Dambielle l’abbé. La sorcellerie en Gascogne. Extrait de la revue « Bulletin de la Société archéologique du Gers », (Auch), VIIe année, 4e trimestre 1906, pp. 322-334 et VIIIe année, 1er trimestre 1907, pp. 71-81.

DAMBIELLEGASCOGNE0001Dambielle l’abbé. La sorcellerie en Gascogne. Extrait de la revue « Bulletin de la Société archéologique du Gers », (Auch), VIIe année, 4e trimestre 1906, pp. 322-334 et VIIIe année, 1er trimestre 1907, pp. 71-81.

Honoré Dambielle (1873-1930). Prêtre (Ordonné en 1898). – Historien local. – Écrivain.
Quelques publications :
— Nos Proverbes gascons. Auch, imprimerie F. Cocharaux, , 1924. 1 vol.
— Nos devinettes gasconnes. Samatan, Imprimerie occitane , 1928. 1 vol.
— Mémoire gasconne. – La voix de nos pères. Textes en gascon et trad. française en regard. 1 vol. Édition : Rieumes : Savès patrimoine , impr. 2014.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. –Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 323]

La sorcellerie en Gascogne,
Par M. L’ABBÉ DAMBIELLE.

Ce n’est pas chose facile que de faire une étude sur la superstition dans notre pays, et cela pour deux raisons : d’abord elle tend, fort heureusement, à diminuer au moins telle qu’elle était conçue autrefois, et au fur et à mesure qu’elle perd du terrain, les matériaux qui formaient ce fantôme si ridicule et si troublant sont de plus en plus difficiles à ramasser ; — ensuite qui dit superstition dit chose cachée, occulte. La superstition est une science à huis clos. Les pontifes opèrent en cachette pour ne pas dévoiler leurs secrets et quelquefois pour se soustraire à des poursuites judiciaires lorsque leur métier devient une escroquerie ; leurs disciples, sur la recommandation qui leur en a été faite ou bien parce qu’ils craignent la moquerie des autres, ne disent rien.

La superstition est donc un sanctuaire presque fermé, et c’est à la faveur de l’obscurité qui y règne que les naïfs sont trompés.

Nous dirons dans une première partie :

Ce que c’est que la superstition en général, et puis tour à tour nous verrons ceux qui la personnifient ;

Le sorcier proprement dit, avec les moyens qu’il emploie pour acquérir sa science ;

Le sorcier devin (le doubin), dont la fonction, comme son nom l’indique, est de deviner toutes sortes de choses ;

Le sorcier médecin : dans les maladies naturelles et dans les maladies extra-naturelles ;

Les transformations du sorcier en loup garoun et camo cruso, grâce à la peau ;

La croyance aux revenants : ils se manifestent par las lutzés et las candelos ; ou bien par le bruit (le brut) que l’on entend dans les maisons. [p. 323]

Dans une seconde partie, nous entrerons dans un domaine moins spéculatif et on étudiera :

Les moyens préventifs à employer pour se préserver soi-même des sorciers et pour en préserver les animaux de la ferme ;

Les moyens tout spéciaux et particuliers aux sorciers pour guérir certaines maladies ;

Les moyens de guérir certaines maladies par l’efficacité de prières spéciales ;

Les croyances naïves et parfois stupides qui agissent sur les actions et les déterminations du paysan gascon.

Tout d’abord il semble qu’il aurait fallu parler de pronostics populaires, de prophéties et des présages tirés de la terre, du soleil, des étoiles, de la lune, etc. ; cependant, à tout considérer, c’était bien là un hors-d’œuvre, en ce sens qu’ici la superstition ne joue pas toujours un rôle absolu et exclusif: on tient compte des changements atmosphériques, des saisons, du cours des astres et on s’appuie parfois sur l’expérience et la raison, à défaut de science complète et de connaissances approfondies. Cela fera l’objet d’une autre étude qui ne manquera pas d’intérêt et qui nous révèlera la science primitive et rudimentaire du paysan gascon à l’endroit des connaissances astronomiques.

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I.

Le Gascon est superstitieux, il a cela de commun avec la plupart des hommes anciens et modernes.

Il ne faudrait pas se figurer, en effet, que la superstition soit de nos temps, il ne faudrait pas se figurer davantage qu’elle se soit localisée en Gascogne.

La superstition a une antiquité des plus respectables et a exercé dans tous les temps un empire incontestable sur tous les peuples. D’après Ampère, la fascination, qui est une des formes de la superstition, la fascination, qui n’est autre chose que la croyance au mauvais œil, ou, si on aime mieux, la jettatura des Romains, existait en Grèce au temps de Théocrite, en Italie [p. 324] au temps de Virgile, alors comme aujourd’hui, avec des ressemblances frappantes dans les plus petits détails.

Donc ce qui a vécu il y a dix siècles, vingt siècles, trente siècles et plus, vit encore : une superstition recueillie chez les peuples les plus reculés, qu’on rencontrait chaque jour dans les rues de Rome, dans les salons de Paris, se trouve encore, dans toute sa vigueur, jusques au fond de nos campagnes.

Ce n’est pas le lieu d’expliquer ce besoin de l’âme humaine de se porter d’instinct vers le mystérieux et le surnaturel pour s’y attacher trop souvent et trop facilement avec naïveté et sans contrôle. Nous allons seulement étudier les principales superstitions que l’on rencontre trop nombreuses dans notre pays de Gascogne, principalement chez l’agriculteur qui est l’élément le plus important et presque exclusif de la société de nos pays.

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* *

Le grand pontife de la superstition, celui qui la personnifie par-dessus tout, c’est le sorcier (le pousouè).

Le sorcier a tous les talents, toutes les ruses, toutes les adresses.

Cette supériorité de force, de talent, d’adresse qu’il a sur le commun des mortels lui vient, — c’est ce que croient les habitants de nos campagnes, — lui vient de plusieurs chefs. Il a peut-être été initié aux secrets de sa science par sa famille, par son père ou par sa mère. Peut-être a-t-il fait un pacte avec le démon, et, en vertu de concessions faites au malin esprit, celui-ci lui a légué une partie de son pouvoir. Peut-être est-il possesseur d’une peau (d’uo pèt) ; c’est une investiture diabolique en vertu de laquelle il peut opérer des prodiges ; seulement, comme la possession d’un tel objet est excessivement pénible et coûteuse, comme nous le dirons plus bas, il a hâte de s’en débarrasser, nous dirons comment, et alors sa science n’est ici que passagère.

