Charles Lejeune. Quelques superstitions. Article paru dans les « Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris », (Paris), Ve série, tome 4, 1903, pp. 374-379.

LEJEUNESUPERSTITION002Charles Lejeune. Quelques superstitions. Article paru dans les « Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris », (Paris), Ve série, tome 4, 1903, pp. 374-379.

Charles Lejeune. Avocat, membre de la Société d’Anthropologie de Paris, et le la Ligue Française de l’enseignement et de la Société pour l’Education sociale, etc. Publication :
— Le spiritisme. Article paru dans les « Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris », (Paris), Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, V° Série. Tome 10, 1909. pp. 654-665. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons rectifié quelques fautes de composition.
 – Nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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QUELQUES SUPERSTITIONS

PAR M. Charles Lejeune.

Il y a quelques années, étant en villégiature aux Sables-d’Olonne (Vendée), je m’amusais avec mes enfants à attraper quelques-uns de ces beaux lézards verts, qui sont si nombreux dans les sapins bordant la mer et je les avais mis au soleil dans un bocal sur ma fenêtre. Une brave femme en passant ne put réprimer à cette vue un mouvement d’étonnement mêlé de crainte et me demanda comment j’osais toucher à de : « La Verte ». Je lui répondis que cette chasse n’offrait aucun danger et [p. 375] elle se récria en disant que pour elle, elle n’oserait jamais. Cependant, ajouta-t-elle, si vous vouliez me donner un petit bout de queue, j’en serais bien contente. Ce fut à mon tour de lui demander ce qu’elle voulait en faire et elle m’expliqua qu’elle attacherait cette queue dans le pantalon de son homme, mais sans qu’il en sache rien, et que cela lui porterait bonheur à la pêche.

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Melusine (Etrusque).

Je ne résistai pas au désir de la rendre heureuse à si bon compte, mais je ne paraissais probablement pas très convaincu du résultat, car un élève en pharmacie, qui avait assisté à notre entretien, croit devoir m’assurer que cette pratique est très efficace et, comme j’étais en minorité, je dus m’incliner.

Je reviens au nom de « La Verte » donné au lézard, que je crois pouvoir traduire par « La Fée Verte », soit qu’une ancienne légende ait parlé d’une fée prenant plus particulièrement la forme d’un lézard, soit que la vivacité de ce petit animal l’ait fait comparer à une fée qui paraît et disparaît à volonté.

Nous savons qu’il a toujours été considéré comme dangereux d’évoquer le nom de l’être surnaturel dont on craint la puissance, parce que cela suffit pour le faire apparaître. Il était interdit aux Juifs de prononcer le nom de la divinité ; chez tous les primitifs on se garde bien de prononcer le nom d’un mort, il n’est permis qu’aux magiciens et aux prêtres de dire ces mots redoutables qui évoquent le personnage, les simples humains se contentent de les désigner par un qualificatif : le tout puissant, le brillant, le malin, la verte, etc.

Etant donnée la puissance de la fée répandue dans toute sa personne, on comprend que celui qui en possède une parcelle participe à une partie de son pouvoir, et quant à la nécessité que le possesseur l’ignore, elle s’explique par le besoin de mystère qui caractérise toutes les croyances superstitieuses.

A propos de fée, je signalerai un cas de déformation de nom de lieu que j’ai constaté dans le département de Seine-et-Marne. Il y a dans la commune de Pontault un lieudit « l’Affinoire » qui pourrait faire penser au peigne dont on se sert pour affiner le chanvre, bien qu’on l’écrive avec un e final. Mais en remontant dans les anciens titres, ce nom s’écrit : « la fi-noire », c’est-à-dire : la fée noire. Le mot s’était transformé avec l’oubli de la légende, dont je n’ai pu retrouver aucun souvenir.

