Edouard Pichon & René Laforgue. De quelques obstacles à la diffusion des méthodes psychanalytiques en France. Extrait de la revue « Le Progrès médical », (Paris), partie 1, 1923, pp. 533-534.

Edouard Pichon

Edouard Pichon & René Laforgue. De quelques obstacles à la diffusion des méthodes psychanalytiques en France. Extrait de la revue « Le Progrès médical », (Paris), partie 1, 1923, pp. 533-534.

 

Cité par Freud dans son Ouvrage La Science des rêves. 

Edouard Pichon (1890-1940), médecin, spécialité pédiatrie, et psychanalyste, l’un des 12 fondateurs de la Société psychanalytique de Paris. Il fut le gendre de Pierre Janet.

Quelques publications :
— Extension du domaine de la psychanalyse. Article parut dans la revue « L’Evolution psychiatrique », (Paris), time II, 1927, pp. 217-228. [en ligne sur notre site]
— La famille devant M. Lacan. Article parut dans la « Revue française de psychanalyse », (Paris), tome XI, fascicule 1, 1939, pp. 107-135. [en ligne sur notre site]
— (avec Jacques Damourette). La grammaire en tant que mode d’exploration de l’inconscient. Article paru dans l’Evolution psychiatrique, (Paris), 1925, pp. 237-257. [en ligne sur notre site]
— Court document d’Onirocritique. Extrait de la « Revue Française de Psychanalyse », (Paris), n°3, 1929, pp. 482-490. [en ligne sur notre site]

René Laforgue (1894-1962). Médecin et psychanalyste, en 1925 il fonde avec Angelo Hesnard et quelques autres collègues, l’Evolution psychiatrique. L’année suivante avec René Allendy et Edouard Pichon il fond la Société psychanalytique de Paris (SPP). Puis en 1927 il fonde avec quelques membres de cette nouvelle société, il fonde la Revue française de psychanalyse. En 1953 il rejoindra la Société française de psychanalyse, crée par Daniel Lagache et Jacques Lacan. Quelques publication de l’auteur :
De quelques obstacles à la diffusion des méthodes psychanalytiques en France. Extrait de la revue « Le Progrès médical », (Paris), partie 1, 1923, pp. 533-534.
– Contribution à la psychologie des états dits schizophréniques. Article parut dans la revue « L’Encéphale », (Paris), dix-neuvième année, 1924, pp. 45-50. (En collaboration avec )Angela Hesnard.  [en ligne sur notre site]
– Analyse de l’article de René Cruchet. Les erreurs et les dangers du freudisme. Extrait de la « Revue Française de Psychanalyse », (Paris), Première année, 1927, pp. 199-200. [en ligne sur notre site]
– La pensée magique dans la religion. Article parut dans la « Revue française de psychanalyse », (Paris), tome septième, n°1, 1934, pp. 19-31. [en ligne sur notre site]
 Le rêve et la psychanalyse. Introduction de Mr le Dr Hesnard. Paris, Maloine, 1926. 1 vol.
– Libido, Angoisse et Civilisation. Trois Essais psychanalytiques. Paris, Editions Denoël et Steele, 1936. 1 vol. in-8°, 48 p.
– Devant la Barrière de la Névrose. Etude psychanalytique sur la névrose de Charles Baudelaire. S. l. [Paris], Les Editions Psychanalytqiues, 1930. 1 vol. in-8°,
– Freud et son génie. Article parut dans la revue créée et dirigée par Maryse Choisy, revue chrétienne de psychanalyse « Psyché », (Paris), 1e année, numéro 107-108, numéro spécial FREUD, 1955, pp. 457-466.[en ligne sur notre site]
– Psychopathologie de l’échec. Nouvelle édition revue. Paris, Payot, 1950. 1 vol. in-8°.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé les fautes d’impression.
 – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 533, colonne 2]

De quelques obstacles à la diffusion des méthodes psychanalytiques en France.

par MM.

