Raoul Leroy. Un cas d’hallucinations lilliputiennes. Extrait du « Bulletin de la société clinique de médecine mentale », (Paris), troisième année, 1910, pp. 132-135.

Raoul Leroy. Un cas d’hallucinations lilliputiennes. Extrait du « Bulletin de la société clinique de médecine mentale », (Paris), troisième année, 1910, pp. 132-135.

 

Raoul Leroy (1869-1941). Médecin psychiatre, ancien interne des asiles de la Seine. Il est à l’origine du concept de « l’hallucination lilliputiennes » dont nous présentons ici le texte princeps et qui sera suivi de très nombreux travaux sur la même question juste après la première guerre mondiale. André Breton y puisera quelque idée dans un de ses poèmes en 1934. Quelques publications :
— Les persécutés persécuteurs. Paris, 1896.
— La responsabilité des hystériques. Rapport présenté au congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Seizième session, Lille, 1-7 aout 1909. Lille, Le Bigot frères, 1906. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 177 p., 1 fnch.
— Les hallucinations lilliputiennes. Article paru dans les « Annales médico-psychologiques, (Paris), neuvième série, tome deuxième, soixante–septième année, 1909, pp. 278-289. [en ligne sur note site]
— Le syndrome des hallucinations lilliputiennes. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), seizième année, 1921, pp. 504-510. [en ligne sur note site]
— Manuel technique de l’infirmier des établissements psychiatriques : à l’usage des candidats aux diplômes d’infirmier de ces établissements. 3e édition revue, corrigée et augmentée / Par les Drs Roger Mignot et L. Marchand ; Préface de R. Leroy ; [Préface de la 1re édition par P. Sérieux et Ed. Toulouse ; Préface de la 2e édition par le Dr Henri Colin.] / Saint-Amand, impr. Bussière , 1939.
—  (avec) Rogues de Fursac. Les hallucinations lilliputiennes. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), quinzième année, 1920, pp. 189-192.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 132]

Un cas d’hallucinations lilliputiennes, par M. LEROY (présentation de malade).

Dans la séance du 26 juillet 1909, j’ai attiré l’attention de la Société médico-psychologique sur une variété d’hallucinations de la vue, peu étudiées, auxquelles j’ai proposé de donner le nom d’hallucinations lilliputiennes. Ce sont des hallucinations visuelles d’objets ou le plus souvent de personnages petits mais non microscopiques, de petits bonshommes vus en raccourci, parfaitement proportionnés, d’une hauteur de 0,15 à 0,20 environ, semblables en un mot aux Lilliputiens de Swift. Ces personnages minuscules sont généralement habillés de couleurs voyantes, mobiles, multiples, fugaces. De telles hallucinations existent en dehors de toute micropsie, alors que le malade a une conception normale de la grandeur des objets qui l’environnent, la micropsie ne portant que sur l’hallucination. Elles se produisent tantôt seules, tantôt accompagnées d’autres troubles psycho-sensoriels.

Dans ma communication, j’ai rapporté huit observations d’hallucinations lilliputiennes tant personnelles qu’empruntées aux auteurs. M. de Clérambault a cité à ce propos d’autres cas observés dans l’ivresse éthérique (1) et dans le chloralisme chronique (2). MM. Bourneville et Bricon dans une observation d’enfant épileptique, traité par le curare, ont noté ceci : « C .. raconte qu’il a eu [p. 133] très peur cette nuit, ayant vu assis sur une table une foule de petits bonshommes de 0,25 qui lui faisaient des grimaces (3) ».

Je vous présente aujourd’hui une malade alcoolique chronique qui a eu une hallucination lilliputienne typique, au milieu d’un accès hallucinatoire intense.

Fr., âgée de 50 ans, entre le 26 février 1910 à l’asile de Ville-Évrard comme alcoolique chronique avec démence profonde, hallucinations visuelles terrifiantes et délire de persécution. Elle a été arrêtée sur la voie publique, la nuit, pour fuir son mari qui voulait la couper en morceaux. Cette femme, atteinte de débilité mentale primordiale, présente tous les signes physiques de l’intoxication.

Fr… raconte qu’elle avait à ses trousses une bande d’individus qui lui faisaient des misères, qu’elle entendait des menaces la nuit, dans sa chambre. Elle a vu sur un arbre des individus, grands comme des enfants, qui descendaient à terre, reprenaient leur taille normale et couraient sur elle.

Un matin, étant dans sa chambre F.. a vu, en regardant par la fenêtre, deux petits bonshommes, hauts comme le doigt, assis sur un fil télégraphique. Ils étaient habillés de bleuet l’un d’eux fumait la pipe. Cette apparition n’a duré qu’un moment ; la malade s’est sauvée dans la rue, parce qu’elle a entendu une voix crier qu’on allait la tuer.

Voici une observation d’hallucinations lilliputiennes d’origine alcoolique. J’ai rattaché ces troubles psycho-sensoriels à une intoxication et ce cas en est une confirmation. J’insiste sur ce fait que la vision est colorée.

Dans ma précédente communication à la Société médico-psychique, j’ai dit que ces hallucinations avaient plutôt un caractère agréable, le malade les regardant avec autant de surprise que de plaisir. Ici, comme dans le cas de MM. Bourneville et Bricon, l’apparition a provoqué un sentiment de frayeur. La chose est à noter.

