Une fausse mystique. L’affaire Augustine Pépé. Par Paul Garnier.

GARNIER0001Le texte que nous proposons ici, Une fausse mystique (Augustine Pépé), par le Dr Paul Garnier, aurait été publié dans les Annales d’hygiène publique et de médecine légale de juin 1899. Nous n’avons pas trouvé celui-ci dans ces Annales.

Paul-Emile Garnier (1848 et 1905), médecin, aliéniste, élève de Valentin Magnan (1835-1916) et de Henri Legrand du Saulle (1830-1886) ; il succéda à ce dernier à l’Infirmerie Spéciale de la Préfecture de Police de 1886 jusqu’en 1905. Il fut auparavant médecin-inspecteur des asiles publics d’aliénés et médecin-légiste au parquet de la Seine. Il fut l’un des premiers à préconiser la création d’asiles de sûreté pour les aliénés criminels déclarés irresponsables. A l’origine de quantité d’articles nous ne citerons que ses plus importantes publications :
Les idées de grandeur dans le délire des persécutions. Thèse de la faculté de médecine de Paris. (Paris, 1877). Exemplaire de librairie en 1878. [Que nos reprendrons dans quelques temps sur notre site]
La folie à Paris. Etude statistique, clinique et médico-légale. Préface de J.-C. Barbier. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1890. 1 vol. in-16, XI p., 424 p.
Les Fétichistes pervertis et invertis sexuels. Observations médico-légales. Paris, J.-B. Baillière et Fils, 1896. 1 vol. in-16, 192 p.
Internement des aliénés. (Thérapeutique & législation). Paris, Rueff et Cie, 1898. 1 vol. in-12, 247 p.
Les hystériques accusatrices. Communication à l’Académie de Médecine (Séance du 7 juillet 1903). Extrait Des Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 1903. Paris, J.-B. Baillière et Fils, 1903. 1 vol. in-8°, 44 p. Tiré-à-part.
Contribution au Traité de thérapeutique des maladies mentales et nerveuses (1901).

 

UNE FAUSSE MYSTIQUE

(AFFAIRE AUGUSTINE PÉPÉ)

Par le Dr Paul Garnier,

Médecin en chef de L’Infirmerie spéciale de la Préfecture de police.

A quelques mois d’intervalle seulement, deux femmes ont fixé sur elles l’attention publique par un attentat dont les analogies ont tout de suite paru saisissantes, bien que, en réalité, les mobiles en aient été très différents.
L’une et l’autre ont choisi comme victime un prêtre.
La première, Maxence Amelot, attirait chez elle, en prétextant le pressant besoin de s’expliquer sur de graves scrupules de conscience, M. l’abbé de Broglie, et le tuait à coups de revolver.
La seconde, Augustine Pépé, s’attaquait, en pleine rue, à M. l’abbé Ménard, vicaire de Saint-Médard, lui plongeait un coutelas dans le flanc et prenait aussitôt la fuite.

Il y a une élude psychologique bien intéressante à faire sur les individualités féminines, de catégorie si diverse et de valeur morale si inégale, qui se pressent, se prodiguent, s’agitent autour des ecclésiastiques, des desservants de paroisse et des vicaires qui y sont attachés.
Pour la faire complète et aussi précise que possible, il y faudrait consacrer une longue monographie et, malheureusement, le temps me manque pour écrire un tel volume.
Je me bornerai, aujourd’hui, à une simple esquisse, l’intérêt de cette note devant, d’ailleurs, se concentrer sur deux observations médico-légales qui démontrent que si le déploiement des activités dont je viens de parler engendre bien des extravagances, fatiguent et obsèdent ceux qui en sont l’objet, il peut aussi produire le drame et aboutir à l’homicide.
C’est sous la pression d’idées ou d’aspirations assez dissemblables que ces fidèles cherchent à se faire remarquer du prêtre, sollicitent ses regards par un zèle outré ou intempestif, réclament parmi ses ouailles un rang privilégié, écrivent des lettres exaltées et étranges où il est souvent fort difficile de discerner si l’amour ardent qui y est exprimé va vers Dieu ou vers son ministre.

