Les enfants des sorciers en Hainaut au XVIIe siècle. De Paul HEUPGEN.

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Les enfants sorciers en Hainaut en XVIIe siècle, par Paul Heupgen, Juge des enfants à Mons. Article paru dans le « Bulletin de la Commission Royale des Anciennes Lois et Ordonnances », tome XIlI, Fasc. 6, pp. 457 à 477.
Il fut tiré-à-part : Saint-Gilles, Imprimerie administrative, 106 avenue Dupectiaux, 1933. 1 vol. in-8°. C’est sur celui-ci que nous avons établi notre transcription.

Le texte que nous présentons ici traite d’un sujet peu commun et très rare dans les annales des procès de sorcellerie, car il traite des enfants des sorciers.

Paul Heupgen est né en 1868 et mort en 1949. Après avoir suivi ses études à l’Athénée Royal de Mons, et sort avec don doctorat en droit obtenu avec le premier prix. Il office durant quatre ans au Barreau de Mons, puis exerce jusqu’en 1921 les fonctions de secrétaire général des Hospices Civils de la même ville. De 1922 à 1931, il exerce dans la « magistrature » les fonctions de Juge au tribunal de Mons, de Juge d’instruction et enfin de Juge des enfants. Mais Paul Heupgen s’était surtout attaché à l’ étude du passé de la ville de Mons ; fouilleur infatigable, il furetait dans les archives de la ville, pour en tirer des chroniques publiées dans le journal « La Province » sous le nom de « Viéseries ». 
Ce chasseur de « viéseries » avait fait œuvre de vulgarisateur en se penchant avec amour sur les faits divers du passé de sa ville. Dans cet article il conjugue ses deux passions. Cet article intitulé : Les enfants sorciers en Hainaut en XVIIe siècle, par Paul Heupgen, Juge des enfants à Mons, est Extrait du « Bulletin de la Commission Royale des Anciennes Lois pt Ordonnances, tome XIlI, Fasc. 6, pp. 457 à 477. Il futt tiré-à-part : Saint-Gilles, Imprimerie administrative, 106 avenue Dupectiaux, 1933. 1 vol. in-8°,

Les [p.] renvoient aux numéros de pages originaux.  Nous avons respecté le français de l’époque, tant pour l’orthographe, la grammaire que la syntaxe.

[p. 457]

LES ENFANTS DES SORCIERS EN HAINAUT
AU XVIle SlECLE
par
PAUL HEUPGEN

Juge des Enfants à Mons.

Presque tous les pays ont adopté le principe de la spécialisation des tribunaux pour enfants, mais avec des différenciations notables clans la composition de ces tribunaux, et surtout dans la notion de l’Enfance. Au point de vue de l’âge déterminatif de l’enfance, existe toute une échelle, qui va de 7 à 16-18 ans : au sommet de l’échelle se trouve la Belgique.
La notion de l’enfance, en matière répressive, ne part pas de données réalistes, scientifiques : elle procède du but que veut atteindre le législateur. Celui-ci déclare « enfants » ceux qu’il veut soumettre à une légalisation déterminée, qui est maintenant toute de protection, de clémence : système que l’on considère, pour le moment, comme le plus profitable, le plus utile.
La conception de l’utile est variable : aussi, voit-on suivant les temps, défendre des systèmes opposés sur la détermination de l’âge limite de l’enfance : la répression violente est-elle considérée comme utile, on tend à abaisser l’âge de l’enfance. C’est le phénomène qui se constate en Hainaut au XVIIe siècle, en matière de sorcellerie. Le XVIIe siècle, qui vit une telle efflorescence des arts et des lettres, vit aussi une véritable folie collective ; c’est le siècle de la sorcellerie. Jamais il n’y eut autant de procès de sorcellerie.

Les greffes des juridictions du Hainaut en ont conservé maints dossiers.

[p. 458] C’est la partie de l’ancien Hainaut, maintenant réunie à la France, qui donne le plus de cas.
Le seigneur de Bouchain (arrondissement actuel de Valenciennes), en 1612, signale à la Cour souveraine de Mons, juridiction correspondant à une cour d’appel, qu’il existe dans sa châtellenie quantité d’enfants sorciers de 7, 8 ou 9 ans. (1)

Un cas nouveau s’est présenté chez un enfant de 8 ans. Dans des termes emphatiques, le seigneur de Bouchain demande tout simplement de pouvoir mettre cet enfant à mort ; car la peine du crime de sorcellerie était normalement la mort.

La Cour, perplexe, en réfère aux souverains, les archiducs Albert et Isabelle.