Nous savons, d’ailleurs, qu’il n’est pas besoin d’aller en Vendée ou en Bretagne pour trouver des croyances analogues chez des Parisiens, et j’ai connu de nombreux chasseurs qui, sortant pour se livrer à leur plaisir rentraient sans se mettre en campagne s’ils avaient rencontré une pie, un corbeau ou un curé, persuadés que cela leur porterait malheur et qu’ils ne tueraient rien ce jour-là. Ils n’avaient pas tort en ce sens que, préoccupés par leur idée fixe, ils avaient beaucoup de chances pour manquer de sang-froid et être maladroits. Je ne crois pas que ces chasseurs fissent de différence selon que la rencontre avait eu lieu à gauche ou à droite et cependant à l’origine de cette croyance, au moins chez les [p. 376] Latins, le mauvais présage ne venait que de la gauche (sinistra) et tout le monde sait que c’est de là que nous vient le mot sinistre.

On a remarqué qu’en Égypte, Horus et tous les dieux bons partent du pied gauche, parce que c’était de gauche que venaient les bons présages, tandis que le dieu du mal Typhon est le seul qui soit représenté la jambe droite en avant.

Il est certain que les Anciens, qui attachaient tant d’importance aux moindres actes de la vie, tous réglés par la religion, devaient avoir soin de ne franchir le seuil de la maison que du pied gauche ou du pied droit selon la croyance en honneur,

Faut-il rapprocher de cet usage la règle qui veut que nos soldats partent du pied gauche, tandis que le civil, à moins qu’il ne soit gaucher, part du pied droit et faut-il voir là, comme en Égypte, une différence entre le militaire qui fait œuvre de mort et le civil qui fait œuvre de vie : je ne serais pas éloigné de l’admettre comme la survivance inconsciente d’une époque très éloignée.

On sait que dans beaucoup d’endroits la hache polie, considérée comme pierre de foudre, passe pour un préservatif en cas d’orage et qu’on l’insère à cet effet ou dans la cheminée ou au-dessus de la porte d’entrée de la maison. Mais cette croyance s’est transformée comme les autres sous l’influence du christianisme et l’on m’a affirmé qu’à La Barthe-Rivière, arrondissement de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) lorsque l’orage est menaçant, on met dans une assiette contenant de l’eau bénite une hache en fer, le tranchant en l’air, persuadé que l’on a constitué ainsi un excellent paratonnerre.

Le jour et la nuit, la lumière et l’ombre, le blanc et le noir ont depuis bien longtemps répondu à l’idée du bien et du mal, du bon et du mauvais et nous continuons plus ou moins à subir cette influence, nous faisons comme nos ancêtres, qui marquaient par des pierres blanches ou noires les bons ou les mauvais jours, et si nous trouvons dans nos aliments des parcelles noires, nous les retirons instinctivement, sans réfléchir que ce qui est blanc peut ne pas être meilleur et que le plus ou moins de pigment sur une matière végétale ou animale n’est pas ce qui doit la rendre nuisible.

La lune, à laquelle les humains attachent tant d’importance au point de vue de la mentalité ou de la végétation et même comme réglant la procréation des garçons ou des filles, n’est en aucune façon responsable des effets plutôt mauvais qu’on lui prête. Combien de gens pourtant croient à la lune rousse, sans penser que les pousses printanières sont gelées parce qu’en l’absence de nuages, il se fait un plus grand rayonnement dans l’espace de la chaleur terrestre, quelle que soit la phase de notre satellite. Certaines fermières ont soin de ne mettre les œufs à couver que pendant la nouvelle lune ; les jardiniers conseillent de planter pendant la lune croissante et les forestiers d’abattre les bois pendant le déclin de la lune, ils seraient bien embarrassés pour justifier ces recommandations.

