L .J. Ramon. SOMMEIL. Article de l’Encyclopédie méthodique. Médecine, tome treizième, 1830,

Van Dongen QuietudeL. J. Ramon. Article Sommeil. Encyclopédie méthodique. Médecine, tome treizième, 1830, pp. 68-69 [sur 2 colonnes].

Docteur en Médecine de Paris. Polygraphe ayant participé à de multiples revue médicale, et un des principaux rédacteurs de l’Encyclopédie méthodique.

[p. 68 – colonne 1]

SOMMEIL, f. m. (Physiol.) Somnus, Suspension temporaire des sensations & des mouvemens volontaires.

La transmission des impressions, celle des déterminations aux muscles, dont elles règlent les mouvemens, se rattachent d’une manière incontestable à des conditions organiques du système nerveux ; mais en quoi consistent ces conditions ? Quelle différence y a-t-il entre un nerf qui n’agit pas, et le même nerf en action ? Que perd-il par le fait même de son action ? ‘nous sommes sur ces points dans la plus profonde ignorance ; toujours est-il que, quel que soit leur mode d’action, les nerfs ne peuvent agir que pendant un certain temps, après lequel, n’étant plus susceptibles de transmettre les impressions ni la faculté du mouvement, nous mourons en quelque sorte pour tout ce qui nous environne ; cet état de repos durant lequel les organes de la vie de relation recouvrent progressivement leurs forces pour se mettre de nouveau en état d’agir constitue le sommeil ; état dont la cause, tout-à-fait inconnue, réside essentiellement & primitivement dans le système nerveux.

Les symptômes qu’on observe dans les cas où le cerveau se trouve comprimé, ont donné lieu de croire que la cause prochaine du sommeil consistoit en une compression de cet organe, par suite d’une congestion sanguine. Il en bien vrai que le sommeil suit cette compression, mais c’est ici un phénomène bien distinct du sommeil naturel ; dans ce dernier, l’activité du système nerveux a été progressivement épuisée, tandis que dans l’assoupissement produit par 1a compression cérébrale, [p. 68 – colonne 2] les relations avec les objets extérieurs ne cessent que par l’impossibilité d’agir dans laquelle se trouve le centre du système nerveux. Les modifications organiques qui surviennent dans ce dernier empêchent les impressions de se transmettre, de même aussi qu’elles le mettent hors d’état de réagir sur les organes du mouvement ; en un mot, le cerveau devient ici un obstacle insurmontable, d’une part, entre les impressions & l’ame, & de I’autre, entre cette dernière & les organes qui obéissent à la volonté. Non-seulement la congestion ne sauroit être considérée comme cause du sommeil naturel, mai, le sommeil qu’elle détermine diffère essentiellement de ce dernier.

Le besoin de dormir, qui est une véritable sensation interne, s’annonce par une sorte d’engourdissement de la puissance musculaire, qui fail que le corps ne peut plus conserver sa rectitude naturelle, & que ses diverses parties obéissent à leur propre pesanteur, et par un affoiblissement des sens qui rend plus ou moins obtuse l’action des agents extérieurs avec lesquels ils sont naturellement en rapport : cette foiblesse des systèmes musculaires & nerveux s’accroît progressivement jusqu’au point d’amener une perte complète du sentiment & du mouvement ; cette espèce d’anéantissement semble survenir d’autant plus tôt, que I’irritabilité musculaire & la puissance nerveuse ont été plus promptement & plus complètement épuisées par les efforts qu’on a faits pour résister au sommeil.

Quand le sommeil est la suite d’une action musculaire & nerveuse, portée au point de déterminer un sentiment de fatigue modéré & de besoin de repos dont nouas venons de parler, il est ordinairement calme & complet, c’est-à-dire qu’aucune impression n’étant transmise à l’ame, il y a réellement suspension complète du sentiment et du mouvement, & l’individu ne vit plus que de la vie organique ; mais cet état de repos parfait, qui suppose une fatigue également départie à tous les organes de la vie de relation, est extrêmement rare ; le plus souvent l’ame perçoit encore des impreffions pendant le sommeil, elle réagit & de cette réaction résultent des opérations intellectuelles & des manifestations extérieures qui constituent les rêves.

Il arrive souvent que, bien que l’irritation musculaire & la puissance nerveuse soient presqu’entièrement épuisées par les exercices de la veille, malgré la fatigue physique & le besoin du repos, l’esprit encore tendu sur certaines idées, avec toute l’énergie dont il est susceptible, au moment où le sommeil vient s’emparer des sens, n’en continue cependant pas moins ses opérations, d’où résultent des rêves qui ont un rapport direct avec l’objet dont on s’étoit occupé pendant la veille. Ce que nous disons ici des facultés intellectuelles s’applique également à certaines affections morales profondes. [p. 69 – colonne 1]

Tous les sens, ainsi que nous l’avons dit, ne sont pas également engourdis aux approches du sommeil & il arrive souvent que le sommeil paroissant complet, des impressions peuvent encore être transmises jusqu’au cerveau ; ces impressions, qui arrivent, à l’ame d’une manière plus ou moins confuse, sont encore une cause fréquente de rêves.