« Messeigneurs,
« Depuis quelque temps ença, l’expérience a fait voir en divers endroits de ceste province de Haynau, que l’ennemy de nature a tellement gaigné par ses artifices et illusions sur plusieurs personnes, et principalement sur les pauvres et simples manants du plat pays, que de les avoir entaché en fort grand nombre du crime excécrable de sortilége, et par ce moien causé beaucoup de malheurs, sy avant que ces misérables ne se contentans de pratiquer leurs maléfices, ont glissé plus oultre à pervertir grandnombre de jeunes enfans soubs l’aage de sept, huit ou noef ans, et à quoy ny les peines et exécutions rigoureuses que la justice y a sceu apporter, ny les moiens ecclésiastiques, qui souventes fois y ont aussi estés appliquez, n’ont peu remédier.
« Ores, aians nouvellement receu les plaintes et advertissemens du sieur de Maulde, gouverneur de la ville et châtellenie de Bouchain, sur plusieurs enfans corrompus aux lieux de son gouvernement, notamment d’un Robert de Lattre, demeurant au lieu de Saint-Amand, en la haulte [p. 459] justice de leurs Altesses sérénissimes, proche du dit Bouchain, aagé seulement de huit ans, comme se peut voir par les pièces cy jointes, aiant proposé le dit sieur qu’il estoit plus que nécessaire d’extirper celte vermine abominable, par un reiglement rigoreux et sommier, veu le danger qu’il y a en l’attente, avons esté perplexes de donner résolution sur ce fait, d’aultant que d’un costé l’infirmité de l’entendement, l’incapaeité de dol, avec l’imbécillité des puissances et qualitéz requises pour former une volunté en une complexion si tendre, et le regret et commisération que ung chacun prend, parlent pour l’innocence de ces jeunes enfans. Et d’aultre part, l’énormité du fait, l’abomination d’un crime sy détestable, la fréquence du délict et l’intérèt que chacun en reçoit, crient leur condamnation ; cause que parmy la diversité des opinions qui se rencontrent en des malheurs si estranges, sommes esté meuz de recourir à la provision souveraine et puissance absolue de leurs altesses sérénissimes, supplians bien humblement vos Seigneuries d’y vouloir donner l’ordre et règlement convenable, que devrons suivre doresnavant en tel cas.
« Ce qu’attendans, prierons le bon Dieu bien heurer vos Seigneuries, Messeigneurs, de ses grâces saintes, avec l’entier accomplissement de leurs bons désirs.
« De Mons, le 25e juing 1612.
« De vos Seigneuries, bien humbles et très affectionnés serviteurs, les gens de la souveraine cour à Mons.»

Il semble qu’après, le seigneur de Bouchain est revenu à la charge, car voici un document non daté, qui se rattache au même objet :

« A la court.
Remontre le lieutenant de l’office Ordinaire de la ville et châtellenie de Bouchain, que depuis deux ou trois mois ença, on a découvert el convaincu du crime de sortilège syx enfans en bas eage, les parens desquels ont esté exécutez au dit office pour le mesme crime. Les procès desquels [p.460] ayans estés consultez à Messieurs du conseil de leurs Altesses à Mons, ils ont trouvé convenir d’en communiquer à vos Seigneuries pour avoir ordonnance en quelle façon on en pourra juger. Et comme depuis leurs lettres escriptes à vos Seigneuries, aultres enfans ont esté semblablement convaincus, et y a apparence que grand nombre se trouveront infectez qui commettent journellement des nouveaux maléfices, meisme par ceulx qui sont notoirement convaincus, à cause que le cépier ny aultres personnes ne veulent emprendre de les garder enfermez, qui cause un grand murmure parmy le peuple esmeu contre semblables personnes, et pourroient les dis enffans estre assommez secrètternent avec péril de leur salut. Le remonstrant est venu en personne pour supplier vos Seigneuries de vouloir ordonner sur les lettres des dis du conseil à Mons, concernant ce fait et obligence. »

Le dossier qui contient les documents qui précèdent, ne donne pas la suite réservée à la plainte du seigneur de Bouchain.
Mais une requête de même nature avait été présentée par le magistrat d’Inchy (arrondissement actuel d’Anas).

Le 30 juillet 1612, les archiducs en leur conseil privé, décident que l’on ne pourra pas mettre à mort les enfants sorciers qui sont sous l’âge de puberté :

« Coppie de l’ordonnance enssuivie par lems Altesses sur la requeste présentée par les officiers d’Inchy, comme s’ensuit :
« Leurs Altesses sérénissimes ne trouvent convenir que les joesnes enffans, estans soubz l’eage de puberté quy sont ou seront cy après chergiéz du crime de sortilège, soient punis du suplice de mort. Mais qne, pour leur donner crainte et terreur, l’on les face assister à l’exécution de leur père et mère, ou aultres parens sorchiers. Et ce fait, l’on les face fustiger de verges, ou aultrement chastier selon les mérittes et circonstances qui résulteront des procès. Et par après détenir et garder en quelque prison, Sy l’on en peult [p. 461] recouvrer. Sinon en quelque maison que pour y recepvoir tels joesnes sorchiers, sera acheptée ou louée aux frais de la gouvernance ? Et y commis quelque concherge ou gardien, pour y estre les dis enffans eathéchisés et instruictz en furnissant par les cornmunaultez des villages dont les dis enffans seront natifs, leurs allimens et nécessitez.
« Faict au conseil privé de leurs Altesses sérénissimes, tenu à Bruxelles le pénultièsme de juillet 1612. »
(S) Buisine.

Cette décision parait bien barbare encore dans sa clémence; cependant, elle ne répond pas au vœu du juge d’Inchy.

Les archiducs doivent donner des injonctions formelles :

« Les archiducqs,
« Chers et bien amez, Vovs venez par la requeste cy enclose comment les bailly et aultres officiers de la baronnie d’Inchy se sont rendus plaintifs vers nous, de ce que ne satisftaictes au règlement par nous ordomié le pénultièsme de juillet dernier, sur le faict des jeusnes enfans chargez du crime de sortilége,
« Et comme voulons que nos commandemens soient ponctuellement observez, nous vous enchargeons bien expressément par cestes, que sans aulcune difficulté ou délay, vous· obéyssiez à ce qu’est porté par la dicte ordonnance, mesmes au regard des alimens des dis enfans, afin que les dis remonstrans ne soyent occasionnez de recourir à nouvelle plainte.
« A tant, chers et bien amez, notre Seigneur Dieu vous ait en sa sainte garde.
« De notre ville de Bruxelle8s, le 6 de novembre 1612.
« A nos chers et bien amez, ceulx de la Joy de la baronnie d’Inchy. »

Les motifs de la résistance constatée à Inchy sont exposés dans une requête de la gouvernance de Douai et Orchies, en date du 21décembre 1612.

