Obsession et possession – Obsession diabolique. Par le Dr Georges Surbled. 1897.

SURBLEDOBSESSION0006Georges Surbled. Obsession et possession.] Article paru dans la « Revue des sciences ecclésiastique- Revue des questions sacrées et profanes… Fondée par l’abbé J.-B. Jaugey, continuée sous la direction de M. L’abbé Duflot », (Arras et Paris, Sueur-Charruey, imprimeur-libraire-éditeur), n° 15, décembre 1897, pp. 46-58.

Georges Surbled (1855-1913). Médecin polygraphe défenseur du spiritualisme traditionnel, il participe à des nombreuses revue, en particulier dans La Revue du Monde Invisible fondée et dirigée par Elie Méric, qui parut de 1998 à 1908, soit 10 volumes. .
Cet article est en fait un extrait d’un ouvrage à paraître : La Vie psycho-sensible, chez Rétaux, qui formerai le tome IV de : La morale dans ses rapports avec la médecine et l’hygiène.
On porta regretter la conclusion qui fait allégeance totale à l’église bien-pensante.

Les [p. col.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les images, ainsi que les références bibliographies, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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Georges SURBLED (1855- ) – OBSESSION. ET POSSESSION (1)

Obsession diabolique.

Les théologiens désignent sous le nom d’obsession diabolique une intervention du démon par laquelle il tourmente l’homme dans son corps et dans son âme, sans cependant le posséder. Cet état d’épreuve est donc moins grave et en quelque sorte d’un degré inférieur à celui de la possession : il est d’ailleurs beaucoup plus rare, et, ce qui le prouve, c’est que les auteurs en parlent peu et sont des moins explicites sur son compte.

Les caractères de l’intervention diabolique dans l’obsession sont d’ordre interne ou externe. Dans le premier cas ils se réduisent à l’asservissement de l’âme et sont malaisés à reconnaitre. Le démon assiège le patient par le dehors, l’accable d’ennuis et de vexations; mais comment lui attribuer sûrement une persécution qui ne s’accuse par aucun signe visible, comment la distinguer et de la tentation et de l’assaut des passions mauvaises où le diable a sa part mais où notre être tout entier, âme et corps, a aussi la sienne ?

Il est bon de tenir compte de l’action diabolique, mais il ne faut pas faire litière de notre liberté et de notre sensibilité. Pour juger sainement d’une obsession supposée, on doit s’en rapporter d’un côté à l’état mental ou plutôt moral du sujet, de l’autre aux signes généraux qui accusent l’intervention démoniaque.

L’obsession est plus nette, plus incontestable quand elle s’accompagne de signes externes et de marques sensibles. Le témoignage du sujet, quelque estimable qu’il soit, peut prêter à l’erreur et à la discussion, mais il est fort quand il trouve sa confirmation dans l’attestation et le contrôle de témoins. Toutefois la supercherie s’exerçant surtout sur ce terrain, on ne saurait apporter dans les constatations qui s’imposent trop de tact, de prudence et de réserve. Dans tous les cas douteux, il est recommandé de ne pas conclure. [p. 47]

Le diable se manifeste d’ordinaire par des sévices sur la personne, secousses, coups, blessures même, violences inattendues qui provoquent des faux-pas et des chutes. Quelquefois son action s’accuse à distance, mais à portée de l’obsédé par des bruits étranges, des mouvements inexplicables d’objets matériels, le déplacement de meubles, la chute de pierres, le feu et l’incendie, etc. .

La vie du curé d’Ars offre de nos jours un exemple frappant et incontestable d’obsession complète, interne et externe. Le saint abbé Vianney ne subit pas seulement les assauts intérieurs de l’esprit du mal, il éprouva sur lui-même ses violences et raconta avec humeur ses tours mauvais ou plaisants. Un tel témoignage ne convertira pas sans doute les adversaires du surnaturel, mais il a une grande valeur auprès de tous ceux qui ont foi dans la conscience et l’honneur des saints.

Tous les témoignages, il faut l’avouer, n’ont pas le poids de celui du curé d’Ars, et un grand nombre doivent nous laisser douteux ou perplexes, surtout quand l’obsession prétendue, absolument interne, n’est accompagnée d’aucun signe extérieur et qu’il faut s’en rapporter exclusivement aux affirmations du sujet.

Celui qui se prétend obsédé peut l’être en effet, mais d’une manière naturelle. L’obsession diabolique doit être soigneusement distinguée de certains états pathologiques qui la simulent et qui se rattachent soit à l’hystérie, soit à la folie.