I. Je ne cite, ici, que pour mémoire, ces dévotes prétentieuses dont la préoccupation constante est de s’immiscer dans les affaires religieuses, de jouer un rôle à la sacristie où elles se croient indispensables.
Leur mentalité spéciale intéresse plus le moraliste que le médecin.
Mais voici qui est plus directement du ressort de l’expert : une femme — c’est parfois une jeune fille — se place à tout propos sur le passage du prêtre ; elle le suit comme son ombre.
Assidue aux offices et aux sermons, elle assiège le confessionnal.
Bientôt, cela ne lui suffit plus, Elle cherche à s’introduire dans la vie intime du prêtre.
Elle lui écrit lettres sur lettres. Le ton en est, d’abord, assez énigmatique et timide et l’aveu est quelque peu voilé. Mais, tout à l’heure, la passion s’exprimera· dans toute sa netteté et son intensité.
Et cependant, aucun appétit charnel n’alimente cette passion, qui reste pure et idéale. C’est, là, l’une des modalités de la perversion sexuelle obsédante, dite érotomanie.
Mais, ce n’est pas à dire qu’un tel amour, si platonique soit-il, si exclusivement psychique qu’il doive se maintenir, se résigne toujours à un rôle purement contemplatif. L’érotomane, l’amoureuse psychique, s’exaspère devant les obstacles qu’on lui oppose, l’indifférence qu’on lui témoigne, et il n’est pas rare que cette exaspération se résolve en menaces et, même, que l’obsédée s’abandonne à, des actes violents contre l’être aimé … qui ne veut pas comprendre !
L’amour psychique ne s’épuise d’ailleurs pas dans cette crise de violence, car, c’est, là, l’une des plus tenaces obsessions impulsives qui soient.
En somme, la religion n’est point, ici, en cause, et il ne serait même pas question d’elle, si l’être aimé ne portait l’habit ecclésiastique.
Pourquoi, dés lors, cet amour psychique s’adresse-t-il au prêtre ?
Dans quelques cas, l’analyse psychologique permet de discerner la raison de ce choix.
L’Infirmerie spéciale de la Préfecture de police a donné passagèrement asile à un certain nombre d’érotomanes, que leur obsession impulsive avait entraînées à des manifestations plus ou moins graves. Chez quelques-unes, on arrive à noter un sentiment bizarre, fait de cette attendrissante pitié qui est si souvent l’inspiratrice de l’amour … Le prêtre, voué à une existence chaste, a fait, par ce renoncement aux joies de l’amour partagé, le sacrifice le plus cruel. .. Il lui est interdit de connaître la douceur des caresses féminines … II doit vivre solitaire, à tout jamais privé de ces délicatesses infinies, dont est susceptible le cœur d’une compagne aimante et fidèle …
Cette situation, ainsi envisagée, a suscité un trouble. En état de réceptivité émotionnelle morbide, la dégénérée héréditaire — car c’est celle-là, seulement, qui peut tomber sous le joug de l’obsession érotomaniaque — n’en peut plus détacher sa pensée, après avoir été frappée, commotionnée, en quelque sorte, par cette idée. Elle y pense sans cesse. Elle finit par se déclarer à elle-même qu’elle ne doit pas se désintéresser de cet exilé volontaire de l’amour …
Cette affection féminine, elle se sent toute prêle à la lui témoigner …
Elle la lui donnera donc, entière, absolue ; ce sentiment, pour être affranchi de toute sollicitation charnelle, n’en sera pas moins doux et fort…
Il y aura quelque chose de maternel dans cet amour dont toute sensualité sera bannie, etc.

Dès lors, fidèle à son rôle, l’érotomane prodigue les protestations d’affection, fait bonne garde autour de l’être aimé, surveille ses pas et démarches, épie les personnes qui l’approchent, lui adresse des conseils et parfois, aussi, des admonestations sévères. Comme tout sentiment exclusif, cet amour psychique devient rapidement tyrannique, enserrant le malheureux qui en est l’objet dans mille combinaisons étranges. J’ai déjà dit comment l’érotomane, en dépit de très bonnes intentions et de son désintéressement, en arrive à adopter une attitude agressive et à se porter à des violences, qui rendent son internement nécessaire.

Il. Plus dangereuse encore est la véritable mystique, dont l’intelligence, plus foncièrement compromise, est toute acquise à la folie religieuse.
C’est bien au nom de la religion que celle-ci parle et agit. Pourtant, tout à fait au début, le sentiment qui se fait jour est assez complexe, et dans cette attention dévotieuse donnée au prêtre, au ministre de Dieu, il y a bien, parfois, l’appoint d’un attrait physique exercé par l’homme. Mais, l’exaltation mystique devient bien vite prépondérante.
Celle qui marche vers le délire religieux ne tarde pas à s’attribuer une mission de surveillance et de contrôle … Le prêtre qui est l’objet de sa sollicitude occupe déjà plus sa pensée que son cœur. Est-il à la hauteur du grand rôle qu’il est appelé à jouer ? La conclusion est déjà prévue. Au point d’exaltation où est parvenu son esprit, évidemment le zèle de ce prêtre, si complet qu’on l’imagine, lui apparaît tiède.
Après lui avoir reproché un défaut d’ardeur religieuse, elle en viendra à l’accuser de s’écarter du droit chemin, de n’être pas seulement au-dessous, mais aussi à côté de sa mission. Dans de longues épîtres et à l’aide de démarches pressantes et réitérées, elle s’efforce, soit de relever son zèle, soit de le ramener au sentiment exact de ses devoirs. Elle s’érige en interprète de la parole de Dieu et se déclare inspirée à l’effet de réformer des abus et de faire entendre les vérités célestes.
Une véritable mégalomanie religieuse s’installe, en s’alliant d’ordinaire à des idées de persécution. Par une singulière interversion des rôles, la pénitente se fait directrice … Elle récrimine, parle de châtiment, elle menace, et, tout à l’heure, elle va frapper avec la conviction qu’elle est l’instrument d’un Dieu vengeur.
Telle fut Maxence Amelot ; le meurtre commis par cette aliénée a été le résultat direct d’un délire mystique, associé à des idées de persécution.

