Paul Cossa. Sur un concept très ancien et sur d’autres qui le sont moins. Article paru dans la revue « Recherches et débats », (Paris), n°21, nouvelle série, 1957, p. 145-153.

cossapaul0001Paul Cossa. Sur un concept très ancien et sur d’autres qui le sont moins. Article paru dans la revue « Recherches et débats », (Paris), n°21, nouvelle série, 1957, p. 145-153.

Paul Emile André Cossa (1901-1971). Médecin neurologue.  Chef du service de neuro-psychiatrie des hôpitaux de Nice.
Quelques publications :
— Du neurologique au psychiatrique : Le problème étiologique des psychoses. Paris, 1924.
— Physiopathologie du système nerveux : du mécanisme au diagnostic ; préface de Clovis Vincent. Paris, Masson, 1936. – 2e édition entièrement refondue. Paris, Masson et cie, 1942. – 3e éd. entièrement refondue. Paris, Masson, 1950.
— Du Réflexe au psychique : Présentation du système. Bruges , Desclée de Brouwer & C°, 1945. Réédition :1948.
— La cybernétique : du cerveau humain aux cerveaux artificiels. Paris, Masson et Cie, 1955.
— Approches pathogéniques des troubles mentaux. Paris, Masson, 1959.

[p. 145]

SUR UN CONCEPT TRÈS ANCIEN

et sur d’autres qui le sont moins

La plupart des hommes de ma génération ont encore appris qu’il existait une conscience morale, une disposition spontanée à juger nos propres actes, à juger surtout ceux d’autrui, car, bons besaciers, nous réservons la poche de devant aux pailles cueillies dans l’œil du voisin, mais rejetons volontiers vers la poche de derrière les poutres qui nous ont éborgnées.

Les écoles modernes de psychologie, les écoles psychanalytiques aussi bien que le behaviorisme, ont rayé ce concept de leur vocabulaire : trop chargé de subjectivisme, disent-elles, et partant inobservable de l’extérieur, inexprimable en « termes de comportement » ; trop chargé aussi d’éléments métaphysiques, la notion de conscience morale supposant une position spiritualiste (1).

Pour rendre compte des combats que nos actes, nos velléités même, suscitent en nous, il faut cependant bien admettre, en nous, l’existence de quelque chose, force ou fonction, qui s’oppose à l’instinct, aux tendances.

Ce quelque chose, les diverses écoles psychanalytiques se le sont représenté de manière assez différente.

Freud, on le sait, dans sa première conception, oppose simplement les exigences de l’instinct à la contrainte du monde extérieur. Bientôt il s’aperçoit que certains des traumatismes sexuels infantiles révélés par l’analyse n’ont pas existé dans la réalité, qu’ils sont une création imaginative du malade. Ainsi, ce n’est pas un fait réel, ce n’est pas le monde extérieur qui, provoquant des conflits infantiles, a ultérieurement créé la névrose, c’est l’image que l’enfant s’est fait du monde extérieur; et cette image dans laquelle il voit une simple introjection des impératifs sociaux, Freud l’isole en une « fonction » particulière, autonome, une « instance » du psychisme. Il la baptise « surmoi » (Uberich). C’est de la lutte entre l’ensemble des pulsions instinctives (Triebe) à base sexuelle, baptisées· « libido » et ce surmoi qu’est fait le conflit initial. Le reste, le refoulement du thème conflictuel, le rôle de ce refoulement dans la genèse de la névrose n’a pas besoin d’être détaillé. Rappelons seulement que l’ensemble des thèmes, du matériel psychologique susceptible de refoulement, constitue pour Freud une autre « instance » du psychisme = le çà (das ES). [p. 146] concepts isolés par le maître de Vienne à ce stade de son évolution doctrinale. Chacun sait que, par la suite, sa pensée a pris un tour plus dogmatique encore, avec l’inclinaison dans la libido des Ichtriebe (au même titre que les Sexualtriebe), l’introduction du narcisme, la mise en vedette de l’agressivité foncière de l’enfant) la réduction enfin de tout le problème à une opposition manichéenne entre Eros et Thanatos.

Aux « instances » du psychisme isolées par Freud, Jung en a ajouté d’autres. Si sa conception du moi est à peu près celle de Freud, ce qu’il appelle l’ombre ne coïncide pas exactement avec le « çà ». Plus que ce qui est refoulable, cela signifie pour Jung ce qui est refoulé, ce que nous refusons à notre conscient. De même, la « persona » s’apparente au surmoi ; mais elle revêt plus précisément la signification de « masque social », de fausse personnalité imprimée par le conformisme social.