Toutes les formes de l’aliénation ne sont pas ici en cause. Tandis que es manies avec excitation peuvent donner l’idée de la possession, les manies avec dépression peuvent être prises pour l’obsession :ce sont particulièrement la lypémanie, les monomanies tristes, lès idées fixes pénibles ou effrayantes qui se compliquent si aisément d’hallucinations de la vue et de l’ouïe. La confusion est possible à première vue en présence d’un aliéné que poursuit l’idée du diable et qui voitses grimaces ou entendses moqueries. Mais l’état mental des fous est trop différent de celui des obsédés pour prêter longtemps à l’erreur. Les lypémaniaques sont accaparés par le mal, plongés dans des soucis et des préoccupations sans fin, mais ils sont très rarement en butte à l’excitation des sens, à des impulsions passionnelles. L’esprit des obsédés au contraire, partagé entre des passions diverses, la tristesse, la crainte, la terreur, est traversé, souvent, sinon toujours, par des idées; sensuelles, impudiques. L’érotomanie, à laquelle les victimes du diable sont en proie n’est pas la règle constante, répétons-le : ce n’en est pas moins un signe de valeur.

L’exaltation nerveuse des névropathes et des hystériques, avec les excentricités de caractère qui en suivent, peut en imposer un instant aux [p. 48] profanes, mais elle ne sera jamais confondue avec l’obsession, si l’on tient compte des stigmates avérés de la névrose, des antécédents et des habitudes du sujet avant l’invasion démoniaque et en dehors des agitations passagères qui la signalent. Notons cependant que les malades, même les hystériques, ne sont pas exemptés des attaques du diable et que l’obsession peut les atteindre.

L’histoire du juste Job nous montre que nul n’est a l’abri de l’obsession sous toutes ses formes et que Dieu la permet parfois pour augmenter nos mérites, édifier le prochain, humilier et confondre les ennemis du bien et le diable lui même.

Attaque Demoniaque; A. Delahaye et E. Lecrosnier. Paul Richer. Études Cliniques sur la Grande Hystérie ou Hystéro-Épilepsie. Paris - Octave Doin, 1885.

Attaque Demoniaque; A. Delahaye et E. Lecrosnier. Paul Richer. Études Cliniques sur la Grande Hystérie ou Hystéro-Épilepsie. Paris – Octave Doin, 1885.

Possession

On désigne sous le nom de possession un envahissement particulier du corps de l’homme vivant par le démon. Cet envahissement a besoin d’être défini et expliqué, et les théologiens nous fournissent à cet égard la plus ample lumière.

Le démon ne se substitue pas à l’âme du possédé, il n’est même pas uni au corps comme l’âme humaine : il demeure simplement dans le corps, intimement présent et moteur quasi ab intra, et reste à l’égard de l’âme un agent moteur externe. En d’autres termes, il opère sur le corps dans lequel il habite, et, par son intermédiaire, sur l’âme. Pour qu’il y ait possession, deux conditions essentielles sont nécessaires : la première que le démon soit vraiment présent dans le corps du possédé, qu’il l’occupe entièrement ; la seconde, qu’il exerce son empire sur ce corps et, par son intermédiaire, aussi sur l’âme, qu’il y actionne non seulement les membres, mais les facultés, dans la mesure où celles-ci dépendent du corps pour leurs opérations. Il n’est pas exact de dire, comme le font quelques auteurs, que le démon accapare les facultés psychiques et qu’il remplace la volonté du possédé par sa volonté propre. Le diable ne siège jamais dans l’âme même. Ce qui est vrai et explique l’erreur commise, c’est que dans le corps asservi les organes sensibles subissent la domination diabolique et que l’âme se trouve ainsi privée de son instrument nécessaire.

La nature de la possession se tire facilement des données précédentes. Ce n’est pas un crime, ce n’est pas un péché, c’est à bien dire un châtiment redoutable, une épreuve exceptionnelle : elle aurait pu à la rigueur être le lot des saints eux-mêmes, qui ont été souvent en butte, on le sait, aux obsessions de l’esprit du mal.

Quels sont les signes de 1a vraie possession ? [p. 49]

Nous les trouvons marqués d’abord au Rituel romain. Dans ses instructions aux exorcistes, le Rituel, après les avoir avertis de ne pas croire facilement à la possession, s’en réfère aux bons auteurs et se borne à rappeler les points les plus nécessaires. Voici les signes énumérés par le Rituel : « parler une langue inconnue en faisant usage de plusieurs mots de cette langue, ou comprendre celui qui la parle ; – découvrir les choses éloignées ou occultes ; – accuser des forces qui dépassent les forces naturelles de l’âge ou de la condition ; ces signes, et autres semblables, lorsqu’ils se trouvent réunis en grand nombre, sont de plus forts indices de la possession. » Ces signes, ajoute le Rituel, doivent être exactement définis et recherchés, mais ils ne sauraient être tous pris isolément comme certains. Il y en a qui sont certes suffisants ; mais leur ensemble donne la plus grande garantie de certitude.

