Paul Farez. Un cas d’onirothérapie spontané. Extrait de la revue « La Sage-femme : organe officiel du Syndicat général des sages-femmes de France », (Paris), treizième année, n°241, 5 décembre 1909, pp. 188-190.

Paul Farez. Un cas d’onirothérapie spontané. Extrait de la revue « La Sage-femme : organe officiel du Syndicat général des sages-femmes de France », (Paris), treizième année, n°241, 5 décembre 1909, pp. 188-190.

 

Paul Farez (1868-1940). Médecin qui se spécialisa dans l’étude des sommeils, naturel, provoqués et pathologiques, et donc de l’hypnotisme. Il fut un des fondateurs collaborateurs de la Revue de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique créée par Edgar Bérillon en 1888, qui deviendra, dès l’année suivante la Revue de l’Hypnotisme et de la psychologie physiologique, puis enfin la Revue de Psychothérapie et de psychologie appliquée, dont il fut le rédacteur en chef. Quelques publications retenues (l’auteur propose lui-même une recension de 80 ailes en fin publication] :
— De la suggestion pendant le sommeil naturel dans le traitement des maladies mentales. Paris, A. Maloine, 1898. 1 vol.
— Hypnotisme et sommeil prolongé dans uncas de délire alcoolique. Paris, Imprimerie de A, Quelquejeu, (1899). 1 vol.
— Les rêves soi-disant prophétiques ou révélateurs. Extrait de la« Revue de l’Hypnotisme et de la psychologie physiologique », (Paris), 17eannée, n°1, juillet 1902, pp. 43-52.
— Un sommeil de dix-sept ans. Article parut dans la « Revue de l’Hypnotisme », (Paris), 19e année, n°4, octobre 1904, pp. 108-113. [en ligne sur notre site]
— La dormeuse de San Remo. Article parut dans la « Revue de l’hypnotisme et de la psychologie physiologique », (Paris), 1905-1906 », (Paris), 1906, pp. 339-342. [en ligne sur notre site]
— L’analgésie obstétricale et la narcose éthyl-méthymique. Paris, Imprimerie de A. Quelquejeu, vers 1905. 1 vol.
—  Un cas d’onirothérapie spontanée. Extrait de la revue « L’Informateur des Aliénistes et des Neurologistes », (Paris), Tome IV, 4eannée, 1909, p. 339.[en ligne sur notre site]
— Un cas de sommeil hystérique avec personnalité subconsciente. Privas, imprimerie de C. Laurent, vers 1909. 1 vol.
— Le Réveil de la dormeuse d’Alençon. – La rééducation fonctionnelle de la dormeuse d’Alençon. Paris, A. Maloine, éditeur, 1910. 1 vol. in-12, 12 p. [B. n. F. : T85-90d.]  [en ligne sur notre site]
— La psycho-analyse française. Paris, A. Maloine, 1915. 1 vol. in-8°, 4 p. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – L’image a été rajoutée partons soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p 188, colonne 1]

UN CAS D’ONIROTHÉRAPIE SPONTANÉE

Par le docteur Paul FAREZ,
Professeur à l’École de psychologie.

C’est un simple fait clinique, recueilli au hasard de la pratique journalière, que je vais rapporter (1).

M. X., âgé de trente-cinq ans, m’écrit le 10 septembre, pour me demander un rendez-vous : « Je désire, dit-il, recourir à vous pour un cas personnel de phobie dont les conséquences sont, actuellement, fort désagréables pour moi. Il s’agit d’une auto-suggestion qui, depuis mon enfance, n’a fait que s’aggraver ; et il y a tout lieu de croire qu’une suggestion en sens inverse en aurait raison. » Je le convoque pour le 13 septembre, à six heures du soir.

A l’heure dite, il m’arrive et m’expose son cas, à peu près en ces termes : « Je suis atteint d’une maladie de la volonté ; je ne peux pas mettre à exécution un projet qu’il faut pourtant que je réalise. Voilà. J’ai la terreur maladive du dentiste ! Entre quatorze et quinze ans, j’ai été martyrisé par un opérateur maladroit ; et, dès lors, je me suis bien promis de ne plus me laisser toucher par aucun dentiste. J’ai donc traité mes dents « par le mépris » ; et, actuellement, mes mâchoires sont dans un état lamentable. J’ai eu de nombreux abcès, des caries multiples me font beaucoup souffrir ; ma raison me dit que je dois voir un dentiste ; je le décide, je le veux… et je ne peux pas prendre sur moi de monter son escalier. Pour mettre mon amour-propre en jeu, je fais à ma femme la promesse formelle d’aller me faire soigner… et je manque à ma promesse. Pour me forcer la main, je fais prendre des rendez-vous… auxquels je manque régulièrement. Vingt fois, je me suis dirigé chez le dentiste ; pas une fois, je n’ai pu me décidera monter son escalier. Il y a là une appréhension à vaincre ; or, je ne puis la vaincre par ma seule volonté : j’ai besoin d’être aidé. »

Un de ses parents, médecin très versé dans les questions de psychothérapie, l’a suggestionné, à l’état de veille comme on dit, sans aucun résultat bien entendu. Il a alors essayé de l’hypnotiser et n’y est point parvenu. [p. 188, colonne 2] Se rendant compte qu’il a peu d’autorité sur son parent et que celui-ci est, d’ailleurs, très difficile à influencer, mon confrère m’adresse son phobique, lui affirmant que, sans aucun doute, moi, je parviendrai à l’endormir.