Edouard Pichon
Interne des hôpitaux
de Paris

René Laforgue
Assistant à la clinique
psychiatrique de Ste-Anne

La plupart des médecins de France, même les plus éclairés, lorsqu’on vient à leur parler de la psychanalyse, reçoivent ses propos avec, pour le moins, un sourire ironique. N’y-a-t-il pas lieu de se demander comment il se fait qu’un milieu aussi averti que l’est, par exemple, le milieu hospitalier parisien, accueil avec autant de méfiance corps de doctrine aussi disciplinée, aussi riche en idées, voire en résultats, que la psychanalyse.

Nous nous sommes posés cette question, et nous sommes arrivés à penser que si les esprits critiques de France ont eu quelques raisons d’adopter cette attitude ironique, de leur côté, les psychanalystes sont fondés à persister dans leur ardente conviction. Comment se fait-il que les uns et les autres ne s’entendent pas ?

Il nous semble que la faute en est, non pas au fond même des doctrines de la psychanalyse, mais à la façon dont elles ont été présentées au public français, qui se complait toujours si fort à saisir le caractère critiquable des nourritures intellectuelles qu’on lui offre. Ceux de nos maîtres qui, comme M. Claude, cherchent à intéresser le public médical français à la psychanalyse, ont déjà senti que c’était dans ce domaine surtout de forme que des fautes avaient été commises, et ont attiré l’attention sur ce fait. Nous allons essayer de passer en revue, dans le présent article, les principaux points sur lesquels les erreurs ont portées. [p. 534, colonne 1]

Il faut d’abord déplorer que les doctrines psychanalytiques aient trouvé ici leurs premiers champions en dehors du monde médical. Beaucoup de personnes, si cultivées soient-elles, sont exposées, lorsqu’elles encore un problème de pathologie à ne pas concevoir les questions du point de vue spécifiquement clinique qui caractérise le bon esprit médical de plus, la doctrine psychanalytique, irradiant des milieux littéraires, a couru les salons, où elle a subi de dangereuses déformations. Voilà une première raison qui a contribué à mettre les médecins en garde contre le freudisme. Comment, en effet auraient-ils pu ne pas s’indigner devant les abus que l’on voulait faire de la psychanalyse, devant les curiosités malsaines qu’elle a suscitées en sortant du domaine médical ? Que tel médecin, hôtel psychologue, désireux d’étudier objectivement les mécanismes de la réaction artistique ait occasionnellement cherché à disséquer, dans une œuvre donnée, ls éléments psychiques composant, cette année, à la rigueur, admissible. Mais que l’on ait prétendu baser sur ces considérations un jugement sur la valeur esthétique de l’œuvre, voilà qui était évidemment illégitime. Toutes les personnes de bon sens l’ont depuis longtemps senti.

Second point ; certains tenants des méthodes psychanalytiques ont eu la maladresse de présenter la doctrine freudienne comme tirée en quelque sorte du néant et née par génération spontanée sans rien qui l’ait, avant Freud, annoncée dans la pensée des hommes. Rien n’était à la fois plus choquant pour les esprits avertis et ralliés à des doctrines antérieurement acceptées, éminemment respectables, et aussi plus contraire à la vérité.

L’école des psychanalystes a certes eu le mérite de nous apporter comme nous le disions, un corps de doctrine homogène, cohérent, susceptible donc de fournir un appui solide aux recherches ultérieures. Mais, d’une part, il est évident que les analyses intuitives souvent si poussées des littérateurs de tous les pays et particulièrement d’une autre, que les idées des philosophes antiques et des psychologues modernes, que les doctrines mêmes de neurobiologistes tels que Charcot ont constitués le fonds les fondations sur lesquelles Feud a établi son édifice ; lui-même le proclame. Et, d’autre part, il est nécessaire que la psychanalyse, qui se présente sous l’aspect d’une étape de la science psychologique et psychiatrique, ne nous soient pas donnée comme un dogme intangible est désormais immuable.

