Nicolas Vaschide et Henri Piéron.  La Psychologie du Rêve au pont de vue médical. Paris, Librairie J.-B. Baissière et Fils, 1902. Texte intégral.

Nicolas Vaschide et Henri Piéron.  La Psychologie du Rêve au pont de vue médical. Paris, Librairie J.-B. Baissière et Fils, 1902. Texte intégral. 

 

Les travaux de Nicolass Vaschide et Henri Piéron sont si importants et si nombreux, en particulier sur le sommeil, les songes et les rêves, que nous avons crée une rubrique bio-bibliographique spécifique en ligne sur notre site : Nicolas Vaschide & Henri Piéron. Références bio-bibliographiques sur le sommeil, les songes et les rêves. Par Michel Collée. 2018.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité, les notes de bas de page ont été renvoyées en fin d’article. – Les images ont été rajoutées parlons soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

La Psychologie
du Rêve
au point de vue médical
par
N. VASCHIDE          et          H. PIÉRON
Chef des Travaux             Préparateur
au Laboratoire de Psychologie expérimentale des Hautes-Étude
(Asile de Villejuif).

[p. 5]

AVANT -PROPOS

Notre titre : La Psychologie du Rêve au point de vue médical, précise suffisamment notre pensée et le but de notre ouvrage.

Nous envisageons la psychologie du rêve à un point de vue particulier, celui de la séméiologie, le seul point d’ailleurs qui puisse intéresser au premier chef la clinique et la science médicale. Qu’on ne cherche donc pas, dans ces pages, l’étude du mécanisme et de la structure intime du rêve normal ou pathologique, nous l’avons laissée à dessein de côté.

N. Vaschide et H. Piéron.
Paris, le 1er septembre 1901.

[p. 7]

LA PSYCHOLOGIE DU RÊVE

INTRODUCTION

Le médecin n’a jamais trop de signes pour aider à son diagnostic, parfois délicat et difficile ; surtout il n’a jamais assez de symptômes précurseurs lui permettant un pronostic précis et hâtif, et particulièrement dans certaines affections graves.

Or, l’on a souvent parlé du rêve comme fournissant des éléments précieux, et pour le diagnostic, et pour le pronostic ; et, cependant, il est remarquable que l’on ne s’adresse jamais, en fait, aux rêves, pour en tirer de tels enseignements. Le médecin trouve en général tout naturel de tâter le pouls et de prendre la température, au besoin, de faire tirer la langue, et bien souvent il néglige tout ce qui n’est pas état purement somatique chez le malade et il ne tient aucun compte de son état psychologique. Mais en tout cas, à la plupart il paraîtrait souverainement ridicule de tenir compte, fût-ce en passant, de vétilles telles que les rêves. Et c’est tout juste si parfois l’on ose s’y risquer, lorsqu’il s’agit de troubles purement psychologiques et de maladies mentales en général.

Le rêve est-il en effet si négligeable au point de vue médical, ou bien les médecins n’ont-ils pas grand tort de reculer devant une fausse honte et une crainte puérile pour leur dignité, et de négliger ainsi une source précieuse de renseignements ? Car on ne peut parler, nous le verrons, d’imprécision absolue dans ce domaine. Combien y-a-t-il de symptômes indiqués par les diagnostics, qui sont et restent vagues, flottants, [p. 8] et combien y en-a-t-il surtout qui ne se présentent que d’une façon capricieuse, sans caractère de fermeté véritable et de constance !

On ne peut demander au rêve, à coup sûr, d’être un symptôme définitif, ni nécessaire peut-être, ni surtout suffisant. Mais le rêve peut-il donner des indications utiles, peut-il même fournir des renseignements tels que d’autres symptômes ne les donnent peut-être pas ? Voilà la question à se poser, et la solution donnera la réponse à cette autre question, que nous venons d’énoncer quelques lignes auparavant.

Toute notre étude tendra à montrer que le rêve est, et, dans quelle mesure, il est un signe et peut être un signe dans le diagnostic des maladies, un symptôme pathologique, au besoin même, une source d’indications pour la thérapeutique. Et d’ailleurs, cela se tient : savoir, c’est prévoir, et prévoir, c’est agir. Nous traiterons donc de la séméiologie du rêve.

Mais auparavant, il y a lieu de demander à la psychologie du rêve, jusqu’à quel point cette séméiologie est possible. Cela a été souvent traité par les auteurs qui se sont occupés de la question. On divise en effet généralement les rêves en plusieurs classes, suivant leur origine, qui peut être purement psychique, résider dans l’association des idées, ou qui peut provenir, au contraire, d’une excitation extérieure, sensorielle, ou même, et c’est là ce qui nous intéresse, d’une impression interne, organique.

Sans nier, comme le Dr Tissié, qui a beaucoup exagéré, les rêves d’origine purement psychique, on doit reconnaître qu’il y a des rêves suscités, non seulement par des excitations sensorielles, mais même par des impressions organiques. On ne peut donc considérer le dormeur, ainsi qu’on l’a fait parfois, comme absolument dépourvu de sensations, comme séparé en quelque sorte, non seulement du monde extérieur, mais de son propre corps. N’a-t-on pas cru longtemps que l’âme quittait le corps dans le sommeil ? Il n’y a pas enfin cette rupture des voies conductrices, que semblent impliquer les théories du sommeil, fondées sur l’histologie.

Et même, s’il est vrai que les sensations extérieures sont tout au moins bien diminuées dans le [p. 9] sommeil, et qu’il y a un isolement relatif du dormeur vis-à-vis du monde extérieur, il semble, au contraire, que les rapports de la conscience du dormeur avec l’état de son organisme soient plus intimes que dans le jour : il y a comme une espèce de balancement qui se produit, et les sensations internes se développent aux dépens des sensations périphériques. Et on a été jusqu’à considérer la conscience du dormeur comme une conscience proprement cœnesthésique. Il ne faut pas exagérer, mais ce qui est indéniable, c’est qu’en effet des sensations organiques d’une intensité moindre que dans la veille sont perçues avec une netteté et une finesse beaucoup plus considérables. De cela tout le monde en a pu faire l’expérience, particulièrement pour tout ce qui concerne les troubles plus ou moins légers des voies digestives. Puisqu’il en est ainsi, on en peut déduire en quelque sorte à priori que, dans le cas où surviendra un trouble somatique, faible encore, inaperçu pendant la veille, où l’homme est distrait par des préoccupations de toute espèce, il se manifestera tout d’abord pendant son sommeil, alors que la conscience de l’homme restera en quelque sorte en tête à tête avec l’état de son organisme tout entier.

Et l’apparition de cette sensation, qui donnera naissance à un rêve, servira donc, si on la connaît et si on sait l’interpréter, au pronostic de ce trouble, pour le cas probable où il se développera. Mais comment reconnaître ce rêve à côté de tant d’autres où n’intervient pas cet avertissement somatique ? Eh bien ! ce rêve est en général assez caractéristique. Nous le verrons au cours de cette étude où la valeur diagnostique s’éclairera. Dès à présent, nous pouvons lui attribuer un caractère général.

Les rêves qui se déroulent suivant des lois d’association, comme c’est le cas pour la plupart, se succèdent plus ou moins vite, mais avec l’apparence assez nette d’une grande spontanéité : ils se déroulent facilement. Mais quand le rêve persiste, s’impose, et donne cette sensation pénible de monotonie tenace, dont l’exagération apparaît dans le cauchemar proprement dit, avec les phénomènes d’angoisse, c’est qu’il y a là autre chose qu’un phénomène psychologique [p. 10] ordinaire : il faut qu’il y ait à ce rêve un substratum persistant, qui est presque toujours une sensation organique ; car la sensation extérieure ne se maintient pas en général longtemps avec une intensité suffisante. Toutes les impressions organiques ne présagent pas des troubles pathologiques graves. Mais, c’est dans cette classe de rêves que rentrent les rêves séméiologiques.

Ainsi donc, la psychologie du rêve nous apprend bien que cette sorte de rêves est possible et même probable. Nous n’avons pas besoin de citer des autorités à notre appui. Elles seraient d’ailleurs nombreuses, et nous en verrons au passage. Après Hippocrate, qui attribuait une valeur médicale à peu près à tous les rêves, Galien a commencé à distinguer nettement les rêves susceptibles d’avoir une telle valeur, et l’on a répété longtemps, sans guère le changer, ce qu’il en avait dit.

Nous allons citer seulement deux passages intéressants à cet égard ; l’un est de Durand de Gros :

« L’expérience nous apprend que tous les états psychiques, capables de donner naissance à des modifications somatiques déterminées, peuvent, à leur tour, être le résultat de ces mêmes modifications quand elles sont primitives. Cette vérité a été reconnue de tout temps. Particulièrement accusée dans les phénomènes du sommeil, elle fut prise pour base du système de diagnostic par les rêves suivi par une école de l’antiquité (École de Cnide) (1). »

Voici ce que déclare Moreau de la Sarthe :

« Plus on réfléchira sur les rêves considérés sous le point de vue de la séméiotique, et plus on aura d’occasions de leur appliquer les remarques que nous avons déjà présentées sur la liaison qui existe entre les sujets de plusieurs rêves et l’impression intérieure, l’affection organique qui en a été la cause occasionnelle. Ces rapports, véritablement curieux et instructifs qu’il importe de se rappeler, nous ont fait comprendre comment certaines perceptions en apparence illusoires, qui surviennent pendant les songes, étaient vraies en elles-mêmes ou n’étaient du moins que l’expression exagérée d’une sensation réelle… Tous ces rêves seront [p. 11] facilement interprétés par le médecin, lorsqu’il se sera familiarisé avec les moindres détails de la pratique, surtout s’il apporte, dans cette partie élevée et délicate de ces études, les vues d’une saine psychologie et les habitudes de l’esprit philosophique (2). »

Et maintenant nous allons céder la place aux différents auteurs, puisque nous avons tâché de faire une mise au point historique des documents recueillis à ce sujet. On s’en occupe d’ailleurs de plus en plus aujourd’hui ; et nous-mêmes avons recueilli d’assez nombreux documents, que nous ne tarderons pas à publier, sur certains points de pathologie médicale.

Nous allons d’abord faire une courte étude, purement historique, sur l’évolution de l’importance donnée au rêve dans la médecine ; et ensuite, nous prendrons les différentes branches de la pathologie : d’abord la pathologie générale ; puis la pathologie nerveuse, dans laquelle nous étudierons les états de psychasthénie et de dégénérescence, les états d’aliénation, l’hystérie, et enfin l’épilepsie.

I. —HISTORIQUE

Cette partie de notre étude s’attachera principalement à la conception de la valeur séméiologique du rêve au point de vue historique.

Les premières écoles de la Grèce firent une place au rêve dans le diagnostic, et même une place capitale. Les premiers furent les Pythagoriciens, qui avaient rapporté d’Egypte les pratiques de divination onirologique et qui les appliquèrent à la médecine :

« Les esprits qui voltigent dans les airs, les démons et les héros envoient aux hommes les songes qui fournissent les signes de la maladie et de la guérison. Mais il faut des expiations et des purifications (άποτροπαί, έπαοιδαί, χαθαρμοί) pour les interpréter (3). »

Toute l’école de Cnide, qui avait aussi des racines égyptiennes, attribua aux songes une valeur séméiologique. Or c’est à elle que se rattache Hippocrate. [p. 12] Hippocrate (4) a donné à la valeur séméiologique du rêve une place telle qu’elle ne lui a plus jamais été attribuée depuis et ne le sera probablement jamais plus. Et aussi il faut avouer, que la manière dont il a conçu et exposé cette séméiologie n’était pas faite pour encourager beaucoup à le suivre dans cette voie. Il donne en effet à tous les rêves ou à peu près le rôle d’avertir le médecin sur l’état de santé des hommes ; il est ainsi obligé d’établir une espèce de clef séméiologique des songes, ne reposant que sur des constructions de son imagination et non sur des faits précis, et restant dans le vague. Aussi n’y-a-t-il à peu près rien à tirer, rien à garder là de sérieux.

C’est toujours sur des analogies qu’Hippocrate se fonde, à la façon des devins, et au fond, c’est une espèce de divination analogue à l’autre, et dont il reconnaît la légitimité, qu’il prétend pratiquer. C’est ainsi que le quart de son traité est consacré aux astres et cela rappelle l’influence de l’astrologie sur les divinations et en particulier l’onirologie.

Il y a de ces analogies qui peuvent être assez vraisemblables. C’est ainsi que « les sources et les puits dénotent quelque chose vers la vessie : on détergera alors à l’aide de diurétiques ». La mer trouble présage une maladie intestinale. Mais son explication au sujet des rêves de morts est assez bizarre :

« Voir les morts purs et vêtus de blanc est favorable, ainsi que recevoir d’eux quelque chose de pur, car cela dénote la santé du corps et la salubrité de ce qui y est introduit. En effet, c’est des morts que viennent les nourritures, les croissances et les semences; et que cela entre pur dans le corps, c’est un indice de santé (5). »

Son disciple Galien (6) n’a guère fait que le répéter. Il a écrit, à l’exemple de son maître, un traité de diagnostic par les songes, en quelques pages, et il en [p. 13] parle assez souvent dans ses divers écrits (7). Il déclare que les songes nous enseignent l’état de santé du corps (διάθεσιν τούσώματος). Il indique le rêve d’incendie comme présageant des troubles ictériques ; et ceux de fumée, de brouillards, de ténèbres, comme annonçant de la bile noire, de l’atra bilis, c’est-à-dire de la mélancolie que nous-mêmes appelons « humeur noire » ; la pluie froide indique une trop grande humidité du corps ; rêver que l’on se trouve dans des excréments et de la boue, c’est avoir des humeurs putrides et une accumulation de matières fécales, etc.

Il donne quelques exemples où le rêve avait servi au diagnostic et au traitement des maladies; et il y a là une méthode préférable, mais ses exemples ne sont pas tous heureux, ni encourageants et la généralisation d’un fait peut amener des méprises regrettables.

C’est ainsi qu’un lutteur ayant rêvé qu’il était plongé dans une fosse remplie de sang d’où il ne pouvait sortir, on conclut à une pléthore sanguine, et la saignée eut du succès ; mais un malheureux phtisique s’étant par la suite avisé de rêver qu’il nageait dans son sang, on le saigna ni plus ni moins. Quoi d’étonnant s’il en mourut !

Nous ne rangerons pas parmi les rêves séméiologiques ceux des habitués de la médecine divinatrice, pratiquée dans les temples d’incubation et où les dieux, si ce n’est les prêtres, mais le plus souvent l’esprit même des consultants, suggéraient dans des rêves, des conseils et des médicaments. Cela a d’ailleurs été magistralement exposé par Sprengel (8) :

« Notons seulement qu’on a prétendu qu’Hippocrate avait très largement puisé dans les tablettes votives qui se trouvaient dans ces temples, pour établir cette matière médicale. Nous ne possédons que très peu de ces tablettes. Les unes concernent des guérisons en apparence miraculeuses : les malades, les aveugles ou paralytiques, comme tous les malades guéris miraculeusement dans tous les temps, se réveillant guéris. D’autres ont trait à des remèdes révélés en songes qui triomphèrent de la maladie. Ainsi du sang [p. 14] de coq blanc mêlé avec du miel guérit un aveugle en trois jours par des frictions répétées ; des crachements de sang cédèrent à l’absorption pendant trois jours de graines de pommes de pin mêlées avec du miel ; une application sur le côté de cendres mêlées avec du vin guérit d’une pleurésie (9). »

Et, d’autre part, nous citerons comme ayant une valeur séméiologique quelques rêves donnés par Artémidore comme des avertissements célestes et qui eurent lieu aussi dans des temples; ce n’est d’ailleurs que de celle façon qu’ils purent être connus.

« Un individu rêvait (dans le temple de Sérapis) qu’il recevait d’Asklépios un coup d’épée dans le ventre et qu’il en mourait. Le môme homme guérit à la suite d’une opération d’une tumeur qui lui survint au bas-ventre (10). »

Si la prédiction ne fut pas exacte, on peut au moins reconnaître l’influence des sensations organiques sourdes et restées inconnues dans la veille sur la nature et la direction du rêve. C’est d’ailleurs la tumeur qui donne le plus d’avertissements de ce genre, ainsi que l’angine, dont voici un cas (11) :

« Un individu rêva qu’il portait autour du cou, comme un ruban, le nom de Sérapis gravé sur une lame d’airain. Il fut pris d’une angine et mourut au bout de sept jours et demi. »

Enfin voici encore un rêve relatif au sang, élément que nous rencontrerons aussi dans celte élude :

« Un individu, dans un rêve, voit le Xanthe, fleuve de la campagne troyenne, se changer en un fleuve de sang. Peu après, il mourut d’un épanchement sanguin (12). »

Si nous quittons l’antiquité, nous voyons que cette recherche de la séméiologie du rêve n’a pas été transmise aux époques intermédiaires comme un legs [p. 15] sacré, ainsi que bien d’autres opinions souvent moins raisonnables. On ne s’en occupa plus et les médecins du moyen âge négligeaient les conseils d’Hippocrate.

Cependant à la Renaissance, on publia, on traduisit assez fréquemment les livres d’Hippocrate et de Galien sur la question ; mais cela accompagna le grand mouvement de publication d’œuvres anciennes à cette époque et particulièrement de traités concernant la divination par les songes. On les réunissait souvent d’ailleurs à des traités de ce dernier genre ; mais au point de vue de la séméiologie, il n’y eut rien d’original, même dans cette période (13). Dans les temps modernes, la question a été reprise.

Nous trouvons tout d’abord la question traitée dans une observation de Zuckert (14). Après quelques mots d’historique, l’auteur distingue les songes psychologiques naturels des songes à origine corporelle ou pathognomique, il cite les interprétations d’Hippocrate et de Galien. Il signale les terreurs nocturnes chez les hystériques. En pronostic, il note des cas déjà cités de prévision divine, les rêves célèbres d’Arnauld de Villeneuve et de Gesner et une observation de Bautmann sur une hystérique.

Il remarque qu’on a négligé la séméiologie du rêve, bien qu’elle ne soit pas indigne du médecin. Cependant il ne faut pas interpréter tous les songes, car il en est qui ne sont pas dus à des troubles pathologiques.

Ceux qui n’ont pas de cause connue peuvent servir au pronostic, mais il faut tenir compte des songes qui précèdent et des circonstances concomitantes. Ainsi, chaque âge a ses rêves, coutumiers : vieillards ou timides rêveront facilement de maladie et de mort.

A ces conditions, le pronostic est possible ; sans ces précautions, il est dangereux, et Zückert cite à l’appui l’erreur relatée par Galien (15). [p. 16]

En 1806, Double présente des considérations séméiotiques sur les songes (16).

L’auteur considère qu’il ne serait pas mauvais de s’occuper de l’onirocritie médicale et de la séméiologie ; que cela vaudrait mieux que de cultiver celle qui consiste à connaître le passé, le présent et l’avenir. Parlant de l’histoire de la question, il rejette le traité des songes d’Hippocrate comme n’étant pas digne de lui, ce qui est au moins un curieux procédé de critique historique ; il regrette que les séméiologistes ne tiennent aucun compte de cette partie de la séméiotique. Il divise les rêves en 4 catégories :

a. Rêves dépendant de la réaction de l’organe pensant sur lui-même.

b. Rêves dépendant de l’action des sensations extérieures.

c. Rêves dépendant de l’association des idées.

d. Enfin, rêves dépendant de l’action des sensations internes et des fonctions animales.