Ce ne sont encore là que des données générales. Les auteurs fournissent les règles dans leurs plus intimes détails, et parmi eux il convient de citer au premier rang Thyraeus qui a écrit au XVIe siècle un traité ex professo sur la matière et fait toujours autorité.

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Thyraeus, recherchant les signes de la possession, commence par en rejeter une douzaine comme insuffisants ou faux. Ce sont les suivants : « L’aveu de quelques-uns, qui sont intimement persuadés d’être possédés ; – la conduite, quelque perverse qu’elle soit ; -– des mœurs sauvages et grossières ; – un sommeil lourd et prolongé, et des maladies incurables par l’art des médecins, comme aussi des douleurs d’entrailles ; – la très mauvaise habitude de certaines gens, d’avoir toujours le diable à la bouche ; –- ceux qui renoncent au vrai Dieu, et se consacrent tout entiers aux démons ; – ceux qui ne sont nulle part en sûreté, se sentant partout molestés par les esprits ; – ceux qui fatigués de la vie présente attentent à leurs jours ; – ceux qui, invoquant les démons, en perçoivent visiblement la présence et sont enlevés par eux ; – la furie ; – la· perte de la mémoire ; – voire même la révélation de choses occultes ne fournit pas un argument assez grand. »

Il n’est pas inutile de s’arrêter ici et de mettre en plein relief ces signes douteux de la possession. Ce sera le meilleur moyen de répondre aux objections de la science moderne et de réfuter les graves erreurs de nombre de nos confrères.

La croyance de certains individus a la présence du démon dans leur propre corps se rencontre dans la démonomanie et est le signe distinctif de cette affection mentale : les aliénés sont hantés de l’idée qu’ils sont habités par un esprit immonde, possédés par le mauvais esprit, ils sont persuadés en un mot que le diable s’est emparé de leur âme. Cette [p. 50] croyance se trouve précisément regardée par Thyraeus comme un caractère très incertain de la possession. « Des personnes, écrit-il, croient fermement qu’elles sont possédées ; elles viennent en faire l’aveu et, se présenter d’elles-mêmes au juge pour être délivrées des démons. Mais, cette croyance n’autorise pas à les dire possédées, pas plus qu’on ne dit roi celui qui a la conviction de l’être. De nombreux cas de folie montrent le peu de valeur de cette croyance. » Voilà déjà nettement établie une distinction entre la possession et la folie que tant de savants prétendent confondre aujourd’hui.

Cette distinction se poursuit sous la plume de Thyraeus avec une pénétration remarquable. C’est ainsi qu’il signale, comme signes douteux, non seulement la folie (furia vel insania) mais encore l’agitation inquiète qui pousse certaines personnes à changer continuellement de domicile ou de pays, gens qui ne se trouvent nulle part en sureté. Ball a de nos jours décrit sous le nom de persécutés migrateurs ce genre d’aliénés, que Thyraeus se gardait de prendre pour de véritables possédés, tout en attribuant au diable leurs inquiétudes.

La léthargie, l’amnésie, la tendance au suicide, les douleurs d’entrailles, les maladies incurables peuvent, on le conçoit, avoir d’autre cause que l’action du diable, et elles ne peuvent être des signes certains de possession. La maladie n’est pas exclusive de la possession, et tout ce qu’on observe chez les possédés n’est pas nécessairement signe de possession.

Un homme possédé peut en même temps être sourd, aveugle, paralysé, violent ou cruel, et on ne saurait conclure de son cas que la surdité, l’amaurose, la paralysie, la violence ou la cruauté sont des signes de possession. Autrement il faudrait mettre au rang des possédés tous les sourds, tous les paralytiques, etc.