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Quant au « soi » (das Selbst) il constitue l’idéal de personnalité auquel tend l’individu.

Ainsi, Freud compte trois instances du psychisme ; Jung quatre ; mais Stocker en admet trois autres ; Desoille quatre, et Baudoin en ajoute encore une (l’automate). Ces variations suffisent à montrer ce que ces créations peuvent comporter d’artificiel, comment on a taxé de verbalisme le vieux concept de conscience morale; et voici qu’on en construit d’autres, trois, quatre, qui ne sont que jeux de l’esprit (huit ou dix même si l’on tient compte des nuances qui ne permettent par exemple pas d’identifier ombre et ça).

*

On ne saurait trop le souligner, ces conceptions, celle de Freud tout au moins, supposent, au départ, une position métaphysique : dire que la seule barrière opposée aux instincts, le surmoi, n’est que l’introversion des impératifs sociaux, c’est poser en principe qu’il n’y a rien d’autre en l’homme que les instincts, donc du biologique, et les réactions de ces instincts face au monde extérieur, donc du biologique aussi. C’est faire profession de matérialisme et de sociologisme métaphysique

type Durckheim. (2). [p. 147]

Il est piquant de voir ceux qui accusent les défenseurs de la « conscience morale » de « faire de la métaphysique » en faire eux-mêmes à leur tour, tant il est difficile de pousser à fond l’analyse d’un fait sans donner dans la métaphysique, laquelle cherche à définir une nature, une essence.

*

Une deuxième critique doit être faite à ces conceptions : l’apport le plus important des écoles psychanalytiques, et d’abord de Freud, à la psychopathologie est certainement la notion que les névroses proviennent d’un conflit inconscient. Or, qui dit conflit suppose des forces antagonistes. Nous connaissons bien une de ces forces : les pulsions instinctives (qu’on les baptise ou non libido). Mais l’autre, l’antagoniste, quelle est-elle ?

Freud, une fois dissipées les illusions de sa première manière, nous dit : « c’est le surmoi, c’est-à-dire l’image que l’enfant se fait du monde extérieur ». Jung nous dit : « c’est la persona », c’est-à-dire l’image que l’enfant s’est façonnée de sa propre personne sous la pression du conformisme social.

Ainsi, voyons-nous ces auteurs envisager le conflit, entre, d’une part, une force authentique, les pulsions instinctives, et de l’autre, quoi ? une image. Une image certes terrifiante, contraignante, coercitive, mais une image tout de même. Peut-on envisager vraiment quelque bataille entre un projectile et une ombre ?

Pour que les interdits et les impératifs sociaux parviennent à s’imposer à l’enfant avec une intensité telle qu’ils balancent les forces vives de l’instinct, il faut bien autre chose : il faut que ces interdits trouvent, dans la psyché infantile, la résonance de complicités profondes, il faut qu’ils y éveillent d’autres forces, aussi vivaces, aussi profondes, aussi attachées à la racine même de l’individu que le sont celles de [p. 148] l’instinct (3). La difficulté n’a échappé ni à Freud ni à ses successeurs. On sait comment, le premier a d’abord tenté d’opposer Sexualtriebe et Ichtriebe ; on sait qu’il a fait ensuite intervenir en face des pulsions le narcissisme ; et que, pour finir, c’est entre Eros et Thanatos qu’il a localisé le conflit. Par leurs variations même, ces doctrines tournent au mythe et ne peuvent guère entraîner la créance. Parmi les successeurs certains ont, vu, dans l’instinct de conservation, la source principale de l’angoisse humaine, donc du sentiment de devoir (4).

Mais cette conception conduit à une impasse : il y a, même dans la vie de tous les jours, des cas où l’instinct de conservation et le sens du devoir entrent en conflit. Des cas où l’on voit le premier céder totalement au second (le sacrifice volontaire de la vie du poseur de voies qui sauve un enfant égaré sur les rails). Si vraiment le sens du devoir n’était qu’un sous-produit de l’instinct de conservation, comment admettre qu’il le puisse dominer ? Qu’un instinct se dévore soi-même ?

*

Or, il se trouve que la vieille notion de conscience morale, quand on ne se contente pas de la considérer en bloc mais qu’on la dissocie en des éléments, permet de définir les forces antagonistes de l’instinct, de façon claire, et propre, croyons-nous, à ne choquer aucune foi philosophique.

