V. Guillaud. Le mal de Laïra en mal d’abol. Article paru dans le journal « Le Moniteur viennois », (Vienne (Isère), 1842.

GUILLADAIRA0002- Capture d’écran 2017-04-04 à 08.51.40V. Guillaud. Le mal de Laïra en mal d’abol. Article paru dans le journal « Le Moniteur viennois », (Vienne (Isère), 1842.

Le Moniteur viennois est un journal d’annonces. Journal politique, judiciaire et littéraire donnant des nouvelles locales. Républicain sous les Timon, Le Moniteur est de plus en plus ancré à droite par la suite.

 

Le mal de Laïra en mal d’abol.

Par le Dr V. GUILLAUD, de Bourgoin

 

En étudiant l’histoire de notre pays, on rencontre les plus singulières constatations d’épidémie nerveuse dont le caractère est ordinairement méconnue, et qui, attribué, par les auteurs contemporains à l’influence des démons, ne sont en réalité, que des folies contagieuses.

En 1842 (1), une singulière épidémie de folie impulsive éclatait dans une petite commune du département de l’Isère, et donnait lieu à des enquêtes, à des pratiques curatives et à des commentaires non moins singuliers.

Dans la commune de Charavines, situé sur le bord du lac de Paladru et le long des rives de la Fure, jolie et utile rivière qui débouche de ce lac, une centaine de jeunes femmes ou de jeunes filles furent atteintes, en même temps, ou successivement, sans cause préalable, de convulsions avec coïncidence de hoquets, ressemblant, à s’y méprendre, aux aboiements des chiens.

Cette névrose était contagieuse et se manifestait surtout lorsque les malades étaient rassemblées à l’église. Le service religieux était alors troublé par les aboiements incessants d’une trentaine de malheureuses qui se ruaient à terre, frappant de leur tête les murs, les dalles, les piliers de l’église et les bancs qui la meublaient, agitant automatiquement ou convulsivement les membres, les yeux hagards, la figure empourprée et ruisselante de sueur, horribles et pitoyables dans leur frénésie.

L’agitation des bras était, ordinairement, si violente, qu’à peine pouvait-on avec vigueur contenir les pauvres patientes, chez quelques-unes d’entre elles, dont l’accès était plus tranquille, on observait la fixité des yeux, avec clignotement des paupières ; les mouvements convulsifs se bornaient à l’agitation de la tête et des bras, ou d’un bras seulement ; l’autre restait raidi ou inerte, mais les aboiements étaient invariablement le caractère qui dominait la crise, et ils atteignaient, quelquefois, les proportions de hurlements. Quelques femmes étaient également exemptes de convulsions des membres, de la tête et du tronc, et leur mal à s’exprimer par l’aboiement simple.

Après les accès, les malades tombaient épuisées, anéanties, couvertes de sueur, mais, cependant, exempte de cette stupidité habituelle chez les épileptiques après leurs accès, et qui, de plus, s’accompagne aussi souvent de délire. On le remarque du reste, jamais chez les hystériques de Charavines de délires consécutifs aux crises ; et, dans l’intervalle, ces femmes pourraient causer, se livrer à de petits travaux d’intérieur, quelquefois à celui des champs, et conserver l’usage de toutes leurs facultés.

Cette affection spasmodique n’avait aucun caractère de périodicité. La maladie avait débuté, d’abord, chez une ou deux filles de la commune, et en avait, ensuite, successivement envahi un grand nombre. L’aberration impulsive était, le plus souvent, provoquée brusquement, et à toute heure de la journée et de la nuit, par le son des cloches, les aboiements ou les hurlements des chiens. Une seule malade, provoquée par ces bruits spéciaux, suffisait, dans ces circonstances, pour éveiller les crises chez toutes.

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Soit que ces malheureuses fussent restées dans leur demeure à cause de leur faiblesse, soit qu’elle se trouvasse aux champs, les cris spasmodiques d’une seule d’entre elles entraînaient l’invasion générale, qui se communiquait, de proche en proche, à toutes celles qui étaient atteintes, et excitait chez beaucoup d’autres la susceptibilité nerveuse ; car cet état morbide revêtait, au suprême degré, la tendance contagieuse.

Il est à remarquer que toutes les malades que l’on éloignait de la commune de Charavines voyait, peu à peu, leurs accès diminués en fréquence et en gravité, puis enfin la maladie s’éteindre.

On sait combien est enraciné, en Dauphiné, la croyance aux sorciers et aux maléfices. La conviction des braves gens de Charavines et les habitants du voisinage est, encore aujourd’hui, invariable sur les causes de cette bizarre forme de l’hystérie, c’est qu’un sort avait été jeté sur les filles et les jeunes femmes de cette communes. Deux honorables médecins arrivèrent officiellement, envoyés (je crois) pour étudier cette étrange épidémie. Peu initier à l’étude des maladies nerveuses, ahursi par les singulières manifestations dont ils étaient témoins, tous deux âgés est d’une nature naïve, ils crurent également à une intervention occulte et j’ai entendu l’un d’eux évoqué, avec une émotion mêlée de terreur, les mystérieuses histoires des possédées convulsionnaires et parler des aboyeuses de Charavines comme des démonopatatiques.

Je n’ai pu savoir si des pratiques religieuses d’exorcisme eurent lieu à Charavines pour la délivrance des malades, mais l’Oratoire de Notre-Dame de Parménie fut celui où l’on porta, à cette intention, les vœux, les neuvaines et les offrandes. L’épidémie était alors à son déclin, et s’éteignit un an environ après son début.

Tout médecin a pu reconnaître, à cette courte description, le mal de Laïra ou mal d’abol, dans la relation de quelques épidémies, au XVIIe et XVIIIe siècle, figure dans le traité de la folie de M. Calmeil. La plus importante éclata sous Louis XIII, dans la commune d’Aman, près de Dax. Elle a été écrite au long par Delamere [Delancre oe De Lancre], dans un ouvrage qui a pour titre : Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons.

jJai taché de recueillir, dans la commune de Charavines même, et aussi exactement que possible, les renseignements nécessaires à cette dernière observation. Les deux médecins qui avaient reçu officiellement mission de se rendre sur les lieux, ou qui y étaient allés spontanément, sont morts, et je ne crois pas qu’ils aient laissé, de leur démarche et de leurs investigations, d’autres relations que celle qui ont pu en faire, de vive voix, à leurs confrères et aux curieux.

Dans les environs du lac de Paladru, l’histoire des convulsionnaires de Charavines commence à passer à l’état de légende, et ce n’est pas sans effroi que, pendant les veillées d’hiver, les contemporains, et leurs enfants, raconte autour du foyer, les singuliers faits les gestes des aboyeuses, auxquelles avait été jeté un sort.

(Annales de la Société de Médecine et de Pharmacie de Grenoble.

NOTES

(1) L’auteur place cette épidémie en 1834 ou 1835, or nous possédons une lettre d’un brigadier des douanes résident, à l’époque, à Chauvines, et écrite le 3 juillet 1842, où il est parlé de cette « maladie extraordinaire qu’aucun médecin, en France, ne connaît et qui n’atteint que les filles de Chauvines. Elles font des contorsions et pousse des cris épouvantables, c’est un sort,. » – F. Moulin.

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