Il y a cependant des symptômes qui sont fréquents chez les possédés et qui doivent à cette circonstance une plus grande importance : ce sont des cris rauques, inarticulés ou rappelant celui des, bêtes féroces, un visage effrayant à voir, l’écume à la bouche, le grincement des dents, les convulsions ou au contraire la paralysie, la surdité, le mutisme, etc. Ces symptômes ont été groupés à notre époque sous les noms de grande hystérie ou hystéro-épilepsie. Thyraeus, qui ne devance pas la science, n’y voit, pas une preuve certaine de possession : il déclare que, par leur groupement, ils peuvent faire penser à la possibilité de la possession. Mais, remarque t-il, d’autres causes peuvent produire les mêmes effets, et aucun de ces symptômes n’indique avec certitude la présence du démon (verumtamcn omnino cerna et indubitata signa non sunt). Ils ne doivent faire soupçonner l’existence d’une véritable possession que dans le cas où [p. 51] ils ne peuvent être attribués ni à la mélancolie (tristitia), ni à une maladie, ni à une autre cause naturelle. Ainsi ces signes, par lesquels Charc6t et son école prétendaient caractériser la possession, ne constituaient aux yeux des, anciens qu’un mal étrange, capable tout au plus, selon Thyraeus, d’éveiller l’idée d’une possession et d’en faire rechercher les signes propres et certains, – qu’il nous reste à connaître,

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Les signes certains (vera signa) de la possession sont actifs ou passifs, suivant qu’ils résultent d’une action exercée par le démon ou subie par lui. Les signes actifs sont : la connaissance des langues et étrangères qui n’ont jamais été apprises ; la découverte de choses secrètes ou d’événements qui se produisent à de grandes distances, dans le temps ou dans l’espace ; une aptitude extraordinaire à résoudre des questions scientifiques ou littéraires chez des personnes, qui ne les ont jamais étudiées, enfin la manifestation d’une puissance qui dépasse évidemment la portée des forces naturelles et humaines. Les signes passifs se rapportent tous à l’horreur et à la peur que manifeste l’homme au contact des choses. saintes (objets du culte, reliques) et devant les exorcismes, quand il est en puissance du diable. ‘

Thyraeus déclare consciencieusement que, parmi ces signes vrais, les uns sont certains, les autres seulement probables et donnant soupçon de la possession. Les signes certains eux-mêmes ne sont concluants qu’autant qu’on les examine non pas in abstracto, mais dans des circonstances particulières, telles qu’il soit impossible de les attribuer à un autre agent qu’à un démon, et au démon qui occupe le corps du possédé.

Chacun de ces signes est étudié à part par notre savant théologien, et les caractères précis qu’ils doivent présenter pour être acceptés et asseoir le diagnostic de possession sont déterminés avec un art et un soin remarquables.

Nulle confusion n’est faite avec les symptômes qui auraient l’apparence de ces phénomènes et pourraient en donner l’illusion. C’est ainsi que Thyraeus réclame une connaissance primordiale, infuse d’une langue étrangère avec un abondant vocabulaire, pluribus verbis, et se garde de prendre pour elle une simple réminiscence ou l’usage plus ou moins conscient de deux ou trois mots vulgaires. .

La connaissance d’une langue étrangère sans étude préalable, la prédiction de l’avenir, la découverte, de choses qui ont lieu à de grandes distances (télépathie d’aujourd’hui), la production d’actes au-dessus des forces humaines, tels sont les signes vrais, les caractères positifs de la possession diabolique. Thyraeus n’hésite pas à déclarer qu’il n’y a pas de possédé qui ne les présente. Et cependant ces caractères essentiels ne sont même pas mentionnés par Charcot qui avait la prétention de connaître [p. 52] la possession et d’en donner un tableau complet. Voilà comment on écrit l’histoire et on fait la science !

Les signes constatés, la possession est-elle enfin établie ? ? Non, déclare. Thyraeus. Les phénomènes observés attestent une intervention, surnaturelle, l’intervention d’un esprit, c’est-à-dire d’une cause intelligente, invisible, distincte de l’homme. Il reste à démontrer que cet esprit est un démon, et que ce démon a envahi le corps du patient. Ce n’est pas la partie de la tâche la plus aisée.

Dieu et les bons anges peuvent produire des effets aussi extraordinaires, aussi merveilleux. Comment reconnaître qu’ils viennent du démon ? Appuyé sur l’enseignement de la théologie et la pratique constante de l’Eglise, Thyraeus déclare que, pour être signe de possession, la connaissance infuse d’une langue étrangère, de l’avenir ou d’une science quelconque doit n’avoir aucun motif raisonnable ou causer une injure à Dieu ou du tort au prochain, soit ouvertement, sous le faux prétexte de la gloire de Dieu ou de l’utilité du prochain.

