fantaisies et secondée par le hasard ? Ne serait-elle pas au contraire le signe certain de ce miracle dont nous cherchons à établir la possibilité et la réalité ? Ne faut-il pas reconnaitre qu’elle excède, elle aussi, la puissance de l’imagination ?

J’avoue que ces questions m’intéressent bien autrement que le rôle d’ailleurs si difficile à déterminer, des alternances de [p. 451] l’irrigation sanguine cérébrale dans l’évolution du rêve et de l’équilibre entre les fonctions du moi splanchnique et du moi sensoriel.

Il faut, d’abord, exposer les faits ; nous en chercherons, ensuite, l’explication.

II

Nous réunissons dans la première classe les rêves prémo­nitoires d’une mort (2).

De Lady Sudeley, Toddington, Wincbcombe, Cheltenham .

6 juilllet 1887.

« Quatre ans avant mon mariage, C. W… était de mes amies, mais pas des plus intimes. Je me mariai et peu après elle se fit religieuse cloîtrée. Quoiqu’il nous fût toujours agréable de nous trouver ensemble, nous eûmes fort peu d’occasions de nous rencontrer pendant les quatre ans et demi qui s’écoulèrent entre mon mariage et sa mort. Je crois que je ne l’ai vue qu’une seule fois dans son costume religieux. En juillet 1882, j’appris qu’elle était malade ; mais comme j’avais beaucoup d’autres préoccupations, je ne pensais jamais à elle. Dans la nuit du 27 septembre 1882, je rêvai qu’elle était debout à côté de mon lit, en costume de religieuse et qu’elle me disait : « Pourquoi n’êtes-vous jamais venue me voir ? » Je lui répondis : « Vous demeurez si loin ! » Elle répliqua : « Je suis beaucoup plus près de vous que vous ne le croyez. » Ce rêve me fit une telle impression, que j’en parlai le matin à ma fille aînée et que j’écrivis le jour même à la sœur de C. W… pour avoir de ses nouvelles. Je vous envoie sa lettre. Il est peut-être bon que je fasse remarquer que je ne partageais nullement les opinions religieuses de C. W, et que le seul lien qui existât entre nous était le souvenir d’une amitié d’enfance.

« Ada SUDBLEY. » [p. 452]

A ce récit de Lady Sudeley était jointe une lettre de son amie, en date de Middelton Lodge, Bournemouth, le 30 septembre, commençant ainsi : « J’ai reçu votre lettre le mercredi soir et suis surprise que vous n’ayez pas appris que C… nous avait été enlevée le lundi 25., Il n’en est que plus étrange que vous ayez rêvé d’elle dans la nuit du mardi au mercredi. » La lettre continuait en disant que « la mort est survenue si vite et si imprévue, qu’on n’eut même pas le temps d’écrire et que nous avons reçu un télégramme lorsque tout a été fini ». On savait cependant que C… était malade. Le 17 décembre 1887, Miss Hanburg Tracy, la fille aînée de Lady Sudeley (E. Gurney), me dit qu’elle se rappelait parfaitement le récit que sa mère lui avait rait de son rêve, le matin même qui le suivit :

«  Je me rappelle que ma mère, en s’éveillant le matin, me dit qu’elle avait fait, au sujet de son amie Miss W… un rêve tel qu’elle éprouvait le besoin d’écrire aussitôt pour demander de ses nouvelles.

« Eva H. TRACY.

« 18 février 1887.

Nous pouvons ajouter ici un autre cas analogue, extrait également des papiers de M. Gurney :

14 mai 1888.

« Il y a quelques semaines, il m’est arrivé un fait bien curieux de voyage de la pensée. Un matin, à la première heure, il me sembla que je me trouvais au milieu d’une grande quantité de bouquets et de couronnes de fleurs entièrement blanches, tandis que près de moi un grand jeune homme, de consistance vaporeuse, mais parfaitement distinct, nous regardait. Je reconnus aussitôt en lui un ami d’autrefois, mais bien changé. Il n’était encore qu’un enfant lorsque je l’avais vu pour la dernière fois, dix ans auparavant.

« Dès ce matin même je dis à plusieurs membres de ma famille que H. B… était mort et que j’avais assisté à l’arrangement des fleurs en vue de ses funérailles.

« La semaine suivante j’appris de sa sœur que H. B … était [p. 453] mort, et qu’on l’avait enterré le jour même où je l’avais vu. On m’avait dit six semaines auparavant qu’il était de retour des Indes et que les siens craignaient beaucoup qu’il ne fût malade de la poitrine.

« Je vous signale ce cas parce qu’il est encore tout récent et que l’un de mes fils et ma belle-fille, qui habitaient alors avec moi, peuvent confirmer mon récit.

« M. C. B. »

« Vous trouverez sous ce pli une lettre de mon fils. Un autre de mes fils se rappelle distinctement aussi cet incident, mais aucun de nous ne peut fixer la date exacte. La lettre annonçant la mort et les funérailles fut lue à table pendant le déjeuner, et nous fîmes tous nos remarques sur l’étrange coïncidence. »

9 juin 1888.

« Cher monsieur, je me rappelle parfaitement qu’un matin, pendant le déjeuner, ma mère nous fit part d’un rêve qu’elle avait eu au sujet de H. B… , et que deux ou trois jours après nous reçûmes la nouvelle de sa mort. Nous avons constaté alors que le jour des funérailles coïncidait avec celui du rêve.

« C. H. B. »

De Mme Thompson Alexandre (Post-Office, sideup. Kent).

15 juin 1888.

« Je me souviens que pendant mon séjour à B…, en mars 1888, Mme C. B… dit pendant un déjeuner qu’elle venait de faire une sorte de rêve. Je ne m’en rappelle pas tous les détails, mais il était évident qu’ils étaient particulièrement nets dans ce rêve. Elle était dans une chambre au milieu d’une grande quantité de fleurs blanches qu’elle arrangeait en bouquets, lorsqu’elle vit à côté d’elle dans cette chambre la forme vaporeuse de H. B…, un de ses amis d’enfance. Elle ajouta qu’elle craignait bien qu’il fût mort, Quelques jours plus tard une lettre vint nous annoncer ce décès, Nous avons [p. 454] comparé les dates et Mme C. B… trouva que son rêve avait eu lieu le jour même des funérailles de H. B…

« M. T. »

C’est peut-être ici le moment le plus opportun pour rappeler l’apparition de Mme WebJey, insérée dans les Proceedings, III, p. 92. Il semble que l’imminence de la mort de la percipiente l’ait amenée à entrer en rapport plus étroit avec une amie qui, elle-même, était morte quelques jours auparavant,

Miss Cobbe a réuni deux ou trois cas de ce genre dans une petite brochure intitulée : The Peak of Darien.

J’y ajouterai deux exemples. Le premier concerne un clergyman qui ne veut pas que son nom soit publié ; il a été recueilli par le Rév. C. J. Taylor, membre de la Société des Recherches psychiques,

« 2 novembre 1885. »

« Les, 2 et 3 novembre 1870, je perdis mes deux fils aînés, David Edward et Harry, âgés respectivement de trois et quatre ans, qui furent enlevés par la scarlatine.

« Harry mourut le 2 novembre, à Abbot Langley, éloigné de 14 milles d’Apsey, où je suis vicaire. David succomba le lendemain à Apsey. Une heure environ avant sa mort, ce dernier se mit sur son séant dans son lit et montrant le pied du lit, dit de façon très nette : « Voilà le petit Harry qui m’appelle. » On m’a assuré qu’il ajouta : « Il a une couronne sur la tête. » Mais je ne me le rappelle pas, j’étais au reste si accablé par le chagrin et la fatigue des veilles, que cela a pu m’échapper. Mais je me porte garant de la vérité de la première partie, qui a été aussi entendue par la nourrice.

« Signé : X. Z., vicaire de H.»

  1. Taylor, dans des lettres et verbalement, fit connaître les détails suivants à M. Podmore :

« M. Z… m’affirme qu’il avait eu soin de cacher à David la mort d’Harry et qu’il est tout à fait certain qu’il l’ignorait. [p. 455]

  1. Z… était présent et a entendu les paroles de l’enfant. Celui-ci n’avait nullement le délire à ce moment.

« Charles TAYLOR. »

Le cas suivant a été communiqué par Miss Ogle, au Rév. J. A. Macdnald, qui, pendant plusieurs années, mit le plus grand zèle à recueillir des témoignages.

« Manchester, 9 novembre 1881.

« Mon frère John Alkin Ogle mourut à Leeds, le 17 juillet 1879. Une heure environ avant sa mort, il vit son frère décédé depuis 16 ans. Le regardant avec une ardente fixité, il s’écria : « Joe ! Joe ! » et aussitôt après il manifesta la plus vive surprise et dit : « George Hanley ! » Ce fait surprit ma mère qui arrivait de Melbourne, distante de 40 milles, où George Hanley avait habité. Elle dit : « Il est vraiment étrange qu’il voie George Hanley, mort depuis 10 jours. » Se tournant ensuite vers ma belle-sœur, elle lui demanda si quelqu’un avait appris à John la mort de George Hanley. Ma belle-sœur affirma que non. Ma mère était donc la seule personne présente qui connût ce fait. J’ai été témoin du fait ci-dessus.