III. Enfin, il y a le groupe de celles qui poursuivent le prêtre de leurs obsessions audacieuses, sans penser le moins du monde à la religion et sans s’attarder aux rêveries de l’amour psychique.
Elles estiment que l’ecclésiastique n’en est pas moins un homme, et s’il est jeune, doué d’avantages physiques, le caractère dont il est revêtu ne sera souvent, à leurs yeux, qu’un attrait spécial de plus.
Elles vont donc préparer leurs combinaisons savantes, prendre les apparences des dévotes … On les trouve à toute heure du jour à l’église. Leur but est d’y rencontrer celui qu’elles cherchent et qu’elles désirent et non de prier. Elles marchent ainsi à la conquête du prêtre et sont, quand même, capables de s’exciter, de s’exaspérer, lorsqu’elles sont résolument éconduites. La passion peut les aveugler, mais ce n’est pas la folie qui les mène. Augustine Pépé, dont je vais relater maintenant l’observation médico-légale, appartient à ce dernier groupe.

 

Affaire Augustine Pépé (tentative de meurtre).
Rapport médico-légal.

Nous soussigné, Paul Garnier, médecin en chef de l’Infirmerie spéciale de la Préfecture de police, commis le 6 octobre 1897, par M. Bastid, juge d’instruction près le tribunal de première instance du département de la Seine en vertu d’une ordonnance ainsi conçue :
« Vu la procédure commencée contre la femme Pépé (Augustine- Léontine), inculpée de tentative d’homicide volontaire,
« Attendu la nécessité de constater judiciairement l’état où se trouve, en ce moment, l’inculpée, au point de vue mental,
« Ordonnons qu’il y sera procédé par M. le Dr Garnier, lequel, serment préalablement prêté en nos mains, après avoir reconnu l’état où se trouve la susnommée, dira si elle était, au moment du crime, responsable de ses actes. »
Après avoir prêté serment, pris connaissance des pièces de l’information judiciaire, avoir visité, à de très nombreuses reprises, ladite inculpée, à la maison de Saint-Lazare, où nous l’avons soumise à une observation attentive et prolongée, et nous être entouré de tous les renseignements de nature à nous éclairer, avons consigné, en notre honneur et conscience, les résultats de notre examen dans le présent rapport.
La femme Pépé (Augustine-Léontine), poursuivait, depuis trois ans environ, l’abbé Ménard, vicaire à la paroisse Saint-Médard, à Paris, de ses importunités et de ses déclarations d’amour. Irritée de l’indifférence de cet ecclésiastique, exaspérée par l’insuccès de ses démarches, tourmentée par la jalousie, elle le guetta dans la matinée du 1er octobre 1897, le suivit à la sortie de l’église Saint-Médard, et, le rejoignant tout à coup, lui plongea un fort couteau de cuisine dans le flanc gauche, tout en murmurant : « Ah! Ah !…voilà! ».
L’arme, fermement maniée, pénétra profondément et détermina une plaie du péritoine et de l’intestin, qui aurait pu être mortelle sans les soins immédiats donnés à la victime. Une opération grave, la laparotomie, dut être pratiquée et, à l’heure présente, M. l’abbé Ménard est à peine guéri de sa blessure.
Augustine Pépé s’était enfuie vivement, aussitôt après son attentat. Dans la soirée de ce même jour, elle dina dans un restaurant de l’avenue de la Grande-Armée en compagnie du premier individu venu ; très tranquillement, elle fuma plusieurs cigarettes. Puis, ayant regagné son domicile, elle s’informa, en rentrant, à l’effet de savoir si quelqu’un s’était présenté pour être renseigné sur son compte: comme On lui répondait négativement, elle eut celle remarque: « Tiens !… je croyais qu’il y aurait plus de grabuge que ça … ».
Le lendemain, elle semblait hésiter sur la conduite à tenir : un moment, elle aurait songé, paraît-il, à se constituer prisonnière ; puis, elle changea d’avis, … elle préféra gagner la campagne, … elle aurait ainsi le temps de réfléchir sur le meilleur parti à adopter.,. Elle prit, alors, la direction d’Étampes.
Le dimanche, 3 octobre, c’est-à-dire le surlendemain du crime, M. l’abbé Genêt, curé de Méréville, près Étampes, fut averti qu’une personne étrangère à la localité, et qu’il avait pu apercevoir, quelques instants auparavant, dans l’église, à l’office des vêpres, lui demandait un entretien. C’était Augustine Pépé. Elle se fit aussitôt connaître, signala les journaux qui parlaient d’elle tout au long depuis deux jours, raconta les dédains de l’abbé Ménard à son égard, fit le tableau de sa misère morale et physique ; par toutes ces raisons, elle motiva l’emportement criminel auquel elle avait cédé et finit par déclarer qu’elle se trouvait dénuée de tout.
M. l’abbé Genêt lui remit quelques francs il l’invita il se rendre compte de sa situation, lui indiquant que ce qu’il y avait de mieux à faire était d’aller se constituer prisonnière. Quelques heures plus tard, l’ayant aperçue attablée dans une auberge du bourg de Méréville, et, dès lors, peu édifié sur les réelles intentions de son étrange visiteuse, il crut devoir prendre le parti d’avertir la gendarmerie. Le lendemain matin, 4 octobre, Augustine Pépé était arrêtée sur la route de Mérêville à Etampes, par le brigadier de gendarmerie, qui s’était mis à sa poursuite.