Une troisième erreur sur laquelle nous voulons attirer l’attention, a été de ne pas apporter assez de soins au choix des mots français par lesquelles on la traduit les divers termes de la nomenclature psychanalytique allemande. La culture française comporte, dans l’ordre intellectuel, une précision qui va souvent jusqu’à la subtilité. Or, dans bien des cas, les psychanalystes suisses ou slaves qui ont transposé en langue française les écrits de l’école de Vienne et de celle de Zurich se sont contentés d’à peu près, ou bien ont brutalement introduit en français le terme employé en allemand, sans prendre garde que ce terme pouvait, dans notre langue, prêter à la critique, voire au ridicule. Par exemple, il est impossible à un Français de ne pas associer libido avec libidineuxLibido est, de ce fait même, un mot qui doit être banni de la nomenclature psychanalytique française, pour être remplacé par un vocable mieux approprié à rendre l’idée beaucoup plus générale que les freudistes veulent lui faire exprimer. Cette adaptation de la nomenclature freudienne aux exigences françaises, nous croyons qu’il est temps de le faire, et nous nous y emploierons à l’occasion. [p. 534, colonne 2]

Mais ce n’est pas seulement sur le domaine de l’expression verbale que la théorie de Freud a besoin d’un ajustement ; c’est quant à leur fond même que les idées freudiennes nous ont, en général, été mal présentées :  et c’est là la quatrième et la plus grave des erreurs que l’on a commise.

Le bon sens se révolte devant des affirmations comme : la plupart des humains nourrissent le désir, qui de tuer, qui ne posséder leur père, leur mère, leur frère, leurs sœurs. Cette intervention se trouve pourtant dans les écrits, sinon des psychanalystes véritables, fort nombreux ici, du moins de beaucoup de personnes qui se donnent pour avoir des lumières en matière de psychanalyse théorique. Présentée sous la forme ci-dessus, cette affirmation est pourtant la plus fausse du monde.

Sur le simple terrain pratique, et sans prétendre en tirer ici d’inférences métapsychiques,  nous devons considérer l’homme sain comme centré autour d’une conscience capable de se sentir penser et de se sentir vouloir : c’est cette conscience qui constitue sa personnalité.

Tout ce que cet élément connaît rendre parallèles en lui, puisqu’il est essentiellement une conscience : c’est ainsi qu’il peut se sentir des désirs auxquels pourtant il refuse d’obéir, des désirs qui ne se transforment pas en intentions, ni a fortiori en volitions : c’est le mécanisme bien connu de la répression des désirs conscients.

Mais le contenu psychique ne se compose pas uniquement de ce que le centre conscient connaît. Or, dans ce qu’il ne connaît pas, il y a de véritables individualités mentales ayant leurs propres. Notre bon sens s’indignait tout à l’heure que l’on pu proférer cette contrevérité : « il y a une foule d’êtres humains qui désirent leur père ». « Il acceptera pour bien, au contraire, que l’on dise : « il y a une foule d’êtres humains qui, parmi les tendances obscures, involontaires, emplissant leur inconscient en possèdent une qui, si elle était pleinement obéie, les porterait à nuire le plus possible à leur père ».

On voit que nous avons été amenés à prêter à ces tendances une vie propre, une manière d’individualités différentes de celles de la personne humaine même qui les héberge : cette notion de la  pluralités des individualités mentales à l’intérieur d’un psychisme humain nous paraient capitales au point de vue théorique même, est indispensable pour un exposé acceptable ici. Outre qu’elle contentera ce besoin de vérité pratique que l’affirmation brutale apportée ci-dessous choquait si fort,  elle aura encore l’avantage de contribuer à la compréhension de ces  juxtapositions de tendances opposées qui se voient dans les faits psychiques connus sous le nom d’ambivalence.

Il ne faudrait d’ailleurs, bien entendu, nous faire dire que la répartition des connaissances représentatives et des sentiments affectifs entre le conscient et l’inconscient soit immuable. Elle désire, censurer, sera chassé de la conscience, c’est-à-dire sera réduit au rang de tendance : c’est le mécanisme dit du refoulement.  Telle tendance au contraire, que le psychanalyste aura découverte par l’analyse aura découvert critique des rêves ou par quelque autre procédé, plus ou moins originalement freudiens, sera ramenée par lui dans la conscience, pour y être combattue si possible ou détruite : c’est ce qu’on pourrait appeler le mécanisme du déscèlement ( ou plus brièvement : décel)  psychanalytique.En disant à l’homme : γνωρίζεις τον εαυτό σου (connais-toi) Socrate  entendait déjà lui offrir une recette pour devenir plus facilement αυτο-ελεγχόμενη (maître de soi).

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