« Harriet. H. OGLE. »

En réponse à quelques questions, Miss Ogle ajoute :

« J. A. Ogle n’était pas dans le délire et possédait toute sa conscience lorsqu’il prononça les mots que j’ai rappelés. George Hanley était seulement une connaissance de John, A. Ogle et non un ami intime. Ce dernier ne connaissait pas la mort de Hanley (3). »

III

Nous réunissons dans la seconde catégorie les rêves, pen­dant lesquels, des agents ou des entités intelligentes viennent [p. 456] nous avertir d’un grand danger : ces rêves ont un caractère objectif,

Dans le numéro de décembre 1901, la Lumièrea reproduit les phénomènes suivants :

Rêves prémonitoires.—Lightdu 3 août rapporte une série de rêves prémonitoires : I° Cas de Mme X.Mme X, rêva qu’elle se trouvait dans un vaste bâtiment avec des marches en pierre au dehors et d’autres en dedans conduisant dans un sous-sol : elle descend et voit des cadavres humains. Ce rêve lui laissa une impression très vive et tous les détails de la maison se fixèrent dans sa mémoire. Plusieurs jours après son beau-père vint du pays de Galles en visite, et son mari étant trop pris par ses affaires, elle eut la charge de montrer à son beau-père les curiosités de Londres ; un jour elle le conduisit à la galerie nationale des peintures. Le beau-père était un vieux baptiste très dévot et une peinture d’une scène de la vie du Christ attira particulièrement son attention. Il semblait absorbé dans la contemplation, mais tout à coup il chancela et tomba mort sur le parquet. On essaya de le ramener à la vie, mais vainement ; on plaça le cadavre sur une civière et on le transporta dans une maison mortuaire ; le mari de Mme X. fut prévenu par un télégramme et c’est Mme X. elle-même qui dut accompagner le corps. A son grand étonnement elle reconnut le bâtiment vu en rêve et le corps fut déposé précisément dans le sous-sol qu’elle avait vu. Tout lui était familier dans la maison, ce qui étonna beaucoup les personnes présentes.

2e M. Alfred V. Peters raconte : J’ai eu plusieurs rêves prophétiques. Étant enfant, j’habitais non loin de la Tamise qui venait inonder ses rives aux marées du printemps. Dans un rêve, je me promenais le long d’un canal… ; je ramassai un fragment cubique d’ardoise et au même instant un parent vint courir vers moi, me criant : « Rentre vite ! dis à ta mère que la marée monte rapidement et que la maison va être envahie par l’eau », et une voix venant de l’espace dit : « Souviens-toi ! » Peu après, tout arriva comme l’avait annoncé le rêve. Je marchais le long du canal ; je ramassai un fragment d’ardoise, le parent que j’avais vu en rêve courut vers moi, [p. 457] me disant les paroles que j’avais entendues dans le même rêve, et la marée envahit notre maison.

Une autre fois, je me trouvais encore, en rêve, sur les bords du canal et je vis un convoi mortuaire, mais bien que sentant qu’on inhumait un de mes parents, je ne pus m’approcher du convoi, retenu que j’étais par je ne sais quoi. Ce rêve se réalisa exactement. L’inhumation d’un oncle chéri eut lieu ; les membres de ma famille suivirent le convoi, mais j’étais alors très malade et très faible, si faible que je ne pus m’approcher du convoi, et ainsi je ne pus prendre part à la cérémonie funèbre,

J’ai en outre constaté que je puis quitter mon corps en plein jour, en restant simplement couché dans un état de passivité, chaque fois que je désire me rendre dans un lieu déterminé. C’est ainsi que je suis allé visiter des personnes de ma connaissance en des lieux que je n’ai jamais vus autrement, et après coup je décrivais aux intéressés ce qu’ils faisaient à un moment donné, et toujours tout fut reconnu exact… La distance n’est pas un obstacle, car je me suis rendu ainsi dans un hôpital du Labrador, où se trouvait l’un de mes amis, et une lettre vint confirmer ce que j’avais vu (4).

Rêve réalisé, par G. F. Leighton (Progr. Thinker, 13 août).

M. Leighton habitait Haverhill (Massachusetts) en 1885, et deux de ses sœurs vivaient ensemble à Newtonville, près de Boston, l’une Mme Tilton, l’autre S. P. Leighton. Cette dernière était malade depuis quelques jours. Une nuit, M. Leighton rêva (exactement à minuit selon son sentiment) qu’il était occupé à creuser un conduit souterrain, lorsqu’il entendit une voix lui dire : « Pendant que vous travaillez la terre, nous sommes venus pour ravir (waft away) l’esprit de votre sœur bien-aimée », et quand il leva les yeux, il vit s’élever un épais vol de colombes blanches, dont les pattes étaient immaculées comme si elles n’avaient jamais touché terre. Le matin, à son lever, il dit à sa femme qu’il allait prendre le train pour Newtonviile dans la crainte que sa sœur était morte. Il était [p. 458] déjà sorti de la maison quand il entendit comme une voix lui dire : « Racontez le rêve à votre femme, ce sera une bonne preuve. Dites-lui que votre sœur est morte à minuit précis. » Il revint et raconta tout à sa femme. Lorsqu’il arriva à Boston, il rencontra l’un de ses frères et une autre sœur qui se rendaient également à Newtonville. En arrivant là, devant la maison où habitait S. P. Leighton, ils virent la porte tendue de noir. Le frère de M. Leighton lui dit : « Notre sœur est morte ! —Oui. répliqua-t-il, elle est morte exactement à minuit ; les esprits sont venus me le dire. » Mme Tilton confirme que la mort avait eu lieu à minuit juste : quelques minutes auparavant elle avait adressé à Dieu cette prière : « O Dieu, envoie tes bons esprits pour me soutenir et envoie tes bons anges pour ravir (waft away) l’esprit de ma chère sœur. » Ce qu’il y a de particulier, c’est que la voix qui parla à M. Leighton dans son rêve se servit du même mot (waft away) que Mme Tilton employa dans sa prière ; or ni l’un ni l’autre n’avaient l’habitude de se servir de ce terme.

IV

Nous trouvons dans la troisième classe les rêves qui se produisent en même temps et de la même manière chez plusieurs personnes, sans aucune entente préalable.

Rêves simultanés identiques chez plusieurs personnes. —M. Wilh. Schweikert, de Feldkirch, près de Munich, adresse la communication suivante au Zeitschrift fûr Spiritismus(13 juillet 1901) : « La femme d’un de nos amis rêvait récemment d’abricots. A son réveil, elle pensa aussitôt à son rêve. Sa fille, âgée de cinq ans, qui avait dormi jusqu’à ce moment, vint dans le lit de sa mère, et ses premières paroles furent : « Maman, il y a ici une si bonne odeur d’abricots ! » Je dois dire que l’enfant n’avait aucune raison plausible pour parler d’abricots… Voici les réflexions que fait suivre la rédaction du Zeitschrift : Nous ne saurions faire mieux, pour l’explication de [p. 459] ces sortes de faits et pour offrir à nos lecteurs le récit de faits analogues, que de laisser la parole à Du Prel. Le spirite dirait que les abricots existaient transcendantalement dans la chambre, ou que la mère et la fille s’étaient trouvées en corps astral sous un abricotier. Voici comment s’exprime Du Prel :

« Chose singulière, les cas de transmission de pensée s’observent le plus souvent pendant le sommeil du percipient ainsi que de l’agent. Ce phénomène est assez connu sous le nom de « double rêve ».

« Si deux personnes endormies font en même temps le même rêve, avec complète concordance des détails, le phénomène ne peut avoir logiquement que deux sortes de causes. Ou bien 1° les deux cerveaux sont ébranlés par une troisième cause commune ; ou bien 2° la cause en réside dans l’un des deux cerveaux, dont les images se transmettent inconsciemment au cerveau de l’autre dormeur.

« Le premier cas peut se présenter s’il se produit dans la rue un bruit que les deux dormeurs interprètent de la même manière, Ainsi, d’après Abercrombie, un homme et une femme rêvèrent, incités par un bruit, que les Français avaient débarqué à Édimbourg, événement alors universellement redouté.

« Freiligrath donne un exemple de l’autre cas : Avant la révolution de février, dit-il, je songeais sérieusement à passer dans l’Amérique du Nord. Vers cette époque, ma femme lut un jour, je ne sais trop dans quel livre, au sujet de la dame blanche du château royal de Berlin, que souvent on la voyait à l’état de fantôme balayant une chambre. Elle se rappela que je lui avais parlé une fois, jadis, de l’apparition analogue d’une dame blanche dans le château de Detmold, et elle résolut de me demander, à mon retour du comptoir, si cette dame blanche avait également été vue parfois balayant une chambre. Le soir, j’apportai des lettres importantes d’Amérique : on parla activement du projet d’émigration et la question concernant le fantôme fut oubliée. La nuit, je me tournai et me retournai avec agitation dans le lit, et par là réveillai ma femme. Elle me demanda si j’étais malade. —Non, lui répondis-je, mais je suis poursuivi d’un rêve singulier. Dès que je me rendors, je vois la dame blanche balayer les [p. 460] appartements du château de Detmold, et cependant je n’ai jamais entendu dire qu’elle se montre en balayeuse. —Ma femme me raconta alors que la question qu’elle voulait m’adresser lui était revenue à l’esprit dans le sommeil…

« Schubert parle d’un psychologue qui, à l’époque où il était majordome dans la maison d’un fermier, eut exactement le même rêve que le fils aîné de celui-ci venu en visite. Mirville mentionne un homme célèbre qui eut toujours des rêves identiques avec ceux de sa femme. Si, par exemple, il rêvait d’un ami décédé, sa femme le voyait en même temps en rêve, dans le même lieu, sous le même costume, etc. Le professeur Nasse raconte qu’une mère rêvait qu’elle était attablée avec ses enfants, avec l’intention de les empoisonner avec des liquides. Elle leur demanda successivement lequel d’entre eux était disposé à en boire ; quelques-uns acceptaient, d’autres voulaient encore vivre. Lorsqu’elle sortit de ce rêve terrible, elle entendit gémir son fils, âgé de onze ans, et apprit, en le questionnant, que son rêve lui avait été transmis. Fabius raconte ce qui suit : Une femme de La Haye avait l’habitude d’inscrire chaque jour les petits événements familiers pour en faire part à sa fille qui vivait dans les Indes occidentales. Celle-ci faisait de même. Un jour, la mère rêva que le navire, auquel sa fille avait confié son avoir, à l’époque où elle préparait son retour dans la patrie, avait fait naufrage et péri corps et biens. Elle écrivit ce rêve à sa fille, mais cette lettre croisa une autre de celle-ci qui avait eu exactement le même rêve et le racontait à sa mère. Schopenhauer a donné des exemples analogues.

