Observation d’un cas de lycanthropie. Par A. Bariod. 1850.

BARIODLYCANTHROPIE0006A. Bariod A. Observation d’un cas de lycanthropie. Article parut dans la revue des « Annales médico-psychologiques », (Paris), tome II, 1850, pp. 151-153.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les images ont été ajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.

[p. 150, col. 1]

OBSERVATION D’UN CAS DE LYCANTHROPIE.

Dorgel est entré à l’asile de Maréville [p. 151, col. 2] le 19 mai 1847. Il sortait du dépôt de mendicité de Gorse, où il avait été renfermé après une condamnation pour délit de mendicité. Les [p. 152, col. 1] renseignements qui nous sont donnés à son sujet ne se rapportent qu’à son séjour dans ce dernier établissement.

Cet homme était d’un caractère habituellement sombre et taciturne, restant étranger à ce qui se passait autour de lui, et ne communiquant avec personne. Il qui ne nous a pas été indiquée, le choc d’une pierre considérable sur la partie antérieure du thorax. Doué d’un tempérament nervoso-sanguin, d’une constitution athlétique, il ne faisait aucun usage de sa force, refusait de travailler, et cherchait toutes les occasions d’être placé à l’infirmerie. Sa santé physique était néanmoins satisfaisante, ses fonctions digestives se faisant régulièrement, il était sobre et ne buvait que de l’eau. On n’a jamais constaté chez lui aucun symptôme d’épilepsie, quoiqu’il passât pour être épileptique.

Le 15 janvier 1847, il fut atteint d’une pneumo-bronchite, caractérisée par des accès violents de suffocation et par un râle muqueux intense qui se faisait entendre dans toute la poitrine ; il avait déjà été plusieurs fois affecté de cette même maladie. Des saignées abondantes et des révulsifs sur le tube intestinal firent bientôt disparaître ces symptômes alarmants. Le malade était en pleine convalescence, quand tout à coup il refusa de manger et de parler. En même temps il se livra à des efforts considérables pour s’empêcher de respirer. Dans ce cas, sa figure se congestionnait fortement, son cou se gonflait et présentait une turgescence remarquable.

Il prit en aversion la sœur et les infirmiers ; sa haine se traduisit par des menaces continuelles et souvent par des coups terribles ; il eut plusieurs accès de fureur, et déchira plus d’une fois ses vêtements. Le mutisme fut toujours complet.

Après trois mois, il respirait plus [p. 152, col. 2] facilement, sa fureur était moins violente, il se bornait à des gestes menaçants.

Il fut traité par les pilules de Bacher, et on allait lui administrer de la strychnine quand on reçut l’ordre de le conduire à Maréville.

Depuis son entrée dans l’asile jusqu’à sa mort, d’après ce que nous a informé la sœur du service, Dorgel s’est constamment trouvé dans le même état qu’il a présenté à notre observation.

Continuellement alité depuis le premier jour, il lui était impossible de marcher et même de se tenir assis. Ses membres inférieurs étendus ne pouvaient se fléchir ; Ils étaient pris d’une roideur tétanique extraordinaire, et faisait avec le tronc un angle presque droit, ce qui obligeait le malade à rester comme assis dans son lit et se tenir la tête très haute. Il ne parlait jamais, mais poussait un cri particulier semblable au grognement du porc. Il maintenait avec un grand soin sa couverture avec laquelle il se cachait une partie de la figure.

Son habitus était maigre, sa figure pâle, et sa physionomie portait l’empreinte de la férocité. Quand on l’approchait, son grognement devenait plus intense et plus fréquent, ses traits s’animaient, et si l’on voulait se toucher, il griffait avec une grande prestesse. Parfois il saisissait son vase de nuit ou tout autre objet qui lui tombait sous la main, prêt à en frapper ceux qui l’incommodaient.

JM-Musial - Loup-garou. D’après Granach l'ancien Encre sur grand Vélin d'arches 35X25 (2013).