Cette constatation faite, est-on sûr enfin de la possession ? Pas encore, car les devins et les sorciers, sans être possédés, peuvent faire la même chose. Il ne faut pas oublier que lu sorcellerie était considérée autrefois comme d’essence diabolique (2), Le démon, sans posséder le sorcier, se mettait à son service et agissait extérieurement par ses mains. Il y a sans doute quelque vérité dans cette vieille opinion, mais le fond en est controuvé. Quoi qu’il en soit, Thyraeus s’occupe de distinguer la sorcellerie de la possession. « Que la révélation vienne bien des esprits qui sont dans le corps des hommes et qui les possèdent, observe-t-i1, il semble qu’on peut avec raison le déduire de deux signes : le premier, quand ceux qui révèlent ces choses n’ont aucun pacte avec le démon ; l’autre, quand il est permis d’observer chez eux les autres signes qui font soupçonner qu’ils sont possédés des démons. ‘Tels sont très souvent les douleurs internes, des mouvements déréglés, l’action, de se nuire à soi-même ou au prochain. »

Une dernière épreuve est possible avec les signes passifs de la possession (horreur des choses saintes). « L’argument que fournissent· ces signes, dit Thyraeus, n’est pas sans valeur ; peut-être pourrait-il soutenir la comparaison avec n’importe quelle autre preuve. » On ordonne au sujet de prononcer des mots de prière, par exemple de réciter le Pater, un psaume, de dire seulement le nom de Jésus ou d’un saint. S’ii refuse, s’il s’obstine à se taire, on peut non pas affirmer, mais soupçonner la [p. 53] possession. On récite alors sur lui l’Evangile de saint Jean, on l’asperge d’eau bénite, on murmure à son oreille, dans une langue qu’il ignore, ces paroles : Deum qui te genuit dereliquisti, et oblitus es Domini Creatoris tui. On trace sur son front le signe de la croix, on le touche avec des reliques ou des chapelets bénis, on lui présente la sainte Eucharistie, etc.

 Vanessa Redgrave - Soeur Jeanne des Anges, The devils (Les diables), Ken Russell, décors de Derek Jarman, 1971.

Vanessa Redgrave – Soeur Jeanne des Anges, The devils (Les diables), Ken Russell, décors de Derek Jarman, 1971.

Tous ces actes, en cas de possession, sont subis avec une extrême impatience : ils déterminent de la peur ou de la colère, des tremblements, des trépignements, des paroles grossières, des blasphèmes et la violente agitation à laquelle est en proie le patient paraît indépendante de sa volonté et même de sa conscience. Une telle horreur pour les choses saintes, quand elle est jointe aux autres signes vrais de la possession et à des symptômes inexplicables au point de vue naturel, permet d’affirmer qu’on est en présence d’un véritable possédé.

Une dernière objection surgit : L’impatience et l’agitation ne peuvent-elles pas s’expliquer naturellement, sans l’intervention d’un agent extérieur quelconque ? La réponse dépend des conditions mêmes de l’expérience. Elle est assurément négative si l’application des reliques a été faite ou si les paroles d’exorcisme ont été prononcées dans une langue inconnue certainement et complètement à l’insu du patient. Mais s’il est au courant de ces agissements, s’il peut même simplement les soupçonner de quelque manière, le doute est possible. Il en est de même quand on lui fait réciter des prières, invoquer le nom de Jésus, etc. Si c’est un’ impie, il peut avoir horreur des choses saintes et blasphémer par malice ; s’il est bon chrétien au contraire, le signe reprend toute sa valeur, et il est bien probable que l’horreur et les blasphèmes, amenés par les invocations pieuses, ne sont pas de lui mais du démon qui le possède. Tout dépend des circonstances de fait.

Nous avons suivi pas à pas le docte Thyraeus dans l’énumération des signes de la possession diabolique et nous connaissons maintenant les règles qui présidaient au jugement des théologiens il y a quelques siècles. Ces règles sont précises, détaillées, éminemment sages : elles attestent autant de prudence que de science.

On ne saurait pourtant les déclarer immuables et rigoureusement applicables au temps présent. La science a marché depuis trois cents ans ; et il faut nécessairement tenir compte de ses indications. Tel signe qui paraissait très sûr, ne l’est plus ; tel autre, réputé naguère secondaire et négligé, acquiert une grande valeur. Les symptômes somatiques qui émerveillaient les anciens, sont devenus familiers aux médecins et tendent pour la plupart à s’expliquer naturellement ; au contraire les symptômes [p. 54] psychiques relégués autrefois un peu dans l’ombre, ont un intérêt d’actualité et reprennent une valeur de premier ordre. Thyraeus vivant au XIXe siècle aurait été le premier à agrandir et à modifier ses conclusions. Un travail de révision s’impose et se fera tôt ou tard : nous n’avons ni le temps, ni la prétention de nous y consacrer, mais ce serait manquer à notre devoir que de taire sa nécessité et son urgence.

Nonne de Jean-Jacques Lequeu architecte libertin, (1757-1826).