« On peut admettre, de prime abord , que cette transmission inconsciente de rêves se fait encore plus facilement dans le sommeil somnambulique, parce que le percipient dort plus profondément et se trouve en l’apport avec l’agent, le magnétiseur. Le Dr Werner soignait une somnambule, et il arriva souvent, à cette époque, que tous deux eussent simultanément les mêmes rêves, Bende Bendsen tenta la transmission directe. Il plaça son front contre celui de sa somnambule et pensa à une personne déterminée. La somnambule non seulement décrivit cette personne, mais encore fit le diagnostic de la [p. 461] maladie dont elle souffrait, une hémoptysie pour laquelle elle indiqua un remède qui fut employé avec succès. Voici un nouvel exemple de transmission inconsciente : le Dr Werner rapporte de la somnambule Selma : Elle rêva qu’elle allait avec sa sœur dans un comptoir d’huile pour acheter de l’huile de lin pour sa poitrine malade. La sœur fit le même rêve, avec ce détail en plus, qu’en route elles rencontrèrent un épa­gneul blanc à yeux rouges.

« La transmission de rêves ne concerne pas seulement les images normales du cerveau, mais encore celles qui ressortissent à la psychologie transcendantale. Ainsi, par exemple, comme on le sait, les représentations de la seconde vue peuvent par contact, être transmises à d’autres personnes. Kerner parle d’un nourrisson qui, pendant toute la durée de l’allaitement, eut part aux visions de sa mère et cherchait à les atteindre avec ses mains, Après le sevrage, ce rapport cessa d’exister. Crowe raconte que la mère et la fille, dormant dans le même lit, rêvèrent que le gendre, qui habitait l’Irlande, avait envoyé un message à la mère, mais que celle-ci l’avait trouvé mourant. Cette même nuit, le gendre mourut. Justi rapporte que sa femme et lui eurent la même nuit le même rêve symbolique relatif à la mort de leur garçon de neuf ans. Trois jours après, l’enfant mourut. Chez la voyante de Prévorst, il arriva que les visions fantômales qu’elle avait, apparaissaient en rêves aux personnes qui dormaient dans la même chambre qu’elle. Une fois, sa garde-malade eut la vision du père de la voyante ; celle-ci dormait paisiblement, mais raconta le lendemain qu’elle avait rêvé de son père. Le frère el la sœur de la voyante, qui habitaient loin d’elle, eurent la même nuit le même rêve.

« Que des visions mystiques de ce genre puissent se transmettre, il n’y a pas à s’en étonner, car bien que leur source soit différente, elles sont cependant identiques aux normales au point de vue du processus cérébral. » [p. 462]

On rangera dans cette dernière classe les rêves qui n’ont pas la même importance, et que l’on pourrait expliquer dans bien des cas par une coïncidence fortuite, comme il s’en produit souvent dans la vie.

Nous citons la Revue des sciences psychiques, du mois de novembre 1901.

Or, lisez, par exemple, le cas suivant, publié dernièrement par M. C. Flammarion :

« En 1868, j’avais alors dix-sept ans, j’étais employé chez un oncle établi épicier, 32, rue Saint-Roch. Un matin, après lui avoir souhaité le bonjour, encore sous l’impression d’un rêve qu’il avait eu dans la nuit, il me raconta que dans ce rêve il était sur le pas de sa porte, lorsque ses regards se portant dans la direction de la rue Neuve-des-Petits-Champs, il en voit déboucher un omnibus de ville de la Compagnie des chemins de fer du Nord, qui s’arrête devant la porte de son magasin. Sa mère en descend, et l’omnibus continue sa route, emportant une autre dame qui était dans la voiture avec ma grand’mère, laquelle dame, vêtue de noir, tenait un panier sur ses genoux,

« Tous les deux, nous nous amusions de ce rêve si peu en rapport avec la réalité, car jamaisma grand’mère ne s’était aventurée à venir de la gare du Nord jusqu’à la rue Saint­ Roch. Habitant près de Beauvais, lorsqu’elle voulait venir passer quelque temps chez ses enfants, à Paris, elle écrivait de préférence à mon oncle qui était celui qu’elle affectionnait le plus, et il allait la chercher à la gare, d’où il la ramenait en fiacre, invariablement.

« Or, ce jour-là, dans l’après-midi, comme mon oncle regardait les passants sur le pas de sa porte, ses yeux se portant machinalement vers le coin de la rue Neuve-des-Petits­ Champs, il voit tourner un omnibus du Chemin de fer du Nord qui vient s’arrêter devant son magasin.

« Dans cet omnibus il y avait deux dames, dont l’une était [p. 463] ma grand’mère qui en descend, et la voiture continue sa route emportant l’autre dame telle qu’il l’avait vue en rêve, c’est-à-dire vêtue de noir et tenant son panier sur ses genoux.

« Jugez de la stupéfaction générale ! Ma grand’mère croyant nous faire une surprise, et mon oncle lui racontant son rêve !

« Paul LEROUX,

 » Le Neubourg (Eure). »

« Supposons, ajoute le narrateur, que l’épicier de la rue Saint-Roch n’ait pas communiqué son rêve à son neveu. Qu’est-ce qu’il en serait advenu ? En assistant ensuite à la scène de l’omnibus, au coin de la rue Neuve-des-Petits­Champs, et aussitôt saisi par le sentiment du « déjà vu », il aurait raconté à sa grand’mère, à son neveu et à qui voulait l’entendre, le rêve qu’il avait fait la nuit précédente. La grand’mère, le neveu et les autres y auraient peut-être cru ; mais M. Bernard Leroy se serait écrié avec un peu de précipitation juvénile :

—En voilà un autre qui est dupe d’une illusion lui faisant croire que c’est dans un rêve qu’a eu lieu la première perception !

Et bien, pas du tout : l’oncle de M. Paul Leroux avait heureusement parlé de son rêve avantque la scène rêvée se reproduisit dans la vie réelle ; donc il s’agissait réellement d’un rêve prémonitoire ; doncM. B. Leroy se trompe en supposant que le souvenir d’avoir rêvé la scène qui donne lieu au sentiment du « déjà vu » ne soit toujours qu’une illusion, une erreur de la mémoire. —Et c’était M. Bozzano qui avait vu juste, tout simplement parce qu’il n’était pas retenu par la timide préoccupation de ramener tout fait inexpliqué aux limites des lois psychologiques acceptées actuellement par la science officielle —préoccupation dont parlait dernièrement le professeur Vailati, et qui est le plus grave obstacle à toute nouvelle conquête de la science,

L’oncle de M. Paul Leroux se souvenait parfaitement du rêve fait quelques heures auparavant, il avait à côté de lui un bomme qui le connaissait à son tour —par conséquent il n’a pas été saisi par le trouble mystérieux qui accompagne [p. 464] nécessairement le sentiment du « déjà vu », lorsque le percipient ne parvient pas à se rendre compte de l’origine du sentiment en question.

Si quelques semaines, ou quelques mois. s’étaient passés avant la réalisation du rêve, de façon à ce que le souvenir de celui-ci se soit effacé de la mémoire conscientede l’épicier et de son neveu, alors nos deux bonshommes se seraient évertués —peut-être en vain —pour comprendre comment la scène de l’omnibus ne leur était pas chose nouvelle.

Cette observation suffit à nous expliquer pourquoi ne sont pas plus nombreux les cas servant à prouver que la paramnésie tire parfois son origine d’un rêve prémonitoire. On vous vous souvenez parfaitement du rêve et vous vous en êtes même entretenu avec quelqu’un de vos familiers —et alors il s’agit sans contredit, non pas d’une paramnésie, mais d’un rêve prémonitoire ; ou bien le rêve n’a laissé aucune trace ou seulement une trace fort vague, dans votre mémoire consciente, et alors le lien qui rattache le sentiment du « déjà vu » au rêve n’est plus évident, et il est permis à M. le Dr Leroy et aux autres de le contester.

Mais si les rêves prémonitoires existent — et il y en a des centaines d’exemples bien documentés —ils doivent nécessairement,fatalementdonner lieu à des cas de paramnésie, lorsque ces rêves n’ont pas laissé de trace bien claire dans la subconscience du percipient.