Peut-être a-t-il lu dans des livres de magie, dans le Petit Albert, dans le Grand Albert, les secrets des sorciers, et n’ayant pas pu se défendre de ce qu’il lisait, fasciné par les horizons [p. 325] nouveaux qui s’ouvraient devant lui, il est devenu esclave du démon et, en se mettant sous sa domination, il a hérité de sa science et de ses ruses.

Peu importe de savoir comment le sorcier a acquis ses pouvoirs ; ce qu’il y a de sûr, c’est que c’est un grand personnage ; il inspire à la fois la terreur et la confiance, on le redoute et on ne sait pas se passer de son concours ; on dit de lui couramment, pour exalter sa science et ses connaissances toutes particulières : que sab mes que le pater ; ou bien, lorsqu’il opère quelque prodige : y pas tout soul, y soun les petits et les bèts.

Le sorcier, d’habitude, devine les choses : c’est alors le devin (le doubin). Il exerce donc la profession de prévoir l’avenir, deviner ce qui doit arriver (doubina). — On va chez lui pour savoir ce qui doit arriver dans telle ou telle circonstance, pour se faire expliquer le motif qui a déterminé une action plutôt qu’une autre.

On va chez lui et, sans s’en douter, on lui raconte en partie ce que l’on veut savoir ; il fait causer suffisamment son client pour être un peu mis sur la voie ; et ensuite, faisant appel à son expérience et à ses ruses, comme les misères humaines se ressemblent toutes, comme les vicissitudes des hommes sont semblables, leurs habitudes identiques, il n’est pas embarrassé pour tomber à peu près juste au grand ébahissement de celui qui vient le consulter.

D’ailleurs, pour donner l’illusion encore davantage si c’était nécessaire, pour éblouir jusqu’à la fin son naïf client, le devin a soin de ne rendre ses sentences qu’en s’enveloppant dans le mystère. Il prend un grand livre qu’il feint de consulter attentivement et minutieusement ; ensuite, après quelques minutes de réflexions, il parle par sentences, d’un air grave, et ses paroles sortent de la bouche avec l’assurance de quelqu’un qui rend des oracles.

On m’a raconté qu’une femme, faisant la profession de sorcière, — les hommes n’ont pas le monopole, il s’en faut de beaucoup, — se servait elle aussi du fameux livre qui devait être vraisemblablement quelque ouvrage de sorcellerie ou un vieux dictionnaire de médecine ; elle lisait dans ce livre les caractères [p. 326] renversés, et comme par ailleurs cette femme n’était jamais allée à l’école, on peut présumer qu’elle ne lisait pas du tout et qu’elle agissait ainsi pour abuser davantage de la confiance des naïfs.

Il faut s’empresser de dire que, pour exploiter plus aisément cette confiance et en tirer le meilleur parti possible, le sorcier a toujours le soin de ne jamais heurter les opinions, surtout les opinions religieuses de ceux qui viennent faire appel à ses lumières. S’il prescrit quelque remède inoffensif, quelque tisane anodine, il y joint toujours quelque prière à réciter et à la vertu de laquelle dépend généralement l’efficacité du remède : ce sont des neuvaines, des chapelets, des invocations à divers saints, des Notre Père, des Je vous salue, etc. Les vêpres de mort sont souvent conseillées. A côté des prières, et toujours pour donner à leur prescription une tournure religieuse, ils recommandent assez communément l’usage des pains bénits : ce sont des pains qu’ils viennent faire bénir par le prêtre pour être distribués le dimanche à tous les fidèles, pendant la messe.

Certains sorciers ont la spécialité de faire dire des messes par leurs clients, surtout lorsqu’il s’agit de revenants, de maladies extraordinaires, lorsqu’on a entendu des bruits assourdissants dans les maisons, qu’on a aperçu des lumières à côté des cimetières ou sur les étangs. Sans l’exiger d’une façon absolue, ce qui pourrait faire naître la méfiance, les devins se font donner, quand ils le peuvent facilement, l’argent des honoraires de messes. Ils se chargent alors de les faire dire et assurent le pauvre patient qui vient de verser l’argent qu’il peut dormir tranquille. Je ne voudrais pas calomnier la corporation des sorciers, mais je me figure que souvent, se rappelant qu’ils n’ont pas fait payer la consultation et cela pour paraître plus désintéressés, ils gardent, sans scrupule, pour eux, cet argent et ne font point dire de messes.

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Le devin ne se contente pas toujours de deviner, il fait aussi le médecin. On le sait, aussi de la plus petite indisposition [p. 327] jusqu’à la maladie grave, on va chez lui; on y va pour toute espèce de maladies ; il n’a pas de spécialité, il les a toutes ; mieux que cela, là où le médecin le plus expérimenté échoue après mille et mille tentatives, le devin, lui, en un clin d’œil, quelquefois sans voir le malade, à distance, souvent sans remède, obtient une complète guérison et accomplit ainsi non pas seulement un tour de force, mais un vrai miracle. — Ceci s’explique, lorsque cela arrive, disons-le en passant, par la confiance absolue qu’a le malade en la science du devin, et cette confiance, comme par suggestion, devient le facteur de la guérison radicale dans ces maladies qui sont si souvent imaginaires.

Le devin traite deux sortes de maladies : maladies naturelles, maladies extra-naturelles.

Pour les maladies naturelles, c’est-à-dire pour celles qui n’ont rien d’anormal et qui se présentent sous la forme qu’elles revêtent habituellement, avec des signes toujours les mêmes, il ordonne des remèdes fabriqués avec des herbes, car celles-ci jouent un grand rôle dans leur médecine Il recommande des onguents dont il dit avoir le secret ; il se sert de cataplasmes dont le plus répandu est celui confectionné avec la poix noire : il s’emploie dans un déplacement de nerf, dans un effort de tendon; ce qu’on appelle en gascon : uo estirado. Souvent aussi le sorcier médecin ordonne des potions ridicules et très difficiles à absorber.