Mais la croyance qui a peut-être les plus nombreux partisans et qui [p. 377] m’a toujours étonné, c’est l’influence attribuée aux diverses phases de la lune sur le changement du temps. Car si l’influence de la lune s’exerce sur la terre dans les marées par exemple, c’est par son volume et non par le plus ou moins de lumière qu’elle reçoit du soleil. D’un autre côté, comme cette influence peut, dans la croyance générale, ne se manifester que trois ou quatre jours avant ou après chaque quartier et que chacun de ces quartiers dure huit jours, il est toujours facile de faire Coïncider un changement de temps avec une phase lunaire. La division de la clarté de la lune par quarts ne rime d’ailleurs à rien dans la nature ; on aurait pu la faire par tiers. En réalité, les changements de temps : sont surtout produits par la rotation de la terre, sur laquelle la lune n’agit que de façon très secondaire, et par la chaleur du soleil, qui produisent la lutte des moussons et des alizés, mais les croyances sont d’autant plus tenaces qu’elles sont moins raisonnées.

Toutes les prestations de serment, toutes les paroles sacramentelles, qui ne sont que la superstition des temps où l’on croyait que la formule magique avait puissance d’évocation sur la divinité, devraient être depuis longtemps supprimées et en effet, pour le serment, de deux choses l’une : ou celui qui le prête est un honnête homme et il n’aurait pas déguisé la vérité sans prêter serment, ou c’est un malhonnête homme et il y a beaucoup de chances pour qu’il ne recule pas devant un faux serment. D’ailleurs les choses sur lesquelles on prête serment sont plus ou moins vraies et respectables d’après les opinions de ceux à qui on le demandera et il est assez ridicule de condamner un individu qui refuse de jouer la comédie en jurant par un dieu auquel il ne croit pas.

Cependant je puis citer un cas où la prestation de serment a produit un effet considérable. Devant un tribunal de première instance, le demandeur réclamait le paiement d’un travail que le défendeur affirmait avoir payé sans pouvoir le prouver par la production d’une quittance. Le défendeur déféra au plaignant le serment probatoire et le demandeur en levant la main tomba à la renverse. Celui-ci faisait évidemment un faux serment, mais pour tout homme ayant conservé des sentiments moraux, la simple affirmation d’un fait inexact aurait pu produire le même résultat et cet exemple ne justifie pas la conservation du serment.

Le pain est encore l’objet de nombreuses superstitions. J’ai vu souvent, surtout à la campagne, la maîtresse de maison faire toujours un signe de croix sur le pain, avec son couteau, avant de l’entamer.

J’en puis citer une qui, craignant que ses convives ne fissent pas tous un signe de croix en mangeant les morceaux d’un pain béni, faisait ce signe avec le pain entier avant de le partager.

Le pain mis à l’envers est pour beaucoup de personnes un signe de malheur. J’ai lu une explication de cette croyance dans le fait qu’autrefois le bourreau après une exécution avait droit à un pain et pour éviter qu’il touchât aux autres pains, le boulanger retournait celui qui était destiné au bourreau.

Le mauvais présage constitué par le sel renversé s’explique par [p. 378] l’offre du pain et du sel en signe d’hospitalité ou d’amitié, qui se fait encore en Russie par exemple. On comprend qu’en pareille circonstance le renversement du sel puisse être considéré comme un refus d’amitié, s’il est volontaire, ou au moins comme un accident pour des personnes superstitieuses.

La croyance à la glace cassée comme présage de mort remonte évidement aux époques lointaines où l’ombre et l’image de l’homme étaient considérées comme une émanation de sa personne, son double ou son Ame et il paraissait évident que le miroir brisé tuait le double et que l’Ame étant morte, le corps ne devait pas lui survivre longtemps. C’est à ces songes creux que tant de civilisés, qui se croient raisonnables, ont encore confiance.

Certains porte-bonheur peuvent paraître à première vue assez difficiles à comprendre, ainsi mettre le pied sur quelque chose de mou et de malodorant. Je m’explique cette croyance bizarre par une sorte de compensation qui conduit à penser qu’après avoir subi un désagrément on est en droit d’attendre un événement heureux. Mais ici encore il ne faut pas que le fait soit volontaire et la légende veut que Polycrate n’ait pu éviter l’infortune en jetant son anneau dans la mer.