Ce sont ces derniers seuls qui ont une valeur séméiologique.

Puis il distingue les signes diagnostiques et les signes pronostiques. Ne s’occupant pas des premiers, il ne fait que citer quelques exemples : dans l’hydropisie de poitrine, il y aura des rêves très fatiguants d’étouffement ; dans les affections gastriques, des tableaux effrayants et hideux, très mobiles, rendant le sommeil pénible ; dans les hydropisies, les engorgements séreux du cerveau, il y aura des rêves d’étangs, de fleuves, de marais ; dans le travail de dentition des enfants, ou encore quand ils ont des vers, des songes accompagnés de frayeurs et de tremblements.

Les rêves peuvent aussi révéler les tempéraments. Les sanguins rêvent chants, musique, repas, danses, jeux brillants, combats ; les mélancoliques, des spectres, des ombres, la solitude, la mort; les flegmatiques, des fantômes blancs, des lieux humides, de l’eau ; les bilieux, des corps noirs, des emportements, assassinats, incendies.

L’auteur emprunte sans doute à. Galien la plupart de ces données, car il signale les ténèbres et le feu chez les bilieux, comme nous l’avons vu, et la pluie avec humidité chez ceux chez qui domine la pituite. [p. 17]

A ce propos, nous pouvons rapprocher ce passage curieux d’un voyageur arabe du Xe siècle, Maçoudi (17) :

« L’opinion de la généralité des médecins dans cette question est que les songes sont engendrés par les humeurs fondamentales du corps humain et que chacun rêve selon son tempérament et sa force. Ceux par exemple qui ont le tempérament bilieux voient dans leur sommeil des feux, de la fumée, des monuments funèbres, des torches, des monuments embrasés, des villes en flammes et autres choses de ce genre. Ceux au contraire chez lesquels domine la pituite voient en songe des mers, des fleuves, des sources, des étangs, des bassins, des canaux multiples, des flots dans lesquels ils nagent ou pèchent et ainsi de suite. Ceux qui ont le tempérament mélancolique ré vent de tombeaux, de sépulcres, de morts, de pleurs, de gémissements, de lamentations, de cris, de choses effrayantes, de circonstances terribles, de cadavres enveloppés dans le suaire, de vêtements de deuil. Ceux qui ont le tempérament sanguin voient en songe du vin, de la liqueur de palmier, des fleurs au parfum suave, des palais, des salles de festin, des danses, des fêtes, des réjouissances, toutes sortes de divertissements, dont quelques-uns plus spécialement : des pas cadencés, des scènes d’ivresse, des vêtements rouges ou d’autres nuances et tout ce qui se rapporte à la joie (18). »

Il est remarquable que les traditions des médecins arabes soient à ce point concordantes. Comme Double n’a pu les connaître, il est nécessaire d’admettre, soit que les médecins arabes connurent la médecine grecque et s’en inspirèrent, soit, ce qui est plus probable encore, que ces traditions d’origine très ancienne, peut-être venues d’Egypte, se transmirent aussi bien dans le monde grec, d’où elles parvinrent jusqu’à nous, que dans tout le monde oriental.

Revenons maintenant à Double. Il signale aussi des rêves pronostiqués. Tout d’abord, comme on ne doit pas normalement rêver dans le sommeil profond qui vient au début du sommeil, l’existence du rêve dans les premiers moments du sommeil marque un dérangement de l’économie générale.

Les rêves relatifs au manger et au boire sont d’un bon augure dans la convalescence, quand on a faim et soif ; ils [p. 18] sont moins favorables à l’origine des maladies ; les goûts pervertis marquent des fièvres gastriques, bilieuses et putrides. Les rêves gais sont de bon augure ; les rêves tranquilles constituent un symptôme favorable dans la phrénésie.

Les rêves où l’on croit se baigner dans l’eau chaude sont signes de sueurs critiques. Les rêves de serpents enflammés présagent, d’après une observation de Galien, une hémorragie et un besoin d’évacuation sanguine ; des rêves tristes, pénibles, inquiétants, des maladies à solution difficile. L’agitation, la frayeur dans les fièvres promettent que la maladie sera longue. De violentes douleurs à une partie du corps signifient en général, quand le rêve n’est pas dû à une action extérieure : lésion, inflammation ou gangrène de la partie. Et à ce propos il cite deux exemples qui seront partout et indéfiniment répétés dans la suite.

Le premier est celui de Conrad Gessner, qui rêve qu’il est mordu au côté par un serpent et qui reconnaît bientôt à cet endroit les signes d’un anthrax qui l’emporte en cinq jours ; le second est celui d’Arnauld de Villeneuve. Il rêve qu’il a été mordu au pied par un chien enragé, d’autres diront par une vipère, et ne tarda pas à avoir ce membre affecté d’un ulcère cancéreux.

On a vécu longtemps sur les données de Double.

A cette époque, Choquet (19) est d’avis qu’on n’ajoute pas trop de foi aux symptômes équivoques des rêves, quoiqu’il admette une certaine influence séméiologique des sensations sur les songes.

Il parle d’un homme qui rêve qu’un soldat polonais lui lance au sternum une pierre dont le choc le réveille, et il trouve à cet endroit un phlegmon.

Il cite Stahl, qui déclare que les rêves d’objets rouges, d’incendies précèdent une hémorragie ; mais il a eu de ces rêves dans une fièvre éphémère.

Les hydropiques, d’après Haller, voient des lacs et des fontaines, et Boerbaave a trouvé une grande quantité de sérosité dans le cerveau des hommes rêvant souvent qu’ils nageaient ou se jetaient à l’eau.

Signalons un passage de Moreau de la Sarthe (20).

Il remarque que les auteurs qui ont écrit sur la [p. 19] séméiotique par le rêve ont montré avec raison qu’il fallait faire la part des préoccupations mentales, de la position du dormeur et des excitations extérieures :

« En général, conclut-il, les songes ont d’autant plus d’importance, sous le point de vue de la séméiotique, qu’ils tiennent moins dans leurs causes aux fonctions de relation (i21). »

Il divise les rêves proprement dits en trois classes :

1° Les rêves par irritation générale, fébrile ou non fébrile ;

2° Les rêves qui annoncent un état morbide de différents viscères de l’abdomen, de la poitrine ;

3° Les rêves qui annoncent une disposition morbide plus ou moins grave de l’encéphale.

1° Les états fébriles sont annoncés, selon lui, par un sommeil troublé dans lequel apparaissent en rêve des figures grimaçantes, comme dans un cas qu’il a observé, ou bien dans lequel une idée, indifférente d’ailleurs en elle-même, se reproduit et se continue avec une persistance fatigante et opiniâtre, comme chez un certain M. F… Il considère que ces rêves ont une importance particulière dans la convalescence : ils indiqueraient le passage d’une maladie à une autre. Dans les fièvres intermittentes, il aurait noté l’anxiété convulsive dans les rêves.

Les femmes auraient, avant leurs périodes de menstruation, quand elles sont assez pénibles, pour constituer une espèce de maladie, des rêves tragiques, où prédomineraient le rouge, les flammes et le sang. Les hémorragies donneraient lieu à des rêves tout à fait analogues, il cite à cet appui le cas d’un médecin sujet à des accidents de ce genre ; mais les rêves n’apparurent que dans un âge assez avancé ; leurs sujets étaient toujours des actions violentes : il croyait ou se battre et recevoir des blessures, ou marcher sur des volcans, ou se précipiter dans des gouffres de feu.

2° « Les états morbides des viscères de la poitrine ou du bas-ventre dont le développement, même le plus faible, le plus inaperçu pendant la veille, est assez fort pour déranger le sommeil et le rendre moins profond, plus pénible et plus agité, occasionnent un assez grand nombre de rêves auxquels on attache avec raison beaucoup d’importance en séméiotique ; la marche et le sujet de ces rêves présentent le plus souvent une liaison assez évidente avec cette origine et avec leur cause occasionnelle; pour s’en convaincre, il suffira de rappeler les exemples qui se rencontrent si fréquemment dans les maladies de cœur ou des [p. 20] gros vaisseaux, les affections aiguës ou chroniques de la poitrine, les digestions laborieuses, les congestions sanguines, dont le développement est si constamment accompagné de songes pénibles, que l’on peut regarder ces songes comme des symptômes de ces différents états morbides. Les rêves, dans ces différentes maladies, arrivent le plus ordinairement pendant le premier sommeil, ce qui est déjà d’un sinistre présage. Ainsi dans l’hydropisie de poitrine, par exemple, à peine les malades sont-ils endormis qu’ils font les rêves les plus pénibles et qu’ils se croient placés dans les positions les plus dangereuses, sur le point d’être étouffés, par exemple, sans pouvoir opposer aucun mouvement et aucune résistance, soit à l’obstacle qui les arrête, soit à l’ennemi qui les menace.

« Les rêves qui surviennent pendant les maladies de cœur sont toujours très courts et promptement suivis d’un réveil en sursaut. Il s’y mêle toujours la crainte d’une mort prochaine en des circonstances tragiques. Lorsque ces maladies ne sont pas encore très avancées et lorsque des observateurs superficiels ne les soupçonnent pas même, de pareils rêves suffiraient déjà pour éveiller l’attention sur les premiers développements; dans ces rêves, aussi pénibles qu’alarmants, on se voit tout à coup après un concours et une succession de circonstances et de scènes diverses sur les bords ou dan§ le fond d’un précipice, dans un lieu sombre, sous des voûtes étroites qu’on ne peut franchir ou qui menacent de vous écraser de leur poids. »

Chez un certain M. N…, il reconnut l’existence d’une péricardite chronique latente, déclare-t-il, par des rêves pénibles et effrayants, tout d’abord. Il signale encore le caractère morbide des rêves à forme de cauchemar dans les embarras gastriques et les troubles intestinaux de toute espèce, les terreurs nocturnes des enfants tourmentés par des vers ou le travail de dentition. Puis, il cite Galien et les quelques exemples classiques.

3° « Plusieurs névroses, déclare-t-il, qui ne se sont pas encore manifestées pendant la veille, mais qui se préparent, qui se développent pendant une sorte d’incubation lente, latente, et obscure, peuvent être données ou du moins fortement soupçonnées par des rêves bizarres et extraordinaires qui dépendent de celte situation : telles sont l’épilepsie, l’apoplexie idiopathique, les retours périodiques de la fièvre, les fièvres ataxiques, les convulsions chez les enfants, enfin toutes les affections de la nombreuse et importante classe des névroses. »

Mais il ne donne aucun détail sur ces différentes maladies :

« Plusieurs fièvres ataxiques et le typhus ont été souvent précédés de ces rêves, en quelque sorte prophétiques [p. 21] et qui auraient pu faire reconnaître ces maladies, à une époque où elles ne s’étaient encore manifestées que pendant le sommeil. »

Il cite alors le savant Corona, qui eut de ces rêves précurseurs identiques, deux fois à deux ans de distance et chacun peu avant une attaque de fièvre ataxique ; il rêvait de catastrophes, de tremblements de terre et de sa propre chute du haut d’une tour brisée. Enfin, il signale comme rêves constituant en quelque sorte une maladie par eux-mêmes les phénomènes divers du somnambulisme.

Voici quelques observations de Franck :

« Les frayeurs nocturnes chez les enfants sont souvent précurseurs de l’encéphalite, de la rougeole et de la variole (22). »

Peu après, parlant des songes effrayants, il dit :

« Dans les songes… le sommeil… donne plus de force au sens universel interne (la cœnesthésie)… ; c*est à cela que paraissent devoir se réduire les prévisions et les suggestions qui se présentent dans les songes. Nous sommes en effet loin d’ajouter foi aux absurdités débitées jadis sur ce point (23). » Et en note : « Mon vénérable ami, E. Niszkowski, autrefois professeur de chirurgie à l’Université de Vilna, la nuit avant sa mort qui fut produite par une rupture au cœur, rêva qu’on lui perçait le cœur avec un couteau (24). »

Lischwitz exprime une opinion analogue :

« Les rêves qui roulent sur des objets insolites annoncent des maladies imminentes. A l’approche d’une hémorragie critique, les songes roulent, dit-on, sur des objets rouges, sur des flammes (25). »

Le dernier travail sur la question est celui d’Artigues (26).

Le but de l’auteur est de montrer que le rêve peut présenter une réelle valeur au point de vue des diagnostics à établir, que l’étude n’en a jamais été faite réellement et qu’il y aurait là une lacune à combler.

Après avoir parlé de la théorie du sommeil et déclaré, que, la circulation étant ralentie, le réveil d’un organe souffrant active la circulation et donne [p. 22]au rêve une forme et une intensité anormales, il place les rêves de ce genre dans la première période du sommeil ou période hypnagogique, et dans la période de réveil, mais jamais dans celle de sommeil profond.

Enfin, après un historique peu rempli, il arrive à l’étude des rêves morbides en général. L’auteur regarde l’imagination comme le microscope amplificateur de la sensibilité, et appelle le rêve morbide : le délire de l’homme endormi. Il distingue, d’ailleurs, à propos des rêves érotiques, ceux qui sont dus à des sensations réelles, telles que la réplétion séminale et ceux qui sont causés par l’imagination libidineuse des masturbateurs, par exemple. Artigues divise en deux catégories les rêves morbides :

1° Les rêves pronostiques, venus de sensations exagérées ;

2° Les rêves délirants, symptomatiques de maladies.

Puis, il passe à une étude plus particulière.

Les rêves d’alcooliques sont toujours des cauchemars, souvent avec vision, comme dans les délires du même genre, d’animaux repoussants, tels que rats, crapauds, etc..

Les rêves des fous lui paraissent devoir être caractéristiques de la forme de maladie mentale. Ceux des hystériques seraient de véritables romans, où tout s’enchaîne, en continuant parfois d’une nuit à l’autre. Il signale à ce propos, les rapports de la menstruation et des rêves de sang.

Des accès d’asthme seraient précédés, d’après Macario, d’épouvantables cauchemars. Dans les maladies de cœur, les rêves seraient à la fois très courts et très effrayants.

L’auteur note encore les cauchemars de la fièvre typhoïde, parmi les maladies fébriles, rapprochées des maladies de l’estomac. Parfois même le cauchemar, revenant à heure fixe, revêtirait l’aspect d’un accès de fièvre palustre.

Mais, il n’y a que deux cas cités de pronostic précis, l’un est de Galien, l’autre de Macario :

Un homme, ayant rêvé qu’il avait une jambe de pierre, fut frappé plus tard d’une paralysie de cette jambe.

Un ancien ministre de la justice sous Louis-Philippe meurt d’apoplexie trois jours après avoir rêvé qu’il succombait à cet accident.

Enfin, l’auteur, dans un cas de rêve persistant, devenu une obsession et ayant conduit à la folie, hésite entre deux interprétations possibles : celle qui [p. 23] ferait du rêve un symptôme d’un état morbide, l’autre qui attribuerait l’état morbide à l’influence du rêve.

De ces deux sens, il inclinerait plutôt vers celui de signe à chose signifiée, que vers celui de cause à effet.

Nous nous arrêtons ici pour la partie historique générale de la question. Le livre d’Artigues marque un effort louable pour ouvrir une question intéressante ; on s’en occupe de plus en plus aujourd’hui et dans des voies différentes ; on a recueilli quelques faits, donné quelques interprétations; c’est ce que nous allons tâcher de grouper et d’analyser maintenant.

II. — PATHOLOGIE GÉNÉRALE

Le domaine de la pathologie générale n’est pas riche pour ce qui concerne les renseignements à tirer des rêves. Il n’y a que peu d’indications, encore moins de faits et d’observations.

La médecine indoue et chinoise prétendait tirer des rêves les signes généraux de la détermination des affections générales (27).

La réplétion cardiaque est marquée par des fantômes et des monstres effrayants ; l’inanition, par le feu, les flammes, la fumée ; la réplétion pulmonaire, par des combats, des armes, des soldats, et l’inanition, par des plaines, mers, chemins, voyages difficiles. La réplétion rénale, par des fatigues insurmontables ; l’inanition, par le fait de nager avec peine ou de se noyer. Les chants, fêtes, musique, plaisirs marquent la réplétion des canaux de la rate ; les disputes, les batailles, l’inanition. Les forêts inextricables, les montagnes abruptes, la réplétion du foie ; l’herbe, les gazons, les champs et les buissons, l’inanition. Mais ce n’est pas encore là que nous pouvons trouver des vues intéressantes, pas plus que dans les iambes de Nicéphore, où

Niger qui conspectus nuntius est morbi.
et
Vestem ferens nigram infaustum somnium.

L’homme noir, messager de maladie, et la veste noire présageant des troubles du sommeil, cela ne nous renseigne pas beaucoup (28). [p. 24]

Des faits seront donc plus intéressants.

En voici un où un rêve aurait fait présager une atteinte de Ia peste. Notons cependant qu’il y a lieu ici de faire des réserves, la peste étant épidémique, pouvant préoccuper assez l’esprit pour provoquer des rêves indépendamment de l’atteinte du mal. Et même s’il y avait un rapport entre le rêve et la maladie, peut-être que le rêve pourrait être considéré comme une des causes ayant prédisposé à la maladie, suivant une loi connue d’affaiblissement parla crainte, à la suite de l’impression que fit le rêve.

Un chevalier de la compagnie de Douglas, Roger d’Osteyn, s’endort en pleine santé, et, au milieu de la nuit, voit en rêve un pestiféré tout nu l’attaquer avec fureur, le maintenir, après une lutte acharnée, entre ses cuisses, et lui vomir sa peste dans la bouche. Trois jours après, pris de peste, il mourut (29).

A côté de ce fait, il faut placer tous ceux que nous, avons cités dans la partie historique ; en voici encore :

Celui-ci est intéressant, non au point de vue purement séméiologique, mais en tant qu il montre l’influence des sensations organiques sur le cours plutôt, d’ailleurs, que sur la nature des rêves : ces sensations sont interprétées ainsi et assimilées au rêve :

« A une époque où, lecteur assidu de récits de voyages et d’aventures, j’avais l’esprit rempli des idées qu’ils évoquent, je rêvais que j’étais embarqué sur un navire dont le capitaine eut une violente discussion avec moi.

« Nous montons dans un canot pour nous rendre à terre afin de régler notre différend. Nous abordons sur la plage d’une île déserte, et là, nous commençons un duel sans témoins, je tire sur mon adversaire, et je le manque. Il me répond et la balle de son pistolet vient me frapper au côté gauche du front. Étonné de n’être pas mort, je tire de nouveau sur lui et je le manque encore une fois. Il riposte et je reçois encore une balle au même endroit. Le duel continue, et après avoir reçu sept ou huit coups de feu,, toujours à la même place, je m’éveille avec une névralgie violente du nerf sus-orbitaire, dont le siège correspondait exactement à celui de ma blessure imaginaire, tandis que les intervalles qui séparaient chaque élancement douloureux [p. 25] correspondaient très exactement à l’espace qui séparait les coups de feu (30). »

L’auteur signale le rêve comme un signe précurseur d’une folie prête à éclater (31) :

L’observation que voici, citée par Sergueyeff, est plus intéressante, car elle prouve que le rêve peut servir de signe pronostique à assez longue échéance.

