Paul Broca. Note sur une nouvelle méthode anesthésique. Extrait des « Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences », (Paris), tome quarante-neuvième,  juillet-décembre 1859, pp. 902-905.

Paul Broca. Note sur une nouvelle méthode anesthésique. Extrait des « Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences », (Paris), tome quarante-neuvième,  juillet-décembre 1859, pp. 902-905.

 

Le  texte princeps qui fait appel à l’hypnotisme comme moyen d’anesthésie. 

Paul Pierre Broca (1824-1880). Médecin, anatomiste et anthropologue, dont le nom reste principalement attaché à celui d’une forme d’aphasie qu’il décrivit avec précision en 1861. Fondateur de la Société d’Anthropologie de Paris en 1859, de la Revue d’anthropologie en 1872 et l’École d’anthropologie de Paris en 1876.
Quelques publications :
—  Remarques sur le siège, le diagnostic et la nature de l’aphémie. Paris, Imprimerie Moquet, 1863. 1vol. in-8° 16 p.
—  Sur la topographie crânio-cérébrale, ou Sur les rapports anatomiques du crâne et du cerveau. Extrait de la Revue d’anthropologie, 1876.
—  Mémoires d’anthropologie zoologique et biologique. Paris, C, Reinwald, 1877. 1 vol. in-8°, VIII – 623, 21 p.
—  Mémoires sur le cerveau de l’homme et des primates. Paris, C, Reinwald, 1888. 1 vol. in-8°,  XXII – 840 p.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – L »image a été rajoutée par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 902]

PHYSIOLOGlE. —Note sur une nouvelle méthode anesthésique
par M. P. Broca. (Extrait.)

« M. James Braid, dans un ouvrage qu’il a publié il y a plus de quinze ans, sur ce qu’il a appelé l’hypnotisme ou sommeil nerveux, annonçait le fait suivant :

« Lorsqu’on place un objet brillant au-devant de la ligne médiane du visage, à une distance de 8 à 15 pouces anglais, et qu’on invite le sujet de l’expérience à fixer continuellement les yeux sur cet objet, de manière à produire dans les muscles oculaires et palpébraux une contraction permanente, on voit survenir au bout de quelques minutes un état singulier, analogue à la catalepsie. Les membres soulevés par l’expérimentateur conservent pendant un temps assez long toutes les positions qu’on leur donne, les organes des sens, excepté celui de la vue,, acquièrent en [p. 903] même temps une sensibilité exagérée, et enfin une période de torpeur ou de sommeil naturel, dont la durée est variable, succède à cette période d’excitation. »

« L’ouvrage de M. Braid a eu quelque retentissement en Angleterre, mais il est presque inconnu en France ; cependant le Dictionnaire de Médecine de MM. Littré et Robin, à l’article Hypnotisme, renferme une indication de cette découverte et une description abrégée des phénomènes observés.

« Je n’avais aucune connaissance de ces faits singuliers lorsque, il y a trois jours, mon ami M. Azam, professeur suppléant de clinique chirurgicale à l’École de médecine de Bordeaux, les signala à mon attention. Les résultats nombreux qu’il a obtenus et qu’il a bien voulu me communiquer sont extrêmement remarquables ; je lui laisse le soin de les publier.

« En analysant avec lui les phénomènes cérébraux qui constituent l’hypnotisme, l’idée me vint de chercher si les personnes hypnotisées ne pourraient pas devenir insensibles à la douleur des opérations.

« Je résolus donc de tenter l’expérience. Auparavant je voulus m’assurer par moi-même de la réalité des phénomènes de l’hypnotisme dès le lendemain, je fis un essai sur une dame de 40 ans environ, quelque peu hystérique, qui gardait le lit pour une légère indisposition ; je lui laissai croire que mon intention était simplement d’examiner ses yeux, et je l’invitai à regarder fixement un petit flacon doré placé à 15 centimètres environ au-devant de la racine du nez. Au bout d’environ trois minutes, ses yeux étaient un peu rouges, son visage immobile, ses réponses lentes et difficiles. Je lui pris la main, et je la plaçai au-dessus de sa tête le membre resta suspendu dans l’attitude où je l’avais mis. Je donnai aux doigts les situations les plus extrêmes, qu’ils conservèrent sans changement jusqu’à la fin de l’expérience enfin je pinçai la peau sur plusieurs points avec une certaine force, sans que ma malade parût s’en apercevoir. Je jugeai inutile d’aller plus loin, et pour faire cesser cette catalepsie provoquée, je fis, suivant les indications que je tenais de M. Azam, une légère friction sur les yeux, suivie d’une insufflation d’air froid sur le front. Aussitôt la dame revint à elle ; et, quoique pendant l’expérience ses réponses eussent été parfaitement raisonnables, elle ne parut se souvenir ni de ce qu’elle avait dit, ni de ce que je lui avais fait.