On pourra contester la réalité des rêves prémonitoires, en contestant l’exactitude de l’observation des faits ; mais si on les admet, l’on ne pourra pas en nier la conséquence qui en découle, parce qu’elle est de toute évidence (5). »

VI

Tous ces rêves, si divers en apparence, se produisent pendant le sommeil naturel, et c’est à dessein que nous avons écarté les rêves du sommeil provoqué par des moyens artificiels. [p. 465]

Il est certain que l’hypnotisme et le magnétisme déterminent un sommeil différent et des rapports d’un ordre particulier entre le magnétiseur et son sujet. Jusqu’où peuvent s’étendre ces rapports, quelle est leur nature, d’où vient la redoutable et mystérieuse puissance du magnétiseur quand elle s’exerce à travers l’espace et à de grandes distances, nous n’avons pas à nous en occuper en ce moment.

Il nous suffit d’étudier le sommeil naturel, spontané et les rêves étranges dont il est l’occasion sans l’intervention de la volonté du sujet ou d’un agent connu.

Il nous parait difficile, je dirais même, logiquement impossible de contester que certaines personnes, plongées dans un sommeil naturel aient connu, ou prévu des événements éloignés, qu’elles aient été prévenues soit d’un danger imminent, soit d’une mort, par quelque apparition, que deux ou plusieurs personnes aient eu simultanément le même rêve et la même vision.

Cherchons l’explication de ces faits.

Élie MÉRIC.

[p. 513]

L’IMAGINATION
ET LE RÊVE PROPHÉTIQUE
(Suite)

I

Selon les spirites, le corps astral, sans cesser d’être uni à notre âme et à notre corps matériel, sortirait de nous, pendant le sommeil; vagabond et plus fort que toutes les barrières, il nous apprendrait au retour, ce qu’il aurait vu dans ses courses à travers l’espace, il se rendrait visible à nos parents et à nos amis dans les lueurs crépusculaires du songe, il nous ferait connaître les dangers qui nous menacent, les catastrophes qui vont se produire, les événements heureux ou malheureux qui vont s’accomplir, et nos prédictions à l’état de veille ne seraient quelquefois que la manifestation de ces connaissances nocturnes qui sommeillaient en nous, dans l’inconscience, c’est-à-dire dans les profondeurs de notre mémoire.

Qu’il se dégage de nos nerfs et de notre corps un fluide mal défini, peu connu ; que ce fluide produise des actions physiques, chimiques, physiologiques dont l’étude offre le plus grand intérêt ; que ces actions donnent lieu à des phénomènes de l’ordre psychologique où l’âme se trouve intéressée ; que l’étude approfondie de ces phénomènes puisse enfanter, un jour, des découvertes très importantes, voilà ce que je crois fermement, ce que j’ai constaté moi-même, ce que j’ai toujours enseigné.

Mais, que nous possédions un corps astral, fait à notre ressemblance, placé entre notre âme et notre corps ; que nous ayons la faculté d’envoyer ce corps à travers l’espace, rendre [p. 514] visite à nos amis ; qu’il se rende sensible, qu’il parle, qu’il manifeste sa présence, à la manière des êtres vivants, voilà ce que je refuse absolument de croire, parce que cette hypothèse romanesque ne repose sur rien, et n’expliqué rien.

Si, en réalité, nous avions deux corps sous nos ordres, l’un matériel, visible enfermé dans l’espace, et l’autre immatériel, astral, impalpable, nous devrions en avoir conscience, nous devrions le savoir et en constater la réalité quand nous réfléchissons sur nous-même, quand nous faisons l’analyse el la description expérimentale de nos facultés. Or, c’est en vain que vous faites consciencieusement cette observation intérieure, cette analyse impartiale, vous ne découvrez jamais en vous ce corps astral, et cette faculté de voyager avec lui, à travers l’espace, jusqu’à l’infini.

Et, cependant, si, durant le sommeil, quand notre personnalité est diminuée, quand la liberté et la responsabilité se trouvent instantanément suspendues. si nous avons le pouvoir de visiter nos amis, de leur apparaître et de leur parler par l’astral, nous devrions avoir ce pouvoir, à plus forte raison, à l’état de veille, en pleine possession de toutes nos facultés.

Essayez de vous servir de l’astral, à l’état de veille, pour acquérir des connaissances, pour apparaître au loin, à nos amis, pour connaître et pour prédire l’avenir : vous verrez, alors, ce que vaut ce roman de philosophie.

II

Il faut donc chercher une autre explication. M. Paul Baudry croit que pendant le sommeil l’âme quitte le corps et s’en va dans son milieu propre qui, selon toute probabilité, est composé de substance excessivement ténue el vibrante située bien au delà de l’éther, et dont nos sens physiques trop grossiers ne peuvent recevoir la vibration (6).

Il y aurait donc plus haut que cet univers physique, plus haut que l’éther une région nouvelle où toutes les substances, [p. 515] extrêmement raréfiées qui l’habitent, se rapprocheraient de l’âme par une ressemblance de nature, et n’exerceraient aucune action sur nos sens trop grossiers. L’âme se trouverait là, à ces hauteurs. dans son vrai milieu : elle doit aspirer à s’y trouver et à y demeurer,

Si l’âme n’a pas développé, à l’état de veille, les sens et les facultés dont elle a besoin pour vivre, agir, se développer dans cette haute région, qu’arrive-t-il ? Malgré la ressemblance de nature, elle se trouve aussitôt qu’elle entre dans cette sphère, comme l’enfant dont les facultés ne sont pas encore éveillées : elle est étonnée, endormie, inconsciente, incapable d’agir, et, elle laisse le corps matériel engendrer par des mouvements automatiques, ou réflexes des rêves grossiers, incohérents qui se rattachent aux émotions, aux pensées, aux préoccupations de l’état de veille : ces rêves n’ont pas de caractéristique déterminée.

Si, au contraire, pendant la veille, l’âme toujours vigilante et docile aux inspirations élevées, a développé ses plus hautes facultés, si elle a préparé le triomphe de l’homme spirituel sur l’homme matériel et grossier, les rêves changeront de caractère ; c’est alors qu’en entrant dans sa propre région là-haut, l’âme aura des rêves cohérents, lucides, et qu’elle verra les choses éloignées dans l’espace et dans le temps. A cette hauteur les vibrations de l’âme ne font plus vibrer le cerveau matériel, et le souvenir n’existe plus au réveil.

Telle est l’hypothèse de M. Baudry ; elle ne peut pas nous satisfaire. Quand l’âme quitte le corps qu’elle animait, elle laisse un cadavre ; car la mort consiste précisément et essentiellement dans la séparation de l’âme et du corps. Si donc, toutes les fois que nous faisons des rêves lucides, cohérents, agréablement ou sévèrement enchaînés, notre âme partait pour un autre monde, et abandonnait son corps à lui-même, il faudrait dire que notre vie est une succession de morts et de résurrections. Qui voudrait soutenir cette affirmation ou la discuter ?

Aussi bien, cette explication ne résout pas le problème. Nous voulons savoir pourquoi certaines personnes connaissent et prédisent l’avenir qu’elles voient clairement dans un [p. 516] songe, pendant le sommeil. Nous voulons savoir si cette clairvoyance est un effet naturel de l’imagination, ou s’il faut l’attribuer à une autre cause. Il est évident que M. Baudry ne nous répond pas quand il se contente de dire que l’âme ne conserve aucun souvenir de ce qu’elle a vu et entendu, dans les hautes régions parce que la vibration ne peut pas se communiquer au cerveau matériel.

Et si tout souvenir disparaît quand nous nous éveillons, si nos cellules cérébrales ne vibrent en aucune manière, comment peut-on savoir que nous avons fait cette ascension, que nous ayons pénétré, avec notre âme préparée aux grandes visions, dans des régions qui s’étendent au-dessus de l’éther, que, de ces hauteurs, nous avons embrassé tout l’espace et l’avenir ? Nous n’en avons conservé aucun souvenir, et personne n’en sait rien, Sur quel témoignage ou sur quelle obser­vation repose cette hypothèse ? Elle ne repose sur rien.

III

D’autres observateurs ont cru découvrir que nous avons deux âmes, et que cette conception nouvelle contenait l’explication de nos rêves de toute nature. Nous aurions l’âme des besoins et passions matériels (mens) et l’âme des aspirations spirituelles (spiritus). Et, de même que le corps est servi par les sens, cette âme double possède aussi des sens plus raffinés qui sont à son service et qui la tiennent en communication avec un monde extérieur. Souvent, ces deux âmes qui occupent des sphères séparées se trouvent en guerre, et cet antagonisme nous fatigue.

Les écrivains, les philosophes moralistes, les romanciers se plaisent à nous décrire l’opposition de nature et de vie qui règne entre ces deux âmes, leurs luttes acharnées, leur séparation irréductible. leur rôle dans les péripéties des tentations mauvaises et des aspirations élevées. L’hypnotisme et le magnétisme nous permettraient même de voir dans une clarté plus vive, cette dualité de nature, de personne et de vie.

C’est ainsi que, selon ces nouveaux philosophes, nous [p. 517] arriverions à reconnaître en nous deux personnes distinctes, indépendantes, rivales, étrangères même l’une à l’autre, et qui apparaîtraient alternativement dans la vie. C’est le phénomène du dédoublement de la personnalité.

Quand nous nous endormons, notre corps fatigué se repose et continue à produire les actes nécessaires de la vie végétative qui nous empêche de mourir : mais l’âme double ne dort pas, elle n’épuise jamais son inépuisable activité ; elle pense, elle rêve, elle agit, elle réveille même, quelquefois, le corps, par la violence des impressions qu’elle cause aux cellules du cerveau.