La philosophie morale distingue en effet deux choses dans la conscience morale : le dictamen et le contenu.

le dictamen, c’est la disposition innée à juger, à se juger, se justifier , soi-même comme à juger autrui. [p. 149]

Ce besoin existe au moins à l’état embryonnaire (5) chez le petit enfant ; on le retrouve (Baruk) chez le dément ; il est ancré au tréfonds de l’être humain.

Or, point n’est besoin d’être spiritualiste pour admettre cette notion. Sans doute le croyant peut-il voir, dans cette « fonction » un don de Dieu, « la voix de Dieu » (et nul ne lui interdit de penser que si elle trouve en lui une telle résonance c’est qu’elle s’accorde à un instinct). Mais le matérialiste, de son côté, peut voir, dans ce besoin que nous appelons dictamen, un simple instinct (6), donc quelque chose d’originellement organique. Cela lui est-il plus difficile que de voir — et il le fait communément — dans la plus magnifique des charités, la manifestation sublimée d’un autre instinct ? Admettre le fait « dictamen » ne heurte pas davantage sa croyance philosophique que d’admettre le fait « charité ».

le contenu (nous préférerions les critères) de la conscience morale. Si le dictamen est en nous invariable, par contre les critères de notre jugement varient grandement de notre naissance à notre âge adulte.

Prenons un exemple : il ne faut pas manger avec excès. Le petit enfant sait que la fin de sa ration est marquée par le retrait du biberon ; l’enfant plus âgé garde le souvenir de quelque ‘indigestion’ ; l’adolescent ou l’adulte connaît que l’excès d’aliments, à plus forte raison de boissons alcoolisées, entrave la liberté de l’intelligence, voire celle de la vie spirituelle. .

Ainsi, du premier âge à l’état adulte, une même vertu, la tempérance, connaît trois motivations successives ; l’une (la fin de la ration) imposée par le milieu ; la seconde (le souvenir de l’indigestion [p. 150]) imposée par la physiologie ; la troisième (les notions éthiques) librement acceptées par l’être moral

Dans l’évolution de l’individu, si ces trois motivations se succèdent, elles ne se supplantent pas totalement l’une l’autre. Mais, tout comme, en neurologie, les fonctions récemment acquises dominent les plus anciennes, ici les motivations récentes tendent à dominer celles qui les ont précédées. (Principe de Jackson). Si l’adulte pleinement évolué n’est pas glouton, ce peut-être seulement par vertu de tempérance. Il n’a plus besoin du souvenir des indigestions de l’enfance, moins encore de celui des interdits du premier dressage.

Seulement, parmi les adultes que nous sommes, combien peuvent se vanter d’être totalement évolués ?

Bien peu, j’en ai peur ; la plupart d’entre nous n’ont pas su faire disparaître les motivations archaïques du dressage parental ; la Plupart d’entre nous n’ont pas su liquider les tabous de l’enfance, le croquemitaine infantile.

Aussi connaissons-nous à nos actes deux sortes de mobil : les uns pérennisent dans notre vie d’adultes les pulsions et les interdits de notre vie d’enfants. Nous ne nous en avouons pas l’existence. Les autres, pleinement conscients, eux, traduisent les critères de notre conscience morale d’adulte. Ils ne sont bien souvent que l’alibi des premiers. Tel intellectuel de haute volée fait de la politique de clocher, au grand dam de sa vie spirituelle et intellectuelle. A ses propres yeux, c’est sacrifier à son devoir de notable ; une analyse lui montrerait qu’il obéit en fait au désir inconscient de compenser les humiliations de son enfance de fils de domestique (7).

Là non plus, dans cette notion de « contenu » de la conscience morale, nous ne voyons rien qui puisse heurter la croyance philosophique de tel ou tel : que le contenu de la conscience morale vienne du monde extérieur le disciple de Freud n’aura aucune peine à l’accepter.

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[p. 151]

Le spiritualiste non plus, n’est-il pas couvert par le « nihil est in intellectu quod nisi prius in sensu » de Saint-Thomas ? (8).

*

Est-il possible, à partir de ces notions, de formuler de façon cohérente ce qui peut être psychogénétique dans le mécanisme des névroses ? On pourrait, nous semble-t-il, dire à peu près ceci :

— le conflit est habituel au psychisme infantile,

— le conflit se produit entre, d’une part, les pulsions instinctives quelles qu’elles soient et telles qu’elles sont (9), et, d’autre part, cet impératif intime par lequel il valorise les contraintes et interdits sociaux, tels qu’il peut se les représenter.