L’ame n’entre point seulement en action à l’occasion des impressions qui lui viennent des objets extérieurs, elle perçoit encore des impressions dont la source est en nous (sensations internes) ; c’est surtout pendant le sommeil, quand les sens extérieurs assoupis ne mettent point en jeu l’action du cerveau, que ce dernier devient plus susceptible d’être sympathiquement affecté par des organes dont l’existence, pendant la veille, semble être entièrement isolée de la sienne ; d’où une foule de sensations & d’opérations intellectuelles, qui constituent des rêves extrêmement variés sur la nature desquels nous ne pouvons pas entrer ici.

Il suffit de cet aperçu sur les principales causes des rêves, pour être convaincu que ces phénomènes, auxquels on attache trop peu d’importance maintenant, peuvent fournir au médecin un grand nombre de données séméiologiques fort utiles pour établir un diagnostic de plusieurs maladies internes ; ceci se concevra plus aisément  encore, si on considère qu’à certains états de l’économie, bien fréquens et bien connus, se rattachent presque contamment des rêves de même nature, même chez des individus de caractère & de tempérament différens.

Les rêves sont beaucoup plus fréquens qu’on ne pourroit le croire, si on ne s’en rapportoit qu’au témoignage des individus, la mémoire des rêves se perdant souvent avec le sommeil. Il suffit de passer quelques instans  auprès d’une personne qui dort, pour observer une foule de mouvemens divers, soit du corps, soit des membres, soit de la physionomie, ou pour entendre des paroles plus ou moins distinctes, d’où l’on peut conclue  que, bien que l’individu soit comme mort pour ce qui l’environne, il se passe cependant en lui des phénomènes qui indiquent suffisamment que l’ame veille.

Quelle que soit la source des rêves, les facultés intellectuelles & affectives n’y sont pas toujours seulement mises en jeu, soit que la force des réactions de l’ame soit assez énergique pour surmonter l’engourdissement des systèmes nerveux & musculaires, soit que ceux-ci conservent une irritabilité qu’elle rend apte à entrer en action sous l’influence du moindre stimulant, on voit l’exercice de ces facultés se manifester par des mouvemens extérieurs, d’où résulte cette espèce de rêves désignés sous le nom de somnambulisme.

Nous renverrons, pour plus de détails sur ce sujet, aux articles SONGES & SOMNAMBULISME de ce Dictionnaire. [p. 69 – colonne 2]

Le sommeil ayant pour but de réparer les pertes que fait le système nerveux pendant la veille, la durée et la promptitude de son retour doivent être en rapport avec l’activité du système nerveux : les femmes, les enfans & généralement les individus d’une d’une constitution nerveuse & qui par cela même sont très-impressionnables sentent à des époques plus rapprochées le besoin de dormir, & ont besoin d’un plus long repos ; le contraire a lieu pour les individus d’une constitution opposée. Rien de plus ordinaire que d’observer tous les attributs extérieurs du tempérament nerveux & même une très-grande susceptibilité nerveuse, chez les sujets d’un esprit actif & susceptible d’une application forte & soutenue ; on sait cependant que ce sont ceux qui supportent le plus facilement les veilles prolongées, & que quelques heures de sommeil leur suffisent pour dissiper les fatigues d’un travail opiniâtre.

Comment se fait cette réparation des forces du système nerveux pendant le sommeil, & quels changemens organiques s’opèrent en lui ? Nousne savons rien sur ce point.

Selon M. Broussais, les fonctions de la vie organique s’exécuteroient avec moins d’énergie pendant le sommeil que pendant la veille. Tout concourt, soit dans l’état physiologique, soit dans ‘état pathologique, à démontrer la fausseté de cette assertion. On sait généralement en effet  que pendant le sommeil, la digestion est plus active ; que la respiration, si elle est moins fréquente que pendant la veille, est plus profonde & plus complète ; qu’enfin la circulation capillaire & les phénomènes qui en dépendent s’exécutent avec plus d’activité & d’énergie. Une foule d’observations particulières nous prouvent que c’est surtout durant le sommeil que les phénomènes inflammatoires font le plus de progrès, que la suppuration est plus abondante, & que les résolutions & absorptions si font avec plus de rapidité.

Puisqu’il est vrai que tout se lie & s’enchaîne dans l’économie, n’y auroit-il pas lieu de croire que c’est par le sommeil surtou que les fonctions nutritives & les fonctions de relation se touchent, & que ce seroit par cette activité, évidemment plus grande des premières pendant le sommeil, que s’opéroit cette réparation des pertes du système nerveux ? Le sommeil enfin n’auroit-il presque pas autant d’importance pour la vie organique elle-même, que pour la vie animale, le corps ne perdant pas moins, pendant la veille, en matériaux organiques qu’en puissance nerveuse ?

 

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