Le crime accompli par Augustine Pépé porte, en lui-même, un caractère d’indéniable étrangeté. Aussi bien est-il explicable que des doutes se soient élevés sur l’intégrité de sa raison.
En pareil cas, le problème médico-légal ne peut recevoir sa solution précise qu’à la faveur d’une enquête minutieuse, qui, non seulement, scrute et analyse soigneusement les faits présents, mais remonte, aussi, dans le passé de manière à embrasser dans une observation complète et détaillée, toute la vie du sujet.
L’inculpée, fille unique d’un premier mariage, est née le 13 mai 1855, à Paimboeuf ; elle a donc quarante-deux ans. Sa mère, qui eut onze autres enfants d’un second mariage, jouît d’une bonne réputation ; elle n’aurait rien négligé pour bien élever sa fille Augustine. Il n’est à la connaissance de personne qu’il y ait jamais eu, soit dans la famille de la mère de Pépé, soit dans la famille de son père, un membre quelconque atteint d’aliénation mentale.
Augustine Pépé est une femme blonde, de petite taille, d’aspect vigoureux et d’allure décidée. La physionomie est régulière ; seulement, les traits se sont alourdis et empâtés par les progrès de l’embonpoint ; le regard est mobile, intelligent et défiant.
Elle ne semble pas avoir eu une enfance maladive. Son esprit parait avoir été toujours assez délié, mais ses facultés de sensibilité n’ont jamais été bien développées. « Jalouse et méchante, elle aimait à dire du mal de tout le monde ». Tel est le jugement porté sur elle par les personnes qui l’ont le mieux connue. Elle acquit une instruction élémentaire à l’école communale, qu’elle fréquenta jusqu’à l’âge de douze ou treize ans. Après avoir vécu quelque temps avec sa mère, elle voulut se rendre indépendante et alla se fixer à Nantes. Elle ne tarda pas à y mener la vie d’une fille galante. Le 24 septembre 1872, elle aurait accouché, dans cette ville, d’un enfant qui ne vécut que quelques jours. L’inculpée, en 1885, vint demeurer à Paris, où ses moyens d’existence furent les mêmes qu’à Nantes. Il y a quelques années, elle éprouva divers troubles de sa santé physique et fut soignée par M. le Dr Oberlin, médecin de Saint-Lazare, pour une affection de l’utérus et de ses annexes.
De plus, vers l’année 1894, elle se présenta assez régulièrement, pendant quelque temps, au service électrothérapique de la Salpêtrière. Elle était atteinte d’une atrophie spasmodique du triceps crural consécutive à une hydarthrose du genou. On lui appliqua le traitement par le bain électrique, dont elle se trouva bien. Ni M. le Dr Oberlin, ni M. le Dr Vigouroux, chef du service électrothérapique de la Salpêtrière, n’ont jamais constaté, chez elle, le moindre signe d’aliénation mentale. M. le D » Vigouroux, qu’elle avait consulté au sujet de mauvaises digestions et d’un embonpoint dont les progrès l’inquiétaient, l’a trouvée réservée dans son langage et son maintien. Elle ne lui paraît pas d’une intelligence bien active ; elle était occupée surtout du souci de sa santé et de sa toilette.
C’est vers cette même époque — 1895 — qu’elle fit, un jour la rencontre, toute fortuite, paraît-il, de M. l’abbé Ménard. Elle lui trouva grand air ; elle fut frappée de la beauté de ses traits et de la douceur de son regard. Elle chercha à le revoir, et, bientôt, elle en fut éperdument amoureuse. Il convient de noter, pour comprendre avec quelle ardeur l’inculpée s’abandonna à cette passion, qu’elle venait d’éprouver un vif mécompte. Elle avait été délaissée par la personne qui l’entretenait : jusque-là, elle avait eu l’existence assez facile ; mais avec l’abandon de son amant et les progrès de l’âge, c’était la menace d’une détresse prochaine.
Toujours est-il que cette fille, qui ne s’était jamais fait remarquer par une grande dévotion, se mit à fréquenter assidûment l’église Saint-Médard. On la vit assister à tous les exercices religieux, du moins quand c’était M. l’abbé Ménard qui officiait ; elle parut à tous ses sermons, ne le quittant pas du regard. Son attitude fut bientôt trop démonstrative pour laisser des doutes sur la nature de ses sentiments à l’endroit de celui qu’elle appelait le beau vicaire. Aussi, quand M. l’abbé Ménard reçut des lettres signées « Alice Cuzin — (Cuzin est le nom de son dernier amant) — il put, tout de suite, les attribuer à leur véritable auteur. Celle correspondance indiquait, d’une manière peu ambiguë, ce que Pépé attendait de celui auquel elle déclarait son amour.