Nonne de Jean-Jacques Lequeu architecte libertin, (1757-1826).

L’Eglise réclame avant tout la lumière et la vérité : ennemie de l’ignorance, elle a horreur de la superstition et a toujours été la première à condamner la supercherie. Aussi ne saurait-on l’accuser sans injustice d’avoir multiplié les cas de possession. Elle a résisté au contraire à la crédulité des siècles chrétiens et s’est efforcée de les mettre en garde contre l’illusion et l’erreur. Nous en avons la preuve dans le remarquable ouvrage de Benoît XIV sur la canonisation des saints.

Ce grand pape écrit : « Beaucoup de personnes sont dies possédées, qui ne le sont pas en réalité ;ou bien parce qu’elles feignent de l’être, et de celles-là il est question au concile de Trulle en son canon LX : Ceux donc qui font semblant d’être saisi du démon, et qui dans la perversité de leurs mœurs, osent contrefaire la figure et l’attitude des possédés, doivent en toute façon être punis ;ou bien parce que les médecins eux-mêmes disent possédées plusieurs personnes qui ne le sont pas, comme l’a fait observer à juste titre Vallesius (de sac. Philos., col. 28, p. 220), où il parle en ces termes : De tout ce que nous avons dit, il paraît très vraisemblable que plusieurs de ceux qui, sous prétexte de possession, sont soumis aux exorcismes, n’ont pas de démon, mais souffrent âe quelque maladie mentionnée ci-dessus, et à bout de ressources, après avoir épuisé les autres moyens de guérison, sans succès, sont présentés enfin aux exorcismes. C’est ce que traite longuement J.-B. Silvaticus (de iis qui morbum

simulant deprehendendis, cap. 12), où il montre que les signes dont quelques-uns concluent à la possession sont des signes d(humeur mélancolique. C’est pourquoi les théologiens et les médecins les plus avisés font observer qu’il faut bien peser et examiner les signes, avant de prononcer que tel est possédé du démon, comme Zacchias (Quest. medico-lég., IIV, II, t. 1, qu. 18 nos 3 et ss.) l’enseigne après avoir rassemblé leurs témoignages (3) »

La simulation de· la possession n’est pas rare, et on l’a constatée aux époques anciennes où les croyances populaires n’étaient pas faites pour encourager une telle imposture. Se dire possédé du diable, quand le diable, ennemi du genre humain, était universellement haï et redouté, voilà une manœuvre singulière et des moins opportunes : elle s’est néanmoins [p. 55] répétée plus d’une fois, tant est bizarre, ondoyant et divers l’esprit de l’homme déchu. Le plus souvent les imposteurs étaient animés par la cupidité, la luxure, la vengeance, parfois aussi ils n’agissaient que par ostentation, dans, le seul dessein de se mettre en avant et de se faire, remarquer. Dans certains cas toute raison plausible manque, et il faut croire au seul plaisir de la mystification. On contrefait le possédé pour tromper le vulgaire et on ment pour mentir : omnis homo mendax.

Les cas de simulation écartés, la vérité ne se fait pas jour d’elle-même, car le possédé trompe souvent, sans le vouloir, par la complexité de son état, par l’étrangeté de ses manifestations. Ces manifestations dépendent-elles de la possession seule, ou de la maladie, ou de l’une et de l’autre ? C’est la grave question qui se pose depuis longtemps, qui a été diversement résolue et qu’il faut maintenant aborder.

La maladie et la possession ne sont pas étrangères, elles ont des relations plus ou moins étroites, mais certaines. Nombre de médecins contemporains les confondent à tort., mais les anciens les avaient peut-être trop radicalement séparées. Une observation attentive ne peut manquer de faire la lumière. Il est incontestable a priori que la maladie et la possession ne s’excluent pas réciproquement : on peut être à la fois malade et possédé. Le diable, qui est l’être malfaisant par excellence, a même. Intérêt à poursuivre de ses iniquités les pauvres humains, à accumuler sur eux les épreuves, à joindre à son action l’influence déprimante et néfaste de la maladie. Les théologiens d’autrefois n’ignoraient pas ces choses, et il serait aussi faux qu’injuste de leur attribuer la barrière infranchissable qui séparait la maladie de la possession. Ce qui est vrai, c’est que la science de leur temps ne leur permettait pas de voir, dans le champ de la possession, toute m’étendue du domaine naturel et pathologique. Ils savaient cependant que le possédé n’est pas exempt de maladie. Le Rituel suppose l’intervention du médecin et recommande à l’exorciste de ne pas empiéter sur son rôle : « Caveat exorcista ne ultam medicinam infirmo vel obsesso praebeat aut sundeat, sed hanc curam medicis relinquat ». Le démon a la faculté de produire la maladie de deux manières, soit indirectement en posant une cause de maladie nerveuse; sévices, mélancolie, frayeur, saisissement, etc. ; soit directement en agissant immédiatement sur le système nerveux. Le difficile est de savoir quand la maladie est d’origine surnaturelle. .