Elle a trait à une affection ophtalmique. Notons ici que c’est dans les troubles oculaires que le rêve peut avoir souvent, plus peut-être aue partout ailleurs, une réelle valeur séméiologique. Voici le fait :

« Un savant français fit en Egypte un voyage d’exploration au cours duquel il fut atteint d’ophtalmie. Après retour en France et guérison complète, dix années s’écoulèrent, le savant ne songeait plus à son voyage passé qu’à de très rares intervalles, lorsqu’il s’aperçut, avec une certaine surprise, que l’Egypte et ses localités diverses lui revenaient en rêve, avec une fréquence toute particulière. Cela dura quelque temps, et bientôt se déclara derechef l’affection ophtalmique dont il avait jadis souffert. »

Cette observation est d’ailleurs empruntée à Hervey de Saint-Denis (32), qui cite encore d’autres cas de rêves pronostiques.

C’est ainsi qu’il rêve deux nuits de suite qu’il va avoir une angine, ce qui lui arrive le troisième jour (33).

« Je remarque dans mon journal, dit-il plus loin, qu’à une époque où je fus sujet à des maux de tête capricieux et intermittents, leur retour est souvent précédé, à courte distance, par des rêves où je crus gravir des montagnes et franchir des précipices avec une étonnante facilité (34). »

Un fait très curieux marque bien la finesse des sensations internes pendant le sommeil :

Un de ses amis ne peut souffrir aucun aliment préparé à la graisse. Quand sa cuisinière le faisait sans l’en avertir, il ne manquait jamais de le savoir à ce simple fait que, là nuit suivante, il rêvait marcher dans l’eau. [p. 26]

El il ajoute, non sans quelque exagération :

« Serait-ce qu’une simple coïncidence ayant établi un premier rapport entre quelque sensation morbide qu’on éprouvait une telle nuit et un rêve quelconque que l’on faisait par hasard cette nuit-là même, le rappel du même rêve est la conséquence du retour de la même sensation ? Ou bien existerait-il de bizarres analogies de sensations internes, en vertu desquelles certaines vibrations de nerfs, certains mouvements intimes de nos viscères correspondraient également à des sensations en apparence si différentes. Au premier cas, la corrélation qui s’établit entre tel rêve et tel trouble physique serait toute occasionnelle et toute spéciale pour chaque individu. Dans la seconde hypothèse au contraire, l’expérience pourrait faire découvrir de mystérieuses affinités dont la connaissance deviendrait une science véritable… Or, j’estime que non seulement l’expérience devrait amener à pouvoir préciser la solidarité psycho-organique de chacun de ces différents rêves, mais que l’interprétation sérieuse d’un grand nombre d’autres et, en un mot, une véritable clef des songes, ne serait pas une œuvre irréalisable si l’on parvenait à rassembler et à contrôler l’une par l’autre, une suffisante quantité d’observations. »

Mme de Manacéine cite un rêve très bizarre aussi, auquel elle attribue une valeur séméiologique.

« Beaucoup de personnes voient en songe des poissons, chaque fois qu’elles sont menacées d’une maladie intestinale et gastrique. Feu le professeur Serge Botkine m’a raconté qu’il avait observé sur lui-même une pareille coïncidence, et moi-même j’ai eu plusieurs fois l’occasion de le constater sur une jeune fille qui m’est bien chère. Quelques auteurs qui ont écrit sur les rêves essayent d’expliquer cette coïncidence de certains songes avec certaines maladies, par l’hypothèse que les sensations douloureuses précédant la déclaration d’une maladie, peuvent parvenir jusqu’à la conscience, quand cette dernière se trouve nette, et encore que la forme allongée de l’estomac et surtout des intestins éveille, dans l’esprit du dormeur, l’image d’un poisson. On peut supposer tout ce qu’on veut, mais, quant à prouver la vérité de ce qu’on suppose, c’est une autre question (35). »

L’interprétation par la forme, toute étrange qu’elle puisse paraître, n’est pas cependant absolument [p. 27] impossible. Ne voit-on pas, chez un scrupuleux du Dr Janet, une idée fixe relative au membre génital éveiller la pseudo-hallucination d’une bouteille.

Mme de Manacéine déclare d’autre part que les rêves sont des signes précieux, au point de vue immédiat, surtout chez les enfants.

« C’est un fait que les songes lourds et inquiets annoncent souvent l’approche d’une maladie. Eh bien ! si les enfants gémissent, pleurent dans leur sommeil ; s’ils se lèvent en sursaut d’effroi pendant la nuit, et ne peuvent se calmer (c’est ce qu’on appelle terreurs nocturnes), tout cela dénote déjà un dérangement sérieux de l’équilibre normal, et il devient nécessaire de recourir à l’assistance d’un médecin. Pareillement, l’absence ou la rareté des songes chez les enfants est d’un mauvais augure. Il ne faut pas oublier que le surmenage cérébral dont souffrent à notre époque tant d’enfants et d’adultes, commence tout d’abord par se faire sentir dans les songes (36). »

A côté de faits isolés, on trouve aussi des essais d’interprétation générale et d’établissement de certaines règles de symptomatologie. Debacker (37) est assez célèbre. Il établit que les rêves, les hallucinations nocturnes et les terreurs ont une valeur séméiologique, malheureusement bien indéterminée; ils peuvent maquer des empoisonnements saturnins ou être dus à la quinine , apparaître par suite d’indigestions gastriques ou intestinales, de constipation, de vers intestinaux, de méningite tuberculeuse et d’hydrocéphalie chronique, quand il ne s’agit pas d’une dépression de convalescence, d’anémie, d’onanisme, quand enfin cela n’est pas dû à des causes purement psychologiques.

La persistance du rêve lui parait marquer la démence et il y aurait aussi dans les rêves des signes de l’hystérie et de l’épilepsie, tels que le somnambulisme.

Selon lui, les rêves d’animaux peuvent apparaître héréditairement (38) chez les fils d’alcooliques qui verraient [p. 28] surtout des chats, chiens, chevaux, lions ou puces, punaises, hannetons. Il est bien certain que les animaux qui apparaissent ainsi sont ceux qui sont le plus familiers. Enfin cela se produit chez les nourrissons par intoxication alcoolique transmise par le fait de la nourrice (39). Et il y a là un moyen de reconnaître si la nourrice s’enivre.

Il donne enfin une observation qui montre, et ce n’est pas là une observation isolée, l’importance du rêve au sang dans la menstruation féminine.

Une jeune fille de treize ans, non encore réglée, a commencé par avoir des rêves terrifiants avec hallucinations, d’abord la nuit, puis en plein jour ; elle a vu des arbres couverts de sang; elle rêve de forêts, a remarqué du sang sur ses souliers. Elle aperçoit souvent des hommes vêtus d’une blouse blanche et très longue, qui marchent d’arrière en avant et veulent l’assassiner. Elle a, en même temps, de grands maux de tête et de ventre (40). Dès l’apparition des règles, il y a disparition de ces phénomènes.

A propos de la n^enstruation, Nelson remarque qu’à cette époque et pendant la grossesse, la femme rêverait davantage (41).

Tissié donne quelques indications :

Les rêves d’origine circulatoire ont, selon lui, pour caractéristique un sentiment de peur, d’angoisse, accompagné de représentations spéciales, telles que des incendies et des chutes (42).

Ceux d’origine respiratoire éveillent, chez le dormeur, la sensation d’oppression et d’étouffement (43).

Voici à ce propos quelques observations citées :

« Sarah, dix-neuf ans, pleurésie aiguë devenue purulente, entrée à l’hôpital le 2 novembre 1888 ; les cauchemars [p. 29] commencent huit jours après. Ils se produisaient surtout dans l’après-midi vers trois heures : elle se voyait enfermée dans une chambre ; les murs se rapprochaient les uns des autres, elle ne voyait plus ni porte, ni fenêtre; le plafond s’abaissait peu à peu, elle ne pouvait respirer; elle étouffait. Elle avait froid sur tout le corps et ne pouvait parler, car sa voix expirait sur ses lèvres. Elle entendait ses voisines de lit causer entre elles et ne pouvait remuer. Sachant qu’elle avait le cauchemar, elle s’écriait : « Mais réveillez-moi. » Celles-ci entendaient quelque chose, mais ne pouvaient distinguer ce qu’elle leur disait ; elle croyait cependant crier bien fort. Dans le sommeil du jour seulement, la malade avait conscience de son cauchemar, mais jamais dans le sommeil de la nuit, qui était à peu près le même. Une ponction fut faite en fin décembre, l’empyème fut pratique le 12 janvier 1889 cette malade n’a plus de cauchemar depuis la fin du mois de mars. »

« Jean, quarante-cinq ans, emphysémateux, fait toujours le même rêve : il est poursuivi par les gendarmes, il veut fuir, mais il ne le peut; il ressent un poids sur la poitrine, il est oppressé, il se réveille alors tout haletant.

« M…, cinquante-neuf ans, employé de commerce, me dit que, depuis 1880, il a le même cauchemar à peu près toutes les semaines. 11 correspond toujours à un état de préoccupation d’esprit (femme folle, fille et fils morts, perte d’argent) ; depuis cette année, il en a moins, il attribue cela au calme relatif de son existence. Il dit aussi ne pas tant souffrir de ses accès d’asthme. M… est emphysémateux. Il se voit poursuivi dans son sommeil. .11 ne peut échapper à ses ennemis, il étouffe, il se réveille haletant, voit passer des nuages devant ses yeux; il reste étourdi pendant trois ou quatre minutes; il veut parler, mais il ne le peut; progressivement sa respiration revient. »

Pour ce qui a trait à la digestion, Tissié remarque que les rêves procurent des images gustatives (44).

Si l’affection est profonde, les malades ont des rêves effrayants avec une impression de pesanteur et d’angoisse pouvant être très violente. Enfin, en ce qui concerne l’innervation, l’auteur rapporte un exemple de Faure, où un rêve annonça à l’avance la paralysie générale (45). Il donne aussi une observation : [p. 30]

« Observé, dans le service de M. Pitres, un ataxique, atteint depuis sept mois d’atonie génitale à i*état de veille, qui, dans le sommeil, avait des rêves érotiques dans le sens le plus large du mot. Il avait, en outre, des rêves sympathiques à son affection dans lesquels il se trouvait entouré d’eau. Il essayait vainement de fuir, car il sentait qu’il ne pouvait marcher que difficilement. »

Tissié parle encore de l’influence sur les rêves de la fièvre, du parasitisme, du tellurisme, du saturnisme, dans le même sens que Debacker (46). Il note aussi les rêves d’animaux chez les alcooliques.

En général l’auteur croit que les maladies débutent par un travail pathologique, inconscient à l’état de veille, et pouvant provoquer des rêves.

Enfin, citons cette observation qu’il nous donne et où le diagnostic fut puissamment aidé par les rêves :

Ladreit de la Charrière a observé un cas de tubercules du cerveau, chez un enfant qui n’entendait plus que d’une façon obtuse. Il conclut à une surdité cérébrale et son diagnostic fut heureusement aidé par la constatation des phénomènes de terreurs nocturnes que l’enfant présentait à un haut degré. Lui, qui était presque complètement sourd à l’état de veille, entendait des voix la nuit, il en avait peur, il criait et avait toujours l’oreille au guet. Trois mois après, il mourait de tubercules cérébraux. »

Voici quelques remarques générales dues à Blocq et Onanoff (47) :

« Dans les maladies de l’appareil circulatoire, les rêves sont le plus souvent très courts et rapidement terminés par un réveil en sursaut. Ils portent sur des événements tragiques, sont accompagnés d’anxiété et dominés par des idées de mort. Les affections des voies respiratoires prêtent à des rêves effrayants, ce sont celles où l’on observe le plus le cauchemar au sens pathologique du mot. Le rêve porte fréquemment sur des animaux que le dormeur croit voir s’asseoir sur sa poitrine ou s’attacher à son cou. Il s’ensuit des sensations d’étouffement et d’angoisse très pénibles. Certaines catégories de rêves sont également plus ou moins habituelles chez les sujets atteints de maladies des voies digestives. Pour plusieurs auteurs, les terreurs [p. 31] nocturnes des enfants seraient révélatrices d’une bradypepsie intestinale. Les rêves en rapport avec les troubles digestifs sont ordinairement constitués par des hallucinations gustatives accompagnées de sensations de pesanteurs épigastriques. »

Tout récemment les terreurs nocturnes ont fait l’objet d’une élude de Graham Little qui détermine et délimite leur signification séméiologique.

L’auteur, à la suite de ses recherches personnelles, s’est fait cette opinion que les terreurs nocturnes sont produites par une excitation réflexe déterminée presque toujours par une dyspnée modérée, mais prolongée, et qu’elles apparaissent dans les premières heures de sommeil de l’enfant. Les sujets examinés présentaient, en grand nombre, des signes cardiaques, mais aucune affection des organes respiratoires. C’est que ces dernières donnent lieu à des symptômes trop grossiers, trop violents; tandis que la dyspnée cardiaque est en bonne condition pour provoquer ces incitations réflexes subtiles qui restent dans la subconscience, en développant un sentiment de terreur.

Voici les conclusions finales de son travail :

I. Les terreurs nocturnes sont dues, dans la grande majorité des cas, à des désordres produits par une dyspnée modérée, mais prolongée.

II. Un nombre prépondérant de cas se trouvent chez des sujets rhumatisants atteints d’affections cardiaques précoces.

III. Une proportion considérable de cas sont dus à l’obstruction des cavités nasales.

IV. Les troubles digestifs ne méritent pas l’importance qui leur a été souvent assignée.

V. Les rapports entre l’apoplexie et les teneurs nocturnes sont très faibles.

VI. Les crises surviennent dans la subconscience du premier sommeil et sont particulières aux jeunes enfants au-dessous de la puberté (48).

Plus récemment encore Klippel et Lopez parlent du rêve comme symptôme pour le diagnostic.

Ils rappellent les anciens signes : les troubles circulatoires se manifestant, dans la congestion, par la vue de fantômes effrayants et dans l’anémie par la vision du feu, [p. 32] les affections rénales par des obstacles insurmontables ; et les maladies de foie par des montagnes abruptes et des forêts inextricables. Ils trouvent une voie plus scientifique dans l’étude des toxines et rapprochent des rêves de l’alcoolisme ceux des maladies toxi-infectieuses.

C’est ainsi que la zoopsie, considérée généralement comme caractéristique de l’alcoolisme leur est apparue dans des maladies telles que la pneumonie, la fièvre typhoïde, la grippe, sans qu’on puisse seulement soupçonner même l’alcoolisme, les malades ne buvant que de l’eau ; et, d’un autre côté, le rêve professionnel est encore plus fréquent selon eux dans les affections aiguës. Ils citent un cas de typhique, non alcoolique, et qui eut du délire professionnel absolument net.

Le dernier caractère de ce genre, qu’ils signalent dans les maladies infectieuses, est le rêve prolongé, que nous verrons fréquemment chez les hystériques et les demi- aliénés, et ils le signalent particulièrement dans les fièvres typhoïdes. Ils en donnent un cas. Un jeune homme de vingt- cinq ans, atteint de cette affection, délirait la nuit, se disant déserteur et se croyant près de partir au Transvaal ; répondant bien aux questions qu’on lui posait, et la croyance au rêve se prolongeait plusieurs jours (49).

MM. Klippel et Trenaunay ont ensuite publié une nouvelle observation, très curieuse ; il s’agit d’accidents cérébraux survenus au cours d’une forte attaque rhumatismale, accrue d’ennuis moraux (50).

« 16 juin. — Nous lisons dans le rapport du veilleur (51) : « Le numéro 30 a été pris cette nuit à deux heures, d’un accès de folie. Il s’est levé, et comme je lui demandais pourquoi, il m’a répondu que le président Carnot venait le chercher dans son landau. Il a ajouté : « Entendez-vous le beau discours qu’on lui fait ? » — « Je lui dis de dormir. — « La nouvelle loi qui vient de passer, répondit-il, est de ne pas dormir. » Deux ou trois heures plus tard, je l’ai [p 33] entendu dire : « J’ai serré la main du président. C’est à lui ce mouchoir. C’est à mon cher Carnot, c’est lui qui me l’a donné. D’ailleurs, je suis de la haute noblesse. Laissez- moi; la voiture va venir nie chercher, et je vais être en retard. » Le matin, avant notre arrivée, la sœur lui présente comme d’habitude une assiette de soupe. Voici ce qu’il répond : « Non, on m’a défendu de manger. — Qui donc, lui demanda-t-on ? — Un haut personnage. » II mange cependant, mais croit avaler du chocolat. Puis il reprend : « Tout à l’heure, vous allez voir le czar, l’empereur de Cochinchine. C’est épatant ! Madame Durand. Figurez-vous que l’on m’a fait entrer dans une cage à lion. Si je n’ai pas eu peur, c’est que mon mouchoir est magique. Tenez, regardez, c’est rempli de lions, ici. Je vais embaumer mon mouchoir. Pensez donc ! le président qui s’en est servi ! comme cela, il se conservera plus longtemps. »

On conçoit que l’attention de ces auteurs ait été vivement attirée par ces faits.

« A la visite du matin, nous trouvons le malade endormi. Il se réveille, paraît étonné de nous trouver là, et ne nous reconnaît pas. Nous l’interrogeons. Il ne sait pas où il est, ni pourquoi il est là. La sœur nous remet une lettre qu’il a écrite au président Carnot. Enfin, répétant en partie ce qu’il a écrit, il nous fait un récit dont voici le résumé : Ce matin à deux heures, le président Carnot (52) est venu le chercher en landau pour l’emmener en Chine et à Tombouctou. En Chine, il a dansé une gavotte avec Mme Carnot, pendant que le président chorégraphiait avec les sultanes du sérail, loin de la surveillance du sultan, à ce moment malade. Carnot était en redingote, avec le grand cordon en sautoir ; lui-même était en grand vizir. Ils sont ensuite, Carnot et lui, revenus en landau par les Champs-Elysées. Carnot lui a envoyé pour ce soir une invitation à l’Elysée. Il voudrait bien s’y rendre ; aussi est-il très étonné de se trouver là, couché sans être malade, et se plaint de ne pouvoir se lever (il est, en effet, retenu au lit par une alèze).

« Dans un examen méthodique du malade, on reconnaît qu’il ne se souvient plus des derniers événements de sa vie : tous les objets qu’on lui présente sont interprétés suivant son délire. Il faut noter que la langue est épaisse et recouverte d’un enduit jaunâtre épais. Le lendemain, [p. 34] délire encore la nuit, puis sommeil calme. Au matin, il parait normal, mais des interrogations sur son rêve le font retomber dans son délire, et il interprète à nouveau systématiquement les objets qu’on lui présente : du pain est un caillou ramassé à Tombouctou, le lait est le suc d’une plante vénéneuse, la fourchette est un trident de Malgache, a langue est toujours très blanche. Deux jours après, le rêve est légèrement modifié, mais persiste encore. Il s’agit cette fois de la Gaule et des Druides ; sa langue est moins sale. Le lendemain il ne se souvient plus de son délire, et est redevenu complètement raisonnable ; or, cette fois, la langue est tout à fait normale. L’évolution du délire du rêve est donc restée parallèle à cette infection linguale. »

Enfin, nous avons apporté quelques documents personnels qui, ayant été déjà publiés (53), peuvent prendre place dans notre mise au point critique.