Je n’oublierai jamais le récit que me faisait un jour la victime des fantaisies d’un sorcier : le mouvement contracté de ses lèvres pendant qu’elle m’en parlait me disait suffisamment le mal qu’elle dut ressentir après avoir avalé la fameuse potion qui devait guérir radicalement et qui réussit au contraire à occasionner, avec une colique des plus violentes, le dégoût de toute boisson pendant un certain temps. Voici d’ailleurs la potion : on prenait un litre de vin blanc naturel, on le faisait bouillir jusqu’à réduction de moitié, puis on versait une égale quantité de poix, on faisait bouillir de nouveau jusqu’à nouvelle réduction de moitié ; la potion ainsi obtenue représentait à peu près le quart d’un litre et il fallait l’avaler d’un trait.

Cette dernière recommandation devait être scrupuleusement [p. 328] observée, sans cela on ne pouvait pas la finir car on n’avait pas le courage de revenir à la charge lorsqu’on avait trouvé que les premiers pas coûtaient si cher.

Il y a une foule de remèdes conseillés ou ordonnés par les sorciers. Ils sont fabriqués avec des herbes cueillies un jour plutôt qu’un autre, le matin, avant le lever du soleil, de préférence au soir. Quelquefois ces herbes peuvent avoir une efficacité intrinsèque qui amène de bons résultats, mais alors la guérison s’explique naturellement puisqu’elle est due exclusivement à la vertu thérapeutique de la plante. Ce n’est pas le cas pour le remède suivant (j’en cite un seulement), que l’on connaît très peu dans nos campagnes et que les sorciers ordonnaient pour amener le sommeil ; il porte par excellence le cachet superstitieux : c’est une espèce de mélange fabriqué avec de la racine de belladone, du sang de chauve-souris, du sang de huppe, de l’aconit, de la suie, du persil, de l’opium et de la ciguë.

Il faudrait des volumes pour donner une liste à peu près complète des remèdes des sorciers. Mais aussi, comment pourrait-il en être autrement puisqu’ils ne soignent pas spécialement une maladie, ils les soignent toutes : ils ne sont pas seulement médecins de toute sorte de personnes, ils sont aussi vétérinaires pour toutes les catégories d’animaux.

Voilà pour les maladies naturelles ; mais souvent le mal qui atteint une personne trouve son origine et sa source dans l’intervention des puissances occultes et diaboliques. Alors le patient commet des excentricités, il est souvent sous l’influence d’accès de délire et de folie, il contrefait les cris des animaux, il grimpe sur les arbres avec l’agilité de l’écureuil, on dit qu’il est alors charmat (charmé). On lui a jeté un sort qui s’appelle le mau dat (le mal donné), ou bien le charmatori.

Si donc vous allez consulter le sorcier parce que quelqu’un à qui vous vous intéressez se trouve sous l’influence du charmatori, il vous dira que la personne guérira, mais qu’il faut attendre qu’il puisse passer ce mal à quelqu’un. Le sorcier alors fait une évocation par laquelle il appelle la maladie d’abord, peut-être ensuite la mort, sur quelqu’un ; cette évocation, c’est l’escuminje. [p. 329]

La personne à qui on a enlevé le charmatori guérit et redevient ce qu’elle était avant sa maladie, mais, en revanche, la personne escuminjado hérite complètement de son mal et devient le sujet des mêmes métamorphoses. De plus, lorsqu’on est désigné et frappé par l’escuminje, on se dessèche à petit feu, on souffre sans qu’aucun moyen humain puisse avoir la moindre prise sur le mal ; à moins que l’intervention du sorcier ne vienne, avant la mort qui arriverait infailliblement, enlever l’escuminje à la personne atteinte pour le donner à une autre, et ainsi de suite.

Le sorcier devient donc terrible en cette circonstance, puisque s’il peut enlever le mal à quelqu’un, il est obligé de le passer à un autre. Évidemment il y a des victimes toutes désignées : ce sont les ennemis du sorcier, des voisins qu’il jalouse, des personnes qui voudraient lui porter tort.

Comment faire pour se préserver de l’escuminje et enlever au sorcier le pouvoir de vous communiquer le mal ? D’abord éviter de le rencontrer, de se laisser toucher par lui et surtout ne rien accepter comme cadeau, comme présent : un fruit qu’il donne, une dragée qu’il offre sont les véhicules ordinaires et faciles du mal. Et si, malgré ces précautions, il a pu atteindre quand même sa victime, il reste à celle-ci une ressource formidable, si elle peut l’employer, faire dire pour lui, ou plutôt contre lui, la messe de St Secari. Le paysan haineux et superstitieux, méfiant et jaloux, a ce saint en grande vénération.

Par la vertu de cette messe, celui à qui elle est destinée se sèche, est condamné à mourir à petit feu et souffre les horreurs d’un mal long et incompréhensible. Menacer quelqu’un d’une messe de saint Secari, c’est le plus grand malheur qui puisse lui arriver, et pour la faire dire, si on pouvait trouver un prêtre complaisant pour s’en charger, on donnerait les honoraires les plus exagérés ; mais les prêtres ne veulent pas dire cette messe, d’abord tous ne la savent pas, et les autres, ceux qui la savent, ne la diraient pour rien au monde puisque, s’ils le faisaient, ils seraient damnés sans rémission. Ce n’est pas d’ailleurs une messe ordinaire, puisqu’il faut la dire à minuit, en rouge, avec sept cierges, en commençant par la fin, dans une [p. 330] église démolie à moitié et de préférence habitée par les chouettes et les crapauds.

Pour si terrible que soit la vertu de cette messe, il y a la contre-messe qui fait sécher peu à peu le célébrant et les gens qui l’ont payée.

Il est inutile d’ajouter, puisque nous parlons de choses superstitieuses, que saint Secari n’existe pas dans le calendrier et que la messe de ce saint ne se trouve que dans l’imagination exaltée de personnes qui ont une confiance aveugle aux sorciers et dont la naïveté est tellement ridicule qu’elle ne sait inspirer que la pitié.