Sur cette bonne parole, M. X. vient me voir avec confiance. Flairant un cas très difficile, je lui dis : « Pour cette première fois, je ne vais pas du tout chercher à vous endormir. Je vais vous familiariser avec les procédés ordinaires de l’hypnotisation, afin qu’une autre fois vous n’ayez plus, à leur sujet, ni appréhension ni curiosité. Je vais vous entraîner, vous préparer, vous tâter, voir dans quelle mesure et de quelle manière vous réagissez à tel ou tel agent d’hypotaxie, apprendre à vous connaître et a vous manier, tout comme on apprend à jouer d’un nouvel instrument. »

Couché sur une chaise longue, il s’efforce de fixer l’objet brillant que je lui désigne ; je lui fais du vibro-massage frontal, etc. Pendant tout ce temps, il ne peut ni se taire, ni rester immobile. Ayant, tout de même, au bout d’un long moment, obtenu le silence et le repos musculaire, je le laisse, quelques instants, les yeux fermés, dans une demi-obscurité, et je fais mine de m’éloigner. Aussitôt, il s’énerve et se met à gesticuler, prétendant que c’est plus fort que lui, qu’il ne peut rester tranquille, etc. Je n’insiste pas et lui donne rendez-vous pour le lendemain à six heures du soir.

Après l’avoir reconduit, je me dis, a part moi : « Cas très mauvais, et qui me donnera « du fil à retordre » ; ce sera très long et très difficile. »

Le lendemain, dans l’après-midi, je reçois de lui un pneumatique. Je lis : Je n’ai pas eu conscience d’avoir été, hier, endormi et suggestionné par vous : mais j’ai, depuis quelques heures, cette idée fixe que JE DOIS aller, ce soir, non pas chez vous, mais chez le dentiste : et, chose curieuse, cette idée n’est pas accompagnée de l’appréhension habituelle. Je tenterai donc l’expérience, pour profiter de ces bonnes dispositions inattendues. Excusez-moi, si je manque notre rendez-vous, ce soir. J’irai vous remercier, si la chose réussit », et, dans le cas contraire, vous demander de continuer le traitement hypnotique, dont le succès paraît démentir les apparences. » [p. 189, colonne 1]

Quelques jours après, M, X. vient me voir, amené, dit-il, à la fois par la gratitude et la curiosité. Il ne comprend pas ce qui s’est passé, mais il est stupéfait de l’heureux résultat obtenu.

Le jour de sa première visite chez moi, il s’est couché de bonne heure. Toute la nuit, il a rêvé que je l’endormais, que je lui suggérais qu’il pourrait aller chez le dentiste, qu’il irait sans appréhension, qu’il s’y rendrait dès le lendemain.

Le lendemain, dans le courant de la journée, sa femme lui dit :

« N’est-ce pas, c’est bien aujourd’hui à six heures que tu dois aller chez le docteur Farez ?

— Pas du tout, répond-il : c’est chez le dentiste que je dois aller.

— Mais tu as pris rendez-vous avec le docteur pour six heures.

— C’est chez le dentiste que je dois aller. »

En effet, à six heures, il y va crânement, sans appréhension, et se laisse examiner, puis soigner. On convient qu’on lui enlèvera sept ou huit dents ou racines ; il y est fout à fait décidé et accepte, d’avance, cette série d’extractions, comme la chose la plus simple du monde.

« Subir les soins du dentiste n’est rien, me dit-il, la grosse affaire, pour moi, était d’aller chez lui. Or, j’y vais délibérément sans la moindre appréhension. »

Il est d’autant, plus étonné du résultat que sa femme lui avait manifesté son scepticisme à l’égard de l’hypnotisme ; d’autre part, lors de notre première entrevue, je lui avais fait pressentir que, pour le rendre suffisamment suggestionnable, nous aurions peut-être besoin de recourir aux grands moyens, par exemple à la narcose éthyl-méthylique (2). [p. 189, colonne 2]

Il est manifeste que, s’il a été débarrassé de son appréhension, il l’a été par suggestion pendant le rêve. Son rêve l’a suggestionné et la suggestion a réalisé son plein effet pendant la veille subséquente.

Pour recevoir efficacement l’ordre d’aller chez son dentiste, il avait besoin d’être plongé dans un état profond d’hypotaxie. Son sommeil nocturne a excellemment réalisé cette hypotaxie. Dès lors que la montée chez le dentiste ait été autosuggestionnée ou hétéro-suggestionnée, peu importe. La suggestion a surgi dans la conscience du dormeur sous la forme onirique d’une hétérosuggestion médicale. Le sommeil a été comme le terrain fécond, le rêve comme une graine vigoureuse ; la graine a germé et produit son fruit. C’est donc bien d’un cas d’onirothérapie spontanée qu’il s’agit ici.