JM-Musial – Loup-garou. D’après Granach l’ancien Encre sur grand Vélin d’arches 35X25 (2013).

Il s’est toujours montré d’une grande propreté, et n’a jamais gâté ; extrêmement susceptible sur ce point, il aurait déchiré le visage de l’infirmier qui le soignait, si ce dernier l’avait provisoirement transporté sur un lit de gâteux.

Il était également très difficile pour la nourriture, et quand elle ne lui convenait pas, il la rejetait avec violence à la personne qui le servait. Sa [p. 153, col. 1] vie, du reste, se soutenait d’une manière aussi satisfaisante qu’on pouvait l’espérer dans des circonstances pareilles.

Aucun traitement régulier n’a été employé chez ce malade ; si ce n’est quelques bains qui ont été sans résultats. Soumis une fois aux inhalations du chloroforme, le sommeil a été complet, et malgré ce moyen, le malade n’a prononcé aucune parole ; nous avons pu lui fléchir instantanément les membres pelviens.

Depuis quelques jours, Dorgel se faisait moins entendre, son appétit avait diminué, aucun autre symptôme ne se manifestait. Le 6 décembre, après la visite, il fut frappé d’une espèce de défaillance, à la suite de laquelle survint une grande oppression. Le mutisme disparut ainsi que le grognement. Il put nous dire qu’il souffrait beaucoup et partout ; il demandait avec insistance qu’on lui coupât le cou ou qu’on l’étranglât, ce qu’il essaya de faire lui-même avec son drap.

Sa physionomie était inquiète, sa respiration pénible, son pouls légèrement accéléré, sa peau chaude. Sa souffrance paraissait extrême. Une nouvelle pneumo-bronchite venait de se déclarer. Son état de faiblesse nous empêcha de recourir à la saignée ; on lui fit une application de sinapismes aux jambes, et l’on prescrivit en outre un large vésicatoire à la région du dos.

Vers le soir du même jour, Dorgel demanda l’aumônier, put se confesser et recevoir l’absolution.

BETE DU GEVAUDAN.

BETE DU GEVAUDAN.

Après une huit pénible, il mourut le lendemain matin à six heures.

Privé de renseignements suffisants, il ne nous est guère possible de faire l’étiologie de cette maladie. Avant son entrée en Gorse, déjà Dorgel avait eu sans doute un accès de lypémanie suicide, dont il fut incomplètement guéri. Réduit au vagabondage et à la mendicité, il est enfin conduit à Gorse, où éclate un nouvel accès dont les prodromes se manifestent dès les premiers jours par sa tristesse et son peu d’expansion. Nous devons remarquer ici que la pneumo-bronchite dont il fut atteint contribua pour beaucoup, non seulement au développement de la folie, mais à la forme quelle revêtit. Il est d’observations que les maladies de poitrine ont une grande influence sur la production des idées tristes, et nous avons dit que Dorgel en avait plusieurs fois contracté.

Cette affection nous paraît intéressante par sa forme spéciale, rare à notre époque ; et si elle ne s’est pas manifestée d’une manière complète, il faut en voir la cause dans la paralysie des membres inférieurs qui le compliquait. Elle se caractérise chez notre malade par une taciturnité, une sauvagerie remarquable, conséquence d’une sensibilité péniblement affectée ; la vie lui était à charge, aussi refusait-il de manger, et, comme nous l’avons dit plus haut, cherchait-il à s’asphyxier en s’empêchant de respirer. Sa misanthropie allait parfois jusqu’à la fureur. Ses grognements continuels, son regard fixe, les traits de sa face contractés, donnaient à l’individu un caractère de férocité tel, que l’observateur le plus superficiel en était frappé. Tous ces symptômes nous paraissent se rapporter à la lycanthropie ; et si Dorgel n’a pas erré dans les forêts, c’est qu’il a été empêché par son infirmité. Dans les derniers temps de sa vie, où la raison s’était réveillée sous m’aiguillon de la douleur, nous avons, mais en vain, cherché à savoir de lui quelle pouvait être la nature de ses idées délirantes ; quoique nous ayons rien obtenu à cet égard, nous n’en persistons pas moins à le considérer comme lycanthrope. L’état de mendicité, de vagabondage dans lequel il vivait, nous semble avoir contribué à déterminer cette forme particulière [p. 154, col. 1] de la lypémanie. C’est ainsi qu’on a remarqué déjà que tous les lycanthropes étaient pour la plupart des mendiants.