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Comment le sorcier-médecin a-t-il le pouvoir de donner l’escuminje ? Nous l’avons dit, il le tient d’un héritage de famille ou bien il a lu des ouvrages de magie et il n’a pas pu s’en défendre.

En dehors de cela quelque chose de plus le rend terrible, c’est la peau (la pèt).

La pèt, c’est le costume du sorcier voyageant la nuit, et il prend alors le nom de camo cruso ou de loup-garoun.

La camo cruso évoque l’idée de vampire, et avec une férocité terrifiante rode autour des maisons pour s’emparer des petits enfants.

Le loup-garoun, c’est le sorcier victime de la peau ; on le trouve la nuit, couché au fond des fossés, embusqué à un tournant de route, ou bien accroupi au pied d’un arbre. Il attend le passant pour l’épouvanter. Si celui-ci n’a pas peur et qu’il le provoque en lui disant : Tiro-t’ la besto (la besto, c’est la pèt), il est obligé de s’exécuter et devient tel qu’il est en réalité, alors une lutte s’engage entre les deux combattants, une lutte à armes égales, puisque le sorcier, qui tout à l’heure était métamorphosé, a abandonné par force tous ses droits et toutes ses prérogatives.

Si le loup-garoun triomphe, il reprend sa liberté et se dégage à tout jamais de la peau qui l’obligeait à se métamorphoser : alors [p. 331] c’est son adversaire vaincu qui prend la succession et devient loup-garoun à son tour. Si au contraire il est battu, il est obligé de se métamorphoser de nouveau toutes les nuits et d’accepter les duels qui lui sont proposés, jusqu’à ce qu’il soit vainqueur.

Il n’y a pas grand intérêt à posséder une peau, semble-t-il, si elle impose de si lourdes obligations ; mais une curiosité malsaine, une folle envie, une démangeaison de savoir plus que les autres, tout cela excite à en posséder une, d’autant que le moyen est facile. Le voici : il faut aller déposer à minuit un drap de lit à la jonction de quatre routes pratiquées, à cet endroit qu’on appelle en patois croutzo-camin ; on revient avant la pointe du jour, et, pas plus difficile que cela, le drap de lit s’est métamorphosé en peau, en attendant que celle-ci métamorphose celui qui l’endossera.

On peut rapprocher cette étrange superstition de celle de la poule blanche que l’on rencontre dans certains pays, dans les Landes notamment : on place une poule blanche, à minuit, à la rencontre de quatre chemins, il faut crier : « Qui veut acheter la « poule blanche ? » Aussitôt un bruit assourdissant de tous les démons de l’enfer vient réveiller tous les échos d’alentour pendant que commence un défilé tumultueux de toutes les bêtes les plus horribles de la création.

Ailleurs, ce n’est pas la poule blanche, c’est au contraire la poule noire, avec quelques modifications dans la manière de procéder pour obtenir ce que l’on désire. Il faut aller dans un carrefour isolé, c’est là que l’on va sacrifier la poule ; il faut prononcer une conjuration, ne se point retourner, faire un trou en terre, y répandre le sang de la poule et l’y enterrer. Le même jour, d’après d’autres c’est le neuvième jour, le diable vient avec moins de fracas qu’avec la poule blanche.

Avec la poule blanche, si le propriétaire a peur, il devient loup-garou ; s’il n’a pas peur, il devient riche et tout lui réussira, à l’avenir, comme par enchantement.

Avec la poule noire, le diable qui vient, comme nous l’avons dit, apporte de l’argent, ou bien il fait présent au propriétaire d’une poule noire qui est une véritable poule aux œufs d’or. [p. 332]

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* *

Le Gascon, si superstitieux, croit aussi aux revenants : as morts que tournon, — et cette croyance inspire le plus souvent des peurs terribles à tel point qu’on n’ose plus habiter les maisons ou les morts sont revenus.

On constate la présence des revenants de deux façons : 1° par las lutzes et las candelos (lumières et chandelles) ; 2° par le brut (le bruit).

Las lutzes et las candelos. — On croit que ces lumières brillantes que l’on aperçoit souvent, l’été surtout, dans les cimetières ou à côté des marais sont les âmes des revenants. Évidemment il faut donner à tous ces phénomènes une cause naturelle, seulement le Gascon, très facile à impressionner, voit partout des lumières : une lanterne qui sert à éclairer le voyageur, par une nuit sombre et un chemin peu fréquenté, est une candelo. La cadence de son bras, qui imprime un mouvement rapide et régulier à la lanterne, se dessinant dans le fond d’une obscurité profonde, est une âme en peine qui appelle d’une façon suppliante les prières des parents et des amis. Les malins exploitent avec empressement un tel état d’esprit qui se trouve encore trop répandu. Autrefois surtout on voyait assez souvent un détachement d’hommes réputés les plus courageux, armés de fourches et de fusils, se transporter plus morts que vifs vers un spectre terrifiant qui ressemblait à un démon sorti de l’enfer et vomissant le feu par le nez, les yeux, la bouche. On approchait en tremblant, et avec une peur qui serrait la gorge, comme dans un étau, les fusils braqués vers le monstre, les fourches prêtes à le percer au premier mouvement, on découvrait, après force réflexions et beaucoup de prudence, qu’un mauvais plaisant avait pris une grosse citrouille qu’il avait vidée, dans laquelle il avait mis une ou plusieurs bougies dont la lumière s’échappait par de petits trous représentant les yeux, le nez, la bouche, et donnant, de loin et à la faveur de l’obscurité, l’illusion d’une figure humaine en feu. [p. 333]

Le brut. — Les revenants viennent aussi dans les maisons, surtout dans les maisons où est mort quelqu’un depuis peu de temps ; ici, ils manifestent leur présence de tout autre façon.

Ils viennent la nuit, de préférence vers minuit ; ils se font entendre à la même heure. Ce tapage s’appelle le brut (le bruit). Les maisons où il y a du brut sont connues à la ronde ; on plaint ceux qui les habitent et pour rien au monde on ne voudrait en être propriétaire. Tantôt ce sont des coups redoublés, tantôt des coups discrets et cadencés, tantôt un bruit continuel et assourdissant pareil à celui du tonnerre ou d’un vent violent.