Fixé sur les intentions de cette « fausse dévote », M. l’abbé Ménard parait avoir tout fait pour l’écarter. Mais l’inculpée n’est pas de ces femmes douces el résignées qui renferment en elles-mêmes leurs sentiments passionnés, et, un jour, comme M. l’abbé Ménard, outré de son altitude provocante au confessionnal, lui signifiait qu’il ne l’entendrait pas, ajoutant qu’il ne confessait pas les folles, elle ne put contenir son furieux dépit et lui cracha au visage en s’écriant : « Eh bien, voilà comment agissent les folles ! ».
Les lettres de l’inculpée à l’abbé Ménard se succédaient à des intervalles très rapprochés. Tour à tour tendres et agressives, elles contenaient souvent, en même temps, des demandes d’argent. Elles étaient généralement accompagnées de dessins de Lavrate, dont les côtés grivois étaient soulignés … Pépé, de sa plume, y ajoutait des légendes, des dessins obscènes. M. l’abbé Ménard a déclaré avoir détruit les lettres les plus licencieuses, éprouvant quelque scrupule à conserver des écrits d’une telle obscénité dans son appartement, où il demeurait en commun avec sa mère et sa sœur. Ces dernières n’avaient pas été sans remarquer les assiduités d’Augustine Pépé auprès de M. l’abbé Ménard ; elles se croisaient à tout instant avec elle, s’en détournaient le plus possible, ce qui n’ajoutait pas peu à son exaspération.
La correspondance conservée par M. l’abbé Ménard et jointe au dossier, si elle ne donne pas la traduction de cet érotisme si complet qui s’étalait dans les lettres et dessins détruites par lui, est néanmoins intéressant à examiner. Augustine Pépé écrit, par exemple : « Ce n’est pas engageant de vous voir donner la béquetée à toutes ces vieilles guenons…, vous êtes trop joli pour cela… Je baise vos belles mains et votre beau regard bleu. Parfois, elle le gourmande sur sa tenue qu’elle trouve trop négligée ; d’autres fois, elle l’injurie : « Vous m’avez attirée et, après, vous m’avez insultée. Mais, moi, voyez-vous, je ne suis pas une résignée ; je me vengerai. Vous souffrirez et moi, je me moque de vous. Adieu, tartufe !… Si vous aviez des rentes, vous auriez moins de vertu! »
On trouve bien, dans cette correspondance significative, la manifestation des sentiments violents qui devaient un jour armer le bras de l’inculpée.
Son humeur jalouse et envieuse s’aigrissait encore à se voir pauvrement vêtue, alors que, dans son orgueil, elle eût voulu éclipser, par l’élégance de ses toilettes, les personnes qui, dans l’entourage de M. l’abbé Ménard, lui portaient ombrage. Ses ressources totalement épuisées ne lui laissaient guère l’espoir d’un avenir meilleur … Comme une personne qui sent la partie perdue et se refuse à accepter son sort, elle s’arrête à de grandes résolutions. Le 29 septembre, elle fait l’acquisition d’un couteau de cuisine. C’était, a-t-elle déclaré, pour se tuer sous les yeux: de M. l’abbé Ménard. Mais, dès qu’elle se trouve en sa présence, rien n’indique qu’elle ait eu un autre projet que celui de tuer le prêtre qui la repoussait. Lorsqu’elle lui plonge son arme dans le corps, délibérément, elle ne songe point à la retirer pour s’en frapper à son tour; sa seule préoccupation est de prendre la fuite.
L’attitude d’Augustine Pépé, à Saint-Lazare, a été curieuse à étudier. Nous l’avons toujours trouvée fort calme et plutôt froide et réservée qu’expansive et confiante. Elle témoigne, tout de suite, une sorte d’irritation en nous voyant prendre note de ses réponses, inscrire le résultat de nos investigations. Comme nous lui demandions de rédiger pour nous une note autobiographique afin de lui faciliter l’exposé détaillé de ses idées, de ses sentiments, et des principaux incidents de sa vie, elle s’y refusa catégoriquement, en nous disant : « Vous voulez me faire enfermer… Je n’écrirai rien … Si vous voulez me juger par mes écrits, examinez les lettres que j’ai écrites à l’abbé Ménard. »
Nous avons dit qu’Augustine Pépé ne s’était jamais fait remarquer par une grande sensibilité. L’égoïsme de sa nature se traduit bien manifestement dans la situation présente. Elle ne s’est point inquiétée de l’étal de sa victime, de la gravité de sa blessure. Il est évident d’ailleurs que, chez elle, le ressentiment est trop vif et trop profond pour laisser place à beaucoup de pitié à l’égard de celui qu’elle a frappé. C’est sur un ton assez dégagé qu’elle parle de son attentat, dont, selon elle, on a exagéré l’importance. « Bien des fois, dit-elle, en passant près de l’abbé, je ne pouvait m’empêcher de lui donner un coup de coude, tellement j’étais agacée par son indifférence … Le coup de couteau a été, de même, un mouvement produit par mon énervement… Je l’ai frappé que très légèrement et il n’a pas dû être si malade qu’on l’a dit. Je vois qu’on ne demande qu’à aggraver mon affaire. Ce n’est pas si beau, cela! »