« Quelques mots d’abord sur la méthode avec laquelle les rêves ont été recueillis. Les personnes appartenaient à notre milieu et pour la plupart, nous étions à même d’en suivre l’état mental antérieur et postérieur au rêve, de sorte que l’on pouvait observer l’intervalle qui séparait le rêve du diagnostic qui fut fait de la maladie. Aucun des sujets n’a pu connaître en aucune manière le but et le sens de ces recherches et enfin les médecins qui firent le diagnostic le firent indépendamment d’elles. Les sujets avaient raconté leurs rêves spontanément dans la journée qui suivit le réveil. En moyenne les premiers symptômes suivirent environ quarante-huit heures après. »

Nous avons pu recueillir à ce propos treize observations précises et nous les donnons comme telles, grâce à la méthode avec laquelle nous avons pu les enregistrer.

Observation I. — « Petite fille de trois ans et demi, couchée dans un lit de cuivre fermé, elle rêve qu’un menuisier, qui a la figure de son médecin, fixe un étau sur le côté de son lit et y enserre sa tête ; elle fait son possible pour se dégager et passe son bras hors de son lit, pour desserrer l’étau avec une telle force qu’au réveil elle portait une grande marque à son bras dont elle se plaignit. [p. 35] Elle fut prise peu après d’une forte fièvre et le médecin, appelé en toute hâte, reconnut une méningite (4 mai 1899). »

Observation II. — « Petite fille de huit ans. Elle raconte un matin avoir rêvé qu’elle était aux Champs-Elysées avec sa bonne. Un camion passa avec des caisses qui menaçaient de tomber ; le cocher arrêta alors sa voiture, descendit de son siège, et s’efforça de la remettre en équilibre. Elle s’approcha avec curiosité. Le cocher l’attrapa aussitôt, la mit sur son camion et lui posa une caisse sur la gorge, en lui expliquant que c’était pour la faire tenir en équilibre. Elle crie ; on la réveille (21 février 1900). Quelques heures après, elle suffoquait déjà et une angine se déclarait, reconnue par le médecin dès son arrivée. »

Observation III. — « Jeune fille de quinze ans et demi, assez nerveuse, rêvant beaucoup et se souvenant très bien de ses rêves qu’elle avait l’habitude de raconter à sa mère. Elle rêve une nuit qu’elle est demandée en mariage par un jeune homme qu’elle déteste ; elle refuse naturellement ; mais ce dernier, pour la forcer à accepter, la renverse à terre et, lui mettant un genou sur la gorge, lui enfonce des ordures dans la bouche pour l’empêcher de crier. Quatre jours après, une angine se déclara que le médecin reconnaît être une angine gangreneuse qui dura très longtemps (12 décembre 1900). »

Observation IV. — « Dame de quarante et un ans (15 novembre 1900), femme sans instruction, assez superstitieuse. Elle vient raconter un matin un « drôle de rêve ». Elle a rêvé la nuit qu’une de ses voisines vint la voir, ayant autour du cou un serpent qui, aussitôt, sauta sur elle, lui entra par la bouche et chercha à sortir par l’oreille. Elle pensa à sa petite fille qu’elle aime beaucoup et qui se trouvait à côté d’elle ; elle craignit que le serpent, une fois sorti, n’allai la piquer. Elle le retint alors, en comprimant son oreille. Mais le serpent la mordit, elle souffrit beaucoup et entendit aussitôt les sifflements de colère de l’animal. Au réveil, très frappée par ce rêve, elle regarda son oreille et s’aperçut qu’elle l’avait écorchée dans cette lutte. Elle n’était pas très éloignée d’attribuer à ce rêve une valeur symbolique au point de vue de l’avenir. Trois jours après, comme elle n’y pensait déjà plus, elle eut un écoulement purulent dans l’oreille, et, ce qui lui rappela son rêve, elle entendit des sifflements identiques à ceux qu’elle attribuait au serpent. »

Observation V. — « Dame âgée de quarante-deux ans (2 septembre 1896), bien portante, habituée dans une certaine mesure à s’analyser elle-même. Son attention était toujours portée du côté de ses rêves et elle avait la bonne habitude d’en écrire un certain nombre, dans un but purement [p. 36] littéraire, à ce qu’elle disait. Un matin, elle nous raconte que, durant la nuit précédente, elle a eu un rêve que nous pouvons ainsi résumer : « J’étais toute nue dans un bain turc, et bien qu’un thermomètre, placé à côté de moi, me montrai qu’il devait faire une température considérable, j’avais froid et je grelottais beaucoup. Je voulais monter les quelques marches qui me séparaient du haut de l’estrade, mais le froid que je sentais en moi-même me figeait sur place. J’ai eu froid toute la nuit et je me suis réveillée plusieurs fois, trempée de sueur et, bien qu’ayant une couverture assez épaisse, j’avais réellement froid. »

Le lendemain, le médecin constata une fièvre assez intense, 39%2. Cette fièvre la tint au lit pendant quinze jours, sans que ce rêve se soit renouvelé dans les nuits suivantes. »

Observation VI — « Dame âgée de trente-trois ans (14 avril 1897), d’instruction moyenne etl n’ayant aucunement le loisir et l’habitude de s’analyser elle-même. Selon les habitudes du milieu, au déjeuner du matin, parlant à sa famille d’un enfant qui avait été malade la nuit, elle raconta que, chose bizarre, elle qui se vantail de n’avoir jamais rêvé, elle se vit en rêve toute trempée de sueur, et cherchant dans la maison, sans le trouver, un verre d’eau fraîche pour apaiser une soif qui la torturait. La maison lui paraissait un labyrinthe où elle ne pouvait trouver ni une porte, ni un buffet. Le lendemain, elle se leva fatiguée comme après une course de plusieurs lieues et garda une soif qu’elle ne put apaiser de la journée. Quinze heures après, elle se plaignait d’avoir froid, et le médecin, appelé seulement le lendemain, constata une fièvre typhoïde au début et qui dura deux mois.

Observation VII — « Jeune homme, âgé de dix-huit ans, raconte à sa famille le rêve suivant le lendemain d’une nuit où il est bien portant (11 juin 1897) : « J’ai rêvé qu’on m’avait conduit à la foire et après m’être amusé toute la journée, un forain m’habilla de force en hercule, m’amena dans une baraque et me força à soulever des poids en public. Il me mettait des poids sur la poitrine, pendant que je criais, que je me débattais, et que je le suppliais de me laisser rentrer à la maison. Mais lui, faisant la sourde oreille, ajoutait toujours de nouveaux poids. Alors je me suis évanoui et je me suis réveillé en criant. » Deux jours après, il commença à se plaindre de maux de gorge accompagnés de fièvre, et le médecin constata une bronchite aiguë, qui le tint au lit plusieurs jours.

Observation VIII. — « Vieillard, âgé de soixante-cinq ans. Intelligence assez vive ; depuis sa jeunesse, il se plaisait à des analyses très compliquées de ses états d’âme. Le rêve l’avait toujours préoccupé par sa genèse et sa valeur, et [p. 37] surtout à la suite d’une lecture d’Hippocrate qu’il connut vite à fond. Le 3 août 1895, il se réveilla avec un état d’angoisse assez particulier et nous raconta, trois heures après, le rêve suivant : « J’ai rêvé de quelque chose de bizarre dont je ne me rappelle que quelques détails. Il me semble que j’avais rêvé toute une vie, mais les choses passaient si vite dans ma pensée, que je n’ai pu rien retenir. Il m’a semblé que des personnes bizarres faisaient de ma poitrine comme un soufflet et me forçaient à activer ou arrêter ma respiration, suivant leur caprice. Ensuite, d’autres personnes dont je ne garde qu’un souvenir très vague, me mettaient du sable dans la bouche, me fermaient les yeux et me donnaient des coups de marteau dans la tête. » Toute la journée il fut fort inquiet de ce rêve. Il faut ajouter qu’il était depuis quelques jours dans un état d’anxiété provoqué par des émotions que nous avons intimement connues. Dans la journée même, douze heures après le réveil, il eut une syncope qui dura plusieurs minutes et l’obligea à garder le lit pendant plusieurs jours, à la suite des troubles circulatoires et respiratoires qu’elle provoqua. »

Observation IX. — « Dame, âgée de vingt-six ans, femme du peuple, nous raconta, dix heures après son réveil (12 mars 1896), qu’elle avait rêvé d’un monstre qui s’était glissé dans son estomac et qui, avec une vrille, perforait ses intestins ; il laissa dans son estomac des matières putrides. C’est tout ce qu’elle put retenir d’un rêve plus long. Toute la journée, elle-se plaignit de sentir comme du plomb dans son ventre. Il y avait probablement là une influence suggestive. L’intérêt de cette observation réside en ce que, à partir du lendemain, elle ne put aller à la selle et que, malgré une dose très forte d’huile de ricin, elle ne put y aller qu’après quarante-huit heures. Elle fut enfin fortement constipée pendant huit jours et pour la première fois, selon ses dires. »

Observation X. — « Garçonnet, âgé de dix ans, se réveille dans la nuit (13 novembre 1898), tout étonné d’un rêve qu’il raconte à peu près ainsi : il- lui a semblé qu’un géant lui avait serré la main et le cou avec un cordage de navire et qu’il tirait tellement fort que sa langue lui était sortie de la bouche et que ses yeux était devenus comme des yeux de grenouille. Il ne sut pas bien comment il avait échappé. Il avait couru sur des bateaux, traversé des forêts, gardant quand même son cou serré, le géant ayant fait un nœud inextricable. Dans la journée, il fut tellement influencé par le rêve qu’en le racontant à sa famille il mettait constamment ses mains à son cou sans le vouloir. Le lendemain, le croup se déclarait et le diagnostic fut ratifié par le médecin. »

Observation XL — « Garçon de douze ans (28 décembre [p. 38] 1898) raconte à sa mère devant nous que, la nuit, il a rêvé d’un « drôle de monsieur » qui, avec des ciseaux en carton, lui avait coupé morceau par morceau l’index de la main droite et qu’une bonne femme, habillée en Espagnole, avait frotté ses oreilles avec des orties. Dans la journée, la mère remarqua que les oreilles de l’enfant et l’annulaire de la main droite (et non l’index) étaient le lieu de troubles circulatoires que le médecin déclara être de la congélation ; le garçon, étant alors en vacances, s’était amusé dehors, pendant un froid de — 18°, à se battre avec des boules de neige pendant plusieurs jours de suite. »

Observation XII . — « Vieille dame, âgée de soixante-dix ans, d’habitudes casanières, qui s’était toujours bien portée et qui jamais n’avait remarqué de troubles digestifs ; elle rêvait rarement, paraît-il. Elle raconta le rêve suivant que nous reconstituons, d’après les données incomplètes de ses phrases (18 août 1897). Elle digérait des clous de fer et, par sa bouche entr’ouverte, des inconnus lui versaient du bitume tellement chaud qu’elle sentait son corps brûler. Dans son ventre, elle avait plus de 100 kilos de poids. Des rêves analogues se reproduisirent plusieurs jours de suite ; elle y remarquait toujours la sensation de poids et des matières difficiles à digérer. En même temps son appétit diminuait et le médecin, huit jours après, diagnostiqua des troubles dyspeptiques graves ; elle fut malade plusieurs mois. »

Observation XIII. — « Homme de trente ans avait été atteint de blennorragie ; il rêva une nuit que ses testicules contenaient comme du plomb, et que des coups de lancette et des aiguilles rougies au feu les traversaient à intervalles à peu près réguliers. Le lendemain le médecin, constata une orchite (11 mai 1898). »

Nous pouvons ajouter que lorsque nous communiquâmes ces observations à la Société d’Anthropologie (séance du 18 avril 1901), M. Manouvrier cita quelques exemples qu’il observa lui-même dans les hôpitaux ; et en particulier le suivant :

Alors que le chirurgien avait diagnostiqué un abcès de la fosse iliaque, le malade, lui, dans un rêve, indiqua la région dorsale comme siège de cet abcès. Et en effet, on reconnut qu’il s’agissait d’un abcès dorsal qui avait fusé dans la région abdominale.

Le petit nombre de faits observés, ajoutions-nous, dans ce domaine de la pathologie générale et le bien plus petit nombre encore de faits « bien observés » [p. 39] nous permet-il de donner des conclusions très nettes ?

Certes non.

Nous ne pouvons pas^ dire que rêver telle ou telle chose est symptôme de telle ou telle maladie. Nous avons nous-mêmes observé des faits en tout semblables à d’autres qui précédèrent des maladies et qui ne furent suivis d’aucun état morbide ; il est vrai qu’il paraît s’agir de troubles avortés ou d’un faible malaise actuel. Et, à vrai dire, il n’y a guère de prodromes ou de symptômes en médecine dont l’apparition isolée puisse faire présager ou diagnostiquer à coup sûr une maladie déterminée. Et d’autre part on peut encore moins dire qu’étant donné une maladie déterminée, un rêve précis l’accompagnera ou la précédera certainement. Il y a des quantités d’observations ou l’on n’a remarqué aucun rêve particulier avant ou pendant telle ou telle maladie. Il est vrai que peut-être il n’y eut pas souvenir de ces rêves.

Mais en tout cas, il est certain que le rêve n’est ni un prodrome, ni un symptôme, ni nécessaire, ni suffisant. Et cela est d’ailleurs le cas pour la plupart.

Voici donc ce que nous pouvons dire à ce propos :

Il y a lieu, en règle générale, de tenir compte des rêves pour le pronostic ou le diagnostic des maladies. Le rêve aura une importance particulière dans les maladies infectieuses. C’est ainsi que le rêve professionnel, la zoopsie, la prolongation du rêve se manifestent dans les fièvres typhoïdes par exemple. Il sera capital dans les affections localisées ; dans les maladies intestinales, cardiaques, pulmonaires, etc., et dans les abcès, ulcères, cancers, etc.

Dans l’observation des rêves, il y a lieu naturellement de négliger les détails, la trame du rêve en quelque sorte. Ce dont il faut tenir compte, c’est des points en relief, tels que la nature de la douleur, l’organe ou l’endroit qui en paraît être le siège, l’impression faite sur le rêveur.

Eh bien, en particulier, toutes les fois qu’une personne se réveille effrayée par un rêve dans lequel sont intervenus des éléments somatiques, soit accompagnant le rêve (angoisse, étouffement), soit intégrés dans le rêve lui-même (gorge écrasée, coups d’épée ou depistolet) et que cette personne a eu la sensation pénible [p. 40]du rêve s’imposant à elle, sans qu’elle puisse l’écarter, on doit se tenir sur ses gardes. Car il est tout à fait certain que ce rêve a un substratum physique, qu’il y a eu dans le sommeil un trouble pathologique. Il peut n’être qu’accidentel et passager, dans une mauvaise digestion, une position défectueuse, un manque d’aération de la pièce. Mais il peut être plus grave et signaler un état morbide véritable, tel qu’une maladie de cœur ou une affection pulmonaire.

Quand interviennent des ordures ou des impressions nauséabondes, il est probable qu’il y a infection.

Les rêves qui annoncent un point précis du corps sont les plus faciles à interpréter ; ou il s’est produit à cet endroit un choc externe, ou il y a une névralgie, ou il se développe là un trouble plus grave, phlegmon, cancer, etc. La nature du rêve est alors presque toujours une interprétation symbolique de la douleur, plus nette souvent que les explications embarrassées des malades qui, ne savent comment exprimer une douleur ; ils cherchent une comparaison, le rêve la donne toujours bien : les coups de pistolet répétés indiquent la névralgie, les coups d’épée, la douleur en broche de certains ulcères. Enfin, la place exacte de la douleur est souvent mieux sentie que dans la veille, où elle reste parfois assez vague. Aussi le rêve est précieux pour donner des notions précises sur des troubles qui, au début, restent souvent vagues.

Mais son intérêt immense, c’est que, quand il existe comme prodrome, c’est lui qui apparaît en premier. Or, dans les maladies où le diagnostic a besoin d’être fait très vite, comme le croup ou la méningite, il est évidemment précieux.

Aussi faudrait-il que les médecins recommandassent aux familles que, dans les cas où de tels rêves viendraient à se produire, ou chez les enfants dans les cas de terreurs nocturnes, ils n’hésitent pas à consulter, surtout si, après le rêve, l’état de la personne n’est pas absolument normal. Il y a là une précaution souvent utile et que l’on a toujours négligé de prendre. Il y aurait lieu de le faire maintenant et l’on verra alors la véritable utilité médicale de la psychologie, qu’on   a trop souvent tort de négliger. [p. 41]

III. — PSYCHOPATHIES

Avant de parler du rôle du rêve dans l’aliénation mentale, il y a lieu de consacrer une partie, qui n’est peut-être pas la moindre, à des cas d’influence anormale du rêve sur la vie de la veille chez des individus évidemment aux confins de la folie véritable, qui s’en éloignent souvent très peu, mais qu’on ne considère pas comme des aliénés, et qui ne relèvent pas en général des asiles, mais sont des psychasthéniques, dégénérés, impulsifs et obsédés, mystiques et scrupuleux.

Chabaneix (54) montre que les manifestations subconscientes de l’esprit sont très fréquentes chez les intellectuels qu’il a particulièrement interrogés et, parmi elles, celles qui résultent du rêve sont les plus fréquentes et les plus importantes. Il prouve ainsi l’influence incontestable de la vie du sommeil sur la veille, tout en reconnaissant l’influence réciproque.

Un certain P. B… (55) nous raconte une curieuse observation : Après un rêve où il avait vu sa femme morte depuis peu, un homme déprimé par la fièvre jaune, dont il n’était remis que depuis très peu de temps, eut une hallucination visuelle intense au réveil : il vit sa femme rester longtemps devant lui, puis sortir par une porte où il voulut la suivre; et il se trouva en chemise de nuit dans la pièce voisine où étaient ses enfants et sa sœur.

Une observation de Brodie présente un cas beaucoup moins grave ; elle est citée par Hack Tuke :

« Un de mes amis vit le matin à son réveil un personnage, habillé en Persan, debout au pied de son lit. Il le voyait aussi nettement que les chaises et les tables de la chambre ; aussi fut-il sur le point de se lever et d’aller voir de près quel était cet objet ou ce personnage. Mais en regardant avec plus d’attention, il s’aperçut que, tout en voyant le personnage aussi bien que possible, il distinguait nettement la porte derrière lui. A ce moment, la vision s’évanouit. Mon ami se souvint alors qu’il avait eu un songe dans lequel l’image du Persan avait joué le rôle principal (56). » [p. 41]

Nous rapprochons, à titre de renseignements des faits cités, ce que rapporte J. Sully :

Le physiologiste Gruthuisen eut un songe dans lequel il vit une flamme violette qui, pendant un temps appréciable après son réveil, lui laissa l’impression d’une tache jaune complémentaire (57).

Cette influence du rêve sur la veille, on a cherché à l’utiliser par une influence préalable sur le rêve, devant ainsi se répercuter sur la vie normale.