Ce sont les âmes des pauvres morts qui viennent demander des messes, et alors, pour leur permettre de manifester leurs intentions d’une façon précise, on leur met de l’encre, une plume et du papier pour qu’elles révèlent ce qu’elles viennent faire ; ou bien on les conjure de donner tant de coups pour savoir combien de messes il faut faire dire.

La superstition à cet endroit, ajoutée à la crainte des morts, surexcitait, autrefois surtout, l’imagination d’une manière fantastique. Nous ne faisons pas ici une dissertation théologique pour prouver la possibilité, pour ceux qui ne sont plus, de conférer avec les vivants, voilà pourquoi nous nous contentons de constater que si on remontait à l’origine et à la cause, je veux dire que si on n’était pas hanté par une peur terrifiante et que l’on voulût se rendre compte de ce qui amène ce bruit, on verrait qu’il faut l’attribuer généralement à une cause naturelle des plus simples, quelquefois des plus singulières: les rats qui se promènent la nuit, les chats qui les poursuivent.

Je me rappellerai toujours l’effarement des malades d’une chambre d’hôpital. Une femme venait de mourir et on avait entendu, quelques jours avant sa mort, qu’elle promettait à sa voisine de lit de venir la trouver pendant la nuit, si elle avait besoin de secours ou de prières.

Effectivement, la deuxième nuit après la mort de cette femme, vers minuit, de petits coups précipités se faisaient entendre sur le globe qui entourait une vierge placée sur la cheminée. La bonne femme, qui ne dormait pas et qui était hantée par la [p. 334] pensée que sa voisine d’autrefois, selon sa promesse, allait peut-être venir, — malgré ses quatre-vingts ans et ses jambes plus ou moins prises par les douleurs, — saute lestement de son lit et retombe lourdement sur le plancher ; immédiatement le globe s’agite fiévreusement ; elle réveille une compagne, puis une autre, et le globe s’agitait un moment et puis s’arrêtait. La sœur est appelée, elle n’y comprend rien, on passe l’inspection de la chambre, on ne voit rien ; tout le monde se recouche, on n’entend plus rien de la nuit.

La nuit suivante, même tapage, même bruit, aux mêmes heures. Grand émoi dans la maison ; cette fois-ci c’est la supérieure qui se lève, et persuadée, en personne très intelligente, qu’il ne faut pas grossir cette affaire et lui donner la moindre importance, elle examine minutieusement la chambre, d’abord le chambranle.

La clef de l’énigme fut vite trouvée : on avait oublié sous le globe, depuis la mort de la pauvre vieille, un gâteau qu’on lui apportait juste au moment où, par suite d’une aggravation subite de son mal, elle rendait le dernier soupir.

Ce gâteau était grignoté en partie ; donc les rats étaient venus, et en grignotant ils devaient toucher le globe, mal équilibré.

La femme, entendant le bruit, se levait en sursaut, mais le plancher qui tremblait agitait le globe un moment ; et chaque malade apeurée, qui se levait brusquement, en faisait autant.

On enleva la pâtisserie et jamais plus on n’entendit de bruit dans la chambre de l’hôpital.

(A suivre.)

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[p. 71]

La sorcellerie en Gascogne,
Par M. L’ABBÉ DAMBIELLE.
(Fin.)

II.

Le sorcier étant un homme si dangereux, il faut donc s’en préserver le plus possible. On a bien contre lui la messe de saint Sécari, nous l’avons vu, mais c’est là un moyen très violent et, par ailleurs, très difficile à employer.

Une autre mesure semble toujours plus sage, en superstition comme en toute chose, l’emploi des moyens préventifs : se mettre hors d’atteinte du sorcier, échapper à sa puissance, c’est bien le meilleur parti à prendre.

*
* *

Ces moyens sont nombreux.

Si dans une course, un voyage, on craint de rencontrer un sorcier, il n’y a qu’à mettre un habit à l’envers ; le gilet ou la chemise, par exemple, on ne risque rien.

Si on a peur, que pendant l’année les sorciers ne viennent exercer chez les personnes qui habitent la maison leur néfaste influence, il faut prendre un tison du feu de la Saint-Jean et faire une croix sur la porte d’entrée, avant d’allumer le feu avec ce tison. — La croix de la Saint-Jean, tressée avec des herbes spéciales, placée sur la porte d’entrée, préserve radicalement aussi des sorciers.

Pour préserver le nouveau-né des atteintes du sorcier, on met du laurier des Rameaux, des fragments de cierge pascal, du pain bénit de la Noël dans la courtepointe du tout petit enfant.

Quand le sorcier passe à côté de vous, il ne faut pas se troubler, il n’y a qu’à s’arracher un peu de poil, on le jette par terre, on y crache dessus, et on est sauvé.

Ce qui est plus à craindre, c’est la rencontre de la jarretière de la sorcière ; celle-ci l’étend par terre, et si quelqu’un marche [p. 72] dessus ce sont les plus grands maux qui doivent arriver à la personne qui, par inadvertance, l’a ainsi foulée aux pieds : cependant, même contre ce péril, on a une ressource, c’est de porter avec soi, toujours et partout, un peu de cierge pascal.

Cette précaution de se prémunir contre les sorciers, et qui consiste à prendre avec soi un talisman, n’est pas nouvelle. Le clou joue un grand rôle : chez les Grecs modernes on plante le clou d’un cercueil à la porte d’une maison infestée, on écarte à jamais les revenants et les sorciers ; à Paris, quand on rencontre une personne suspecte, on touche un morceau de fer que l’on porte à la poche ; — dans certains pays, pour se prévaloir contre les ennemis, on plante un clou dans le marbre ; les Romains, pour chasser la peste, plantaient un clou dans une pierre qui était au côté droit du temple de Jupiter ; et pour se munir contre la mauvaise influence du regard du jettatore, ils avaient dans les poches de petites cornes en ivoire, en bois ou en os, dont la seule présence éloignait tout maléfice.

Le paysan gascon tient à sa famille, mais il tient aussi à ses animaux, il ne faut pas trop lui en vouloir puisque les animaux sont pour lui la source la plus abondante de revenus. Or, les animaux comme les hommes peuvent être charmés par le moyen du charmatori. Il y a aussi pour eux des moyens de se débarrasser des sorciers.