Augustine Pépé, dans sa compréhension égoïste des choses trouve que M. l’abbé Ménard n’a pas eu dans celle affaire la générosité et la grandeur d’âme qu’on aurait pu, dit-elle, attendre d’un prêtre … il s’est empressé de la dénoncer, alors qu’il avait bien pu ne pas la désigner à la justice
Parfois, l’inculpée, maussade, irritée, se refuse à exposer plus explicitement les faits et montre quelque impatience au sujet de nos interrogations. Puis, comme se parlant à elle-même, et tout en laissant son regard vague errer sur les objets environnants, elle motive son attentat en ces phrases venues un peu au hasard : « Oui, j’ai voulu me venger de sa fierté… Je sais bien que je n’ai pas eu raison … Maintenant, ça m’embête. Je comprends bien que j’ai fait une bêtise… C’est malheureux, toute celle affaire-là… Aussi, pourquoi l’abbé Ménard a-t-il joué ce double jeu avec moi. Au fond, et malgré ses grands airs, il était flatté d’être aimé. Il faisait l’homme fâché ; mais il ne l’était pas autant que cela… Il y avait des taquineries, des piques entre nous deux. Il me devinait comme je le devinais … Nous entretenions comme une communauté d’idées … Cela se voyait d’ailleurs à ses sermons où il était souvent question de choses auxquelles j’avais pensé moi-même. Certains jours, il n’était pas tendre pour les femmes qui l’écoutaient et, à plusieurs reprises, il a prononcé des paroles très dures que je croyais pouvoir m’attribuer. C’est ainsi qu’il parlait de personnes qui sont « le rebut de la société », et il avait l’air de dire cela pour moi ; car il m’a semblé qu’il dirigeait, à ce moment, ses regards de mon coté … D’autre part, je n’avais plus rien et personne ne voulait m’aider … J’ai eu alors un moment d’égarement complet. Ma première idée a été de me suicider, et c’est dans cette intention que j’ai acheté un couteau. Puis, en me trouvant en sa présence, je me suis dit : « Quoi ! Je vais mourir … Je vais le laisser, lui, beau, heureux, bien portant. Je vais le « laisser à d’autres femmes… C’est aussi trop bête ! » et, emportée par mon désespoir et ma jalousie, je l’ai frappé avec mon couteau… Mais je ne pensais pas le tuer… Ça est venu comme le coup de coude que je lui avais donné d’autres fois, dans un mouvement d’énervement… Je regrette assurément ce que j’ai fait… Si j’avais eu 25000 francs, je n’aurais pas commis cet acte… Je ne me pare pas de sentiments religieux. Je trouvais l’abbé Ménard très beau, je l’aimais, je voulais le voir et, pour cela, il me fallait bien aller dans l’endroit où je pouvais le contempler et l’admirer, à l’église, par conséquent. Mais je n’ai jamais su faire la dévote… L’abbé Ménard me le faisait assez entendre ! Je ne pouvais m’assujettir à toutes les petites manières des bigotes qui fréquentent les églises. J’étais là comme une étrangère et je voyais bien que cela choquait l’abbé… C’est sans doute là-dessus qu’il revenait souvent, surtout dans ses conférences du soir destinées aux « Filles de Marie ». On était, là, un peu en famille, et les conseils du prêtre allaient plus directement à leur adresse. Il parlait volontiers contre le besoin de l’ostentation, contre l’orgueil, contre les fausses démonstrations d’une religion sans sincérité… Tout de même, je voyais bien que j’occupai un peu son esprit, sinon son cœur. Somme toute, ça le flattait d’être aimé et recherché… On a beau être prêtre, on n’en est pas moins homme, et la vanité de l’homme est toujours satisfaite, quand une femme lui témoigne un ardent amour. »
Pendant toute la durée de notre observation, la conduite d’Augustine Pépé, à Saint-Lazare, n’a été, de la part du personnel de la prison, l’objet d’aucune remarque particulière. Il n’y a eu à relever, chez elle, aucune manifestation de nature hystérique. Un seul incident a marqué le cours de sa prévention. Elle s’était liée avec une autre détenue, la femme Petton. Au moment où la femme Carrara fut amenée à Saint-Lazare, après la découverte du crime de Bicêtre, Augustine Pépé avait témoigné une certaine curiosité pour l’arrivante. Ce fut assez pour provoquer aussitôt la jalousie de la femme Petton, qui voulut étrangler l’inculpée Carrara. Pépé chercha à la calmer, mais en vain. Il y eut, dans les salles de la prison, une scène de désordre qui mit en émoi toute la maison ; mais, il est à noter que, dans cette circonstance, ce fut Augustine Pépé qui joua te rôle de la personne raisonnable.