Ce qui est certain, c’est que la possession trouve dans la maladie une aide puissante. Aussi nombre d’auteurs recommandent qu’on la combatte en usant tout d’abord des remèdes naturels contre les maladies. Plusieurs ont plus loin et font de la maladie une sorte de prédisposition à la [p. 56] possession, mais c’est l) une opinion téméraire. Le diable a assez de pouvoir pour s’introduire, avec la permission de Dieu, en chacun de nous ; et rien ne nous prouve que tel ou tel tempérament soit pour lui « un terrain de culture. »

Mais, dit un médecin contemporain, la névrose hystérique ne sert-elle pas admirablement les dessins du diable ? N’est-elle pas, avec l’exagération de la vie affective et la dépression de la volonté qui la caractérisent, une base organique toute disposée pour la possession ? N’est-ce pas là que réside la clef de ces possessions multiples et croissantes. que les médecins traitent d’ordinaire de démonomantes épidémiques ? La possession créerait la névrose, et la névrose à son tour offrirait une proie facile à de nouvelles possessions. Une seule objection de fait s’oppose à cette théorie : c’est qu’elle n’est pas prouvée. Nous ne savons pas si l’hystérie favorise la possession ni si les épidémies de possessions sont authentiques et dues à la collaboration du diable et de la névrose. Les anciennes observations sont beaucoup trop insuffisantes pour nous éclairer. La science rétrospective, pleine de périls, vide de résultat, nous a toujours paru trop aléatoire pour tenter notre plume.

A l’heure actuelle, les cas de possession diaboliques sont exceptionnels dans nos pays. Les esprits d’humeur gaie et facile expliquent leur rareté par l’esprit chrétien qui influence plus qu’on ne suppose et imprègne malgré tout les masses ; mais cette raison ne satisfait pas tout le monde.

Le diable, objectent plusieurs, a-t-il vraiment besoin aujourd’hui de recourir à la .possession, avec tous les sectaires à son service, quand presque tous les États ont rejeté les principes chrétiens et subissent l’influence de la franc-maçonnerie, quand peu de foyers échappent entièrement à l’empire du mal ? Cette vue pessimiste des choses n’est peut-être pas juste, mais elle se présente parfois à l’esprit avec une certaine vraisemblance.

La vérité se trouverait-elle entre ces deux opinions extrêmes ?… ·

Quoi qu’il en soit, la possession est rare dans nos pays d’Europe : elle est fréquente au contraire dans les pays d’Orient, chez les infidèles, et les missionnaires rapportent une foule de faits qui ne permettent pas d’en douter.

Tout cas de possession qu’on suppose doit être l’objet d’un diagnostic complet et précis. Les crises qui en sont un des caractères les plus constants et les plus frappants, doivent être soigneusement distinguées des crises convulsives particulières à certaines maladies nerveuses. Ces maladies sont : la folie, l’hystérie, l’épilepsie, la chorée. [p. 57]

Possédée - De Domuc. (2010).

Possédée – De Domuc. (2010).

La chorée ou danse de saint Guy est d’une reconnaissance facile : elle se caractérise par une grande incohérence de mouvements, des grimaces perpétuelles, des gesticulations désordonnées, les attitudes les plus bizarres et les plus instables. Ajoutons qu’elle est spéciale à la jeunesse. Nul ne se trompera au point de confondre cette névrose avec la possession, d’autant plus que l’intelligence est entière, sans le moindre délire et que l’agitation, compatible avec la vie commune, a des degrés variables et se calme pendant le sommeil.

La crise de l’épilepsie peut en imposer un instant pour une crise de possédé ; mais la connaissance des antécédents, la rapidité de la crise comitiale, la régularité de ses phases, tout est fait pour asseoir sans peine le diagnostic et empêcher la moindre confusion avec la possession.

Par contre la possession est parfaitement simulée par les convulsions, les attitudes étranges, les cris et les violences qui constituent les attaques ou crises de la grande hystérie. On comprend que des savants, mal renseignés d’ailleurs et égarés par l’esprit sectaire, s’y soient trompés, et on doit reconnaitre que sur ce point nombre de théologiens ont manqué de lumière. Ils donnent par exemple le développement extraordinaire des forces musculaires comme un signe convaincant de possession ; ils ignoraient – et tous les médecins savent que l’exagération des forces est incroyable dans l’hystérie. Il faut en avoir été témoin pour s’en rendre compte. Est-il besoin de dire que malgré tout, avec ses stigmates, avec ses phases, l’hystérie est facile à reconnaître ?