M. Paul Farez (58) s’est aussi beaucoup occupé de suggestion dans le sommeil naturel ; il arrive par certains procédés à se faire écouter du dormeur et il lui suggère alors les rêves qu’il croit utiles.

D’une autre manière, mais en se fondant sur le

même principe, Corning (59), ayant observé que les rêves sont souvent produits par les sensations extérieures qui précèdent le sommeil, veut agir sur eux au moyen de vibrations musicales avant le sommeil, et ainsi agir par contre-coup sur la vie de la veille elle-même. On transmet les vibrations au malade au moyen d’un bonnet relié à un phonographe, et on les unit avant le sommeil à des images chromatoscopiques dont l’influence est somniférente. Leur action matérielle produit de très bons effets pour la guérison des phénomènes neurasthéniques; on y peut ajouter l’influence spirituelle de la parole.

Remarquons deux cas de cette nouvelle thérapeutique.

M. L…, dont les rêves morbides auraient été complètement transformés en rêves plus agréables.

M. S…, dont les idées fixes disparurent par ce moyen ; il faut faire appel, non à la simple action matérielle des vibrations, mais à des associations psychologiques éveillées par l’harmonie musicale, pour l’expliquer.

Un dentiste a récemment imaginé quelque chose [p. 43] d’analogue : M. Drossner (60) a eu l’idée d’adjoindre à

L’anesthésie par le protoxyde d’azote, l’exécution d’un morceau de musique.

Les sensations musicales, provoquées simultanément avec l’anesthésie, exercent, paraît-il, une action favorable, en substituant au rêve terrifiant habituel qui parait avoir pour origine les sensations auditives provoquées par les bruits venant de la rue, un rêve musical et harmonieux. Pour obtenir ce résultat, l’opérateur se sert d’un phonographe pourvu de deux conducteurs reliés à des coquilles facilement adaptées aux oreilles du patient. Celui-ci reçoit en même temps l’anesthésie à l’aide d’un masque facial et un air par la communication phonographique.

Les travaux de M. Näcke (61) signalent aussi l’empiétement de la vie du rêve sur celle de la veille :

En criminologie, on rencontre fréquemment des actes, incendiaires, par exemple, qui sont dus à l’action suggestive des rêves. Il cite un cas de crime commis dans la somnolence du demi-sommeil, consécutivement à un rêve oui le déterminera. Parfois le suicide peut être dû à l’amplification dans le sommeil de petits désagréments de la vie normale.

Pour lui, le rêve représente le caractère de l’individu : « Dis-moi ce que tu rêves, je le dirai qui tu es ».

Il s’est occupé aussi des rapports du rêve et de la sexualité. Il remarque comme une menstruation masculine, marquée par le retour périodique, tous les vingt-cinq jours, de rêves érotiques. Rappelons à ce propos ce que nous avons vu de l’influence de la menstruation féminine sur les rêves qui sont alors, en général, des rêves de sang.

Il pose la question des rapports des pollutions inconscientes avec l’épilepsie larvée. En tout cas, l’interruption de la pollution lui parait un aussi grave symptôme dans le sommeil que dans la veille.

Enfin, il remarque surtout l’importance du rêve au point de vue psychologique « charaktérologisch » et diagnostique. L’inversion, les perversions sexuelles se reflètent d’après lui dans les rêves comme dans un miroir. Et le rêve érotique joue un rôle très important au point de vue [p. 44] médico-légal en ce qui concerne les fausses accusations des hystériques.

Il cite la remarque de Pitres, qu’à la suite des rêves de coït, les hystériques ressentent de grandes douleurs aux parties génitales, à cause d’une contracture vaginale persistante. Citons enfin avec lui ce passage de Féré, à propos de l’inversion sexuelle :

« C’est surtout dans les rêves que l’inversion est bien caractérisée. C’est un fait qui est fréquent et peut-être même constant chez les invertis précoces ; il parait même exister des cas dans lesquels l’inversion est exclusivement limitée aux rêves » (62).

Le rêve a donc une grande importance au cours des inversions sexuelles, dans le cas où on les traite; c’est ainsi que dans un cas suivi de guérison d’un homme, on vit d’abord apparaître des rêves erotiques ayant une femme pour objet (63). Autrement l’inversion, d’après les observations de MM. Charcot et Magnan, se manifeste naturellement dans les rêves ; ainsi deux jeunes filles inverties avaient des rêves voluptueux concernant les jeunes filles aimées (64), et un masturbateur kleptomane de tabliers blancs rêvait constamment de tabliers blancs, avec lesquels il se masturbait (65).

De même les travaux criminologiques de Näcke sont confirmés par diverses observations :

Faure (66) déclare que :

« L’effet produit par un rêve sur un esprit en défaillance [p. 45] a pu occasionner une détermination fatale, le suicide, un meurtre, une dénonciation. » Et il cite le cas suivant :

« La veuve School entend pendant trois nuits une voix qui lui dit : tue la fille. Elle résiste d’abord et chasse cette idée en s’éveillant, mais l’idée ne tarde pas à devenir fixe ; elle ne disparaît pas avec la veille et, quelques jours après, la malheureuse mère immole son enfant (67). »

Voici un exemple de kleptomanie produite ou simplement réfléchie par les rêves.

X…, père fou et alcoolique.

« Il est obsédé nuit et jour, depuis deux ou trois ans, par des idées de vol, contre lesquelles proteste sa vie antérieure. La nuit, il rêve qu’il commet les vols les plus incroyables ; le jour, au moment où il s’y attend le moins, il est instamment porté à s’emparer des choses qui lui sont des plus inutiles (68). »

Voici des cas plus proches du délire :

X…, quarante-cinq ans. Vie régulière. H juillet, au réveil, anxiété et malaise.

« Il profite d’une absence de sa femme pour me dire qu’il lui est arrivé un grand malheur : « Toutes leurs économies sont perdues, ils vont être ruinés. » Et il raconte une histoire précise dans laquelle il a brisé avec son haquet pour 6000 ou 7 000 francs dans la devanture d’un miroitier. Et celui-ci l’avait violemment frappé ; on le conduisit à cet endroit ; là, tout étant en état, sa conviction fut ébranlée, mais elle reprit le soir. Ce n’est que quelques jours après qu’il se rendit vraiment compte qu’il avait fait un rêve. Toutefois, pendant un mois, on le voit presque chaque jour revenir à son idée fausse (69). »

« W… vient un matin à six heures prier un de ses amis de l’assister dans un duel. La veille dans le bal, il a, dit-il, donné un soufflet à un homme à propos d’une femme. Le rendez- vous est pris pour huit heures du matin du côté d’Issy. »

« Cet événement, absolument contraire au caractère de W…, cause un certain étonnement ; on prend des renseignements : tout était imaginaire. Quelques jours après, il avouait qu’au lieu d’aller ce soir-là au bal, il était rentré chez lui et s’était mis au lit. Il se souvenait parfaitement avoir eu en rêve une querelle qui lui avait causé une profonde terreur. » Pendant plusieurs années, tout en riant de [p. 46] ce rêve, le souvenir se ravivait, « il s’irritait et devenait furieux devant le moindre doute » (70).

« Dans le fait suivant, chose fort rare, le rêve parait avoir porté exclusivement sur des phénomènes d’audition », déclare Faure (71).

Mme X. . . , pendant la guerre, « se rencontre avec un corps de l’armée ennemie, musique en tète. Elle rentre dîner comme d’habitude et se couche assez tard. Le matin à son réveil, elle dit à son mari : « As-tu entendu, ont-ils fait « un bruit toute la nuit avec leurs trompettes et leurs cors de chasse ? » On lui affirme qu’il n’y a rien eu de pareil et qu’elle n’a pu rien entendre. Elle persiste dans sa conviction et ce n’est qu’après les plus grands efforts qu’on parvient à la persuader. Elle finit par se rendre à l’évidence. Aujourd’hui, elle sait parfaitement qu’elle a été le jouet d’un rêve, mais la sensation éveillée dans le sommeil ne l’a pas quittée depuis ; d’ailleurs elle reste lucide et raisonnable. »

Voici d’autres cas, plus proches encore du délire :

Dans ces cas, le rêve paraît être, par sa reproduction continuelle, un véritable délire systématisé, mais limité à la période du sommeil. Tel est ce peintre que Nodier (72) rencontra :

Placé avec sa femme dans d’affreuses conditions, capables, en effet, de déranger la raison, ils souffrirent longtemps de la faim ; sa femme en mourut et avant de mourir lui dit : « Mange-moi, si tu as faim. » Or, dit-il, il rêve toutes les nuits qu’il va déterrer sa femme pour la dévorer et cette obsession du rêve influe naturellement sur son caractère dans la veille.

A ce propos, Nodier remarque justement que bien des exemples de sorcellerie, de vampirisme, etc., devaient être de ces délires.

Chaslin nous donne encore des observations de ce genre où le rêve a une influence sur les actions de la veille, souvent même malgré la personne :

Mme C…, de famille d’aliénés. Elle se croit très au- dessus de son mari qu’elle méprise et éloigne de son lit. [p. 47]

« Une nuit, elle réveille la maison par ses cris, elle avait eu un cauchemar dans lequel elle avait vu son mari, absent de la maison, se précipiter sur elle avec violence. Le cauchemar se répéta pendant plusieurs nuits. Au retour du mari, elle ne peut plus tolérer sa présence et au bout de peu de temps sa répulsion s’étend successivement à son père et à tous les hommes (73). »

Mme B…, cinquante et un ans. « Sommeil agité. Hallucinations hypnagogiques désagréables (fantômes) dont elle a conscience. Quand elle rêve de brigands ou de voleurs, le lendemain elle s’assure bien si toutes les portes sont fermées, et se barricade, et n’est pas tranquille de la journée. » Cependant elle ne croit pas à son rêve (74).

Mlle M…, trente-huit ans, dégénérée caractérisée. « A la suite d’une période de calme, elle commençait à s’attrister depuis quelques jours, lorsqu’une nuit elle se réveille en sursaut, elle appelle sa mère, prétendant qu’on venait d’enfoncer la porte et qu’elle avait entendu marcher dans l’appartement. » Il n’y avait rien; le lendemain après n’avoir pu se rendormir, l’hallucination de l’ouïe persistait.  « La nuit suivante, le cauchemar se reproduit avec plus d’intensité ; la malade se lève affolée et se précipite à la fenêtre. A partir de ce moment, on voit se développer une sorte de délire de persécution qui persiste plusieurs mois.»

Il y a des cas qui semblent se rapporter très nettement à la catégorie de malades que le Dr P. Janet classe sous le nom générique de scrupuleux et chez lesquels l’obsession est en rapport avec les rêves qui souvent localisent et précisent en quelque sorte le contenu de cette obsession et en fournissent les premiers symptômes :

« Mme B…, trente-quatre ans (75). Il y a quatre ans, elle commençait à être plus émotive et plus craintive, lorsqu’une nuit elle rêve qu’elle tue son mari et saillie avec un grand couteau. Le matin elle s’assure que ce n’est pas vrai et elle dit : « Ah ! mon Dieu ! si je les avais tués ! ». A partir de ce moment, elle ne peut plus voir un couteau sans avoir une peur atroce, de l’angoisse, presque des défaillances ; si on la force à prendre l’instrument tranchant : elle a peur de faire du mal à quelqu’un, surtout à son mari et à sa fille qu’elle aime beaucoup. Elle n’a jamais d’impulsion à prendre les couteaux. Dans la rue, quand elle [p. 48] sort avec sa fille, elle a peur que les militaires, bouchers, rémouleurs, etc., ne fassent du mal à son enfant. Elle rêve fréquemment de couteaux ; elle s’attache la nuit les poignets de peur de se relever et de chercher un couteau. Ses craintes se sont étendues ; elle n’embrasse personne, de peur de mordre ; elle a peur de se noyer dans un bain ; a peur de regarder par la fenêtre. Elle n’aime pas toucher les plumeaux, souris, chats, etc. Elle éprouve de l’angoisse quand elle parle à une personne antipathique ; a peur de tout au total. » Mme B…, trente-deux ans. « Elle a une peur vague ; le sommeil devient moins régulier, et les rêves commencèrent à apparaître ; ils reflétaient les préoccupations delà malade (peurs sans motifs, sentiment de dévotion), et une nuit, à cette époque, elle eut, en s’endormant, la vision très nette de l’enfer avec tous ses supplices. Le rêve, dont le souvenir persista au réveil la frappa beaucoup et fut l’origine du délire. Mais jamais, même à la période délirante, la malade n’a cru à la réalité de cette hallucination hypnagogique. Ces visions se renouvelèrent plusieurs nuits de suite et le délire ne tarda pas à suivre. Cherchant à interpréter ces rêves, tout en en reconnaissant l’inanité, la malade, imbue de principes religieux, en vint à les regarder comme un avertissement du ciel, comme une preuve de ce qui l’attendait sans doute dans l’autre monde, en raison des fautes qu’elle a pu commettre dans celui-ci. De là, examen méticuleux de sa vie, et bien qu’elle fût des plus honorables, elle finit par y trouver des crimes horribles, dignes de l’enfer ; le délire était établi, revêtant une forme de mélancolie consciente avec hallucinations, terreurs sans motif, idées de culpabilité, de persécution, de damnation, de suicide, la malade ayant fini par se croire une incarnation du diable (76). »

A côté des scrupuleux, on peut ranger les mystiques qui s’en rapprochent souvent.

M. Mariani (77) a tout récemment publié une étude sur un songe mystique :

Un individu, après s’être occupé longtemps de navigation aérienne, fit un songe s’y rattachant, où il voyage dans les airs et arrive au troisième ciel oii se trouve le paradis et naturellement Dieu, la Vierge, etc., avec musique céleste et accompagnements d’usage. Et les préoccupations techniques de respiration, d’oxygène, de danger de chute, etc., se mêlant aux impressions mystiques, le songe le laissa pendant trois jours dans un état de [p. 49] prostration. La mémoire du rêve resta comme stéréotypée dans tous ses détails. Il brûla d’ailleurs son matériel d’études à la suite de ce songe.

Il y avait là pour Fauteur une véritable forme d’aliénation ou du moins un délire en germe chez un candidat à la folie. Un traitement approprié avec du bromure produisit un complet rétablissement.

Et, à ce propos, M. Mariani répète avec de Sanctis :

« Les songes sont révélateurs de l’état psychique le plus impénétrable d’un individu. »

Voici une observation déjà ancienne et fort curieuse de délire mystique, c’est celle de Sauvet (78).

A…, peintre sur verre, trente à trente-six ans.

« Pas d’hallucinations, romanesque, imaginatif. Aime une femme mariée qui l’aime aussi. Une nuit, pendant qu’il sommeille, il entend une voix qui lui dit : « Tu ne prendras pas pas la femme de ton prochain. » Plusieurs fois il entend la môme chose, et malgré la peine qu’il en éprouve, bientôt il renonce à cette femme. »

Bientôt il a des apparitions dans son sommeil.

« Une nuit il croit être transporté sur le Pont-Neuf ; il y voit Moïse sur les nuages tenant en ses mains la table des Lois. Derrière lui passent saint Jean, puis le Christ portant sa croix. Une autre fois, il se sent soutenu en l’air par une ombre qui, n’ayant qu’un bras, avec une lampe sur laquelle elle soufflait, répandait des étincelles, incendiant tout. A… y voit la cause mystérieuse des nombreux incendies de cette époque. « Une autre nuit, et par un temps affreux, A… se trouve sur le parvis Notre-Dame ; il aperçoit la lune traversant l’espace, et sur son passage jetant d’une voix sépulcrale les mots de : Mort !… Mort !… Mort !… et, partout, alentour de lui, il voyait les maisons s’écrouler, les hommes et les animaux mourir d’effroi ; et bientôt la flamme réunissant ses deux bras balayait, emportait tout dans sa course. A… seul, reste debout, présidant à ce cataclysme universel. »

Frappé de cela, il ouvre les Évangiles et croit y trouver et ces tableaux et les interprétations qu’il s’en donnait ; alors les visions se multiplient. Une voix lui ordonne d’épouser la femme qu’il avait alors, et dont il avait un enfant. Il le fait. [p. 50]

« Bientôt il revoit pendant le sommeil l’Être suprême : il a cette fois la figure d’un vieillard vénérable ; il est entouré d’une multitude d’anges resplendissants de joie et de beauté ; puis, au-dessous, une innombrable quantité d’hommes, d’enfants, de femmes de tout âge qui se livrent à la danse, et qui paraissent bien heureux. A… voit dans ce tableau l’image du bonheur, dont jouiront les mortels lorsqu’il leur aura annoncé la vérité. « Je les trouvais si beaux, si heureux, dit-il, que si je n’avais craint de commettre un crime, je me serais suicidé pour aller de suite partager leur bonheur. » Dans sa famille, on le croyait inspiré de Dieu à cause de ses, visions. « Une nuit, il aperçoit dans les airs le livre des Évangélistes qui, volant avec des ailes de feu, s’approchait de diverses personnes et les brûlait par son contact ; tous fuyaient et voulaient se préserver de ses atteintes, et à mesure qu’ils se débattaient, il se détachait du livre des feuillets embrasés qui voltigeaient et brûlaient également tout ce qu’ils touchaient. A… seul, se mettant à les poursuivre, les recueillait et n’en était pas brûlé.

« Enfin arrive une dernière vision, la plus significative, pour A…. Au milieu de son sommeil, il entend une voix qui lui crie : « Lève-loi ! quitte ta blouse, prends ta redingote. » Puis après un moment de repos, il entend distinctement ce mot : Travaille ! répété par deux fois. Il se réveille en sursaut, persuadé qu’envoyé de Dieu, il doit prêcher aux hommes la vérité. Il sort, ne sachant comment faire, se doutant bien qu’on l’arrêtera, et il hésite. Mais il se reprend. La voix ayant parlé, malgré femme et enfant. Et, au jour, il écrit sa vision sur un mur. » On l’arrête. Chez A…, il y avait une grande exaltation d’imagination, avec une foi aveugle dans ses apparitions; à part cela, toutes les qualités intellectuelles sans autre trouble.