Ce point de départ une fois admis (et il n’est autre — mais sous une formulation différente — que celui qu’admettent toutes les écoles psychogénétiques actuelles), les divers éléments d’une psychogénèse peuvent être admis ou rejetés au gré de chacun : primauté ou non du sexuel, ; limitation du conflit aux années de l’enfance ou (ce qui nous paraît l’acquisition capitale de Jung) possibilité de conflits générateurs de névroses chez l’adolescent et l’adulte ; rôle de l’immaturation affective, que celle-ci soit la conséquence du conflit initial ou celle d’une prédisposition génétique ; tolérance du conflit tant que l’âge ou les conditions de vie permettent au sujet de ne pas faire front ; lorsque cette possibilité vient à faire défaut, refuge dans la maladie (ce qui est une réaction infantile, explicable par l’immaturation affective) ; en

bref, conception générale de la névrose comme défense (par la

fuite) d’un psychisme peu armé, ou désarmé, contre les agressions, intérieures ou extérieures, qui pourraient être génératrices d’angoisse.

Rien dans tout cela qui ne soit susceptible de cadrer avec la formulation du conflit initial, telle qu’on l’a exprimé plus haut (10)·

*

Ici, le Daimon intervient : « tu as plaidé, mon fils ; tu as plaidé pour la simplicité. Es-tu certain de refléter ainsi la réalité des choses ? N’est ce point la pente de ton esprit qui te leurre ? Quelque goût sommaire

[p. 152] et latin — pour la simplification ; quelque paresse à admettre que la vérité puisse être complexe » ?

Mais, simple, pourquoi la vérité ne le serait-elle pas ? Freud lui-même ne l’a-t-il pas admis dans sa formulation dernière et dualiste de sa doctrine ? Est-il au surplus interdit de formuler simplement des choses complexe ? Certes, Ramlet nous a appris qu’il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre que n’en peut concevoir l’esprit humain, plus de choses aussi dans un esprit que n’en saurait exprimer celui-ci. Mais ce n’est pas méconnaître la complexité des faits que d’en dégager l’essentiel, et, cet essentiel, de le cerner par une formulation simple.

Encore faudrait-il que la tienne soit juste, en, es-tu bien sûr ? Découle-t-elle strictement des faits ? Et cet acharnement à défendre une vieille formule ne traduit-il pas chez toi des préoccupations moins purement scientifiques ? Pour tout dire, est-ce que tu ne ferais pas de la Métaphysique ?

Mais qui donc en fait davantage ? La théorie que je contredis ne peut être acceptée que par un matérialiste ; celle qui est exposée plus haut est certes conforme à la tradition spiritualiste, mais un matérialiste peut la faire sienne. Parce qu’elle cadre avec ma croyance, dois-je, justement pour cela, la rejeter ?

Cette concordance entre une philosophie et une théorie psychologique pourrait certes sembler suspecte si la théorie ne connaissait pas d’autres bases. Mais les constatations de fait sont là, et la personnalité de celui qui, le premier, les a consignées, constitue à elle seule une caution probante. De quoi suis-je parti ? Du thème. Ce n’est pas hors du sujet, dans le monde extérieur, c’est dans le sujet lui-même, dans l’intimité de son psychisme qu’il faut chercher la seconde force, le second lutteur du conflit. Or, cette constatation n’est pas de moi. Elle est de Freud lui-même. Elle constitue le dernier moment de sa pensée. Sans doute, en face de la libido, en face d’Eros, c’est Thanatos qu’il a baptisé cette seconde force : la mort contre le sexuel, l’appétence à mourir contre l’appétence à vivre. Devrait-on, parce qu’on n’admet pas le mythe, rejeter la constatation du fait qui l’inspire ? Et, pour expliquer cette constatation, est-il donc interdit de revenir à une conception traditionnelle et non moins expérimentale du débat où se déchire l’humaine nature, et de dire : « l’appétence qui vient de la chair contre l’appétence qui vient de l’Esprit ? … »

Docteur Paul COSSA.

NOTES

(1) Sans parler des variations des critères moraux : par exemple en matière sexuelle, la morale bourgeoise n’a rien de commun avec la morale chrétienne.