Les vérités cliniques qu’évoque ce cas ne sont plus à prouver ; je me contente de les formuler, pour mémoire :

1° Les rêves spontanéspeuvent avoir une importance très grande, soit au point de vue de la psychologie pratique, soit au point de vue de l’action, soit au point de vue de la médecine, générale ou spéciale. Les uns sont hypermnésiques, d’autres impulsifs, d’autres encore, comme dans ce cas, curateurs, tandis que d’autres sont, soit prémonitoires d’une maladie prochaine, soit véritablement pathogènes (3) ;

2° Certains rêves peuvent être aisément provoqués, à titre expérimental ou à titre thérapeutique, soit pendant le sommeil naturel (par suggestion directe ou indirecte), soit immédiatement avant l’invasion du sommeil naturel, soit par une suggestion à échéance faite pendant le sommeil hypnotique ;

3° On a tort de négliger l’onirothérapie. Pratiquée systématiquement, elle offrirait au psychothérapeute, dans certains cas, complexes ou difficiles, des ressources variées, souvent efficaces ;

4° Le sommeil normal constitue, pour la réceptivité aux suggestions directes, un état [p. 190, colonne 1] d’hypotaxie aussi favorable que le sommeil hypnotique lui-même (4). Or, cette hypotaxie existe tout naturellement chez chacun de nous, chaque, jour, pendant un certain nombre d’heures ; elle ne demande ni temps ni peine pour être réalisée ;

5° Enfin, ces considérations mettent une fois de plus en lumière cette vérité fondamentale de la psychothérapie, à savoir que, pour obtenir dans les cas tenaces des résultats durables, il faut disposer d’une hypotaxie préalable qui exalte la suggestionnabilité et à la faveur de laquelle la suggestion s’implante puis fructifie.

Notes

(1) Communication à la Société d’Hypnologie et de Psychologie, 19 octobre 1909.

(2) Pour la documentation de cette question, voir :
I ° Paul FAREZ. Somnoforme et suggestion, Revue de l’hypn., fév. 1903, p. 254. — La psychologie du somnoformisé, Revue de l’hypn., juillet et août 1903, pp. 19 et 37. — Suggestion during narcosis produced by some halogenous derivatives of ethane and méthane (ethyl-methylic suggestion), The Journ. Of ment. Path,. New-York, vol. V, nos 2-3, p. 61. — La suggestion pendant la narcose produite par quelques dérivés halogènes de l’éthane et du méthane (suggestion éthyl-méthylique), XIIIe Cong. Des aliénés et neurol., Bruxelles, août 1903,  et Revue de l’hypn., sept. 1903, p.67. — Impotentia cocundi d’origine mentale, guérie par la suggestion éthyl-méthylique, Revue de l’hypn.,mars 1904.— L’analgésie obstétricale el la narcose éthyl-méthylique, Revue de l’hypn.,juin 1904, p. 369. — Nouvelles applications de la narcoséthyl-méthylique, Revue de l’hypn., mai 1905, p. 341.
2° WIAZEMSKY (de Saratow, Russie). Vomissements incoercibles de la grossesse guéris par la suggestion pendant la narcose éthylméthylique, Revue de l’hypn.,avril 1905 ; Cf. mai 1905, p. 347.

3° BERNARD (de Cannes). Revue de l’hypn., mai 1905, p. 344.

4° Etienne JOURDAN (de Marseille). Un cas de sommeil hystérique avec personnalité subconscience, Revue de l’hypn., juin 1905, p. 367 ; Cf. mai 1905, p. 346.

5° FEUILLADE (de Lyon), Revue de l’hypn., mai 1905, p. 346.

6° Antonio GOTA. Caso de un sueno histerico con personalidad subconsciente, La Clin. mod., Zaragoza 1, 15 de Agosto de 1908, pp. 453 el 479.

7° DE GUELJERSTAM (de Gothemhourg, Suède,). La technique de l’hypnothérapie, Revue de l’hypn., janv. 1909, p. 204.

(3) Paul FAREZ. Les rêves soi-disant prophétiques ou révélateurs, Revue de l’hypn., août 1902.

(4) Paul FAREZ. De la suggestion pendant le sommeil naturel,Revue de l’hypn.,mars, avril, mai et juin 1898 ; brochure Maloine, 46 p. —Incontinence d’urine et suggestion pendant le sommeil naturel, Indépend. Méd., 23 août 1899 et Revue de l’hypn.,août 1899. —Technique, indications et surprises de la suggestion somnique, Indépend. Méd., oct. 1900 et IIe Congrès Intern. de l’hypn., De 1900 — Suggestion during natural Sleep. Journal of ment.Path., New-York, june 1901 et Revue de l’hypn.,août 1901. — Incontinence d’urine ; guérie par suggestion pendant le sommeil naturel chez une enfant de vingt-six mois, Revue de l’hypn.,nov. 1903. — Alcoolique traité avec succès, contre son gré et à son insu, par suggestion pendant le sommeil naturel, , Revue de l’hypn.,mars 1905.

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