M. Régis (79), qui s’est occupé à maintes reprises de ce qu’il appelle les délires et les hallucinations oniriques, analogues aux rêves dans certaines affections, a fait une étude très intéressante sur les dégénérés mystiques et où nous trouvons des observations analogues à celle que nous venons de citer : [p. 51]

« R… prend part avec ferveur au jubilé de 1825, assiste aux prédications des plus éloquents missionnaires. C’est alors qu’il a ses premières révélations. Dans une de ses nuits de ferveur, R… voit tout à coup apparaître au milieu de nuages un disque lumineux, gros comme le soleil, mais non point radieux comme lui ; une voix part de ce disque et lui dit : « Les enfants que je bénirai seront bénis, et ceux que je maudirai seront maudits jusqu’à la troisième et la quatrième génération. » La vision a décidé du sort de R… ; il est le Messie qui doit venir à la fin des siècles pour ramener toutes les nations à la môme croyance et préparer le jugement dernier (Obs. I) (808). »

« Une femme prétend que le Bon Dieu et la Sainte-Vierge lui apparaissent en rêve sans lui parler. La Sainte-Vierge lui tend les bras. — Quelque temps après, elle fit, durant la nuit, un songe extraordinaire. La Sainte- Vierge entra dans sa chambre, vêtue comme dans les tableaux d’église, s’approcha d’elle, lui donna sa main à baiser, puis aussitôt remonta au ciel. Une autre nuit, elle fut l’objet d’un événement merveilleux. Elle éprouva une jouissance sexuelle extrême qui ne peut se comparer à rien d’humain, bien supérieure à celtes qu’elle ressentait pendant ses relations avec son amant. C’était quelque chose d’idéal et d’immatériel. A son réveil, elle ne put comprendre la signification de ce fait, qui lui fut expliqué quelques jours plus tard. Une voix lui dit, au milieu de la nuit : « Voulez-vous être enceinte ?… » Elle se crut en effet enceinte de Dieu (Obs. Il) (79). »

« Un autre…, repris par ses idées mystiques, examine à fond les différents systèmes de la religion chrétienne, et une nuit (13 septembre 1885), Dieu lui apparut, lui annonçant qu’il le choisissait comme le rédempteur promis aux hommes par l’Écriture… Il entrait toutes, les nuits en conversation avec le ciel ; deux des étoiles de la Grande Ourse servaient d’intermédiaires quand il adressait une question à Dieu. Si la réponse était affirmative, il voyait les deux étoiles se rapprocher au point de se toucher ; si la réponse était négative, les deux étoiles s’éloignaient rapidement l’une de l’autre et il cessait de les voir. Il acquit la certitude qu’il était bien le Rédempteur choisi par Dieu (Obs. III) (80). »

Un individu réclame la tiare à cause de la voix de Dieu qui parle par sa bouche, de l’incarnation du diabie, dans un [p. 52] chat, de ses visions dans le sommeil et des paroles qu’il entend alors, enfin d’une voix intérieure (Obs. IV) (81).

« Une femme nous raconte qu’en Italie elle croyait avoir une mission, puis elle ajoute que tout cela venait des Francs-Maçons qui la magnétisaient. En tout cas, elle a des hallucinations de la vue et de l’ouïe. Elle a vu le Très-Haut dans toute sa splendeur. Gela lui est arrivé très souvent en Italie. Il était si resplendissant qu’on pouvait à peine distinguer ses traits (Obs. V) (82). »

Un officier voit une nuit la lune se détacher du ciel et tomber à ses pieds et, en même temps, se montre à lui un vieillard à barbe blanche qui lui fait signe de le suivre sur la route de Lyon (Obs. VII (83).

Un individu, a, la nuit, des signes miraculeux qui lui font comprendre qu’il est appelé à de grandes choses (Obs. VII) (84).

Une autre classe sera celle des régicides qui, pour l’auteur, sont des dégénérés mystiques héréditaires.

Ainsi Ravaillac voit sortir des hosties d’un tison enflammé (85) ; Jacques Clément reçoit dans son sommeil la visite d’un ange messager de Dieu, qui lui commande de tuer le roi de France et lui promet la couronne du martyre (86). Staaps, qui voulut tuer Napoléon à Schoenbrünn, écrivait à son père : « Encore cette nuit, Dieu m’est apparu ; c’était une figure semblable à la lune; sa voix m’a dit :Marche en avant, tu réussiras dans ton entreprise, mais tu y périras (87). »

Enfin un anarchiste voit un être sous la forme de l’archange Michel, qui, s’intitulant le génie de la Révolution, lui commande de mourir pour ses principes comme Jésus- Christ et Pranzini ; et le créateur d’une religion nouvelle reçoit de Jésus-Christ lui-même la mission de l’établir.

L’auteur, dans la division classique du sommeil, montre que ces hallucinations se produisent souvent dans la période hypnagogique comme aussi dans la [p. 53] période hypnopompique, comme la vision du colonel Gardiner (89), qui fut rendu religieux par une apparition émouvante de Jésus-Christ.

Mais il arrive aussi que ces hallucinations se produisent le jour, en plus très souvent des visions nocturnes, comme le malade de Moreau de Tours (90) ; mais alors, elles se produisent dans une période d’extase très analogue au sommeil et où il y a véritablement des rêves, comme le disait déjà Maury (91). Aussi l’auteur attribue-l-il à ces hallucinations le qualificatif très bien choisi d’oniriques. Pour cette hallucination, comme pour le rêve, il y a intermittence, ce qui permet de ne pas confondre un pareil délire avec des vésanies pures.

Cependant, elles peuvent parfois persister comme les songes après le réveil ; ainsi cet assassin à qui les anges venaient parler en songe et dicter des actions ; et quand il s’éveillait, il croyait les voir encore (92).

Et la vie-des religieux et des saints est très riche en exemples de ce genre. Un songe de sœur Anne de Saint-Barthélémy se prolongea en vision après son réveil. Cependant cela est relativement rare.

Enfin ces hallucinations oniriques intermittentes se reproduisent, toujours identiques, comme stéréotypées. Très différentes donc de celles de l’aliénation mentale, elles se rencontrent non seulement chez les dégénérés, mais en général, dans tous les délires toxiques. Nous en avons déjà eu des confirmations.

C’est encore une observation de mystique que

M. Klippel et Trenaunay ont publiée sous le nom de délire systématisé de rêve à rêve. Et le délire y est en connexion intime avec les phénomènes du rêve :

« Non seulement, disent-ils, notre malade ne puise très habituellement ses conceptions délirantes que dans les hallucinations du sommeil, mais les exemples que nous rapportons démontrent que, si parfois il a pu les tirer de [p. 54] l’état de veille, aucune expression ne pourrait en ce cas lui être appliquée plus justement que celle d’un homme qui rêve tout éveillé.

« C’est une succession de rêves prolongés à l’étal de veille, se reproduisant avec des intermissions plus ou moins longues et s’enchainant entre eux pour former une systématisation. Toute l’expression de son délire est comme enveloppée des vapeurs du rêve (93). »

Il s’agit d’un certain O. L…, âgé de quarante-neuf ans, employé aux postes et télégraphes. Entré à l’Hôtel-Dieu pour des douleurs vaeues, il a, paraît-il, des visions qu’il ne veut pas expliquer le jour où on l’interroge. « Nous sommes plus heureux le lendemain : « J’ai vu cette nuit en songe le père Éternel, nous dit notre malade, il m’a autorisé à tout vous dire, il sait que vous ne me voulez que du Lien (94) ».

Le malade raconte alors sa longue histoire de rêves et d’hallucinations qu’il a d’ailleurs marqués au jour le jour dans un journal que les auteurs sont parvenus à trouver.

« On peut relever chez O. L…, tant dans ses écrits que dans ses paroles, deux idées dominantes :

1° Il est l’élu de Dieu et, à ce titre, il a des visions souvent obscures, inexpliquées même pour lui. Il sait cependant que Dieu l’a choisi; aussi peut-on voir percer de temps à autre dans ses paroles une pointe d’orgueil pour son propre individu et du mépris pour le reste de humanité. De là à se croire chargé d’une mission divine il n’y a qu’un pas et l’on peut prédire que ce pas sera rapidement franchi.

« 2° Il est persécuté, et cela à cause de sa future mission. Sa pensée, dit-il, est connue par les Francs-Maçons, les Spirites et les devins, qui mettent tout en œuvre pour lui faire du mal. C’est une des raisons pour lesquelles il ne veut pas toujours raconter ses visions… Les visions sont elles-mêmes de deux ordres. Les unes, moins importantes, ne sont que des représentations de sa vie ordinaire, les autres sont surnaturelles. Les visions ordinaires sont extrêmement nombreuses, mais peu variées…

« Quant à ses visions surnaturelles, elles sont aussi très nombreuses. On peut encore, et seulement pour la clarté des choses, les ranger en deux catégories : les unes se passent sur la terre, les autres sont extraterrestres. Les visions extraterrestres sont peu fréquentes. Nous n’en trouvons qu’une seule dans les mémoires. Celle que nous rapportons a été racontée de vive voix par notre malade. [p. 55]

« Je voyais dans le ciel même, comme si j’avais habité là-haut. Il y avait un beau château et le Père tout-Puissant se tenait debout à la porte. J’ai vu aussi un peu plus loin la mère de Jésus qui tricotait des bas. Elle m’a dit en riant de bien faire attention à ne pas perdre ma route, car j’étais destiné à épouser sa fille aînée. Il y avait tout autour du château une rangée de lits qui en faisaient le tour et il fallait que je trouve Je mien sans rien déranger. Mais c’était très difficile, car cela tournait toujours comme la roue d’un moulin. Enfin j’ai trouvé mon lit. Mais, lorsque je suis passé devant la porte, j’ai entendu le Père dire à Marie que j’étais condamné à vingt ans, puis à cinquante ans, puis à perpétuité. J’avais donc commis trois fautes. Je suis descendu dans un grand caveau noir. La mère de Jésus me regardait toujours, elle me faisait bonne mine, mais elle ne riait plus. Je voyais aussi beaucoup de jeunes filles qui jetaient des fleurs blanches et roses. Mais mon voisin m’a parlé et j’ai tout perdu (95). »

Les voix lui défendaient de blasphémer le nom de Dieu ; une fois qu’il l’avait fait, il crut voir en rêve le Bon Dieu et le Diable. Au réveil, « rempli d’effroi, il prend son couteau et se coupe la gorge, puis est transporté à Saint-Louis (96) ».

Il est très orgueilleux. « En 1884, dit-il, je me suis vu, en dormant, à la bataille de Coulmiers, habillé en général et commandant l’armée française, et j’ai entendu une voix mystérieuse me dire : « Si vous ne vous étiez pas trouvé là le 7 novembre, les Prussiens auraient battu les Français. Je vous donne le droit de le dire à tous vos semblables, et, si la France a remporté là victoire, c’est grâce à votre présence. »

« Au contraire, vis-à-vis de Dieu, son humilité est profonde. Il reconnaît avoir fauté contre le créateur et accepte d’avance les peines qu’il a, de ce fait, encourues.il raconte que les paroles qu’il entend sont souvent incompréhensibles pour lui et que les mystères de Dieu sont impénétrables. Il prétend à chaque instant n’avoir aucun pouvoir, sauf une seule fois où nous avons vu qu’en rêve il lui arrivait de pouvoir commander au soleil. Il explique, d’une façon peu claire, d’ailleurs, que Dieu a eu un but en le choisissant. Il est donc bien revêtu d’une mission. Mais les temps ne sont pas encore venus et il ne se doute pas de ce que peut être cette mission (97). »

Cette partie de notre étude oscille, comme on a pu le voir, entre les limites du normal et les confins de la [p. 56] folie. On peut caractériser ces états de psychopathie, neurasthénie, dégénérescence, etc., par le mot de déséquilibre nerveux, et, en effet, la prépondérance démesurée prise par le rêve, son influence énorme sur la veille sont tout à fait nettes et remarquables. Aussi n’y-a-t-il pas lieu de développer de longues conclusions ; le caractère a dû s’en dégager d’une façon très suffisante à la lecture des observations.

IV— ALIÉNATION MENTALE

Il y a une erreur très répandue sur les rapports de l’aliénation mentale et des rêves : on croit que la nature de la maladie se manifeste toujours dans les rêves. Mais les choses sont plus complexes. La nature des rêves change, varie d’abord suivant la profondeur du sommeil, et, en particulier, dans le sommeil profond, apparaissent des souvenirs en rapport avec des périodes antérieures à l’époque actuelle (Vaschide, Pilcz) Aussi dans ce sommeil, des aliénés, à moins que leur aliénation soit de vieille date, ont des rêves normaux; et, revenus à l’état normal, ont parfois des rêves reproduisant leur délire.

Dans le sommeil le plus léger, au contraire, il arrive que, quand il y a véritablement délire, ce délire se réfléchit parfois dans les rêves. On raconte qu’Esquirol cherchait ainsi souvent par les paroles prononcées en rêve par ses malades le fond réel de leurs délires quand ils ne le révélaient pas nettement.

Enfin le rêve peut être sinon la cause déterminante^ du moins le premier symptôme précurseur du délire, en ce sens que, dans ce cas, le délire se reproduit avant de s’être manifesté dans la veille.

Ce que dit Macario (98) par conséquent sur les rêves des lypémaniaques, tristes et oppressifs, des monomaniaques expansifs, gais et riants, des déments, rares et fugaces, est beaucoup plutôt une vague supposition qu’une observation véritable. Car, en fait, il n’en est pas ainsi la plupart du temps.

Et il est regrettable de voir que presque tous les [p. 57] auteurs qui ont parlé de la question se sont contentés de répéter cela de proche en proche, sans probablement jamais contrôler.

Voici par exemple les termes de Dagonet (99) :

« Ordinairement la nature et le caractère des rêves sont en rapport avec l’espèce de folie elle-même. Ainsi, dans la lypémanie, ils sont tristes, oppressifs, ils laissent une impression profonde et pénible ; dans la paralysie générale, comme dans la monomanie ambitieuse, ils sont expansifs, gais, riants. Dans la manie, ils se ressentent du bouleversement des facultés et sont étranges, fugitifs et incohérents ;enfin dans la démence, les songes sont en général rares et ne laissent aucun souvenir. »

L’observation suivante est plus juste :

« Les auteurs ont remarqué que les désordres de la folie se sont quelquefois reproduits pendant le sommeil, après la guérison. » Il en est de même pour ce qu’il dit du rêve précurseur :

« Les rêves peuvent être considérés comme un symptôme précurseur de la folie : ils se remarquent d’ailleurs comme symptôme prodromique des affections qui viennent porter leur atteinte plus ou moins directe sur l’organe cérébral, comme dans les fièvres ataxiques, la fièvre typhoïde, la méningite, les convulsions chez les enfants; mais de toutes les affections, ce sont sans contredit les névroses et particulièrement l’aliénation mentale dont l’invasion est le plus souvent annoncée par des rêves bizarres et extraordinaires. »

Tissié déclare absolument la même chose :

Il caractérise « les rêves de la lypémanie par ce fait qu’ils sont tristes, oppressifs, durables et comportent des réveils en sursaut avec des larmes ou de la sueur ; ceux de la manie, en ce qu’ils sont bizarres et fugitifs; ceux de la démence, en ce qu’ils sont fugaces ; ceux de l’hypocondrie, en ce qu’ils sont terribles, agitent le sommeil et provoquent des réveils subits ; dans la stupidité enfin, les rêves sont vagues, incohérents et tristes (100). »

Les observations de Schüle sont plus précises :

« Avant le début du paroxysme, il y a divers troubles. » Dans un cas, il constate de l’insomnie et l’état de rêve [p. 58] dans la journée. Dans l’intervalle, l’individu n’est pas redevenu normal. « Son sommeil était modifié, c’était une sorte particulière de sommeil, pendant lequel il ne rêvait pas, mais il pensait en dormant. Tandis que, dans le sommeil normal, la personnalité disparait, c’était pour lui juste le contraire : il se voyait toujours affairé (101). »

Notons quelques rares remarques d’Esquirol :

Il signale un cas de monomanie homicide chez M. N… où les idées sinistres se produisaient ordinairement au réveil. Une fait pas l’hypothèse que nous pouvons faire, qu’elles étaient très probablement en rapport avec des rêves (102).

Il note que le sommeil des monomaniaques en général, comporte des rêves tantôt paisibles et tantôt agréables (103). »

Enfin il déclare que les rêves des érotomaniaques « ont enfanté les succubes et les incubes (104) ».

Pour ce qui est de la valeur du pronostic du rêve dans les maladies mentales, nous pouvons signaler d’abord le travail de Chaslin.

L’auteur considère que le rôle du rêve est négligé.

Le rêve très cohérent peut, selon lui, paraître s’être accompli réellement, chez les enfants et chez les vieillards surtout. Le rêve toujours le même est déjà pronostique. Le cauchemar à l’origine du sommeil est d’origine cérébrale ; celui du milieu de la nuit est dû à une mauvaise digestion (terreur nocturne des enfants).

L’éphialte est souvent avant-coureur de l’apoplexie, l’épilepsie ou la manie. L’anxiété est un signe de maladie de cœur (lésion mitrale). Le somnambulisme spontané est un signe de pathologie nerveuse.

Quant au délire, ce n’est que « la continuation du rêve ou sa conséquence dans les cas extrêmes qui aboutissent à la folie ». Mais le rêve n’est pas identique à la folie, qui est durable, tandis qu’il est passager.

Le rêve peut parfois être sans rapport avec le délire. Le plus souvent, il y a un lien étroit (105).

Beaucoup de ses exemples ne concernent pas l’aliénation [p. 59] véritable. Nous les avons cités plus haut.

Il déclare d’ailleurs malheureusement que :

« Il est inutile de multiplier les exemples qui montrent le rôle du rêve dans le développement du délire. Il semble que les représentations mentales se trouvent renforcées en raison de leur isolement; les préoccupations de la veille se gonflent pendant cet état jusqu’à se déformer (106). »

Voici une observation de folie circulaire (107) :

Mme B… âgée de vingt-deux ans. — Circulaire ; accès de 5 à 6 mois.

« Les accès surviennent brusquement la nuit, vers une ou deux heures, comme d’ailleurs chez un grand nombre de circulaires. La première manifestation du nouvel état dans lequel elle entre est, en général, un rêve. D’après ce qu’elle raconte elle-même, dans le cas où elle passe de l’excitation à la dépression, c’est ordinairement la mort de son père qu’elle rêve. Klle se réveille alors au milieu de son cauchemar, sous l’influence de cette idée attristante et tombe dans l’abattement à partir de ce moment. Si au contraire elle passe de la dépression à l’excitation, c’est encore un rêve qui en marque le début. Mais celte fois le rêve est gai et l’objet en est variable. Il paraît en rapport avec les circonstances momentanées et ne présente plus le caractère d’uniformité qu’il offre dans le premier cas (108). »

Le travail de Faure (109), fait à l’infirmerie du dépôt et à la maison de Charenton, contient un plus grand nombre de faits d’aliénation. L’auteur a pris son épigraphe de Falret : « Des rêves maladifs précèdent quelquefois l’éclat de la folie. »

Voici une observation de paralysie générale, dont les premiers symptômes se produisent en rêve (110) :

A…, banquier espagnol,

« Depuis quelque temps, il a toutes les nuits des rêves fort agréables, dans lesquels il se voit faisant de grandes affaires et gagnant beaucoup d’argent. » « Les rêves continuent, chaque fois avec une augmentation merveilleuse [p. 60] dans les bénéfices. » D’abord prudent, « bientôt il est manifeste qu’il apporte dans les affaires, les conceptions grandioses de la nuit’. On l’enferme ; « en très peu de temps il arrive au degré le plus intense de la paralysie générale ».

Dans les cas suivants, il s’agit de délires :

« M™« R… a été arrêtée au moment où elle allait se jeter dans la Seine, c’est sa troisième tentative de suicide depuis douze jours »… Elle se décide à parler : « Elle sait qu’elle est tendrement aimée de tous les siens. Son mari et ses enfants sont très bons pour elle, elle ne peut que se louer d’eux. Mais une nuit, elle a rêvé, sans savoir pour- quoi, sans avoir le moindre motif que son mari voulait se séparer d’elle, elle en a ressenti une telle peine qu’elle ne pourra jamais s’en consoler et qu’elle aime mieux mourir. Maintenant, à l’heure où elle parle, elle a la certitude que ce n’est qu’un rêve, mais il est d’autres heures où l’idée du rêve s’efface complètement de son esprit et alors elle est désolée parla pensée de cette séparation.