Augustine Pépé, dont nous venons d’analyser la personnalité morale, peut-elle être assimilée à une aliénée ? Assurément, on se trouve en présence d’une femme bizarre, déséquilibrée. Son attentat contre M. l’abbé Ménard permettait bien déjà de la considérer ainsi … Ce n’est évidemment pas une femme jouissant d’un complet équilibre de ses facultés mentales qui peut concevoir et exécuter, dans les conditions que l’on connaît, une tentative de meurtre : ce fait n’avait guère besoin d’une démonstration scientifique, puisque, de lui-même, il s’impose. Une tâche plus délicate incombait à l’expert. Il s’agissait de déterminer si — les anomalies du caractère et les entraînements passionnels mis à part —  il y a lieu de reconnaître l’agression du 1er octobre comme un acte pathologique, né d’une impulsion irrésistible et maladive ou inspiré par des mobiles délirants.
Lorsque le crime d’Augustine Pépé a été connu, des comparaisons, des rapprochements ont été faits. On a rappelé plus particulièrement, à ce propos, un drame assez récent … On a été tenté d’assimiler Pépé à Maxence Amelot, la meurtrière de M. l’abbé de Broglie. En réalité, il n’y a d’autre ressemblance entre ces deux femmes que ce lien commun : l’une et l’autre ont choisi un prêtre pour victime. Examinées en elles-mêmes, les différences entre elles apparaissent considérables. Nous pourrions prendre Maxence Amelot (dont nous avons étudié, aussi, l’état mental à l’Infirmerie du Dépôt), comme un type pathologique à l’effet de montrer combien Augustine Pépé s’éloigne des manifestations habituelles de ce genre de folie. Mystique, persécutée et mégalomane, Maxence Amelot avait réagi sous l’incitation de conceptions délirantes systématisée… Le jour où elle le frappe mortellement, elle était intimement convaincue que M. J’abbé de Broglie, dont elle était primitivement amoureuse et jalouse, à la manière des amantes mystiques, était devenu l’âme d’un complot dirigé contre elle. Hallucinée, en proie au délire mystique et ambitieux, elle s’écriait : « Je suis sainte, trois fois sainte ! »
Voilà bien un fait où la folie mystique combinée à des idées fixes de persécution a été le facteur direct du crime. Si nous nous retournons, maintenant, vers Augustine Pépé, nous voyons que l’exaltation mystique n’a joué aucun rôle, en l’espèce, L’inculpée n’a appris le chemin de l’église Saint-Médard qu’à dater du jour où elle a su y trouver le prêtre qui lui avait plu et qu’elle recherchait sous l’instigation d’une passion qui l’avait rien de mystique. Les lettres licencieuses accompagnées de dessins obscènes ne sont pas d’une amoureuse purement idéale ou psychique. Loin de ressembler à ces femmes mystiques qui trouvent, parfois, au pied des autels, comme une exaltation amoureuse qui se déverse sur les ministres de Dieu, Augustine Pépé a suivi l’évolution inverse. C’est en s’occupant seulement du prêtre qu’elle a pris les allures d’une dévote ; car, ainsi qu’elle le déclare, pour voir M. l’abbé Ménard, elle n’avait guère que la ressource de fréquenter l’église aux heures où il s’y trouvait. Le culte religieux n’avait donc pas en elle une vraie fidèle… Augustine Pépé, courant à Saint-Médard, ne marquait pas un empressement qui revenait à Dieu… Elle ne se rendait pas là pour la personnalité religieuse du prêtre ; elle y venait pour l’homme qui lui plaisait et dont elle voulait attirer l’attention. Cet homme, elle le trouvait « trop joli, avec son regard bleu », pour qu’il s’occupât de dévotes qu’elle qualifiait de vieilles guenons.
Dans tout cela, vraiment, la religion n’était pas en cause… Toute la religion d’Augustine Pépé, c’était M. l’abbé Ménard, qu’elle adorait ; mais, elle l’adorait, non en amante discrète, douce et résignée, qui poursuit tranquillement son idéal et caresse son rêve amoureux, mais en fille passionnée habituée à aller droit au but et coutumière de toutes les audaces de tenue et de langage. Tour à tour tendre, brutale et violente, elle écrivait, par exemple : « 500 000 baisers sur vos jolis yeux. Adieu, mon maître ! », pour menacer le lendemain : « Je ne céderai pas d’un pouce, … j’irai jusqu’au bout. Vous savez,… je sais comment m’y prendre pour la haine et j’en ai à votre service, allez ! »
Augustine Pépé se différencie donc très nettement de la délirante, de l’amoureuse mystique, et si elle devait, un jour, délirer, il ne semble pas que ce soit jamais par l’exagération des sentiments religieux qu’elle verserait dans la folie.