« Ce double esprit, continue l’auteur que nous étudions, peut vagabonder, pendant le sommeil, assister à des scènes analogues à celles qui lui sont familières à l’état de veille, soit à des scènes n’ayant aucun rapport avec ces dernières. En un mot, il peut poursuivre sa vie ordinaire, ou suivre une vie entièrement différente, ou même enfin mêler ensemble les actes et les pensées de l’une et de l’autre. Généralement lorsque le corps est en parfaite santé, on ne se souvient plus au réveil de ses rêves, par la raison que le cerveau, organe de la mémoire, s’étant lui-même endormi, n’a rien enregistré des sensations de l’esprit.

« D’autres fois, suivant l’état de santé du corps ou l’état de l’esprit, on a, au réveil, des bribes de souvenir qui ont été enregistrées par saccades ou chocs intermittents par le cerveau, infiniment plus prompt que les autres organes à sortir de l’engourdissement.

« Ce genre de rêve, qui est celui du mens, est d’autant plus fréquent que le rêve a été provoqué par les préoccupations de la veille. Celui du spiritusest moins facilement, on le conçoit, enregistré par le cerveau ou plutôt retenu par la mémoire : il ne l’est que dans les proportions où l’être qui a rêvé s’occupe des choses spirituelles à l’état de veille. »

Cette théorie du rêve n’explique pas la vision prophétique, cette connaissance de l’avenir pendant le sommeil qui semble se rattacher à une cause et à des Lois inconnues.

Il n’est pas nécessaire de recourir à la fausse hypothèse d’une âme double et de deux personnages pour expliquer les [p. 518] inspirations et les impulsions contradictoires que nous constatons en notre intérieur. Nous nous sentons attirés vers le bien, dans la lumière et la sérénité d’un élan qui élève au­ dessus du monde matériel. D’autres fois des impulsions sourdes et profondes nous donnent le vertige du mal et nous poussent vers les abîmes de la passion : mais c’est toujours nous, c’est toujours notre âme, c’est toujours la même personne, dans deux états différents qui subit ces sollicitations contradictoires.

En un mot, je sais clairement que c’est moi qui me sens attiré vers le mal, par la passion, et vers le bien par le devoir et le remords. C’est une pure métaphore qui nous fait voir deux personnages là où la raison nous fait reconnaitre deux états du même moi.

L’hypothèse d’une âme double est une chimère. Ici, encore, c’est toujours moi, mon âme, ma seule personne qui passe des choses matérielles aux choses spirituelles, et des réalités immatérielles aux apparences matérielles. Je n’ai jamais découvert ni dans mes pensées, ni dans mes sentiments la présence de deux personnages réels, vivants, distincts qui se côtoient, se querellent, se rapprochent, se séparent et jouent un rôle dans la comédie de la vie.

Il n’y a en nous qu’un seul moi, libre, intelligent et responsable de nos bonnes et de nos mauvaises actions.

Voyez cet homme assoupi, qui rêve dans son fauteuil. Il suspend un instant l’action de sa liberté ; il voit passer dans son esprit des scènes incohérentes, des tableaux variés, des événements dont la trame et l’harmonie révèlent quelques fois, une intelligence, des spectacles qui tantôt l’élèvent, en provoquant des aspirations pures, et tantôt rabaissent, en réveillant les impulsions grossières des passions. Le flot d’impressions et d’images passe devant lui, dans son cerveau, comme les vagues de la mer.

Ce monde bizarre est fait de ses souvenirs, de ses espérances, de ses pensées habituelles, de ses préoccupations des mille choses dont notre vie est pleine. Supposez que ce rêveur passe de l’assoupissement profond au sommeil, son état changera peu : sa volonté reste endormie, les flots continuent [p. 519] à traverser son imagination, et la conscience qui vacillait encore il y a quelques instants, finit par s’éteindre et mourir.

Tout à l’heure, pendant qu’il rêvait dans la nonchalance de son assoupissement, cet homme tenait à peine ouverte la porte des sens, de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du tact ; des vibrations diverses lui apportaient les sensations affaiblies des couleurs, des sons, du froid, de la chaleur, et son attention se trouvait encore partagée entre le monde intérieur et le monde extérieur. Il ferme les portés des sens qui s’ouvraient sur le monde, extérieur ; il ne voit plus, il n’entend plus, il ne sent plus, ses paupières s’abaissent, et son attention qui n’est plus distraite se porte avec une grande intensité sur les images qui remplissent son intérieur : motus intra pertuntur.

Je n’ai besoin ni d’une âme double, ni de personnalités alternantes pour expliquer ces rêves et cet état de notre esprit.

IV

Je ne vois pas davantage la nécessité d’inventer des hypothèses risquées pour comprendre d’autres phénomènes qui se produisent dans les rêves. Ainsi, bien des personnes ont éprouvé pendant le sommeil la sensation du vol. On se sent soulevé, emporté ; on plane avec son corps au-dessus de la terre, on glisse dans l’espace, sans secousse, par une sorte d’ondulation prolongée. Des physiciens croient expliquer cette sensation en disant qu’étant couchés, nous ne sentons pas la pression du sol sous nos pieds. Il faudrait en conclure que tout le monde éprouve cette sensation, ce qui n’est pas exact. M. de Rochas attribue la sensation au dégagement du corps astral (7). C’est aussi l’opinion du Dr Lux qui s’appuie sur le témoignage du physicien Varley.

Pourquoi recourir ici à l’hypothèse erronée du corps astral ? Il m’est arrivé souvent de faire ce rêve du vol pendant le sommeil et d’en chercher l’explication. C’était toujours quand je descendais mon édredon jusqu’à la ceinture et que j’exposais [p. 520] à l’air frais la poitrine et les voies respiratoires que je me sentais planer. Il me suffisait de ramener l’édredon sur les épaules pour changer complètement le caractère du rêve ; il était évident pour moi que ce rêve se liait en quelque manière à l’air frais que je respirais et à l’état des bronches et des poumons. J’y ai toujours vu un effet naturel des rapports de l’âme et du corps, du physique et du moral, une répercussion des sensations physiques éprouvées pendant le sommeil.

Il serait, peut-être, plus difficile d’expliquer la mesure du temps quand on est endormi et la faculté de se réveiller à volonté, à une heure convenue. M. de Rochas en cite quelques exemples intéressants. Un M. Deschamps avait parfois la faculté d’indiquer l’heure, à une minute près, quel que fût son état ou sa situation. Une fois on le réveilla subitement dans la nuit et on lui demanda l’heure : il répondit correctement. Deux heures, et il ajouta : Je vais comme l’horloge des Tuileries.

Broussais raconte qu’un M. Chevalier, réveillé à n’importe quel moment de la nuit, disait l’heure exacte sans jamais se tromper. Le célèbre Dr Kerner soignait une somnambule en suivant ses prescriptions. « A onze heures du matin, disait­elle, il faut qu’on me réveille en me faisant sept passes sur les yeux. » Le Dr Kerner avança secrètement l’horloge de manière qu’elle sonna l’heure deux minutes avant. La somnambule ne bougea que lorsque les deux minutes furent écoulées, et elle dit alors au docteur : « Maintenant, il est onze heures, réveillez-moi. »

Dans la généralité des cas, je ne voudrais pas expliquer ce phénomène par le calcul inconscient de ces mouvements ou sensations rythmiques que du Prel désignait en parlant de la montre dans la tête. Je n’invoquerai pas davantage l’exemple obscur des suggestions à échéance lointaine qui passent dans le cerveau comme on voit plusieurs courants, même en sens contraire, passer à la fois dans un fil télégraphique. L’explication est plus simple, elle est plus près de nous.

Quand je m’endors avec la pensée de me réveiller le lendemain, à telle heure je porte mon attention sur l’horloge qui sonne les heures ; je l’entends sonner ; mon sommeil n’est pas [p. 521] tellement profond que les communications soient coupées entre mon oreille et le timbre de l’horloge. Je suis dans un demi-sommeil. J’ai constaté bien des fois ce phénomène, Et si mon sommeil est profond, si je cesse d’entendre le timbre et le balancier, je ne me réveille pas à l’heure indiquée.

V

M. de Rochas s’occupe aussi des rêves rétrospectifs ou ataviques qui nous font vivre pendant quelques instants la vie de nos ancêtres, qui nous font voir et sentir ce qui a été vu et senti par quelqu’un de nos aïeux plus ou moins proches, rêves que Walter Scott a désignés improprement sous le nom de sentiment de la préexistence et qui consistent en ce qu’un milieu, un paysage, une maison que nous ne connaissons pas nous parait aussitôt connu, familier, et nous arrache ce cri d’étonnement : « Mais. j’ai vu autrefois cette maison ! »

Rêves ancestraux, écrit M. Letouneau, qui nous font voir er sentir par une sorte d’hérédité, ce que nos aïeux ont connu et senti.

Ainsi, les uns voient dans ces rêves un simple phénomène d’hérédité physique et les autres un phénomène qui se rattacherait à notre préexistence. Écartons cette dernière hypothèse : il faudrait des arguments plus sérieux pour nous faire croire que nous avons déjà vécu autrefois sur cette terre, à cet endroit, dans cette maison, au milieu de ce paysage, et qu’en le voyant, un souvenir se réveille en nous. Une simple ressemblance entre ce paysage et un site dont le souvenir effacé s’éteignait dans notre inconscient suffirait pour expliquer notre illusion.