Pour préserver l’étable et les animaux qui y logent, il faut avoir le soin d’y porter un rameau bénit avant d’entrer dans la maison ; il faut aussi, le jour de la Saint-Jean, prendre un tison du feu de joie, ce qu’on appelle en patois la halhèro, et faire une croix sur la porte principale de l’étable avant d’aller allumer le feu.

Les animaux, et toutes les bêtes qui peuvent manger du fenouil, principalement celui qui pousse dans les cimetières, n’ont rien à redouter des sorciers.

Pour la Chandeleur (la Candelèro) on fait bénir de la cire jaune, puis on va à l’étable, et sur la corne gauche de chaque tête de bétail on fait couler trois gouttes; c’est un remède souverain pour chasser les sorciers. [p. 73]

Lorsque le sorcier passe à côté d’un animal et que l’on craigne qu’il ait voulu porter tort à cet animal, on arrache à celui-ci un peu de poil, on le jette par terre et on crache dessus.

Si on passe à côté d’un sorcier avec une paire de bœufs, ou un cheval traînant une voiture, il faut se méfier que le sorcier n’ait point employé son art pour faire verser ; si on le craint et pour se mettre à l’abri de tout fâcheux événement, il n’y a qu’à dételer le cheval ou la paire de bœufs, atteler de nouveau et continuer son voyage, on est hors de danger.

Le sorcier médecin ne pouvait pas rester insensible devant les nombreuses maladies dont est affligée la pauvre nature humaine. Les maladies sont multiples et les remèdes des sorciers sont nombreux.

En voici quelques-uns :

Fièvres. — Il faut aller le matin, avant le lever du soleil, devant un pied de menthe sauvage (mandras en patois), apportant avec soi du poivre, du vin et du sel, et en les déposant au pied de la plante, réciter la formule suivante :

Adechats, moussu Mandras ;
Jou qu’ey lafrebe, tu Vas pas.
Aquiu pebe, bin et sau,
Pren te la frèbe, jou m’en bau. 

Voici une autre recette : prendre deux sous, les mettre pendant deux jours dans un verre d’eau, et ensuite avaler cette eau.

Encore une autre : le malade va attacher un jeune noyer qui n’a jamais porté de fruit, et se retire par un autre chemin.

Entorses. — On appelle les entorses fourqaduros en patois. Il y a dans les campagnes des personnes qui ont le secret de guérir les entorses : c’est un secret de famille. Elles font avec le pouce, sur la partie du bras ou de la jambe où se trouve l’entorse, trois croix, en disant successivement : anté, anteté, superanteté. [p. 74]

Pour arrêter le sang, il faut porter une racine de pivoine au cou.

D’après d’autres, ce serait non pas une racine de pivoine, mais bien un pied de coquelicot.

Coliques. — Pour guérir les coliques on dépose sur le ventre un cataplasme fait en partie avec les excréments de loup.

D’après d’autres : mettre trois marrons dans la poche et les porter partout.

Un grain de poussière tombé dans l’œil. — Sitôt que l’on trouve le malaise dans l’œil, avant de le frotter pour chasser le grain de poussière, il faut dire la prière suivante :

Sento Mario,
Tirat-me dou oeil la belanio;
Boutats-y la bosto man benasido
Auant que jou la mio.

On peut alors se servir de la main pour arracher le grain, on est sûr de réussir.

Sciatique. — Pour guérir de la sciatique on prend un petit morceau d’une branche de chêne ayant poussé sur l’aubier, et on porte ce morceau dans sa poche.

Autre remède : mettre autour des reins une ficelle de fouet.

Goutte. — La personne atteinte de goutte fera coucher avec elle un chien qui n’ait pas encore un an ; le chien prendra la goutte et le malade sera guéri.

Autre remède (c’est toujours le chien qui doit prendre la goutte, mais d’une autre façon) : on prend une tranche de bœuf ou de veau que l’on trempe dans du vin naturel, on la place sur le lieu de la douleur, on l’y laisse une demi-journée et ensuite on la donne à manger au chien, qui devient ainsi goutteux.

Pour arrêter le sang. — Il faut dire : charat, cara, saride, confirma, consona, insaholite.

Pour arrêter le hoquet. — Il faut dire, sans respirer plusieurs fois :

Janot,
As le sanglot;
Passo la riou, coupo-t le cot.

[p. 75]

Pour guérir l’envie de dormir le matin. — Il faut se lever de bonne heure le jour de la Saint-Jean.

*
* *

Parfois on n’a besoin ni sorcier ni remèdes pour guérir de certaines maladies. Il suffit de savoir des prières toutes spéciales qui ont une efficacité merveilleuse.

En voici quelques-unes ; elles sont cependant peu usitées dans nos pays, et c’est avec beaucoup de difficultés qu’on peut les rencontrer gravées superficiellement dans les mémoires et le souvenir des plus vieux habitants des campagnes : ce sont des chefs-d’œuvre de niaiserie ou de naïveté.

Pour le mal de dents. — « Sainte Apollonie, qui êtes assise sur la pierre ; sainte Apollonie, que faites-vous là ? » — « Je suis « venue ici pour le mal de dents. Si c’est un ver, ça s’ôtera ; si « c’est une goutte, ça s’en ira. »

Pour arrêter le sang du nez. — « Jésus-Christ est né en Bethléem et a souffert en Jérusalem. Son sang s’est troublé : je le dis et te commande, sang, que tu t’arrêtes par la puissance de Dieu, par l’aide de saint Fiacre et de tous les saints, tout ainsi que le Jourdain dans lequel saint Jean-Baptiste baptisa N.-S. s’est arrêté. Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »

Pour la maladie des yeux. — « Monsieur saint Jean passant par ici trouva trois vierges en son chemin. Il leur dit : « Vierges, que faites-vous ici. » — « Nous guérissons de la « maille. » — « Oh ! guérissez, vierges, guérissez cet œil. »

Contre le tonnerre. — « Sainte Barbe, sainte Fleur, la vraie croix de Notre-Seigneur. Partout où cette oraison se dira, le tonnerre ne tombera. »

Pour toutes les blessures. — « Dieu me bénisse et me guérisse, moi pauvre créature, de toute espèce de blessure, quelle qu’elle soit, en l’honneur de Dieu et de la Vierge Marie et de messieurs saint Cosme et saint Damien. Amen. [p. 76]

Il y en a de quoi écrire des volumes. Citons les principales, celles qui sont le plus accréditées :

Ceux qui naissent légitimement septième mâle, sans mélange de filles, ont le don inné de guérir les écrouelles en les touchant.

