Une extatique stigmatisée : Maria de Mörl. Par Jean Vinchon. 1936.

VINCHONMYSTIQUE0006Jean Vinchon. Une extatique stigmatisée : Maria de Mörl. Article parut dans les « Etudes carmélitaines – Douleur et stigmatisation », (Paris), Desclée de Brouwer et Cie, 20e année, — vol. II, octobre 1936, pp. 79-80.

Jean Vinchon nait à Ennemain près de Péronne en 1884, et meurt à Paris le 15 novembre 1964. Sa thèse de doctorat en médecine, ayant pour thème le délire des enfants, en 1911 devant un jury de la Faculté de médecine de Paris. Il sera un collaborateur de Gilbert Ballet, et Médecin assistant du service de psychiatrie à l’Hôpital de la Pitié de Laignel-Lavastine. Psychiatre et historien de la médecine il s’intéressera beaucoup au paranormal, au diable, à l’hypnose, mais aussi à l’art dans ses rapports avec la folie. Il collaborera avec Maître Maurice Garçon dans un ouvrage qui reste une référence : Le Diable. Il sera membre de l’Institut Métapsychique International (IMI). Pour les indications bibliographiques nous renvoyons à notre article en ligne sur ce site : la part de la maladie chez les mystiques.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images et les notes [] rajoutées en fin d’article, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 79]

Une extatique stigmatisée :

Maria de Mörl

 

Vers 1840, deux extatiques, porteuses toutes deux de stigmates, Maria de Mörl et Domenica Lazzari vivaient à Kaltern et à Capriana, villages voisins du Tyrol.. Elles attirèrent l’attention des théologiens, des médecins et des curieux de leur époque. Joseph Goerres, entre autres visita Maria de Mörl et étudia son cas dans les pages 494-511 de la « Mystique chrétienne » (édit. allemande, Die christliche Mystik) [1]. Il conclut qu’elle semble avoir reçu d’en haut la mission de veiller à ce que la lampe éternelle qui brûle dans le sanctuaire ne s’éteigne pas. Il ne veut pas porter sur elle un jugement définitif avant sa mort, mais il note que l’atmosphère qui émane d’elle est si pure, qu’aucun trouble ne gagne le visiteur ; pour la même raison, Maria exerce une grande influence sur le peuple.

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Le professeur Lhermitte nous parlant de Maria de Mörl la classe au contraire parmi les hystériques et peut-être même les simulatrices.

Une étude faite en 1926 d’après les souvenirs du P. Simon Prantanier, dernier confesseur de Maria nous a amenés à adopter une attitude intermédiaire entre ces deux opinions (Journal de Psychologie, 15 octobre 1926, p. 841-861).

Certains épisodes, comme la guérison brusque de l’anesthésie et de la paralysie du côté gauche, comme le fait de mâcher des épingles, comme les clous trouvés dans le lit de la patiente font penser à l’hystérie et à la simulation. L’histoire des stigmates apparus en février 1834, puis complétés en décembre 1834 et qui disparurent après avoir suppuré quelques jours avant sa mort, celle du jeûne qui dura plusieurs mois pendant l’été et l’automne de 1867 inclinent l’observateur à pencher pour l’hypothèse de la simulation.

Maria fait-elle allusion à la simulation quand elle déclare au [p. 80] P. Simon Prantanier au cours de cette même année 1867 qu’elle est une menteuse, que pendant tant d’années elle a trompé un si grand nombre de personnes qu’aucune absolution ne pourra la sauver. Cette même personne qui s’accusait ainsi mourut comme une sainte le 11 janvier 1868, entourée de la vénération générale.

L’étude du contexte vital, demandé par les médecins qui assistaient aux Journées carmélitaines, permet d’écarter la simulation banale, non seulement à cause de cette mort, mais encore de sa vie, dont de nombreux observateurs ont été témoins (Léon Boré. Les stigmatisées du Tyrol, Paris Lecoffre 1846) [2]. Il est possible pourtant que dans son désir de ressembler à saint François, Maria qui appartenait au Tiers-ordre franciscain se soit infligé à elle-même les stigmates aux deux reprises signalées plus haut, au cours d’extases survenues pendant des fêtes, puis les ait entretenus jusqu’au moment de la suppuration et de la disparition terminale.

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A la veille de sa mort, elle aurait compris l’importance de son acte et se serait accusée d’être une menteuse, en même temps qu’elle subissait les attaques du démon.

Il est possible aussi qu’il se soit agi d’auto-accusations pathologiques, en rapport avec l’hystérie plutôt qu’avec la mélancolie.

Le caractère anormal de ces auto-accusations, en tout cas, a dû frapper le P. Simon Prantanier car il ne leur a pas accordé l’importance qu’il aurait certainement attribuée à des aveux réels.

Maria de Mörl apparaît en dernière analyse, comme un de ces cas frontières, dans lesquels à certaines heures les sujets approchent des mystiques véritables et à d’autres se comportent manifestement en malades, mais le plus souvent, elle se soumet aux disciplines et se laisse diriger vers des buts supérieurs. Par là, si elle est une malade, elle n’est certainement pas une aliénée.

Une étude exclusivement médicale n’apporterait ici qu’un des aspects de la vérité, non la vérité tout entière. La confrontation d’un ensemble de documents émanés de sources très diverses, réunis grâce aux méthodes de la théologie, de la philosophie et de la médecine peut seul permettre ici de porter un jugement aussi complet que possible. C’est la leçon que nous, médecins, pouvons recueillir et utiliser dans nos études ultérieures et qui découle des discussions poursuivies avec les philosophes et les théologiens au cours de ces journées.

Paris, Dr JEAN VINCHON,
Ancien chef de Clinique
à la Faculté.

Notes par historedelafolie.fr

[1] Görres [ou Goerres] Johann-Joseph von (1776-1848). La mystique divine, naturelle et diabolique, ouvrage traduit de l’allemand, par M. Charles Sainte-Foy. Paris, Poussielgues-Rusand, 1854-1855, 5 vol. in-8°.

[2] L’édition originale est de 1843 : Boré Léon (1806-1882)Les stigmatisées du Tyrol, ou l’extatique de Kaldern et la patiente de Capriana, relations traduites de l’italien, de l’allemand et de l’anglais. Bruxelles, 1843, 1 vol. in-16, 188 p.

[3] Lhermitte Jean (1877-1950). Le Problème médical de la Stigmatisation. Article parut dans les « Etudes carmélitaines – Douleur et stigmatisation », (Paris), Desclée de Brouwer et Cie, 20e année, — vol. II, octobre 1936, pp. 60-78. [article bientôt en ligne sur notre site]

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