[p. 462] Il s’agit de préciser ce qu’il faut entendre par puberté ; quel âge faut-il admettre ?

« Messeigneurs,
« Estans réduisez en grande perplexité touchant le reiglement que debvons tenir en la punition et correction exemplaire d’aulcuns josnes fils et filles que tenons prisonniers entachez et totalement convaincus de l’excécrable et abominable crime de sorlilége, et spécialement une de plusieurs morts de personnes et bestes ayant ja surpassé l’eage de qualtorze ans, et alleinclra le quinzième au mois de mal’s prochain, estant de très bon et vif jugement, bien endoctrinée en préceptes communs de notre mère la saincte église apostolique ct romaine, pour avoir eu son père clercq du village de sa demeure, ayant par ce moyen bonne et parfaite cognoissance des mésus et énormes crimes par elle commis, avecq dc la punition qu’ils méritent. Car ayant fait visiter son prochès par gens doctes et légistes, avecq de l’ordonnance faicte au Conseil privé de leurs Altesses sérénissimes par vos seigneuries le pénultièsme juillet dernier, l’on a trouvé quelque doute en ces molz : « josnes enffans soubz l’aage de puberté ». Tenans les uns dehvoir entendre de la plaine el absolutte puberté, laquelle est de dix huit ans, les autres de la puberté rendant la personne capable de dol, courant aux femelles depuis douze ans. Tellement que nous ayants telles diversités d’opinions, cause la dite perplexité, craignant de, en ce reg3l'(\, offenser Dieu, leurs dites Altesses sérénissimes et vos seigneuries, avons trouvé par conseil convenir leur faire du tout advertence, aux fins d’estre certoyez sy debvons en telles corrections altendre la dicte puberté pleine el absolute, et s’il ne suffiroit que tels délinquans, pour procédcr contre eulx par voye extraordinaire, euissent seulement attainct l’eage de quattorze ans completz, sy avans qu’ils fussent de sain et vif entendemcnt, ayant (comme dict est) parfaite cognoissance [p. 463] de leurs mésus, avecq la gravité d’iceulx et des peines qu’ils méritent, (2) pour suivant ce, nous reigler et conformer tant pour la punition de celle que tenons présentement, que d’aultres, lesquelles en apparence, debvront estre constituez prisonniers à briefs jours pour mesme crime, sy avant qu’on voeuille en extirper la race avec la grâce de Dieu et assistance de leurs Altesses sérénissimes et vos seigneuries, au soulagement de leurs pauvres peuples.
« Estans encore pressez de faire advertance à vos dictes seigneuries des incommodiez, périls, dangers, cousts frais et despens que s’ensuivroient, advenant que le dict eage de quattorze ans au completz des personnes ainsi qualifiées que dessus, estans par ung, deux, trois et plusieurs crimes dignes de mort, il conviendroit néantmoins attendre le dict eage de dix huit ans, attendu que serions constraints de toujours les tenir prisonniers, tant pour éviter l’exercice de leurs maléfices, desquels rarement l’on les voit purger, que pour la crainte de corrompre les aultres.
« En quoy la républicque porteroit grands intérèts.
« Comme par le mesme décret du pénultièsme de juillet dernier est aussi dict que ceulx n’ayans atteint la dicte puberté seront nourris et alimentez par les communaultez des lieux des villaiges de leurs naissances, les mannans des dicts lieux nous ont requis, spécialement ceux du village de Cantin, auquel s’en retrouve grand nombre, vOlllloir supplier mes dicts sieurs de scavoir si avant que les parens de tels josnes enffans ayent les moyens de furnir les dicts aliments et entretenemens, iceulx ne se doibvent prendre plustost à la charge de dis parens, que des communaultez n’ayans coopéré avec iceulx aulx crimes par eulx perpétrez : de quoy prions pareillement estre de tout point certoyez, prendant pied qu’icelles eommunaultez sont grandement [p. 464] intéressées en leurs biens et facultez par les pertes qu’ils ont souffert à raison des dicts crimes de sortilége, tant en leurs bestiaulx comme aultrement.
« Remerciant et attendant sur ce le reiglement de vos dictes seigneuries, prierons le Créateur, Messeigneurs, vous donner toute prospérité, bonne et heureuse vie.
« De Douai le 21 décembre 1612.
« Très humbles serviteurs, les lieutenans et aultres officiers de la gouvernance de Douai et Orchies. (S) Desprets.
« A Messeigneurs les chief et gens du Conseil privé des Archiducqz. »

Dans cette requête, où se pose la question du discernement, on voit que pour arriver à mettre à mort les enfants sorciers, les magistrats de Douai-Orchies veulent ramener la puberté à 14 ans.