« Elle se rend parfaitement compte d’ailleurs de la manière dont les choses se sont passées ; le rêve a eu lieu telle nuit. Le matin, en se réveillant, elle y a pensé,et le rêve lui a reparu plusieurs fois dans l’esprit, elle n’y attachait d’abord aucune importance, mais il s’emparait d’elle, il la retenait avec obstination, et pendant longtemps, il a fini par ne plus la quitter. Ne pouvant se faire à son malheur, elle a voulu à quelques jours d’intervalle se précipiter par la fenêtre, s’asphyxier, se noyer. — Par moment, au milieu de son délire, la raison reprend le dessus, elle reconnaît la vérité, mais ce n’est que pour peu de temps, et bientôt elle dit : « Tenez, vous avez beau me dire, rien n’y fait, je vois bien que c’est vrai, mon mari veut me quitter ! » et elle retombe immobile, silencieuse dans un état de demi-stupeur dont rien ne peut l’arracher » (111).

Dans les cas suivants, le rêve n’a pas été remémoré :M. B… (2), trente-sept ans, alcoolique, mère alcoolique, sœur prostituée, oncle fou.

« Il raconte qu’il y a quelques jours il est tombé dans la rivière, en jouant avec des camarades et qu’il a été repêché : « Depuis ce temps-là, dit-il, je suis le prince « impérial. » Et il divague là-dessus. Il a manifesté pour la première fois son idée délirante de prince impérial un matin en se réveillant. » [p. 61]

H…, charretier, quarante-neuf an«.

La nuit, il rêve très souvent qu’il tombe dans des précipices ou dans la mer ; il voit des flammes ; dernièrement il a rêvé que le chantier où il travaille était en feu, il s’est précipité au secours, étant encore endormi, et il a cassé deux carreaux avec ses bras tendus en avant. » Il raconte une scène de violence où il aurait été battu et montre des plaies imaginaires. Il a divagué là-dessus un matin. Il veut se venger, cela ne paraît pas devoir cesser (112) ».

X…, trente-quatre ans, cordonnier.

« Toutes les nuits, il voit sa femme se prostituant atout le monde et surtout à son propre frère à lui. Or, il y a un an que cet homme a quitté son ménage et qu’il ne sait ce que sa femme est devenue. Il a néanmoins des projets de vengeance (113). »

M. M…, fatigué, se trouve à Cologne, rentre un soir ivre, semble-t-il, ramené par un officier. Le lendemain, au réveil, il raconte que la veille il s’est battu avec un cocher allemand et a été sauvé par cet officier, pendant la nuit. Or, il était rentré le soir. Le rêve original ne fait pas de doute. Voici quatre mois qu’il délire sans cesse sur ce thème (114).

F… (115), instituteur, rêve une nuit qu’il est tombé dans un gouffre d’où s’échappaient des vapeurs sulfureuses, et il vit dans celte impression jusqu’à ce que, dans un autre rêve, il voit le roi dire aux hommes qui conduisaient sa voiture : « Passez sur celui-là, écrasez-le. » Ce à quoi il aurait répondu : « Sire, ne faites pas cela ! si je suis coupable, attendez qu’on me condamne. »

On ne peut le dissuader, bien qu’il n’ait pas été à Paris à l’époque où il crut y rencontrer le roi. Il veut tuer le roi, ou le détrôner avec une armée.

L’auteur remarque que Brierre de Boismont et Moreau de Tours ont connu cette persistance du rêve, qui n’est qu’un symptôme de l’état préexistant.

« En résumé, ce phénomène de la persistance du rêve après le sommeil, difficile dans bien des casa distinguer de l’hallucination, a, comme celle-ci, sa signification pathologique importante. Si, dans quelques cas, rares du reste, il peut se déclarer, puis cesser, de manière à n’être dans la vie de l’individu qu’un fait accidentel et isolé, le plus souvent [p. 62] il est le précurseur de maladies incurables : la manie ou la paralysie. Dans tous les cas, si un rêve peut devenir ainsi le point de départ d’une manifestation intellectuelle anormale, il est certain que, pour tout le monde, il n’en est que la cause secondaire et que la disposition au délire était préexistante. »

Mme de Manacéine traite en passant la question.

« Nos observations nous ont convaincue que l’absence de rêves est souvent le signe avant-coureur d’une maladie mentale ou nerveuse. Macario a déjà noté que pendant la démence on observe une absence presque complète de rêves (117). »

« On ne peut plus s’étonner que les images des rêves eux-mêmes puissent se transformer en hallucination et qu’entre les rêves et la folie, il existe une certaine relation, comme cela a été déjà démontré par plusieurs auteurs. En général, dans des cas pareils, on voit toujours se répéter la même chose, c’est-à-dire qu’un rêve quelconque se reproduit plus ou moins souvent ; puis les représentations, les images du songe parviennent à prendre un empire extrême et despotique, sur l’attention de l’homme, laquelle devient complètement asservie par ces images, par ces représentations ou idées engendrées pendant le rêve. »

Comme exemple, nous pouvons donner ce cas :

« Un jeune homme de vingt-deux ans se promenait en équipage avec sa femme, quand, par malechance, un enfant tomba sous les roues de leur voiture. En voyant, la tête écrasée de l’enfant, le mari fut saisi d’etfroi ; la même nuit, en dormant, il se dressa sur son séant et se mit à crier :

« Sauvez l’enfant I oh sauvez l’enfant ! » et dès lors chaque nuit le même délire se répétait deux ou trois fois pendant la nuit. Les cris qu’il poussait étaient perçants jusqu’à épouvanter ses enfants. Il était toujours très difficile de l’éveiller, et quand on y parvenait, on constatait qu’il ne se souvenait de rien. Cependant il disait à sa femme qu’il était effrayé par des rêves et que l’image de l’enfant écrasé ne lui sortait pas de la tête. Cet état de chose se prolongea pendant deux ans, après quoi il commença à présenter des accès d’épilepsie pour tomber rapidement dans une démence complète. »

« Dans un autre cas, des rêves pénibles commencèrent à tourmenter un jeune homme. Pendant ces rêves, il lui semblait qu’on l’étranglait et il croyait que c’étaient ses camarades qui lui jouaient des tours. [p. 63]

« Pour lui prouver que ses soupçons n’avaient aucun fondement, ses camarades lui proposèrent de se coucher seul dans une chambre ; ayant accepté leur proposition, il prit encore la précaution de fermer sa porte à clef; mais» malgré tout, ses rêves pénibles se continuaient, et alors il en vint à conclure que c’était le diable lui-même qui le persécutait ainsi ; le diable, c’est-à-dire celui que la pauvre humanité accuse toujours comme l’auteur, non seulement de toutes ses misères, mais aussi de toutes ses erreurs; le jeune homme finit par devenir fou. Et on pourrait citer une foule de cas pareils. »

Nous pouvons citer aussi les études de Lasègue (118), sur les rapports du délire alcoolique et du rêve.

« Aucun aliéné ne rêve conformément à son délire diurne, déclare-t-il en exagérant un peu.

« Le persécuté ne Test plus en rêve, le paralytique général se repose de ses aspirations ambitieuses ; le maniaque, quand il dort, peut avoir le sommeil placide de l’enfant. Il en est des aliénés comme des choréiques chez lesquels toute trace de la maladie cède au moment précis où ils s’endorment. »

Chez les alcooliques, tout le contraire ; dans le « delirium tremens » il y a trois phases : 1° délire nocturne ; 2° délire diurne et nocturne ; 3° convalescence. Parfois le délire nocturne continue six à huit nuits.

Voici les observations.

V…, trente et un ans. Il couche dans la chambre de sa mère. — Il parle haut. Elle le réveille. « Il disait alors qu’on était à sa recherche, que la police était entrée dans sa chambre, que le gendre du propriétaire avait amené des hommes de mauvaise mine ; il les voyait faire des « perquisitions. » La forme en variait parfois. Puis, il se rendormait. Les accès se répétèrent, plus intenses, puis il eut des délires diurnes du même genre ; on dévalise sa mère, des agents lui donnent des coups dans le ventre ; elle est morte, et il voudrait aller à son enterrement.

R…, quarante-huit ans. Les crises sont réduites aux rêves et à l’agitation du réveil. Le délire ne porte alors que sur ce qui s’est passé : « On n’entre pas dans son logement, mais on est entré ; on ne le bat pas, maison l’abattu ; on ne danse pas autour de ses fenêtres des sarabandes, mais on en a dansé ; on ne projette pas des étincelles sur son corps, mais on en a jeté, etc. » Les attaques deviennent plus aiguës : [p. 64] Une nuit il saute par la fenêtre, sort demi-nu, escalade une échelle, on l’arrête. Le lendemain, il raconte : « Ils étaient deux qui ne voulaient pas s’en aller de ma chambre. Ils avaient pris une échelle ; je l’ai reprise pour aller les chercher; la porte était fermée à clef en dedans ; j’ai monté par le toit et descendu par la cour. Ils avaient enlevé mes meubles et mis les leurs à la place ; ils voulaient me casser la gueule par dessus le marché. Il est venu trois agents pour arrêter les voleurs, j’ai été les chercher ; on les a menés chez le commissaire qui les a mis au poste. Ils seront condamnés à trois mois. »

G…, vingt ans, nuits inquiètes, préoccupations professionnelles sans frayeur. Le lendemain du rêve troublé, entré à l’asile, il déclare que l’on fermait les portes à la distillerie où il allait et qu’on mettait des gardes pour l’empêcher d’entrer.

P…, vingt-cinq ans. — Depuis plusieurs nuits, il s’éveille en criant : « Je vois le feu du ciel qui tombe, des fantômes qui ressemblent à des espèces de démons, c’est tout en feu. » Lien arrive à crier que le feu est à la maison, puis, la crise se continue une fois après le réveil.

F…, quarante et un ans, s’enfuit une nuit, déclare qu’on lui soufflait de l’arsenic. La nuit suivante est calme. Après l’arrêt, le délire reprend comme sans interruption, sa veine droite se gonflant, déclare-t-il, par l’arsenic.

Lasègue cite encore sept autres observations où il n’a observé que le délire diurne, à forme de rêve. Ces rêves sont d’ailleurs caractéristiques, et il y a réveil du délire comme du rêve ; pour obtenir une réponse sur quelque chose ne concernant pas le délire, il faut d’abord pincer ou secouer. Aussi, peut-on bien dire qu’il y a continuité, dans ces cas, du rêve ou délire.

Enfin, notons quelques observations isolées.

M. Régis (119), qui considère les délires oniriques comme caractéristiques des états d’intoxication, attribue ce caractère à la paralysie générale parce qu’il a observé, chez des malades de cette catégorie, le délire du rêve, et dérivé du rêve.

A propos de paralytiques généraux, Maudsley en cite un cas d’après Baillarger :

Un marchand grec qui, après avoir été atteint d’un flux [p. 65] hémorroîdal qui disparut, rêva pendant quinze nuits qu’il était à la télé d’immenses richesses ; puis le délire s’établit dans la veille.

Aussi n’y-a-t-il guère lieu de tenir compte des observations de Maudsley, quand il attribue cela à l’influence d’un trouble de circulation locale sur la circulation cérébrale.

Quand le même auteur cite encore une mélancolique dont les accès, qui duraient quatre mois, étaient séparés par de longs intervalles de gaité, il est bien clair qu’il s’agit d’une circulaire et ce n’est pas la première observation que nous en voyons :

« Le fait remarquable de son cas, dit-il, c’est qu’invariablement avant chaque accès, elle rêvait qu’elle était malade de cet accès et que, lorsque l’accès était sur le point de finir, elle rêvait qu’elle revenait à la santé, qu’elle était gaie et bien portante (120). »

Il y a encore dans Dechambre une observation de folie consécutive à un rêve :

Une domestique nymphomane, âgée d’une quarantaine d’années, qui couchait dans une chambre parfaitement close, et séparée du reste de la maison par un escalier, pénétrait un matin chez un locataire pour lui demander compte de la visite qu’il lui avait faite pendant la nuit. Elle l’avait tout simplement vue pendant la nuit en rêve. L’idée fixe de cette visite s’arrêta si bien dans son esprit que, renvoyée de chez ses maîtres, elle revint plusieurs reprises redemander des explications et qu’on fut obligé, pour l’écarter, de recourir à l’assistance d’agents de police. La famille fut obligée de la faire enfermer (121). »

Vaschide et Meunier (122) ont fait, à ce sujet, une observation précise :

Le rêve jouait un rôle capital dans un délire établi. Tandis que les rêves du sommeil profond restaient indemnes chez cette malade, une épileptique hypocondriaque de [p. 66] l’asile de Villejuif, ceux du réveil traduisaient des conceptions délirantes qui, de plus en plus difficilement distinguées de la réalité de la veille, à mesure qu’elle s’éloignait da moment du réveil, finissaient par être considérées comme réelles, et amenaient des actions en rapport avec elles.

« L’un de ses premiers rêves (?) dont elle a conscience comme rêve est la conception d’après laquelle elle devrait être guillotinée par choc en retour, comme disent les mystiques. »

Dans ce rêre, elle vit un oncle paternel que l’on aurait accusé injustement du meurtre d’un oncle maternel et condamné ainsi à être guillotiné. C’est pourquoi elle pense qu’elle doit être guillotinée, car il faut qu’il y ail une victime dans la famille. Elle vit le détail des accusations de la foule et de la défense du pseudo-meurtrier, bien qu’elle reconnaisse que, dans la réalité, elle n’ait jamais entendu parler de rien de semblable. Mais cela n’en a pas moins pour elle la force d’une conviction.

A la même conviction se rattache pour elle l’interprétation de faits réels cette fois. Un beau-frère fut atteint, parait-il, d’une maladie cérébrale (il eut probablement un accès de délire alcoolique), mais cela ne dura pas et il guérit bientôt ; « c’est parce qu’il avait une famille à élever que la providence n’a pas voulu qu’il restât malade : mais comme il faut toujours que cela retombe sur quelqu’un, c’est elle qui est devenue folle ».

« On pourrait multiplier les exemples de rêves faits par elle toujours dans le même sens et qui ont eu longtemps une influence sur sa conduite, qui continuent même d’en avoir lorsqu’elle est dans les périodes du délire. Tel le rêve du cœur qui parle : on lui a arraché le cœur pour le remplacer par celui d’un chat ; elle sent bien encore maintenant qu’elle n’a pas un cœur naturel. Mais son véritable cœur avait été envoyé comme curiosité dans sa famille à Rodez, jusqu’au moment où le grand-père s’écria : « Mais c’est le cœur de ma petite-fille ! » et tout le monde de tomber dans le désespoir. Le rêve est pour elle une chose tellement effrayante que, chaque soir, elle ne s’endort qu’à regret ; elle a peur de tomber dans cet abîme de désolation d’où elle se réveillera demain malin sûrement avec quelque douleur nouvelle. »

Eulalie explique ainsi les souffrances qu’elle ressent : « Ce sont, dit-elle, des expériences que l’on fait sur elle. » On l’a choisie comme sujet, parce qu’il y a dans sa famille des gens qui se sont conduits d’une façon plus ou moins délicate. Cette idée délirante est à la fois une interprétation de persécutée et de mélancolique obsédée par la doctrine mystique du péché originel. Plusieurs de ses rêves ont [p. 67] trait à leur soi-disant culpabilité. Voici du reste comment elle-même décrit un de ceux-là :

« Rêve, ou plutôt hallucination, des médecins étant venus chez moi me rendre visite me trouvèrent endormie, délirant tout haut. Après m’avoir écouté un instant, ils disent à mon mari : elle ne peut être soignée chez vous, d’autant plus que nous voudrions essayer sur elle une expérience qui, nous le croyons, la guérira complètement. Il faut donc la transporter à l’hôpital de la Charité, nous vous donnerons 50 francs. Cet homme ayant la plus grande confiance en la science acceptait cet argent et répondit : « Messieurs je donnerais bien davantage si vous pouviez « guérir ma femme » (parole qu’il eût bien dite dans la réalité, je n’en doute pas). Enfin, je me vois à l’hôpital sur une table : ces messieurs m’ayant payée pouvaient donc disposer de moi par des moyens très durs : ils ne pensaient qu’à m’endormir et me faire parler, mais, un beau jour, je ne me réveillai pas; mon cœur était percé, mais je n’étais pas morte, je respirais toujours… C’est laque je vois qu’on fait un enterrement en mon honneur, quand ce n’était pas moi qu’on conduisait au cimetière : une personne, morte celle-là, était dans le cercueil et moi toujours à l’hôpital ; au bout de quelques jours, je me jetais par une fenêtre d’un deuxième étage dans la cour et je criais si fort que tout le quartier fut en émoi ; les sergents de ville firent ouvrir les portes par la force et l’on me transporta de nouveau chez moi ; tout cela vient de passer dans ma tête malade ; je me vois dans mon lit où je me reconnais, mais je suis d’une faiblesse extrême. »

Le cas du gendarme, cité par Taine (123) d’après le Dr Lhomme (124), et souvent rapporté depuis, est encore celui d’un délire où un rêve joua une place prépondérante (délire qui fut d’ailleurs passager) :

Le gendarme S… assiste à une exécution capitale qui lui cause une émotion profonde (tremblement nerveux, visions de la tête sanglante). Puis, conversation insignifiante avec son maréchal des logis. Il croit que celui-ci va faire un rapport au ministre, parce qu’il a dit qu’il n’avait pas bonne opinion des protestants. « Quelques jours après, je rêvais qu’en effet j’étais condamné à mort par le ministre, sans avoir passé en jugement. Dans mon rêve, je me voyais tout garotté, et l’on me poussait vers la guillotine, en me roulant comme un tonneau. Je fus très vivement [p. 68] impressionné de ce rêve; je le racontai à mon camarade qui se moqua de moi, mais il me revenait très souvent à l’esprit. »

Un peu plus tard, il s’enivre, est menacé d’un rapport, pense à son rêve, croit entendre chuchoter qu’on le guillotinera, y croit fermement, se sauve, a des hallucinations visuelles, auditives et verbales constantes, tire des coups de fusil, quand on vient le chercher, ne peut dormir, mais s’étant endormi enfin, il n’a plus rien au réveil.

Nous pouvons encore citer Bail sur ce sujet :

« Le sommeil et les rêves avec tout leur cortège d’hallucinations étranges, de raisonnements absurdes et de conceptions monstrueuses ont été maintes fois considérés comme le prototype de la folie et l’on a pu saisir un rapprochement encore plus intime entre l’aliénation mentale et cet état de trouble, de confusion et d’affaiblissement de l’esprit qui succède immédiatement au réveil el peut quelquefois se prolonger pendant un court espace de temps.

« Enfin on a signalé, chez certains sujets, une véritable invasion des rêves dans la vie normale, une sorte de fusion de l’état de sommeil et de l’état de veille, qui trouble complètement les opérations de l’esprit et constitue un véritable délire. Il est en effet des malades dont la seule erreur consiste à prendre pour des réalités les illusions fantastiques qui ont assiégé leur chevet et les discours qui ont bercé leur oreille endormie.