L’hypothèse de Mme de Manacéine ne nous parait pas plus satisfaisante ; il faudrait supposer, comme on l’a fait observer, que certaines substances des filaments chromatiques du noyau de la cellule cérébrale aient conservé des molécules des ancêtres, mais nous savons que toutes les molécules de notre cerveau et de notre corps se renouvellent et disparaissent plusieurs fois ; très souvent pendant la vie. [p. 522]

Pour qu’un fait ancestral, écrit le Dr Lux, pût donner lieu à la série des faits complémentaires capables, par leur union, de reproduire l’événement atavique, il faudrait que les molécules ancestrales qui servent de support à l’empreinte psychique, restent dans le cerveau du descendant, c’est-à-dire du rêveur endormi, dans le même rapport que celui où elles se trouvaient dans le cerveau de l’ascendant, sans intrusion de nouvelles molécules albuminoïdes capables de s’ajouter ou de se combiner chimiquement avec elles, et par cela même de faire varier les rapports de contiguïté intracellulaires et intercellulaires qui s’étaient établis chez l’ascendant, grâce à des courants d’influx nerveux sillonnant le cerveau d’une partie à l’autre. Or, il n’en est jamais ainsi, car l’influence paternelle et maternelle ont changé la disposition des molécules du cerveau.

En un mot, nous ne pouvons refaire le rêve de nos ancêtres, ou prochains ou éloignés, que si notre cerveau se trouve dans une disposition identique à celle de leur propre cerveau. Or, cette identité de disposition n’existe pas : sous l’influence de la conception, des courants nerveux, de mille causes physiques ou morales, les molécules de notre cerveau se trouvent dans une disposition différente et le rêve ne se reproduit pas.

Laissons les rêves ancestraux ; ils appartiennent au pays des chimères ; ils ne nous apprennent rien. Les rêves prophétiques si fréquents dans la mystique chrétienne appellent notre attention et nous intéressent davantage : la foi explique ce que la raison constate et ne comprend pas. Nous répondons ainsi, d’avance, à cet aveu découragé par lequel M. de Rochas termine un article intéressant sur les rêves :

« J’avoue qu’en face de la précision de certains détails, il faut admettre une prévision de l’avenir tellement nette qu’elle déroute l’entendement des spiritualistes aussi bien que des matérialistes (8). »

Élie MÉRIC,

(A suivre.)

[p. 577]

L’IMAGINATION
ET LE RÊVE PROPHÉTIQUE
(Suite)

I

Les hypothèses que nous venons d’exposer et de discuter ne peuvent pas nous satisfaire, elles manquent de base scientifique el d’autorité. Chacun de nous, dans le silence de son cabinet et de ses méditations, on peut faire de semblables et amuser un instant sa curiosité ; il nous faut d’autres solutions.

Saint Thomas a étudié le problème des rêves prophétiques avec une rare profondeur, il en attribue l’origine à des causes supérieures, ou spirituelles ou matérielles, et il met ici en relief le rôle de l’imagination.

Il arrive, quelquefois, selon saint Thomas, que par la permission de Dieu, et par l’intervention ou le ministère des anges, notre esprit se trouve éclairé d’une lumière plus vive ; alors les images et les fantômes qui apparaissent dans notre imagination ont un rapport avec des événements qui n’existent pas encore, mais qui existeront bientôt, L’avenir apparait en tableau. d’une manière sensible, nous le voyons, et nous affirmons sa réalité. Ce n’est pas une voix qui se fait entendre : ce n’est pas un enseignement qui nous est donné avec des notions précises de temps et d’espace ; ce n’est pas un travail qui se fait en nous, avec le concours de notre volonté, sur des connaissances déjà acquises ; non, nous restons passifs. nous voyons l’avenir dans une image saisissante. Mais, quelquefois, les rapports de ces images avec le temps nous échappent, [p. 578] et cette ignorance explique les déceptions qui accompagnent certaines prédictions dont on a essayé en vain, ou témérairement. d’indiquer l’échéance précise. Le moment nous fuit, le fait reste certain.

Les mauvais anges ou les démons possèdent eux aussi le pouvoir de produire un ébranlement dans notre imagination et d’y faire apparaître d’une manière sensible le tableau de l’avenir. Le spirite, le somnambule, le sujet magnétisé ne dit pas : je pense, je sais, je connais, il dit : je vois, et il indique ainsi clairement que le phénomène se produit dans l’imagination. Si vous lui demandez à quel moment se réalisera la scène qu’il contemple, vous l’embarrassez, il hésite, il a perdu la notion du temps : il ignore les notions abstraites, les idées pures ; il ne faut pas lui demander ce qu’il ne peut pas donner. Ange ou démon, la cause extérieure et spirituelle qui intervient ne s’adresse pas toujours à la raison, elle agit sur les facultés sensibles, elle fait concourir l’imagination à ses fins.

Pendant le sommeil, dit saint Thomas, l’âme se trouve plus complètement dégagée des sollicitudes extérieures et de l’influence des sens, elle rentre en elle-même, elle recueille ses forces, elle se détache de son corps et de la matière, elle se rapproche des substances immatérielles, et elle se trouve mieux disposée à recevoir l’influence des êtres spirituels (9).

Pendant le sommeil notre âme se trouve donc dans des conditions plus favorables pour entendre les communications des esprits, pour leur prêter son attention, pour interpréter les signes et les tableaux qui se succèdent dans l’imagination. Il s’ensuit que nous avons deux vies, l’une, à l’état de veille, qui nous établit en communication avec le monde extérieur, l’autre, à l’état de sommeil, quand nos sens sont fermés, et qui nous met en communication avec le monde intérieur et le monde supérieur.

II est à remarquer que les grands corps célestes exercent une influence réelle, profonde sur les corps inférieurs et qu’il est permis de leur attribuer un certain nombre de phénomènes [p. 579] qui n’existent pu encore, mais qui, certainement, le produiront plus tard : il y a un rapport de causalité entre ces corps célestes et ces événements ; nous l’expliquerons plus loin.

Or, l’imagination est une faculté sensible, elle est l’acte d’un organe corporel et l’on conçoit, sans peine, que les corps célestes qui font sentir leur influence aux corps inférieurs, et par conséquent à tous nos organes, puissent encore déterminer, indirectement, un changement dans notre imagination, et une certaine vue de l’avenir.

C’est l’enseignement de saint Thomas (10).

Avec le calme et le silence de la nuit, ces grands corps célestes font naître en notre cerveau de faible. vibrations qui passeraient inaperçues dans le tumulte de la vie éveillée ; ces vibrations font apparaître les images qui donnent la prévision de l’avenir (11).

Nous subissons à tous les moments de la vie et à des degrés divers, l’influence mystérieuse du monde extérieur, des corps célestes, des forces de la nature, chaleur, magnétisme astral et terrestre, électricité. Ces forces agissent sur tous les corps de la nature terrestre et sûr tous les organes de notre corps ; elles exercent directement une influence réelle en nous, dans notre cerveau, sur les organes de la sensibilité, de l’imagination et de la mémoire qui constituent nos facultés sensibles, mais elles n’ont pas une influence directe, immédiate sur l’intelligence et la volonté, parce que ces facultés ne sont pas attachées à nos organes, elles ne sont pas des actes organiques : l’homme reste ainsi toujours maître de sa raison et de sa liberté.

Il est vrai, cependant, que les forces de la nature exercent quelquefois une action indirecte sur ces hautes facultés, en troublant les facultés inférieures, sensibles qui donnent à la raison, les matériaux sur lesquels et à l’aide desquels elle fait son propre travail ; elles exercent encore une influence indirecte sur la volonté, en soulevant contre elle les appétits et les passions. [p. 580]

Nous gardons, sans doute, le pouvoir de résister à ces influences malsaines, qu’elles viennent des astres ou d’ailleurs, et nous devons rappeler l’adage de l’astrologie : Le sage est plus tort que les astres : sapiens dominatur astris. Mais, en réalité, comme le fait observer saint Thomas, ces sages sont une minorité : pauci autem sunt sapientes, qui hujusmodi passionibus resistunt.

Il s’ensuit qu’un être d’une grande intelligence qui connait parfaitement un homme, son caractère, ses habitudes, les influences auxquelles il est soumis, peut conjecturer avec quelque probabilité, son avenir, ce qu’il sera et ce qu’il fera. Mais la conjecture n’est pas la prophétie.

II

Creusons encore ce sujet, avec saint Thomas. La divination, écrit le grand Docteur, est une certaine prédiction de l’avenir. Or. on peut connaitre l’avenir, ou dans ses causes, ou en lui­ même. Parmi les causes, les unes produisent toujours, ri nécessairement, leurs effets et la connaissance de ces causes nous permet de prédire avec certitude ce qui doit arriver. C’est ainsi que les astronomes prédisent les éclipses, sans danger d’erreur.

D’autres causes ne sont pas liées nécessairement à certains effets, elles ne les produisent pas toujours, et d’une manière invariable, il y a, cependant, quelques rapports entre ces causes et ces effets, elles les produisent habituellement, les exceptions sont rares, faciles à constater, de telle sorte que la connaissance de ces causes nous permet de prédire leurs effets, par conjecture, avec les plus grandes probabilités ; c’est ainsi que les astronomes prédisent l’humidité ou la sécheresse, et que les médecins conjecturent, en certains cas, la guérison ou la mort.