Le 10 janvier 1613, les archiducs donnent une interprétation officielle de leur décision du 30 juillet 1612 :

« Aux lieutenans et aultres Officiers de la gouvernance de Douay et Orchies,
« Les archiducqz
« Chers et féaux. pour vous esclaircir du doubte que faictes en votre leUre du 21 du mois passé; sur le contenu de l’acte émané de notre conseil privé le pénultièsme du mois de juillet dernier touchant les enffans chargez du crime de sortilége, nous vous dirons que l’eage de puberté y mentionné, se doibt entendre en confomité du droit escrit, à scavoir de quatorze ans au completz aux masles et de douze ans aux femelles.
« Et au regard des alimens des dis enfans, dont pareillement est traicté au dict acte, iceulx se debvront furnir par les communaultés de leur naissance, s’ils n’ont ni père ni mère ni aultres parens pourveuz de moiens qui de droit sont obligez de les nourrir. (3)
[p. 465] « A tant, chers et féaux, notre seigneur Dieu vous ail en garde.
De Bruxelles, ce 10 janvier 1613. »

Résistant aux sollicitations du magistrat de Bouchain, les archiducs se montrent indulgents, en permettant de mettre à mort les enfants sorciers, les garçons de 14 ans, les filles de 12 ans.
C’était le détermination de l’âge limite de l’enfance, tout au moins en matière de sorcellerie.
Les chartes nouvelles du pays et comté de Hainaut de l’an 1619, (4 )traitent des enfants sorciers dans une disposition que l’on trouve au chapitre 135, intitulé « Des Lépreux ».

« art. 22, Quant aux sorciers et sorcières en minorité, comme entachés de lèpre spirituelle, seront nourris et alimentés aux dépens de la commune, et non du seigneur haut justicier, si tant qu’ils, ou leurs père et mère, n’aient de quoi y fournir. »

La minorité n’est pas déterminée.
Or normalement, elle s’étendait pour les filles jusqu’à 18 ans, et pour les garçons jusqu’à 21 ans,
Un procès de sorcellerie qui se poursuivit en 1671 devant les échevins de Mons, démontre que l’on ne tint aucun compte de cette disposition. (4)

C’est le procès de Marguerite Tiste, native de Jemappes, « porteuse de faisy au rivage pour les marchand».
Elle se dit âgée de 18 ans ; son pasteur lui donne 14 ans, sa marraine la femme du mayeur de Jemappes, 16 ans.
Avec des détails extraordinaires, elle raconte que depuis 4 ans, elle s’est donnée au diable, qui lui a mis sa marque, [p. 466] lui a donné une graisse pour s’oindre les membres et s’envoler aux danses, qu’elle décrit avec minutie.
Tout cc qu’une imagination délirante peut produire est là, naïvement consigné par des magistrats, qui posent des questions prouvant leur pleine croyance au diable, aux sorcières.
La pauvre fille avoue tout ce que l’on veut ; se vante d’avoir ensorcelé des enfants avec une pomme cuite, une tartine.
Elle se conduit elle même au dernier supplice ; en effet, elle est étranglée à un poteau et brulée ! (5)
Les magistrats de Mons n’avaient eu aucun scrupule sur la question d’âge.

En 1676, le magistrat d’Etroeungt (arrondissement actuel d’Avesnes) eut à juger un enfant de 15 ans, accusé de sorcellerie. (6)
Son désir était manifestement de mettre à mort ce mineur : mais il s’arrêta devant la disposition de l’art. 22 du chapitre 135 de la chartre de 1619.
Il en référa au Roi Charles II, qui renvoya l’affaire à son conseil ordinaire à Mons.
Celui-ci, par des arguties, trouva moyen de contourner la chartre.
Par ordre du roi, il évoqua la cause, et le 3 février 1677, prononça sa sentence :
« Conclu de déclarer que l’office d’Estroeun debvra condamner le dit Jean à estre estranglé à un potteau jusqu’à [p. 467] ce que mort s’en suive, puis bruslé en la forme accoustumée ».
On reste terrifié quand on voit qu’à une époque si proche de la nôtre, en pays de pleine et ancienne civilisation, une haute cour de justice rend pareille sentence.
Ces magistrats étaient cependant de bonne foi, mais étaient dans l’erreur.
Malgré leur aberration, il faut avoir pour eux une certaine indulgence.

Car des erreurs règnent peut être encore maintenant, et notre siècle aura peut être besoin aussi d’indulgence.

Fin

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 Annexe

Extraits du dossier du procès criminel
de Tiste Marguerite, native de Jemappes, pour
sortilège – 1671

Archives de l’Etat à Mons
Greffe des échevins de Mons
Liége du mardi – n° 439

1.

Interrogatoire du 8 mai 1671

1. La prisonnière, amenée en la salle rouge, dit qu’elle se nomme Marguerite Tiste, à marier, en eage d’environ dix huit ans, natifve de Jemappes, fille de Charles, portant le faisy pour les marchands au rivaige, et d’Agnès du Four, morte passé longues années.

Ressuivie le 13 mai 1671, en présence de
Messieurs le Brun et de Gage, a dit le
mesme, hormis qu’elle a dit qu’elle
n’est âgée que d’environ quatorze ans,
ainsi que son pasteur lui a dit.

2. Enquise si elle n’a frère, ni soeur ?
A dit qu’elle a une soeur morte passé quatre ans, décédée à Jemappes, à La maison Jacques Caudron en qualité de servante, estant eagée de vingt quatre ans. Et ses soeurs sont mortes toutes jeusnes.