Si elle n’est pas une .vraie mystique, est-elle une persécutée ? Quand, par exemple, l’inculpée s’imaginait que M. l’abbé Ménard la visait dans ses sermons, n’était-elle pas dominée par des idées de persécution ? Certes, il y a eu, là, de sa part, des interprétations qui méritent l’attention et la discussion. Pour en bien comprendre la valeur réelle, il convient de se l’appeler que Pépé, sorte d’intruse au milieu des fidèles qui fréquentaient l’église Saint-Médard, s’y trouvait dans une position assez fausse. Venue là pour un autre motif que le besoin de s’humilier et de prier, elle se rendait en quelque sorte justice en s’inquiétant de ce qui pouvait lui être attribué dans les vitupérations du prédicateur, dans des paroles qui se faisaient plus âpres et plus dures pour stigmatiser ce qu’elle avait à se reprocher d’une manière plus directe et plus personnelle : l’orgueil, les démonstrations de fausse religion, les allures impudentes, l’immoralité, etc., etc. Et d’ailleurs, M. l’abbé Ménard, questionné d’une façon précise à cet égard, nous a dit que deux ou trois fois, au petit prône du soir, c’est-à-dire dans de simples allocutions familières, il avait pu faire une allusion discrète, d’ailleurs, aux allures choquantes de l’inculpée, dans l’espoir de la ramener à de meilleurs sentiments et de lui faire adopter une attitude plus convenable.
Il n’y a donc rien de très surprenant à ce que Pépé, qui, après tout, devait se trouver mal à l’aise dans un milieu si peu adéquat à ses sentiments réels, ait pris pour elle certaines admonestations du prédicateur. Sous peine de tout confondre, on ne saurait voir là les signes d’un délire de persécution.
Nous estimons donc, en dernière analyse, qu’Augustine Pépé n’est pas une aliénée. La tentative de meurtre dont, elle est appelée à répondre est, en somme, un crime passionnel ; elle n’est pas le résultat du délire. Elle découle de mobiles qui sont les ordinaires facteurs de causalité des actes criminels : la passion surexcitée, la jalousie, l’envie, le dépit, la colère et la misère. Lorsque l’inculpée déclare qu’elle n’est pas une résignée, elle montre qu’elle se connaît au moins quelque peu. Rien ne ressemble moins, en effet, à la douceur, à l’humilité, à la résignation que cette nature aigrie, violente, opiniâtre, orgueilleuse, volontaire, ardente à poursuivre le but qu’elle s’est assigné. Elle porte donc, sur elle un jugement que ratifie pleinement l’analyse scientifique de ses dispositions. Augustine Pépé, femme d’intelligence ordinaire, a au- moins une qualité : elle sait ce qu’elle veut, et ce qu’elle veut elle le veut bien.
L’inculpée n’a, à aucun moment, méconnu ce qu’il y avait d’audacieuse fantaisie dans la manifestation de sa passion pour M. J’abbé Ménard. Sans doute, en femme rompue aux manœuvres de la galanterie, elle s’est longtemps flattée de réussir. Le jour où il lui fut démontré qu’elle n’aboutirait pas, son dépit fut d’autant plus violent que, d’autre part, elle ne savait vers qui se tourner, et cet état d’esprit, elle ne l’a pas caché. Elle l’a traduit dans cette formule aussi significative que possible: « Si j’avais eu 25 000 francs, je n’aurais pas fait celte bêtise. »
La jalousie, la vanité blessée, l’exaltation passionnelle, le sentiment de la détresse toujours plus pressante, apparaissent donc, avec la violence instinctive du caractère, comme les causes complexes de la tentative de meurtre reprochée à Pépé. En conséquence, cet acte n’ayant point les caractères d’un acte pathologique, il est légitime que l’inculpée, actuellement calme, d’ailleurs, lucide, consciente de sa situation, soit appelée à en répondre devant la justice.

Conclusions.

I. La femme Pépé n’est pas atteinte d’aliénation mentale,
II. Sa tentative de meurtre contre M. l’abbé Ménard n’est pas le résultat du délire ou d’une impulsion morbide; elle a été inspirée par des mobiles passionnels ; elle n’est point un acte pathologique.
Ill. Augustine Pépé est une femme bizarre, déséquilibrée, mais les étrangetés de son caractère, les anomalies de ses dispositions morales ne sauraient être assimilées à des symptômes de folie.
IV. L’inculpée, actuellement calme, lucide, consciente de la situation où elle s’est placée par l’acte qu’elle a commis, et qu’elle dit regretter, doit compte de sa conduite à la justice, qui appréciera dans quelle mesure les défectuosités de son organisation morale peuvent intervenir, en l’espèce, comme motifs d’indulgence.

Paris, le 14 janvier 1898.

Signé: Dr Paul Garnier.

La fille Augustine Pépé a été condamnée à deux ans de prison, par la Cour d’assises de la Seine.

Extrait des Annales d’hygiène publique et de médecine légale.
Paris, J.-B. Baillière et Fils
N° de Juin 1899.

 

 

 

 

 

 

 

 

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