La croyance aux porte-bonheur ou amulettes : scapulaires, croix, cœurs, ancres, cochons de St-Antoine, buis béni, gui d’amour, trèfle à feuilles, etc., etc., qui devrait diminuer avec la diffusion de l’instruction obligatoire, est peut-être plus vivante que jamais, on voit des femmes en porter des brochettes et les grands magasins, qui suivent le goût du jour, ont des rayons qui y sont consacrés. Tout au plus peut-on se consoler en pensant que pour sentir le besoin d’en avoir en aussi grand nombre, il faut que la vertu de chacun de ces gris-gris soit réduite à bien peu de chose.

Puisque j’ai nommé St-Antoine, il ne faut pas croire que ce saint homme ait eu un compagnon qui, fut-il un cochon, n’est pas à dédaigner quand on est seul dans le désert et puis cet animal ne passe pas pour avoir la tempérance d’un anachorète. La vérité est que les cochons vivaient en liberté dans les rues au Moyen-Age, mais qu’ils commirent tant de méfaits qu’une ordonnance royale dût les priver de la liberté, mais on fit une exception pour ceux appartenant aux religieux de l’ordre de St-Antoine et de là vint l’habitude de représenter ce saint avec un cochon.

J’ai entendu dire il y a longtemps, par une grand-mère, que rien n’était dangereux comme les rognures d’ongles et qu’en grattant avec les ongles l’intérieur d’un verre, on pouvait causer la mort de la personne qui buvait dedans. Cette croyance, qui peut se justifier jusqu’à un certain point par la théorie des microbes, était-elle un pressentiment des découvertes de Pasteur ? Il est certain qu’avant les constatations de notre illustre savant, les ongles des médecins, qui prennent aujourd’hui les précautions nécessaires, ont dû être un moyen de propagation pour beaucoup de maladies infectieuses.

M. Jules Termina racontait récemment qu’à St-Sauveur de Lorzac [p. 379] (Aveyron), quand une femme est accouchée, le curé la considère comme en état d’impureté. La maternité est une souillure et pour obtenir le droit de rentrer dans l’église, la pauvre créature doit rester à genoux sur le seuil. Une amie ou une voisine va trouver le prêtre et, par une formule consacrée, sollicite humblement du curé l’admission de la coupable.

Le prêtre accompagné d’un porte-cierge vient à la rencontre de l’impure, puis il lui fait prendre le bout de son étole et, telle un chien en laisse, l’emmène dans l’église.

Conclusion, le versement du prix d’une messe.

Dans toutes les parties du monde et depuis les époques les plus reculées jusqu’à nos jours, la femme a toujours été considérée par toutes les religions comme étant en état d’impureté aux époques menstruelles et après l’accouchement.

La religion chrétienne, qui n’est guère qu’une synthèse de toutes celles qui l’ont précédée, après avoir discuté dans un concile si la femme avait une âme, persiste à la considérer comme inférieure à l’homme qu’elle a séduit et qui ne paraît pas le regretter et comme impure, ce qui permet de continuer à l’exploiter.

En Bourgogne et probablement partout ailleurs où les fidèles veulent s’y prêter, après la première nuit de noces, les jeunes mariés doivent aller entendre une messe.

Je crois qu’il est d’usage général chez les personnes pieuses, qu’après les relevailles, la première sortie de l’accouchée soit pour aller entendre la messe. C’est ce qui reste de la cérémonie de St-Sauveur de Larzac, qui devait autrefois être générale, mais avec la diminution de la foi, le curé se contente du paiement d’une messe.

Les superstitions ne sont si persistantes que parce qu’elles forment le fond de l’éducation cléricale et sont soigneusement entretenues par ceux qui en vivent.

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Illustrator and Painter John Dickson Batten.

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