Mais il existe encore d’autres causes qui sont, par elles­ mêmes, indépendantes, qui défient l’affirmative ou la négative, qui produisent ou qui ne produisent pas leurs effets : il nous est impossible de nous prononcer d’avance, et de dire ce [p. 581] qu’elles feront. Il en est ainsi de nos facultés rationnelles, de notre liberté. Nous ne pouvons savoir ce que fera un homme libre qu’au moment où nous le voyons agir : prévoir sûrement ce qu’il fera, dépasse notre intelligence. Il n’appartient qu’à Dieu de connaître ainsi l’avenir, parce que seul, Il voit de toute éternité, en un instant, tout l’avenir, tout le présent et tout le passé.

Mais si la science certaine des effets produits par des causes libres nous échappe, il nous reste la connaissance conjecturale dont nous, avons parlé (12).

Les bons anges, les mauvais esprits, la nature matérielle, et, en particulier, les corps célestes modifient donc quelquefois en nous l’organe de l’imagination, nous mettent en face de l’avenir, et provoquent d’une manière différente des songes révélateurs ou prophétiques dont la nature n’est pas toujours rigoureusement déterminée.

Pourquoi ces communications étranges sont-elles plus fréquentes pendant le sommeil ? Saint Thomas l’explique ainsi.

« Quand l’âme est absorbée par le soin de son corps elle n’a plus la même puissance pour s’élever à la contemplation des hautes pensées. C’est ainsi que la vertu de tempérance en arrachant notre âme aux plaisirs charnels la prépare aux épanchements de la vérité. Pendant le sommeil, quand nos sens sont fermés, quand notre âme n’est troublée ni par les hommes, ni par les vapeurs, quand elle se trouve ainsi sous l’influence des causes supérieures, elle acquiert quelquefois une connaissance des choses futures qui dépassent la raison. On le voit bien dans l’extase, quand l’âme se dégage de l’étreinte des sens.

« L’âme se trouve, en effet, sur les frontières des choses corporelles et des substances incorporelles, à l’horizon du temps et de l’éternité. En s’éloignant des régions inférieures, elle monte et se rapproche de ce qu’il y a de plus élevé. Quand viendra le jour où elle sera totalement séparée de son corps, elle sera parfaitement semblable aux substances, séparées [p. 582] dans sa manière de comprendre, et elle en recevra une influence plus abondante (13). »

Pendant la vie, à l’état ordinaire de veille, notre âme s’attache, trop souvent, avec l’ardente passion de la curiosité et du désir, aux organes des sens, elle plonge dans monde extérieur, matériel, elle s’enivre des choses sensibles et éphémères, elle s’agite dans le rayon si court de notre horizon terrestre, elle s’attache à la matière comme elle s’attache à son corps, avec l’infini besoin de jouissance qui la tourmente, elle semble faire un effort suprême pour se matérialiser. Qu’ils sont rares les sages qui résistent à l’enchantement coupable de cette fascination.

Mais, il est des états, ou naturels. ou provoqués, sommeil, syncope, extase, pendant lesquels, au contraire, l’âme se retire du monde extérieur ; elle s’éloigne même des organes, des sens, elle se recueille, au centre, dans le grand silence de l’extérieur et de l’intérieur, elle s’ouvre à une autre lumière, d’autres communications, à une autre vie qui n’est déjà plus la vie de ce monde et qui n’est pas encore la vie future, elle voit plus haut et plus loin, elle subit l’influence des réalités supérieures, elle dit ce qu’elle voit, et elle voit quelque chose de l’avenir dans la blanche lueur de l’aube qui monte à son horizon !

III

Il nous parait plus facile, après ces observations, de comprendre ces phénomènes merveilleux d’apparitions, de pressentiments et de prévisions, dont la réalité est incontestable. Dieu gouverne le monde par sa providence, et il se sert des anges pour éveiller notre imagination et nous témoigner d’une manière sensible, on sa miséricorde ou sa justice. L’ange, c’est la cause supérieure qui fait apparaître dans notre âme, par [p. 583] une action particulière sur l’organe de notre imagination, l’enfant, le frère, l’ami qui vient de mourir loin de nous ; il peut produire, à l’avance, et de la même manière, la scène de naufrage, la catastrophe qui nous menace, et dont l’impression pénible ou le souvenir nous détournera, peut-être, au réveil, d’un voyage dangereux. Nous voyons alors en nous, des tableaux imaginatifsqui nous impressionnent comme la réalité et qui deviennent le point de départ de nos résolutions. Ces tableaux sont l’œuvre des esprits au service de Dieu, et de sa providence.

Il n’est donc pas nécessaire de recourir au corps astral. au fluide psychique, au dédoublement de l’âme, à la télépathie pour expliquer les prévisions, les pressentiments, les apparitions des morts, les rêve prophétiques, il nous suffit de rappeler l’enseignement précis de la théologie chrétienne et de la tradition sur la providence et sur les rapports avec nous des esprits bons et des esprits mauvais (14).

Nous rappellerons ce rêve-type, cité par M. Goron, dans ses Mémoires, T. Il. p. 338.

« Au moment où il débutait dans la magistrature, M. Bérard s’en alla faire une longue excursion dans les montagnes des Cévennes, et coucha un soir dans une auberge perdue au milieu d’une gorge sauvage. La nuit, la fatigue sans doute, lui donna un cauchemar affreux. Il voyait l’aubergiste et sa femme s’approcher de son lit sans qu’il eût la force de se relever et de crier. L’homme tenait un grand couteau de cuisine à la main et lui coupait la gorge, pendant que la femme cramponnée à ses bras, l’empêchait de se défendre,

« Quand il ne remua plus, les deux assassins le prirent l’on par les pieds, l’autre par la tête, et le portèrent dans le trou à fumier. Il ne se releva que sous l’impression douloureuse du fumier qui pesait sur sa poitrine et l’étouffait. [p. 584]

« Le cauchemar avait été si horrible que le jeune magistrat s’éveilla, baigné de sueur, en proie à un trouble nerveux indicible. Il s’habilla à la hâte et partit. Mais, en quittant l’auberge où il avait passé une si mauvaise nuit, il regarda longuement l’homme et la femme, et, sans doute, sous l’impression du rêve affreux qui l’avait tourmenté, il lui parut que tous deux avaient des têtes de bandits.

« Un an après M. Bérard était nommé substitut, justement au chef-lieu d’arrondissement de ce pays sauvage où il avait si mal dormi. En arrivant au parquet, il fut mis au courant d’une instruction judiciaire qui, depuis l’année précédente, passionnait toute la contrée.

« Un officier ministériel, notaire ou huissier, je ne me souviens plus exactement, avait disparu l’année précédente, un jour qu’il était allé toucher une grosse somme. On était certain que le malheureux avait été assassiné, et on ne parvenait pas à découvrir les assassins. Cependant, au moment où arrive M. Bérard, des dénonciations anonymes avaient pré­venu le parquet que le soir de sa disparition, l’huissier ou le notaire s’était attardé dans une auberge d’où on ne l’avait pas vu sortir.

«  Le juge d’instruction, sur cette simple indication, avait arrêté les aubergistes, l’homme et la femme, et conviait M. Bérard pour ses débuts, à assister à leur interrogatoire.

« Quel ne fut pas l’étonnement du substitut en reconnaissant dans les deux personnes arrêtées, l’hôte et l’hôtesse de l’auberge du mauvais rêve. Il lui vint aussitôt comme une intuition, et il demanda au juge la permission d’interroger, à son tour, cet homme et cette femme qui niaient avec la dernière énergie.

« Vous êtes les coupables, leur dit-il, et je le sais d’autant mieux que je vous ai vu commettre votre crime. C’est vous, l’homme, qui avez coupé la gorge de la victime, avec votre grand couteau, et tous deux vous avez porté le cadavre dans le trou à fumier où il doit être encore.

« Les deux aubergistes furent pris d’un tremblement nerveux ; il leur semblait, sans doute qu’ils voyaient apparaitre devant eux le spectre de l’homme qu’ils avaient assassiné ; ils [p. 585] se jetèrent à genoux, éperdus, et avouèrent leur crime. On retrouva le cadavre dans le trou à fumier. »

Pour expliquer les phénomènes de ce genre, des aliénistes ont invoqué les rapports encore mystérieux du physique et du moral, du système nerveux surexcité et du magnétisme astral, les actions réciproques des agents impondérables et du fluide nerveux. Il serait plus sage d’avouer son ignorance ou de chercher d’autres explications. Pourquoi ne dirais-je pas que Dieu voulant punir les coupables, a évoqué dans l’imagination de M. Bérard la scène de l’assassinat, pendant le cauchemar de son sommeil, et que sa providence a tout disposé pour arriver il ses fins ? Cette explication est plus claire que les hypothèses gratuites empruntées à l’action des impondérables, elle est plus rationnelle que la théorie du corps astral, elle repose sur la science de Dieu, sur sa présence en tous lieux, sur son action dans notre cerveau, sur l’économie des lois de sa Providence ; elle ne blesse ni ma conscience ni ma raison.

IV

Les communications divines et prophétiques pendant le sommeil sont fréquentes dans les Saints Livres, elles remplissent le Nouveau Testament, on les retrouve aussi dans la vie des saints avec un charme particulier : elles appartiennent à l’économie de la Providence qui se révèle d’une manière sensible quand l’âme attentive se trouve mieux disposée à écouter sa parole et à recevoir sa lumière.