3. Encquise si sa soeur ne lui a appris à faire des maléfices ?
A dit qu’un an avant la mort de sa dite soeur, résidente lors ensemble chez leur père, gardant les vaches en un paschy, (8) elle luy a dit qu’on allait aux dances cinq à six lieu, et luy demanda si elle voulait aller avec. Et luy ayant respondu que c’estoit trop long, elle luy dit que lors qu’elle [p. 469] seroit lasse, qu’elle la porteroit sur son dos, Et lui ayant répliqué qu’elle seroit scrande, (9) elle luy dit que non ; qu’il y avait un homme qui la porteroit. Et luy aient demandé si elle voioit cet homme, elle luy dit que non, et qu’il n’y avait qu’elle qui le veid, et qu’il n’estoit que de la grandeur de son père, Et trois ou quatre jours après, estant sarquelante dans son jardin avec sa dite soeur, elle luy fit mesme conte sur le matin. Et estant couchée sur les dix heures de la nuyct, au mois de mars, elle s’habilla ; elle s’estant habillée paravant, elle la chargea sur son dos, et la lya avec une cingle, et l’emporta environ un quart d’heure à pied, Et puis, elle ala et la porta en aire environ trois heures ; et puis elle la déchargea sur un mur, disant qu’elle n’estoit lasse, mais la parlante luy dit qu’elle estoit fort lasse, comme toutte craventée. (10) Et puis elles furent à pied environ une heure, aiant désiré paravant estre deschargée, parce qu’elle estoit trop lasse et trop fort estreinte, Et elles arrivèrent à une place où elles trouvèrent environ trente tant filles que femmes que garçons, et un homme qui les mettoit en ordre, qui estoit habillé gris, de chaire noire. Et les aiant tous assemblé, il la pris par la main et la mis dans la danse, et dansèrent une ronde danse environ une heure, Et puis, ce dit homme la danse finie, se fut joindre à un plus grand, qui estoit extraordinairement noir de visage, et devisèrent ensemble. Et elle et ceux de la compagnie s’assirent à terre, y aiant toujours eu trois à quatre chandeilles dont la lueur estoit noirastre, mise sur des chaises de bois à trois ou quatre pieds. Et aiant ainsi esté assise près de sa soeur environ demi heure, près de laquelle il y avait un homme qui luy parloit bas, elle se rethira avec sa soeur, qui la mena environ deux heures par la main. Et puis elle la chargea de mesme qu’elle l’avoit apportée, excepté qu’elle la porta à pied ; et elles sont retournées à leur [p. 470] maison par la porte que sa soeur ouvrit, et furent en leur chambre où elle la déshabilla et se mirent au lict.

Du 9. Et cinq ou six jours après, aiant esté coucher avec sa soeur, un homme noir habillé la revint éveiller, et lui dit qu’elle s’habilletoit, ou qu’il luy casseroit la teste avec un baston de fagot, et dit qu’il falloit qu’elle iroit avec luy. Et lors, elle se decoucha, sa sœur estant allée avant que le dit homme luy eut apparu. Et le dit homme l’emporta par la fenestre du toit et la mis en bas, et puis il lui dit qu’elle marcheroit, comme elle a fait environ trois heures, estant suivie à quatre ou cinq appas de cet homme, lequel pris le devant estant environ demi heure de la place, qui estoit la mesme que la première. Et y estant, elle vil sa soeur qu’elle reconnut bien, et quantité d’autres qu’elle ne conneut. Et s’estant assise sur l’herbe, aiant deux ou trois entre elle et sa soeur, le dit homme se mit près d’elle et la mena danser avec tous ceux de la compagnie, comme elle avoit fait la première fois, sans qu’on y eut fail autre chose. Et après la danse, il la ramena à son logis et la porta par la messe fenestre près de son lict, où elle trouva sa soeur, et il la baisa à la fasse sur l’esponce et lui demanda s’il la viendroit encore chercher, et elle respondit que oy.

5. Enquise si elle en parla à sa soeur, et si cet homme ne fit rien à sa soeur et s’il ne se coucha sur elles ?
A dit qu’il n’a parlé à sa soeur, qn’il ne luy a rien fait, et qu’il ne se coucha près d’elle.

6. Enquise si elle n’a conté à sa soeur cet accident ?
A dit qu’elle luy a conté, et qu’elle a dit qu’elle ne l’avait veu revenir, qu’elle l’avait bien veue à la danse, et qu’elle estoit revenue en air, et puis elle est tombée malade et elle en est morte, advertissant que lors sa soeur demeuroiy en la maison Jacques Caudron, et qu’elle estoit venue coucher près d’elle quinze jours, à cause qu’elle avoit crainte de [p. 471] coucher seule, pource que sa tante estoit mrtte et que son père estoit en cette ville.

7. Enquise combien elle a été de fois à la danse ?
A dit qu’elle n’y a esté que quatre fois, scavoir deux fois comme elle a dit, la troizième passé un an, et la quatrième passé trois semaines, aiant l’une et l’autre fois bien esté portée en air. Depuis, a dit qu’elle a esté six fois.

8. Enquise s’il ne la venait souvent visiter ?
A dit que depuis la morte de sa soeur, il la venoit visiter presque tous les jours, en forme d’un homme ordinaire, hormis qu’il estoit toujours plus noir.

9. Enquise si elle n’a eu acointance charnelle avec lui ?
A dit que oy, et presque tous les jours, et que sa sœur en avoit un autre qui la baisoit aussi.