La malade, très débile et très affaiblie au point de vue intellectuel, raconte les hallucinations exposées dans l’observation.

M. MARIE. — Depuis la dernière communication de M. Leroy sur les hallucinations micropsiques, j’ai eu l’occasion d’en observer moi-même un nouveau cas chez un débile alcoolique avec idées de persécution. Hor…, déjà interné auparavant, entrait après une double tentative de suicide par précipitation sous une voiture et sous le métro, avec des cauchemars, des tremblements musculaires, un délire confus, amnésique, quelques accrocs dans la parole, et des hallucinations multiples de personnages grouillants (300 gnômes) de la hauteur d’une bouteille (comparaison de buveur.) Une certaine euphorie se mêlait à ce délire de persécution, le malade [p. 134] ayant eu raison de ces myrmidons qui disparurent avec l’imprégnation toxique.

Il s’agissait donc là d’hallucinations visuelles d’origine toxique à caractère spécial. Ce caractère rappelle les troubles micropsiques et microacousiques des dégénérés intoxiqués, dont ils semblent n’être que l’objectivation exagérée. Certains malades non hallucinés présentent, en effet, des troubles sensitivo-sensoriels de nature, pourrait-on dire, interprétative morbide qui font qu’ils ressentent les impressions correspondantes à ce qu’ils voient ou entendent, mais avec l’illusion d’un éloignement qui les rapetisse plus ou moins. Tel un dégénéré alcoolique, dont je me souviens, qui, de sa fenêtre, voyait passer les omnibus et tramways avec l’impression qu’ils n’étaient pas de dimension plus grande que des jouets d’enfants ; de même, les objets et les êtres, les hommes, par exemple, semblant grands comme de menues poupées ; au théâtre, il lui semblait voir des marionnettes ou une scène distante d’un éloignement extrême et très lointain.

Dans le domaine des sensations auditives, le phénomène analogue s’observe, par exemple la voix des interlocuteurs, perçue correctement, mais comme venant d’une grande distance (Voir A. Marie. Audition morbide. Bloud 1909). C’est l’impression morale analogue à celle exprimée dans plusieurs nouvelles de Maupassant où 2 amis ou 2 conjoints sont comparés à des individualités aussi lointaines, malgré l’apparente proximité, que 2 planètes proches pour l’œil, mais immensément distantes dans l’infini réel.

Une névrosée multi-intoxiquée, buveuse d’éther et morphinomane, présentait des dysesthésies de ce genre avec de l’audition colorée ; ces phénomènes sont aussi fréquents dans le haschichisme ; le substratum intoxication semble bien le fond commun unissant ces troubles aux phénomènes hallucinatoires micropsiques.

L’interprétation de ces deux ordres de phénomènes, microdysesthésies et hallucinations micropsiques, suppose la combinaison d’un élément périphérique (troubles d’accommodation et spasmes de la musculature intra-oculaire) fréquent dans les états toxiques et d’un trouble des centres d’association et d’objectivation interprétatives, si l’on peut dire.

La micromégalopsie et la micromégalécie, où les objets grossissent puis rapetissent alternativement, ont été rapportées à une sorte d’hyppus avec réaction psychique morbide. Tous les phénomènes de ce genre semblent impliquer une double anomalie fonctionnelle. périphérique et centrale. Cette dernière semblerait plutôt d’ordre dégénératif, alors que la première serait d’ordre exotoxique.

M. DE CLÉRAMBAULT. — Mon ami Leroy a bien voulu rappeler mes cas de chloralisme et d’éthérisme. Lors de sa communication à la Société Médico-Psychologique, je lui signalé également l’alcoolisme, comme m’ayant fourni des cas d’hallucinations lilliputiennes. Depuis cette date, j’ai eu la surprise (d’ailleurs une surprise modérée), de constater que Lasègue en avait déjà publié [p. 135] plusieurs exemples, dans son étude sur l’Alcoolisme Subaigu. (Arch. gén. de Médecine 1868-1869. Études Médicales 1884. Tome II. pages 150, 151, 152. Délire alcoolique. Ibid. p. 220. — et Arch. gén. de Méd. 1881). Toutefois Lasègue mentionne des silhouettes minuscules parmi beaucoup d’autres visions, sans faire de commentaire sur elles, sans leur donner de nom et sans leur accorder une, place dans son résumé du sujet.

J’ai constaté ces hallucinations, vers la même date, chez un paralytique général. Il avait aperçu dans l’angle des rideaux de son lit, près du plafond, de petits bonshommes qui, armés de spirales et de cercles en fil de fer, faisaient mine de vouloir l’étrangler. Malgré leur mimique menaçante, il les avait considérés, nous semble-t-il, sans émotion. Nous n’avons pu prouver qu’il fût alcoolique, il soutenait même être au régime de l’eau depuis quelque temps. Nous vérifierons si ce malade est le même dont vient de nous parler M. Marie.

Notes

(1) SAUVET. — Ann. méd. Psycho. 1847.

(2) DE CLÉRAMBAULT. — Du diagnostic différentiel des délires de cause chloralique. Ann. méd. psych. 1909.

(3) BOURNEVILLE et BRICON. — Du curare dans l’épilepsie, 1885.

 

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