Qui n’a médité avec Lesueur sur les songes prophétiques de saint Bruno ? C’est dans l’église de Molesmes, couché sur la dalle, exténué de fatigue et plongé dans un profond sommeil que trois anges viennent lui annoncer le secours de Dieu et sa continuelle protection dans la fondation de l’ordre des Chartreux. C’est aussi dans un songe mystérieux que saint Hugues voit sept étoiles tomber à ses pieds, se relever, et le conduire à travers les défilés de la montagne, jusqu’au plateau sauvage appelé Chartreuse. [p. 586]

Le lendemain sept voyageurs, sous la direction de saint Bruno, se présentent chez lui, se dirigent vers la montagne, cherchent le lieu désert où ils veulent vivre et mourir dans les rigueurs de la pénitence, et ils réalisent le songe prophétique du saint évêque de Grenoble.

Le songe du siège de Capoue, en 1098, est connu. Lesueur en a perpétué le souvenir dans un chef-d’œuvre que nous avons admiré.

« Le comte Roger avait pris les armes pour aider son parent le jeune Richard, fils du prince Jordano, à reconquérir ses états sur le prince Lombard qui était resté maitre de Capoue. Le comte Roger avait un traitre parmi ses soldats, Sergius, le Grec, qui commandait deux cents hommes aux avant-postes. Le traitre fit des avances au prince Lombard et, moyennant une grosse somme d’argent, il devait le faire pénétrer, la nuit, dans le camp du comte Roger, et lui livrer son ennemi avec son armée.

« La nuit fixée pour la trahison, écrit le comte de Sicile, était arrivée. Le prince de Capoue était sous les armes avec ses soldats, comme il avait été convenu. Je m’étais endormi depuis quelques instants, lorsqu’apparut auprès de mon lit un vieillard aux traits vénérables. Ses vêtements étaient déchirés et il ne pouvait contenir ses larmes. —Pourquoi tant de larmes ? lui demandai-je. —Ses pleurs redoublèrent. Je renouvelai ma question, et alors il me répondit : « Je pleure les âmes des chrétiens qui vont périr ici, et vous avec eux. Levez-vous à l’instant, prenez vos armes ; Dieu peut encore vous délivrer vous et vos soldats. » Celui qui me parlait ainsi ressemblait en tout point au vénérable Père Bruno. Je me réveille, rempli de terreur par suite de cette apparition, je saisis mes armes, je crie à mes guerriers de prendre les armes et de monter à cheval. Je cherche à m’assurer de ce que m’annonçait la vision.

« Au bruit qui remplit le camp, l’impie Sergius et ses .affidés prennent la fuite dans la direction de Capoue, où ils espèrent trouver un refuge. Mais ils furent arrêtés par mes soldats qui en blessèrent quelques-uns et firent les autres prisonniers, au nombre de cent soixante-deux. Les aveux de [p. 587]ceux-ci nous confirmèrent la vérité de l’apparition et du complot qu’elle nous avait révélé (14). »

Le saint témoignait ainsi sa protection d’une manière éclatante au prince chrétien qui l’avait comblé de bienfaits et qui le soutenait dans les difficultés matérielles de ses fondations.

V

Le sommeil, cette seconde vie de l’homme, nous met ainsi en communication plus intime avec le monde invisible, et par le recueillement profond qui l’accompagne, il nous permet de mieux entendre les voix d’en haut. Apparitions. avertissements mystérieux, pressentiments qui se prolongent jusqu’à l’état de veille, songes prophétiques, tous ces phénomènes, nous rappellent un nouvel état de notre vie et des relations, qu’il serait difficile d’approfondir.

Dieu seul connait l’avenir qui dépend des causes fibres, et il peut le faire apparaître quand il lui plait, par une révélation surnaturelle, dans notre entendement, à l’état de veille, ou pendant le sommeil. Cette connaissance prophétique excède manifestement la puissance de notre imagination.

Certains événements, perdus encore dans les ténèbres de l’avenir, et qui se produiront plus tard, ont un lien avec des causes qui existent déjà el que nous connaissons. Connaissant les causes, nous pouvons prédire les effets. Les anges et les démons qui nous sont infiniment supérieurs, connaissent aussi, infiniment mieux que nous, les causes et leurs effets les plus lointains, et ils peuvent ainsi conjecturer l’avenir. Que ces esprits bons ou mauvais, doués d’une pénétration si puissante, entrent ensuite, en relation avec nous, et nous rendent participants de leurs connaissances, nous pourrons, nous aussi, conjecturer l’avenir, et savoir ainsi qu’une catastrophe va se produire, qu’un grand danger nous menace, qu’une mort est imminente : c’est l’avenir qui se découvre à nos yeux. [p. 588]

Mais ce n’est pas seulement par son intelligence pénétrante que l’esprit mauvais connait et prédit les effets cachés dans les causes, il peut les connaître d’une autre manière. Tantôt c’est Dieu qui va se servir de lui pour châtier un homme, une famille, une province, une nation et qui défoule à ses yeux le plan et l’économie de ce châtiment, ses ravages et ses limites : la puissance du démon est liée.

D’autres fois, le démon lui-même à qui Dieu laisse encore la puissance d’éprouver les hommes, sans égaler cependant, ses coups à sa haine, conçoit le projet de produire des œuvres néfastes, de faire naître des guerres, des épidémies, de déchaîner des fléaux dans un avenir prochain : il sait d’avance, ce qu’il fera, et aux yeux de la foule il devient prophète dans la personne de ses sujets, de ses possédés, de ses sorciers. L’avenir qu’il révèle, c’est lui qui le fera.

VI

Nous arrivons ainsi à distinguer en nous trois sortes de connaissances relativement à l’avenir. Celui qui possède une longue expérience et une haute intelligence peut lire quelques pages dans le livre mystérieux de l’avenir, quand cet avenir existe actuellement en puissance dans des causes qui nous sont connues.

Il lira mieux et davantage si, à la lumière naturelle de son intelligence vient s’ajouter la lumière plus intense des esprits ou bons ou mauvais, des anges ou des démons qui possèdent une connaissance bien autrement étendue des causes et de leurs effets.

Mais ni l’homme ni les esprits ne peuvent posséder naturellement la troisième connaissance, celle qui embrasse les futurs libres. Pourquoi ? Parce que ces effets qui dépendent de la liberté humaine n’existent pas. Ils n’existent ni dans la réalité, car, s’ils existaient ainsi, ils appartiendraient au présent, ni dans leurs causes, car, jusqu’à la fin, notre liberté garde le pouvoir de les produire ou de ne pas les réaliser. [p.589]

Il n’appartient qu’à Dieu de les connaître, de les voir dans l’étendue infinie de son regard qui embrasse tout, et dans ses décrets. Et quand un voyant, un prophète annonce claire­ment cet avenir, ces futurs libresnous disons : c’est Dieu qui parle par les lèvres de cet homme, et qui daigne illuminer son entendement ; c’est Dieu que nous entendons. Le miracle est là.

Élie MÉRIC

Notes

(1) Cf : La psychologie du rêve, par Vaschide et Piéron. On trouve dans ce livre des observations utiles sur les rapports du rêve et de la pathologie nerveuse et la pathologie générale, avec les maladies infectieuses et les maladies localisées : intestinales, cardiaques, pulmonaires.

(2) Ces faits ont été reproduits dans la Revue scientifique et morale du spiritisme, 1901, page 297.

(3) Dr Dussart.

(4) Avant d’admettre tous ces faits nous demanderions une enquête plus sévère et des preuves plus sérieuses. E. Méric.

(5) Revue des sciences psychiques, Novembre 1901.

(6) La Fronde, 24 mars 1901.

(7) Annale des sciences psychiques, Mai-Juin 1901.

(8) Annale des sciences psychiques, Mai-Juin 1901.

(9) Hajusmodi autem impressiones spiritualium causarum magis nata est anima humana suscipere enm a sensibus alienatur, quia per hoc propinquior fit substantiis spiritualibus, et magis liber ab exterioribus inquietunibus. (St Thomas, p. 1ne, q. LXXXVI. art. IV.)

(10) Unde cum cœlestia corpora sint causa multorum futurorum, sunt in imagatione aliqua signa quoruradam futurorum. (Loc. cit.)

(11) Hi vero motus faciunt phantasmata ex quibus prœvidentur futura, (Pars 1n. Q. LXXXVI, art. IV, ad. 2um.)

(12) Voiruaint Thomas, Summ. theot., 1, 2e, q. IX, V, ad 3um et 2a 2b, q. XCV, art. 1.

(13) Cum anima humani… sit in confinio corporum et incorporearum substantiarum, quasi in horizonte existens æternatis et temporis, recedens ab infimo appropinquat ad summum, unde et quando totaliter erit a corpore separate, pertubertus influentiam earum  recipient. (St Thomas, Summa philosophica contra Gentes, lib., II, De anima, cap. LXXXI.)

(14) Causa autem somniorum, similiter est duplex, scilicet corporalis et spiritualis ; corporalis quidem in quantum imaginatio dormientis Immutatur vel ab aere continenti, vel ex impressione cœlestis corporis ut sic dormienti aliquae phantasiæapparennt conformes cœlestium disposotioni. Spiritualis autem causa est quandoque quidem a Deo, qui, ministerio angelorum aliqua bominibus revelat in somniis… quandoque vero operatione dæmonum aliquæphantasiædor mentibus apparent, ,ex  quibus quandoque aliqua futura revelant bis qui cum eis habent pacta ilicita (St Thomas 2e, 2ae, Q. XCV, art. VI.)

(14) Charte du comte Roger. Tromby, T. II., App. Cité par Mennt . L’abbé Gorse dans sa Vie de saint Bruno, p. 243. (Téqui, éditeur).

 

 

 

 

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