Cette maladie mentale s’est trouvée compliquée d’une myélite dont les symptômes étaient apparents dans les membres inférieurs. Cette myélite a pu survenir à la suite du choc dont nous avons parlé, et les premières convulsions en auraient été la conséquence nous expliqueraient comment la malade a pu être considéré comme épileptique. A sa sortie de Gorse, les membres pelviens n’étaient point encore paralysé, puisque le médecin de cet établissement ne nous en parle pas ; le transport aggrava probablement sans doute sa lésion ; et Dorgel fut complètement impotent, à son entrée à Maréville. Les nerfs de la motilité étaient surtout affectés ; la sensibilité na paraissait point entièrement détruite, quoique nous ne puissions l’affirmer. Quand on lui touchait les jambes, il s’irritait violemment ; mais nous avons remarqué qu’à la simple présence de quelqu’un, il s’irritait pareillement : nous ne pouvons donc pas nous prononcer sur ce dernier point.

A l’autopsie, nous avons constaté deux espèces de lésions, les unes propres à la maladie qui a emporté Dorgel, les autres à la paralysie qui avait compliqué l’affection mentale.

Femme-loup.

Femme-loup.

Les poumons étaient complètement imperméables à l’air, toute leur partie postérieure, d’un rouge lie de vin, ne présentait plus de crépitation, l’hépatisation y était évidente ; le reste était rempli d’une sérosité légèrement spumeuse, qui sortait par les bronches à la moindre pression, et s’échappait en abondance de toutes les incision. Cette sérosité existait autant dans les ramifications bronchiques que dans le tissu pulmonaires lui-même. Il y avait quelques adhérences entre les poumons et la plèvre costale ; cette dernière présentait quelques [p. 154, col. 21] traces d’inflammation ; il n’y avait point de sérosité dans la cavité pleurale. Les deux poumons, d’une pesanteur considérable, étaient dans le même état. Cependant nous avons pu remarquer, ainsi qu’on l’a déjà fait, que dans les pneumonies des aliénés, le poumon gauche était plutôt engorgé vers la partie supérieure, et le poumon droit vers la parie inférieure. La muqueuse des bronches était d’une couleur rosée, mais sans altération appréciable. Le larynx ne nous a offert aucune particularité. Quelque peu d’épanchement séreux existait dans le péricarde ; le cœur était d’un volume normal ; les cavités gauches de cet organe étaient vides, tandis que les droites étaient distendues par une grande quantité de sang noir.
Les membranes du cerveau, le cerveau lui-même, étaient très injectés ; la substance grise était rosée, et la blanche laissait suinter de nombreuses gouttelettes de sang à chaque incision. Les ventricules ne contenaient point de sérosité.

La moelle épinière présentait à sa partie dorsale, dans l’étendue de 1 à 2 centimètres, un ramollissement qui en occupait toute l’épaisseur ; au-dessous, la moelle n’était point atrophiée. Au niveau du ramollissement, existaient quelques adhérences entre les diverses membranes. A l’extrémité inférieure de la moelle se trouvait une assez grande quantité de liquide séreux.

Ces différentes lésions nous expliquent d’une part le paralysie des membres inférieurs, résultant d’une myélite, de l’autre nous révèlent une pneumo-bronchite qui a déterminé la mort par asphyxie. Peut-être devons-nous attribuer à cette dernière circonstance l’injection du cerveau et de ses membranes.

Bariod,
Interne à Maréville.

La peur du loup-garou (Bois gravé de L. Cranach, XVIe siècle).

La peur du loup-garou (Bois gravé de L. Cranach, XVIe siècle).

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