Les abeilles ne veulent pas être achetées, sans cela elles meurent. Elles doivent porter le deuil ; essentiellement domestiques, si on ne les associe pas au deuil de la maison à laquelle elles appartiennent, en leur apportant un crêpe après la mort d’un membre de la maison, elles meurent aussi.

Pour faire venir un chien mauvais afin d’en faire un bon chien de garde méchant, on le met dans un crible et puis on fait trois fois le tour de la maison en secouant le chien dans le crible, en disant toujours : can de la cagnoutario, ne couneguos pas ni besin ni besio, mors le tailhur au ou cado cop que benguo. Il paraît que le procédé est infaillible.

Le moment favorable pour poser les poulets est lorsque la lune est passée par le vendredi. Les poulets posés le vendredi n’ont pas de fiel.

Les poulets posés avec la lune ancienne ou nouvelle ne peuvent pas naître ; avec le plein de la lune, ils se noient et meurent au moment de piquer la coque.

Pour avoir des mâles, il faut faire poser les œufs par les hommes, et vice versa.

Il ne faut pas poser les poulets ni semer les haricots pour la fête de saint Eutrope, le 29 avril, les poulets seraient estropiés et les haricots vermoulus.

Il faut laisser sortir les poulets pour la première fois un vendredi, pour que l’épervier ne les mange pas.

Les dindons doivent être sortis le premier dimanche après leur éclosion, pour qu’ils ne meurent pas.

Voici le moyen de reconnaître les sorciers quand ils se hasardent à venir à l’église le dimanche : il faut placer dans le bénitier une gousse de pois ayant onze grains et de la terre de trois cimetières ramassée avant le lever du soleil. Cela fait et la messe [p. 77] dite, les sorciers et sorcières sont comme pétrifiés à leur place et ne peuvent pas sortir de l’église.

Encore un autre moyen : si le célébrant dit le second évangile dans le missel, au lieu de réciter, imprimé sur le carton, l’évangile de saint Jean, sûrement, s’il y a des sorciers, ils ne peuvent pas sortir de l’église s’il a le soin de ne point fermer le missel après que l’évangile est fini.

Pour qu’un jeune homme qui va tirer au sort et à qui on veut faire octroyer un bon numéro puisse réussir dans ce dessein, il faut lui mettre une araignée dans ses habits.

Il ne faut pas poser les poulets les jours bermouses, et on entend par jour bermous chaque jour de la semaine qui correspond au jour de la fête du 15 août, qui est la fête de l’Assomption de la Sainte Vierge.

Il ne faut pas les poser pour sainte Agathe, qui est le 5 février, parce qu’ils seraient estropiés.

Si l’on fait rôtir des châtaignes avant la Toussaint le charbon se met au blé, et pour empêcher qu’il s’y mette, il faut faire des crêpes le premier jour de l’an.

Pour avoir beaucoup de poulets dans l’année il faut faire des crêpes le 1er janvier et en donner aux poules.

Si l’on veut qu’un arbre stérile porte des fruits il faut placer sur le tronc une pierre cueillie dans une commune étrangère.

On a aussi un autre moyen qui consiste à frapper l’arbre à grands coups un jour fixé et à dire en même temps une formule que je n’ai pu me procurer, où il y a ces expressions :

En l’aünou de sent Macari
Que t’appatarri.

Le feu de la Saint-Jean, appelé en patois la halhèro, que l’on allume le 23 juin au soir et quelquefois le 24 juin, donne lieu à une foule de croyances ridicules. Rien n’est plus pittoresque que ces points brillants parsemés par centaines et qui percent de leur vif éclat l’obscurité de la nuit. C’est une pieuse coutume qui [p. 78] mérite le respect que de se réjouir de la venue de celui qui devait être le précurseur de J.-C, mais malheureusement la superstition a dénaturé cette respectable institution en la faisant tourner bien souvent à son profit et à son avantage.

Dans certains pays (je n’ai pas compris que ce fût pratiqué en Gascogne) on met des sièges auprès des feux de joie pour que les parents morts, en venant s’y asseoir, puissent jouir de l’allégresse générale.

On réserve, nous l’avons dit, un tison pour aller faire une croix sur les portes d’entrée et de l’écurie, pour que bêtes et gens, pendant l’année, soient préservés des maléfices.

Les jeunes filles, pour se marier dans l’année, sont obligées de danser autour de neuf feux de joie dans cette même nuit.

Encore dans nos campagnes, avant que le feu ne soit complètement éteint, on saute, on danse autour du brasier. Dans la Creuse, si je ne me trompe, on jette dans le brasier de grosses pierres en dansant tout autour : c’est dans l’intention de faire venir les raves grosses comme ces pierres. D’où l’expression « piler les raves », pila las rabos, pour signifier la danse.

Il est une tradition, qui, je crois, tend à disparaître, c’est que la jeune fille, pour avoir un mari qui ait beauté et richesse, adresse à saint Jean cette prière :

Sent Jouan
Dat-me un bet Jan
Que sio bit et gran
Qu’aüjo un bet deque
Enta que me hasco Mue sensé hè re.

Il y en a qui sautent sur le feu de la Saint-Jean pour guérir les rhumatismes.

On croit dans nos campagnes qu’il va pleuvoir quand le bétail, à l’étable, se couche du même côté, la tête tournée vers la porte.

L’araignée est une petite bête qui ne passe pas inaperçue et qui joue un rôle au point de vue superstitieux : l’araignée de midi, petit profit ; l’araignée du soir, petit espoir.

Une araignée qui file ou qui court promet de l’argent ; hélas ! [p. 79] rien de plus faux probablement, car si les araignées étaient le signe de la richesse, personne ne serait plus riche que les pauvres.