La folie aux formes si diverses, a été souvent confondue autrefois avec la possession. L’espèce morbide qui prête le plus à la confusion est manifestement la manie aiguë, et il faut une longue et patiente étude du sujet avant de se prononcer. L’œil hagard et mauvais, les traits tirés, l’agitation, le désordre des mouvements, la loquacité, tous ces symptômes sont communs à l’aliéné et au possédé. Au point de vue de la marche, il y a cependant une différence importante : la manie s’améliore ou s’aggrave rapidement, tandis que la possession peut durer longtemps, sans troubler gravement l’organisme.

Les signes vrais, actifs et passifs, de la possession, tels que nous les avons indiqués plus haut, doivent permettre de la distinguer des différentes maladies nerveuses dont on cannait les caractères. Jamais la succession des symptômes bizarres et incohérents de la possession ne saurait ressembler à l’évolution régulière et définie d’une espèce morbide. Si la maladie coïncide avec la possession, comment les distinguer ? Ici encore, en se servant des signes vrais comme criterium, on remarquera que l’intervention du diable se traduit par des actes que l’ordre naturel est [p. 58] absolument incapable d’expliquer. Enfin, si les symptômes d’une névrose offrent autant d’évidence que ceux de la possession chez un sujet, rien n’empêche de conclure à leur coexistence. Mais l’important est de soumettre d’abord les faits à la critique de la raison et de la science et de ne jamais faire appel au surnaturel qu’en dernier ressort. Pour être admis, le surnaturel ne doit pas être supposé, il veut être prouvé et indiscutable.

En terminant ces pages, il nous plait de déclarer que les cas de possession rapportés dans les Saintes Écritures ne nous paraissent ni discutables ni contestables. Notre Seigneur Jésus-Christ était Dieu et connaissait toutes choses : c’est lui qui nous enseigne le fait et la possibilité des possessions quand il dit : « Esprit mauvais, sortez de cet homme ! » et chasse aussitôt le démon
Dr SURBLED.

 

NOTES

(1) Les pages qu’on va lire sont extraites d’un ouvrage sous presse, chez M. Rétaux, la Vie Psycho-sensible, et dont l’auteur, M. le docteur Surbled, a bien voulu donner la primeur aux lecteurs de la Science catholique.

(2) voir Sorcellerie        

(3) De servorum Dei beatif. Et canonis, liv. IV, p. 1, chap. XXIX, n. 5.

 

Notes bibliographiques de histoiredelafolie.fr

Les trois ouvrages majeurs de Thyraeus :

Thyraeus Petrus (1546-1601). Daemoniaci, hoc est: De obsessis et pspiritibus daemoniorum hominibus, liber ununs. In quo daemonum obsidentium conditio: obsessorum hominum Status; rationes & modi, quibus ab Obsessis daemones exiguntur; causae item tum difficiles exitus ipsorum, tum–Coloniae Agrippinae, Mater Cholini, 1598. 1 vol. in-4°.

Thyraeus Petrus (1546-1601). De Apparitionibus Omnis generis Spiritum, del angelorum, daemonum, et anima. Rum humanorum, liber; in quo modi, rationes et causae earundem breuiter indicantur. Cum duplici appendice priori de spirituum imaginibus & cultu;posteriori de veritate Purgatori–Coloniae Agrippinae, Mater. Cholini, 1600. 1 vol. in-4°.

Thyraeus Petrus (1546-1601). Loca infestis, hoc est, de infestis, ob molestantes daemonorium et defunctorum hominum spiritus, locis, liber unus. In quo spirituum infestantium genera, conditiones, vires, discrimina, opera, mala quae viventibus afferunt; rationes item quibus partim–Coloniae Agriipinae, Mater Cholini, 1598. 1 vol. in-4°.

(b) Zacchias Paolo (1584-1659 ). Quaestionum Medico-legalium. Tomus prior, in hac editione lugdunensi ab auctore novis Additionibus locuplensis, hoc signo notatis. Lugduni, Ioannis-Antonii Huguetan & Marci-Antonii Ravaud, 1661. 2 vol. in-folio.

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1 commentaire pour “Obsession et possession – Obsession diabolique. Par le Dr Georges Surbled. 1897.”

  1. vieuxLe dimanche 7 août 2016 à 10 h 21 min