10. Enquise quand il a conneu la première fois ?
A dit qu’il l’a conneu la première fois lorsqu’il est venu parler dans le courtil de son père, lorsqu’elle estoit près de sa soeur sarquelant, laquelle l’en avoit adverty et luy dit qu’elle ne s’espouvanteroit et l’admonesta de ce qu’il se menoit.
Et qu’elle ne devoit permettre que cet homme luy eu changé son nom, parce qu’il en gaigne son àme,

11. Enquise ce que cet homme luy a dit ?
A dit qu’il ne luy a parlé que d’aller à la danse.

12. Enquise quand cet homme l’a conneu charnellement la dernière fois ?
A dit que ç’a esté vendredy passé huit jours, quand elle estoit allée demeurer à la maison Marguerite Daniel, sur la bruière, près de la belle maison, lorsqu’elle gardoit ses vaches, sur les deux heures après midi.

13. Enquise si elle avoit du plaisir quand il la baisoit ?
A dit qu’oy,

14. Enquise si la partie de cet homme estoit froide ou chaude, et si sa semence estoit chaude ?
A dit que tout estoit froid, tant la partie que sa semence, [p. 472] excepté qu’illuy semble que lorsqu’il faisoit chaud, sa partie estoit chaude, et sa semence toujours froide.

15. Enquise si depuis il ne l’est venu veoir ?
A dit que passé trois semaines, aiant esté se confesser à un recollet de celte viile, et luy déclaré son estat, il luy a dit que lors que cet homme qu’elle croyoit estre un diable, viendroit encore à elle, qu’elle luy diroit fermement qu’elle ne le vouloil plus et qu’elle le renvoiroit, luy aiant à cet effet donné de l’Agnus Dei, ce qu’elle a fait l’aiant veu venir le samedy dernier, et il ne l’a approchée lors que deux à trois appas, et il luy a dit que puisqu’elle ne le vouloit plus, qu’il en alloit revoir une autre ; et depuis il n’est plus revenu, adjoutant que lorsqu’il s’estoit rethiré d’elle après l’avoir baisé, elle se treuvat fort lasse et craventée à l’eslomacq et aux jambes, ce qu’elle ne sent plus depuis qu’il ne la vient plus veoir.

16. Enquise si le diable l’a marquée et en quel lien ?
A dit qu’après la morte de sa soeur, estant cueillant de la sallade dans le coutilde son père à midy, il s’est présenté à elle, et après avoir eu acointance avec elle, il lui a demandé s’il ne lui vouloit donner un autre nom, et si elle ne vouloit renoncer à son baptème, ce qu’elle ne voulut faire. Puis il lui quicta son corset de juppe et la marqua sur l’espaule gauge.

17. Enquise s’il ne l’a aucune fois battu ?
A dit qu’il l’a battu quatre à cinq fois, ne faisant bien à sa mode depuis qu’elle a esté marquée, et ce avec un baston.

18. Enquise ce qu’il vouloit qu’elle auroit fait ?
A dit qu’il vouloit qu’elle auroit ensorcelé un enfant, ce qu’elle ne vouloit faire ; mais a force de la battre, elle y consenty. Et comme elle luy dit qu’elle ne scavoit comme cela se devoit faire, il luy dit qu’elle luy donneroit un morceau de sa tartine avec de la poudrette qu’il lui mit ès mains comme plein un esclaffion de noisette ; qu’il luy dit qu’elle mettroit descμr le bure ; comme elle a fait à un [p. 473] enfant du béghinage de cette ville passé environ trois ans, lorsqu’elle vendit à sa mère une hottée de charbon. L’enfant estant lors en fachette, et elle luy donna à suscer sa tartine, sa mère luy aiant donné l’enfant à tenir, pendant qu’elle vidoit sa hottée, lequel enfant luy a esté hier apporté par sa mère dans la prison, afin qu’elle l’eût désorcelé, ce qu’elle ne peut faire à façon,

19. Enquise si elle n’a ensorcelé autres personnes ?
A dit qu’au commencement qu’elle a esté demeurer chez Josse de Paris, elle a ensorcelé ses deux petits enfants, la plus petite avec une pomme cuite, l’autre avec une tartine et de la poudre que le diable luy avoit donné. Et passé un mois, passant près d’une femme qui l’est aussi hier venu veoir en prison, elle l’a frappée et ensorcelée et mis de la poudre sur la manche de son cor, le diable estant auprès de luy, disant des parolles.

20. Enquise d’où elle avoit cette pouldre, oÙ elle la mettoit, et si elle en a encore ?
A dit que le diable luy donnoit, qu’elle la mettoit dessous la manche de son corps et qu’elle n’en n’a plus, qu’elle l’a jetté dans un ruisseau près de la porte de Nimy passé trois à quatre jours, afin qu’elle n’en auroit plus,

21. Enquise de quelle couleur estoit cette pouldre ?
A dit qu’elle estoit grise.

22. Enquise si le diable luy a dit à quoy cette pouldre servoit ?
A dit qu’il luy disoit que c’estoit pour faire mourir des personnes, si elles ne s’en faisoient soigner.

23. Enquise si elle n’a fait mourir des bestes ?
A dit que non.

24. Enquise si le diable lui a enseigné autres malices ?
A dit que non.

25. Enquise quand et combien de fois elle a esté portée en air ?
A dit qu’elle a esté portée une fois estant à Jemappes. [p. 474] passé deux à trois mois, et esté à la danse ; la seconde fois estant à la maison du dit Paris, après qu’elle eùt ensorcelé les enfants, et la troisième fois, lorsqu’elle estoit à la maison Jacq Sans barbe près de la porte de Nimy, et la dernière fois, passé quinze jours, lorsqu’elle demeuroit sur les bruières.