Trois flambeaux allumés dans la même chambre sont un présage de mort. Il faut en avoir deux ou quatre.

Si une flamberge s’éteint à l’église, pendant la messe du dimanche, quelqu’un doit mourir pendant la semaine.

La pomme (1) est par excellence le fruit de la superstition. C’est la pomme que l’on offre habituellement pour donner le mal. — Cette croyance n’est pas propre à la Gascogne, elle existe ailleurs et on en trouve des traces dès le XVIe siècle, puisque une certaine Galanta, sorcière, donna un jour une pomme à goûter à une jeune fille ; celle-ci n’eut pas plutôt mordu le fruit qu’elle tomba du haut-mal, et la force du maléfice fut telle qu’elle en fut tourmentée toute sa vie. On poursuivit la sorcière devant les tribunaux.

Il ne faut pas tuer les hirondelles parce qu’elles sont les poules du Bon Dieu.

Il faut respecter aussi les grillons car leur présence dans le foyer porte bonheur à toute la famille.

La rencontre d’une chouette est de mauvais augure, et si le soir elle vient se percher sur un arbre, à côté de la maison, pour faire entendre son cri sinistre, il n’y a pas de doute, quelqu’un va mourir à bref délai dans la maison. Chez les Athéniens et les Siliciens, cet oiseau au contraire était de bonne augure.

L’arbre de Noël, la souquo de Nadaü, joue aussi un certain rôle, et on a soin dans certaines familles de plus en plus clairsemées de recueillir ce qui reste de cette cendre gigantesque, le matin du 25 décembre, et d’aller le porter sur le toit de la maison pour l’y laisser toute l’année afin d’éloigner tout sortilège. Serait-il téméraire de rapprocher cette coutume de celle des Juifs qui la veille du chipur (ou jour du pardon) étranglaient un coq blanc qu’ils faisaient rôtir et ne mangeaient pas, et [p. 80] exposaient ensuite ses entrailles sur le toit des maisons pour éloigner tous les malheurs ?

Une autre coutume juive qu’on pourrait peut-être encore retrouver dans un usage de nos campagnes : dans certaines contrées de la Gascogne, tout de suite après l’enterrement, tous les affligés et les invités qui doivent prendre part au repas de la sépulture défilent devant l’homme chargé de remplir les fonctions de maître de maison, qui tient la place du chef de famille et qu’on appelle testamentè, testamentaire, ou schèquetou, exécuteur, pour se purifier les mains avant d’entrer dans la maison. Et, selon la loi juive, quiconque avait touché un cadavre était souillé, il devait se purifier avant de se présenter au tabernacle du Seigneur.

Nous ne dirons rien des fameuses légendes que les grands-pères racontent aux petits enfants, le soir des longues soirées d’hiver : tout le monde les connaît et elles ne sont pas le monopole de notre Gascogne : la légende du roi Arthus, du Juif-Errant, de Gargantua et une foule d’autres. Nous ne dirions rien non plus de certaines superstitions et légendes plus locales, sur les Mandragots, sur les Fées, la Chèvre d’or, sur la nuit de Noël, sur la Rosée et les Herbes de la Saint-Jean ; je me contenterai de rappeler aux amateurs de choses intéressant la sorcellerie, qu’ils trouveront des renseignements très précis dans une communication faite par M. Alphonse Branet, à la séance du 2 octobre 1899 de la Société Archéologique du Gers (2).

Tels sont les renseignements que j’ai pu recueillir à l’endroit de la sorcellerie en Gascogne. Ils sont incomplets, c’est vrai, mais ils ont au moins le mérite d’être authentiques.

On trouvera peut-être ces manières superstitieuses un peu extravagantes, mais quand il s’agit de sorcellerie la sottise humaine n’a pas de borne.

Il sera difficile de les rencontrer dans plusieurs localités à la [p. 81] fois, chez une multitude d’individus, mais l’habileté du sorcier c’est de connaître le côté faible de son client et de s’emparer de la place en brisant les remparts là où la brèche est facile à faire, ce qui varie à l’infini. Et puis chaque sorcier, à quelque chose près, a sa manière de procéder qui diffère de celle de son voisin : tôt capita, quoi sensus.

Il est à souhaiter, pour le prestige d’une contrée, pour le beau renom d’un pays, que la superstition fasse le moins de victimes possibles, car elle est l’ennemie de la religion, de la vérité et du bon sens.

Parmi les oracles anciens, en dehors des prêtres de Dodoue, de l’oracle de Delphes, de la Pythie, — le bœuf Apis, dans lequel l’âme du grand Osiris s’était retirée, avait la première place chez les Egyptiens et jouait auprès d’eux le rôle des devins chez nous. On raconte qu’en le consultant on se mettait les mains sur les oreilles et on les tenait bouchées jusqu’à ce qu’on fût sorti de l’enceinte du temple ; alors on prenait pour réponse du dieu la première parole qu’on entendait.

Si, en Gascogne, comme partout d’ailleurs, à l’exemple des Egyptiens, on tenait les oreilles bouchées devant les réclames des charlatans, les provocations des sorciers ; si ensuite, à l’encontre des mêmes Egyptiens, le peuple gascon n’écoutait pas le premier venu à qui il se livre avec tant d’abandon, et si, en revanche, il ne donnait sa confiance qu’à ceux qui par état, par situation, par instruction sont placés pour le bien renseigner, à condition qu’il prête une oreille attentive à leurs conseils et à leurs directions, nous aurions fait un grand pas vers la civilisation et le progrès.

NOTES

(1) Cf. GARDOZ, Le symbolisme de la pomme (Annuaire de l’École pratique des Hautes Études en Sorbonne, 1901). On y verra que l’influence de la pomme est beaucoup plus ancienne. – [Il s’agit en réalité de : Gaidoz Henri. La Réquisition d’amour et le symbolisme de la pomme. In: École pratique des hautes études, Section des sciences historiques et philologiques. Annuaire 1902. 1901. pp. 5-33. (Note d’histoiredelafolie.fr) [en ligne sur notre site]

(2) Soirées archéologiques, t. VIII.

 

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