(2) Il est juste de souligner que, parmi les tenants de la position biosociologique, tous ne sont pas matérialistes au même degré. Freud l’était. Durckheim certainement moins, qui admettait une sorte de spiritualisation par le fait social, l’esprit naissant de la Société considérer cette atitude comme « synthèse» et non comme somme des individus. Mais le spirtitualiste a d’autres exigences. Il croit que le Bien, le Beau, la Conscience morale sont les manifestations de l’Esprit. Il ne pourrait donc adopter la position biosociologique qu’en supposant, dans la suite du développement vers l’état adulte, l’intervention secondaire, transcendante de l’esprit, venu confisquer à son profit le psychisme, ce qui serait se montrer plus dualiste encore que Descartes.

Heureusement, les partisans de la position biosociologique n’ont aucunement démontré l’inexistence de l’esprit, pas plus que sa non-intervention dans la genèse de la conscience morale. Ils ont seulement affirmé, et le spiritualiste n’a aucune obligation scientifique de les suivre.

(3) supposons un individu démuni de cette force intérieure, les interdits, les impératifs sociaux parviendraient-ils à briser ses pulsions instinctives ? Que non. De tels individus — ils sont bien connus en psychopathologie — n’éprouvent du fait de leur inconformisme social aucun sentiment de culpabilité générateur d’angoisse ; ils tournent les règles : ils savent supérieurement se mettre à l’abri ; ils n’éprouvent aucune colère, mais souvent, au contraire, une admiration tout « sportive » vis-à-vis du « représentant de la loi ». Tout le monde a connu des enfants sur qui aucune autorité, aucune méthode n’a prise ; des suborneurs de filles qui savent éviter tous les désagréments ; des escrocs qu’aucune enquête ne parvient à « pincer » ; les uns et les autres sont sans remords ni angoisse ; ils ne feront pas de névroses.

(4) Au début de l’évolution, l’enfant qui manque à la règle subit une sanction du milieu social. Très vite, l’envie de manquer à la règle est dominée en lui par la peur de la sanction. Pour éviter la sanction, il évite même de projeter un manquement à la règle. Dans tout cela (fuite de la sanction, fuite de la peur de la sanction), il obéit à l’instinct de conservation. Seulement, cette attitude ne constitue pas une capitulation devant le monde extérieur. Et ce sentiment d’échec est à son tour générateur d’angoisse, humiliant. Pour l’éviter, l’enfant se berne lui-même ; il intériorise la contrainte subie. Ce n’est pas à la pression extérieure qu’il a cédé, c’est à une pression intérieure, et cette pression intérieure il la baptise « devoir ».

(5) Peut-être objectera-t-on que le dictamen n’apparaît pas toujours bien clairement chez l’enfant ; et sans doute l’enfant peut-il aisément confondre les consignes du monde extérieur et celles de son daimon… Exactement comme, quand il devient capable de saisir son pied à pleines mains, il est encore inapte à le distinguer des objets qui l’entourent, à percevoir qu’il est une part de lui-même. Mais, pour ne s’objectiver que plus tard, la disposition n’en est pas moins innée. Exactement comme le goût impérieux pour la musique éclos en apparence, chez un adolescent à son premier concert, n’est que la révélation différée d’un don inné.

(6) Et pourquoi pas une manifestation de l’instinct grégaire : celui-ci poussant à se soumettre à la loi du clan.

(7) L’image première que l’enfant se fait du monde extérieur, de ses contraintes comme de ses interdits, vient fournir sa première nourriture au dictamen, son premier contenu à la conscience morale. Parce qu’elle vient ainsi satisfaire une impérieuse tendance, un véritable appétit, elle s’imprime profondément dans le psychisme infantile. Par la force des choses, cette image est réduite à l’optique de l’enfant, et déformée. Et c’est cette déformation qui la rend dangereuse. Aussi faudrait-il l’éviter dans la mesure du possible, évincer Croquemitaine et tabous. Une réforme des conceptions éducatives, un ajustement des conceptions morales est pour cela nécessaire. N’oublions pas que, selon Sears, le fameux complexe freudien de castration ne se rencontre plus guère dans le lot des jeunes gens qui ont subi — enfants — une éducation sexuelle intelligente.

(8) Nul critère intellectuel qui n’ait été suggéré par une expérience sensorielle.

(9) Sexuelles ou non.

(10) Pour formuler autrement: entre les pulsions instinctives et le premier contenu de la conscience morale innervé, pulsé par le dictamen, entre l’instinct et Croquemitaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

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