26. Luy dit qu’elle ment, puisqu’elle a dit qu’elle a esté deux fois à la danse du vivant de sa soeur morte passé quatre ans.
A dit qu’elle n’y a esté en tout que six fois.

27. Luy dit qu’il n’y a que huict jours qu’elle a esté demeurer deseure la belle maison.
L’a avoué et dit qu’elle n’y a demeuré que quatre jours, et que ç’a esté le quatrièsme jour qu’elle a esté en air à la danse environ les dix heures du soir, le diable l’aiant baisé et conneut deux fois à la maison et une fois à la danse, l’autre fois en revenant.

28. Luy demandé comme elle s’en alloit en air ?
A dit que le diable l’engressoit dessous ses deux bras et aux genoux et qu’après elle s’habilloit et volloit en aire comme elle voloit, quand elle retournoit de la danse.

29. Luy dit qu’il est à croire qu’elle a esté plus de fois à la danse qu’elle ne déclare ?
A dit qu’elle n’y a esté que six fois.

30. Luy demandé si estant à la danse, il n’y avoit un bouc au milieu, auquel on alloit laire la révérence et baiser son derrière ?
A dit que non.

31. Chargée que Jossè de Paris l’a priée de désorseler son enfant, et qu’à cet effet elle a invoquié le diable.
A dit qu’elle a tasché de le désorceler, et qu’elle a réclamé Dieu, notre Dame et les Saints, et non pas le diable.

32. Enquise si le dit Paris ne l’a battue, pour luy faire confesser qu’elle avoit ensorcelé son enfant ?
A dit que non.

[p. 475] 33. Chargée que devant venir demeurer chez Paris, elle avoit dérobé noef livres à un borain.
Elle a advoué qu’elle luy a pris cinq livres dans ses haultes chausses estant à la fosse, et que le lendemain sa belle mère luy a fait reporter.

34. Enquise si aux danses elle n’a conneu personne ?
A dit que non,

Et après lecture, a marqué m
Du 9 aprés midi,

En présence de Messieurs de Gage el le Duc.

35. La prisonnière a esté enquise si sa soeur ne luy a dit de qui elle avoit esté sollicitée de traiter comme elle l’a fait avec le diable ?
A dit que sa soeur ne luy a jamais dit, et qu’elle ne luy a jamais parlé,

36. Enquise si elle n’a connu sa mère, ny sa grand mèle ?
A dit que non.

37. Enquise avec quoy le diable l’a marquée, si la marquant il l’a blessée et lui faict grand mal ?
A dit qu’il l’a marquée avec une verge de fer toute rouge, et qu’elle en a senty grand mal bien une heure et qu’illuy a fait un trou de la profondeur de son poulche,

38. Luy demandé si le diable ne luy a mis quelque onguent ou y appliqué autre chose ?
A dit que non, et que l’aiant marqué, il s’est l’ethiré, l’aiant conneu paravant.

39. Luy demandé s’il n’est véritable que peut avoir quinze jours, elle a padé à une demoiselle qui estoit en carosse, dans la chaussée venant vers le marché ?
A dit qu’oy et qu’elle luy a demandé si elle ne luy scavoit service, et elle luy à respondu que non.

Luy dit qu’elle sest avancée jusques la portière et suivy le carosse jusque l’hospital Saint Nicolas.

A dit qu’elle n’a touché la portière et qu’elle a suivy le [p. 476]carosse jusque le grand marché, et de là elle, s’est descandue par le marché aux poissons et allée vers la halle.

Sur remonstrance qu’on luy a fait qu’elle mentoit, parce qu’il est vray qu’elle a esté avec le carosse jusques l’hospital, où estant la dite damoiselle estant descendue, elle luy a encore parlé et et s’avancé pour luy porter la cotte.

A dit qu’oy, et que ce qu’elle avoit dit avoit esté par abus.
Luy demandé si lors elle avoit encore de sa pouldre ?
A dit qu’oy.
Luy dit qu’elle a jetté de sa pouldre sur la ditte damoiselle dans son carosse et sur ses chevaulx.
L’a dénié et dit qu’elle n’y a pensé.

Et après lecture a marqué :
marque m de la déposante.
2,
17 Juin 167-1.
Rapport des médecins légistes »

Les sieurs docteur Haerlem et Louchier enquis en satisffaction de l’ordonnance portée à la veue des pièces du procès criminel de Marguerite Tiste, après avoir presté serment et veu et considéré les enfans de Josse d’ Paris et de Jehan Perin ont dit, qu’il est fort difficile de pouvoir juger si les dis enfans sont affiigez de maléfices et sortiléges, ou bien de maladies causées naturellement, d’autant que semblables maléfices se couvrent ordinairement soubs des maladies naturelles, et les maléfices se peuvent descouvrir par les exorcistes qui en peuvent respondre mieux qu’eux.

Et après lecture ont signé.
Harlem. Louchier.
Taxé à chacun 48 S

3.
22 juin 1671.
Délibéré sur les pièces du procès.

En présence de messieurs eschevins Robert, le Duc,
Brabant et Dupuis. Assesseurs : Lefèbvre, le Duc, Plétincq, Pottier et Dysembart.
[p. 477] Consultes les avocats Mercier et Overdaet.