« J’ai pensé, d’après ce résultat, qu’en poussant plus loin l’hypnotisme, je pourrais obtenir une insensibilité suffisante pour permettre d’exécuter sans douleur de courtes opérations ; et mon collègue M. Follin, à qui j’ai [p. 904] fait part de mes espérances, a bien voulu me donner rendez-vous à l’hôpital Necker, pour opérer avec moi une malade de son service.

« Hier 4 décembre, à 3 heures de l’après-midi, nous sommes allés ensemble à cet hôpital. Avant de procéder à l’opération, nous avons cherché à provoquer les phénomènes de l’hypnotisme chez deux jeunes filles convalescentes ces deux essais préalables, dont le premier seul a bien réussi, ont eu lieu dans une chambre particulière, en présence de la religieuse de la salle. Encouragés par les résultats de notre premier essai, et par le souvenir de mon succès de la veille, nous avons agi sur la malade que nous allions opérer, et nous avons obtenu du premier coup l’hypnotisme.

« II s’agissait d’une femme de 24 ans, entrée à l’hôpital pour une vaste brûlure du dos et des deux membres droits, et atteinte en outre d’un abcès volumineux et extrêmement douloureux de la marge de l’anus. Épuisée par la douleur, et d’ailleurs fort pusillanime, elle redoutait beaucoup une incision dont elle comprenait la nécessité. Après avoir placé son lit en face d’une fenêtre, je lui ai annoncé que j’allais l’endormir. J’ai placé ma lorgnette à 15 centimètres en avant de la racine du nez, en deçà par conséquent des limites de la vision distincte, et la malade, pour fixer cet objet, a été obligée de loucher fortement en dedans. Les pupilles se sont aussitôt contractées. Le pouls, déjà rapide avant l’expérience, s’est d’abord un peu accéléré, puis, tout à coup, est devenu beaucoup plus faible et beaucoup plus lent, ce qui avait été également observé sur nos deux premiers sujets. Au bout de deux minutes, les pupilles commencent à se dilater nous élevons le bras gauche presque verticalement au-dessus du lit ce membre reste immobile. Vers la quatrième minute, les réponses sont lentes et presque pénibles, mais du reste parfaitement sensées. La respiration est très-légèrement saccadée. Au bout de cinq minutes, M. Follin, à l’insu de la malade, pique la peau du bras gauche, qui est toujours dans la situation verticale. Rien ne bouge. Une nouvelle piqûre, plus profonde, qui fait sortir une gouttelette de sang passe également inaperçue. On élève le bras droit qui reste suspendu, en immobilité, comme le gauche. On soulève alors les couvertures, on écarte les membres inférieurs, pour mettre à découvert le siège de l’abcès; la malade se laisse faire en disant toutefois avec tranquillité, qu’on va sans doute lui faire du mal. Enfin, sept minutes après le début de l’expérience, pendant que je continue à tenir l’objet brillant devant les yeux, M. Follin pratique sur l’abcès une large ouverture qui donne issue à une énorme quantité de pus fétide. Un léger cri qui dure moins d’une [p. 905] seconde est le seul signe de réaction que donne notre malade il n’y a pas eu le moindre tressaillement, soit dans les muscles de la face, soit dans les muscles des membres. Les deux bras sont restés sans le moindre ébranlement dans l’attitude qu’ils conservent depuis plusieurs minutes.

« Deux minutes plus tard, la pose est toujours la même les yeux sont largement ouverts, un peu injectés, le visage immobile comme un masque, le pouls exactement comme au moment de notre arrivée, la respiration parfaitement libre; mais l’opérée est toujours insensible. Le talon gauche, qu’on élève au-dessus du lit reste suspendu en l’air les deux membres supérieurs sont toujours dans la même attitude.

« J’enlève le corps brillant placé au-devant des yeux, l’insensibilité et l’immobilité cataleptique persistent toujours je fais sur les yeux une friction légère, et une insufflation d’air froid l’opérée fait quelques petits mouvements; on lui demande si on lui a fait quelque chose elle répond qu’elle n’en sait rien du reste ses trois membres sont toujours dans les attitudes qu’on leur a données: il y a déjà plus de treize minutes que le bras gauche est dans la situation verticale. M. Follin pratique sur ce bras une piqûre qui amène une gouttelette de sang la malade ne s’aperçoit de rien, et ses doigts mêmes restent entièrement immobiles. Enfin, dix-huit à vingt minutes après le début de l’expérience, et plus de douze minutes après l’opération, je fais sur les yeux une friction plus forte que la première, et j’insuffle sur le visage une plus grande quantité d’air froid. Cette fois, la malade se réveille presque subitement ses deux bras et sa jambe gauche se relâchent presque à la fois, et retombent tout à coup sur le lit ; puis elle se frotte les yeux et reprend toute, sa connaissance .elle ne se souvient de rien, et s’étonne d’apprendre qu’elle a été opérée. Au bout de quelques instants, elle se plaint de souffrir un peu de la plaie qu’on vient de lui faire, mais cette douleur est très-modérée. »

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