Reveu le procès criminel de Marguerite Tiste avec les devoirs fais suivant l’ordonnance du 15.
L’advocat Mercier dit que la prisonnière ayant confessé d’avoir esté aux danses, menée et portée en air, s’estant donnée au diable, en accointance charnelle avec luy et d’avoir ensorcelé une femme et quatre enfans, doit estre tenue pour sorcière et mérite de perdre la vie par le feu ; cependant, considérant son bas eage, il luy est advis de la condamner à la morte par une saignée du pied en l’eau.
L’advocat Overdaet dit, joignant toutes les confessions de la prisonniêre, il y a matière suffisante de la tenir pour sorcière : pourquoy il lui est d’avis de la condamner au dernier supplice l’estranglant à un posteau et puis la bruslant en cendres.
Le pensionnaire Lefebvre est aussi d’avis de la condamner au dernier supplice, la faisant estrangler à un posteau puis la bruslant en cendres.
Le greffier Le Duc est de mesme avis.
L’advocat Plétincq de mesrne.Le greffier Pottier dit que la prisonnière est convaincue par sa propre confession d’estre sorcière ; il est vray qu’elle n’est suffisamment convaincue d’avoir maléfieé, mais considérant son eage, il luy est d’avis de la nourrir jusques à l’eage de 18 ans. Depuis, aiant considéré que la coustume ne se peut entendre que des mineurs non capables de dol, il luy est d’avis de la condamner au dernier supplice, comme les précédens.
Le greffier d’Ysembart dit que les variations de la prisonnière luy font doubter de la vérité de tout ce qu’elle a confessé : pourquoy, il luy est d’avis de la mettre à la question, et où elle insisteroit en ses confessions, il seroit d’advis de la condamner au dernier supplice comme ont dit les précédents ; mais où elle nieroit et changeroit, il voudroit la condamner à un bannissement.
[p. 478]Monsieur Robert l’a trouvée convaincue d’estre sorcière; pourquoy, luy est d’advis de la condamner au dernier supplice, comme ont dit les précédents.
Monsieur Le Duc est d’advis du greffier Porrier, de la nourrir jusque l’eage de 18 ans.
Monsieur Brabant d’avis du greffier Pottier, depuis du greffier d’Ysembart.
Monsieur Du Puis a demandé terme jusques à demain pour s’appaisier sur ses doubtes.

Conclu de condamner Marguerite Tiste à perdre la vie, la faisant estrangler à un posteau, et puis la brusler.
Chacun 7 Livres 4 sols.

4.
27 juin 1671
Prononcé de la sentence.

Marguerite Tiste, combien que vostre devoir vous ait obligé de demeurer fidèle à Dieu, vous vous este nonobstant tant oubliée, qu’à la persuasion de vostre feue soeur, vous donnant au diable, cohabitant eharnellement avec luy, aiant souffert qu’il vous ait marqué et porté aux danses, vous avez aussi, à sa suggestion, ensorcelé de maléfice quatre enfans et une femme. Sur quoy messieurs echevins de ceste ville, vous aiant instruit vostre procès criminel, et par iceluy vous trouvé atteinte et convaincue du crime de sortilége, qui est de lèze majesté divine, et le veu en délibération du conseil avec leurs assesseurs et autres advocats, vous ont condamné et condamnent, à la scemonce de Monsieur Bailencour prévost de ceste ville et prévosté, d’estre estranglée et bruslée tant que la mort s’ensuive.

Ainsi prononcé à la scemonce du dit sieur prevost, par messieurs eschevins le Maire, Robert, de Gage, du Puit.

Et exécuté le dit jour.

Le dossier contient encore les « resuites » ou seconds interrogatoires de l’accusée, ainsi que les dépositions des témoins.
Ces pièces n’offrent pas le même intérêt que celles qui sont transcrites ci-dessus.

Paul Heupgen

 

(1) Archives générales du Royaume à Bruxelles, Régime espagnol. – Archives du Conseil Privé. N° 1098, Sorcellerie. Sous dossier : Enfants sorciers.

(2) Conf. Le Brun de la Rochette : Le procès criminel, Lyon, 1622,

II. p.83, L’impubère ne peut être poursuivi, « nisi malitia slippleat aetate. Car la loy civile, non plus que la divine, n’excuse les enfans que à l’occasion de leur innocence, et non ceux qui sous un jeune menton portent une âme barbue de malice. »

(3) Conf : loi du 15 mai 1912. art. 42.

(4) Faider Ch, Coutumes du Pays et Comté du Hainaut, tome III, p. 485, Gobbaerts – 1874.

(5) Archives de l’Etat à Mons. Greffe évhevinal fr Mons. Siège du mardi – Procès n°439. Voir annexe des extraits du dossier.

(6) Nous avons signalé d’antres cas de poursuites contre des enfants, du chef de sorcellerie, dans notre étude sur (Les enfants devant la juridiction répressive à Mons du XIVe au XVIIIe siècle. (Bulletin de la commission royale des anciennes lois. Vol. XI. Fascicule 6. 1923.) Nous nous arrêtons au cas de Tiste Marguerite, parce que elle seule fut condamnée à mort.

(7) Benet G. Sorciers au pays d’Avesnes. L’exécution d’un enfant à Etroeungt. Annales du Cercle Archéologique de Mons. Vol. 29, p. 209 – Mons – Dequesne-Masquillier et Fils. 1900

(8) Paschy : prairie.

(9) scrande : fatiguée

(10) craventée : accablée, allourdie.

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