« Si, comme on l’a dit, la folie a paru quelquefois éclater au sortir d’un rêve, c’est que le rêve lui-même n’était que le premier symptôme d’un état morbide depuis longtemps préparé (125). »

Il a pu étudier un de ces rêves prolongés (126) de délire consécutif à un rêve et dans lequel un individu, bonapartiste, employé de commerce, qui se dit secrétaire d’un colonel connu, raconta, au lendemain de l’arrestation du prince Napoléon, avoir tué Cassagnac par son article insolent. Il fut assez long à revenir de son erreur ou mieux à se réveiller de son rêve.

Et Bail ajoute encore que :

« Certains cas de folie ne sembleraient être que des rêves longtemps continués, que les rêves peuvent être quelquefois aussi les signes précurseurs d’une folie prête à éclater (127). » [p. 69]

Ces considérations de Bail énoncent, dans la plus large mesure, nos conclusions mêmes.

Il faut reconnaître que l’on a dans les rêves un signe précurseur fréquent des maladies mentales, au moment de leur période d’incubation, parfois fort longue, et pendant laquelle les autres signes sont vagues et ne peuvent rien présenter de concluant. Le rêve peut devenir, dans une certaine mesure, le signe essentiel pour le pronostic des délires. Dans tous les phénomènes d’aliénation véritable, nous ne croyons pas que le rêve ait eu un rapport d’efficience avec le délire, ni même qu’il ait eu une influence sur la forme particulière du délire. Dans ces cas, le rêve ne faisait guère que réfléchir le délire qui ne se manifestait encore que dans les domaines de la subconscience.

Et s’il est très vrai que l’on peut considérer les délires comme des rêves prolongés, c’est que, dans ces cas, les rêves eux-mêmes n’étaient que des délires commençants.

Le rêve est proprement un symptôme, et c’est le premier des symptômes qui vient en messager hâtif annoncer, à la surface, les révolutions et les troubles pathologiques qui débutent dans les régions pro- fondes de l’esprit, et ne tarderont pas à gagner et à envahir la conscience tout entière.

V. — HYSTÉRIE

La première observation scientifique qui ait été donnée de l’influence des rêves sur l’état mental des hystériques date de 1692 ; elle est d’un certain Bautzmann (128) et est fort curieuse.

L’auteur n’y a pas consacré moins de cinquante pages, où, en donnant des renseignements généraux assez complets, il s’attache surtout à montrer que la malade prédisait ses crises et tous les divers accidents qui lui pouvaient arriver, en particulier les délires ; elle indiquait d’ailleurs aussi les remèdes, qui étaient toujours efficaces. Il y a, dans l’observation, des espèces de calendriers, faits par la malade, où elle plaçait ses accidents par mois, par jour et par heure.

Ces troubles durèrent de 1685 à 1690, âge où elle se maria. En 1692, rien n’avait encore reparu.

Il est hors de doute que ces prédictions étaient suivies d’effet, parce que leur existence même devait être en grande partie la cause directe de ces effets eux-mêmes.

Ainsi donc, le rôle du rêve dans l’hystérie a souvent été signalé. Et l’on admet généralement que la vie du sommeil naturel, et non pas seulement celle du sommeil hypnotique, a une influence considérable sur la vie de la veille.

« Mais c’est surtout dans les affections nerveuses, dit Blocq, que le rêve peut acquérir une valeur sémiologique importante. La seule répétition prolongée d’un cauchemar équivaut à un stigmate de dégénérescence. Dans certains cas morbides tels que l’hystérie, on observe, d’une façon habituelle, des rêves terrifiants avec visions d’animaux, tout à fait semblables à ceux de l’alcoolisme. Dans ces cas, les rêves ont pu être suivis immédiatement de paralysie ou d’abasie. Il est à remarquer aussi que, dans les cas de paraplégie de même nature, il est rare que les malades rêvent qu’ils marchent. »

« Il nous faut enfin signaler les rêves dans l’hystéro-traumatisme qui se rapportent presque toujours à l’accident provocateur de la névrose, et ont une telle consistance qu’ils figurent au nombre de ses symptômes. »

Escande de Messières (129) croit que le vrai caractère du rêve hystérique est son influence longtemps persistante après le sommeil et la perte fréquente de son souvenir.

Ainsi Marie rêve que la foudre la frappe et garde une douleur persistante. Berthe L… ressent de l’antipathie pour son père et veut se livrer à des voies de fait sur une de ses amies, parce qu’elle a rêvé qu’elle était leur victime. [p. 71]

Le dédoublement de la personnalité est permanent et l’absence persistante de contrôle permet au rêve de s’imposer comme une suggestion ; l’objet du délire est souvent variable, parce que le défaut de synthèse mentale, la désagrégation produisent un dédoublement de la personnalité.

De Sanctis (130) déclare que, dans l’hystérie, comme d’ailleurs, à un moindre degré, dans la neurasthénie, ce qu’il y a de plus caractéristique, c’est la grande quantité de songes et leur prolongement dans la vie de la veille sur laquelle ils influent considérablement, et aussi la zoopsie qu’on rencontre dans tous les délires d’intoxication, ce qui lui paraît une analogie remarquable pour la nature de l’hystérie.

Il donne un cas typique de ce genre, Concetta, âgée de vingt ans, observée en 1894, puis en 1898. Les songes étaient particulièrement dramatiques et inquiétants.

Pour Tissié, les rêves de l’hystérie sont généralement fatigants et épouvantables et surtout ils ont un grand retentissement sur l’état de veille. Voici une observation citée :

F. Os…, quarante-deux ans, malade hystérique ; avant d’être atteint de parésie, il avait eu des rêves tactiles; ii croyait s’envoler dans les airs. Il assure ne plus rêver depuis qu’il est malade, il le devint après une émotion occasionnée par un procès ; quinze jours après, vers minuit, il eut une hallucination ; il vit un homme de petite taille sortir de sa chambre, les mains en avant.

Une autre nuit, il rêve qu’il assiste à un tremblement de terre et à l’écroulement de sa maison ; au réveil, il est tout étonné de se trouver en place.

Rêve qui coïncide avec son état parétique.

« J’étais seul, dit-il, dans la forêt d’Arcachon dans un endroit triste. A un moment donné, je vis des pieds avec des jambes et des cuisses nues, qui se promenaient majestueusement sur la route empierrée. Je distinguais surtout une paire de mauvaises jambes qui s’en allaient cahin cahin. Voilà mon affaire ; celles-là, on ne nie les réclamera pas, donnez-moi la meilleure et mettez-là à la place de la mienne, dis- je, ce qui fut fait… »

L’influence du rêve sur la veille est particulièrement [p. 72] nette chez le fameux malade de cet auteur, Albert X…,

qu’il appelle un « captivé » (131).

Les fugues de cet « aliéné voyageur » étaient régies par les rêves. Si on lui parlait d’une ville dans la journée, il y rêvait la nuit et y partait le lendemain. Parfois le rêve était assez intense pour qu’il crût même y avoir été.

Ainsi il rêve une nuit qu’il a été à Liège. Il déclare au matin y avoir été réellement. On lui en montre l’impossibilité, qu’il reconnaît. Et cependant il n’a pas rêvé, dit-il. Il a alors une forte envie d’y aller. Mais, après une nouvelle nuit où il eut des songes divers, il revient à l’état normal (132). — Une autre fois il rêve d’Arcachon et a envie d’y aller ; on le laisse faire (133), il rêve ensuite de Libourne, et, cédant à l’impulsion, s’y rend (134), etc.

Le rêve ayant une telle influence sur la vie de la veille, il était naturel que Ton cherchât à suggérer des rêves dans un but thérapeutique et & utiliser ainsi cette influence.

M. Tîssié a pratiqué très souvent la suggestion principalement thérapeutique du rêve ; ces suggestions imposées dans le sommeil hypnotique à côté d’une suggestion témoin avaient pour but de faire disparaître certains phénomènes morbides.

Une jeune fille de vingt ans, mal réglée, affligée de cauchemars et d’insomnies, de juillet à novembre 1893, en lui faisant des suggestions de rêve dont le thème est donné, qu’elle lui raconte en sommeil hypnotique, ou dont elle envoie le récit par écrit, il la guérit complètement.

« Ainsi, conclut-il, la suggestion de sommeil a supprimé l’insomnie, et les rêves provoqués ont déplacé les cauchemars ; les règles sont revenues, l’état psychique s’est amélioré. »

Une enfant de quinze ans est atteinte de kleptomanie depuis six ans, on lui suggère de ne plus voler avec suggestion témoin qui s’accomplit ; le traitement dure du 14 octobre au 20 décembre 1893. Elle est alors complètement guérie et on peut avoir pleine confiance en elle.

— Au cours du traitement d’une femme alcoolique, Tissié se serait aussi servi de rêves suggérés.

— Enfin nous retrouvons Albert X…, auquel il suggérait des rêves thérapeutiques. [p. 73]

L’observation de Pitres est du même genre :

Louise G…, âgée de trente-sept ans, hystérique. Le docteur Pitres remarqua qu’elle avait souvent son caractère modifié^ sans cause apparente, par des rêves dont elle n’avait aucun souvenir à l’état de veille, qui étaient attestés par une très grande agitation, et qui lui furent révélés dans le sommeil hypnotique, où elle en gardait un souvenir précis. II essaya dans le sommeil hypnotique de lui donner des rêves suggérés qui réussirent pleinement et même arriva ainsi à la guérir d’un grand nombre d’accidents par ce moyen (135).

Chaslin avait déjà signalé cette possibilité d’une influence suggestive médicale efficace dans le sommeil naturel et cela sans faire appel au sommeil hypnotique, en le pratiquant dans le sommeil normal même :

« L’exagération de la réceptivité mentale dans le sommeil est encore manifeste par la possibilité, chez certains névropathes en particulier, de faire obéir à un ordre qui fut sûrement resté sans effet à l’état de veille, en répétant l’injonction pendant plusieurs nuits de suite, dans le sommeil naturel. Chez beaucoup de sujets normaux, le sommeil sert en quelque sorte de caisse de résonance aux excitations perçues pendant la veille (136). »

Nous avons déjà parlé des pratiques de Farez à cet égard. Cependant si le fait est vrai en lui-même, il faut se défier des exagérations dont est particulièrement susceptible l’école du Dr Bérillon qui pratique la suggestion à propos de tout et voit là une panacée universelle et la clef en quelque sorte du perfectionnement de l’humanité. Et l’on peut souvent, de très bonne foi, s’égarer lorsque l’on est dans cette voie.

Il ne faudrait donc pas prétendre que la suggestion, même dans le sommeil naturel, soit universellement efficace. Cela ne se fait que chez les névropathes et les hystériques. Et c’est ainsi que ce brave monsieur que sa femme menait par le bout du nez au moyen de pratiques analogues était un bon névrosé, comme le déclare l’auteur (137). [p. 74] D’autre part la technique indiquée par le Dr Farez est un peu inquiétante. Répéter « dormez » et le faire sur un ton savamment gradué et prudemment monotone n’est pas à la portée de tout le monde. On peut même demander jusqu’à quel point il est à la portée de l’auteur lui-même. Encore une fois le fait est vrai, mais n’exagérons pas.

En revanche, le rêve peut parfois servir de dérivatif à la suggestion du sommeil hypnotique ; le sujet rêve qu’il l’exécute et croit l’avoir réellement fait, comme  l’a montré Delbœuf (138).

Signalons une observation de Dubruel qui n’est d’ailleurs appuyée d’aucun exemple précis ; il attribue à des rêves, des cas de pseudo-grossesse qu’il considère alors comme traitables par suggestion (139).

Sur les signes précurseurs de l’hystérie dans le sommeil, il ne semble pas qu’on gagne en précision dans les études contemporaines.

Kelle (140) considère comme signes précurseurs de l’hystérie les actes de somnambulisme, les cauchemars et les terreurs nocturnes, signes bien peu caractéristiques.

L’auteur ne signale pas ce qu’il y a de plus sûr, le prolongement du rêve sur la veille.

Voici par exemple une observation curieuse :

C’est un cultivateur de trente et un ans, qui, depuis quelques années, est sujet à des crises dans lesquelles il se livre sur lui-même à des automutilations très graves. Le matin, quelques minutes après son réveil, il se met à pousser des cris d’effroi et on le voit commettre d’une façon inconsciente des tentatives de suicide, qui n’aboutissent qu’à des mutilations. Dans une de ces circonstances, il s’est frappé le crâne avec une hache et a saigné abondamment ; une autre fois il a essayé avec ses doigts de s’arracher l’œil droit de l’orbite, et, comme il n’y parvenait pas, il eut recours à son couteau. La cornée porte la trace de ces blessures, et il a complètement perdu la vue de cet œil.

Il s’est arraché sept dents avec des tenailles. Un beau [p. 75] jour il saisit ses organes génitaux et les tira fortement pour les arracher, etc.

Ces crises ne sont jamais accompagnées de perle de connaissance, ni d’écume à la bouche, ni de miction involontaire. Elles reproduisent un rêve survenu pendant la nuit, rêve dans lequel il croit exécuter ces actes (141).

Parfois, ce prolongement donne même chez les hystériques un véritable délire qui en fait presque des aliénés véritables.

T…, hystérique.

« Vers la fin de sa grossesse, on lui annonce qu’une de ses cousines a succombé dans le cours d’une fièvre puerpérale. « La première nuit, le souvenir vient se renforcer dans un rêve ; les nuits suivantes, les images prennent dans le rêve une intensité croissante, en arrivant à persister après le réveil ; enfin, elles persistent en plein jour, le délire est constitué, elle voit et entend la morte lui parler, etc. (142). »

Mlle A…, trente-quatre ans, stigmates permanents d’hystérie, a épousé un de ses cousins qui s’est tué dans un puits le 13 septembre 1885. Depuis, elle est restée sombre.

« Le 1er décembre, à la suite d’une contrariété, elle dit : « C’est à se jeter dans le puits. » Elle est frappée au son de ce mot ; et à partir de ce moment, elle a la formule du délire qui va se développer. La nuit suivante, elle a un cauchemar où figure le puits ; le cauchemar se répète avec plus d’intensité plusieurs nuits, finit par persister dans la période intermédiaire entre le sommeil et le réveil ; enfin l’idée du puits persiste pendant le jour : elle pense sans cesse à s’y jeter. Peu à peu on voit se développer des hallucinations corrélatives… »  Ne voulant pas déshonorer sa famille par un suicide de ce genre, elle cherche à se tuer autrement (143).

Mlle…, dix-huit ans, névropathe, appétit excellent.

« Un matin elle refuse la viande qu’on lui présente, et raconte que, la nuit, elle avait rêvé qu’elle vomissait à la suite d’un repas trop copieux. Tel a été le début d’un accès de sitiophobie qui a duré quatre mois et a laissé après lui une anorexie nerveuse permanente (144). »

Mme A…, vingt-cinq ans. Hystérique faible.

Dans une période d’abattement, elle passe devant une église tendue de noir avec la lettre A. Très frappée, dans [p. 76] la nuit suivante, elle entend des cloches sonner le glas funèbre, et voit des corbeaux voler dans la chambre. Au réveil, elle a toute sa raison, dit que ce n’est qu’un cauchemar, un mauvais rêve. Cependant elle reste un peu inquiète. La deuxième nuit, le même rêve se représente et, comme la veille, la malade au réveil est convaincue qu’elle a été le jouet d’un rêve. Cependant elle avoue que son esprit n’a pas la tranquillité habituelle ; par moments elle parait absorbée, mais ne délire pas. La troisième nuit elle voit une apparition qui lui montre une bière entourée d’étoiles el une voix lui dit : « La mort. » Le lendemain, elle croit à son hallucination : c’est qu’elle va mourir, qu’on va la tuer, ou qu’alors il faudra qu’elle se suicide, pour obéir à l’apparition, « Le drap de deuil à l’église était bien pour elle (145). »

Ainsi, s’il est bien probable que, dans le délire commun, le rêve qui le précède n’est qu’un symptôme, au même titre que le rêve qui l’accompagne, que ce n’est qu’une première manifestation d’un état établi et durable, il n’en va pas de même pour les rapports du rêve et des accidents hystériques qui semblent bien être déterminés par lui comme une suggestion quelconque.

Ce que l’on remarque surtout chez les hystériques, c’est l’objectivation, semble-t-il, des données du rêve. Le rêve n’est pas différencié de la vie de la veille. Le peu de systématisation psychique ne permet pas de critérium suffisant de distinction générale, et l’intensité du rêve ne permet pas même le critérium de l’effacement des images.

Citons encore un cas intéressant de Macario (146).

« Une femme, dont j’ai rapporté l’histoire, rêve (c’était à l’époque de ses menstrues) qu’elle adresse la parole à un homme qui ne peut lui répondre, car il est muet, et, chose remarquable, à son réveil, elle est aphone. »

L’observation suivante est plus frappante :

« Une dame, âgée de trente-cinq ans, mariée, mère de famille el manifestement hystérique, se plaint de palpitations et d’angoisse précordiale ; elle se croit atteinte de cardiopathie ; en réalité il s’agit de topoalgies qui cèdent [p. 77] facilement à la suggestion ; mais celles-ci récidivent avec ténacité. C’est qu’elles sont dues à un rêve terrifiant, toujours se reproduisant le même, oublié au réveil, mais persistant à l’état subconscient et susceptible d’être retrouvé pendant le sommeil hypnotique. Grâce à la suggestion, ce rêve est inhibé, le sommeil naturel devient exempt de cauchemar et la santé générale se rétablit.

« Mais quelques mois après, de violentes émotions surviennent, la vie de famille est désorganisée et cette même dame souffre d’une crise angineuse tres intense.

« Il s’agit d’une fausse angine de poitrine; or cet accès angineux a été la copie fidèle et la reproduction exacte d’un rêve survenu pendant la nuit qui a précédé la crise, mais oublié, lui aussi, pendant la veille normale et resté à l’état subconscient; une circonstance de peu d’importance a suffi pour donner le branle et lâcher la bride à tout ce complexus d’associations qui s’étaient peu de temps auparavant systématisées sous la forme onirique (147). »

Féré cite encore un cas semblable :

« Une jeune fille de quatorze ans rêve que des hommes la poursuivent pour la tuer sur la place de l’Odéon. Elle fait de grands efforts pour leur échapper et y réussit ; mais elle est très fatiguée toute la journée du lendemain. Cela se répète plusieurs nuits de suite et persiste même dans la veille. Enfin, à la suite d’une faiblesse continue dans les jambes, elle a une paraplégie et va à la Salpêtrière (148). »

Cependant l’auteur attribue le fait ici à une paralysie véritable par épuisement. Il a d’ailleurs, paraît-il, déterminé des parésies analogues, en provoquant chez des sujets hypnotisables des rêves de course.

Cependant, à ce propos, le Dr P. Janet combat cette interprétation donnée par Féré de la paralysie par épuisement des centres. Car, selon lui, cette paralysie devrait se produire dans tous les cas où il y a eu un rêve de travaux très fatigants ; or, il signale justement des cas, dont nous reparlerons, et où des sujets, à la suite de tels rêves, avaient, non pas des paralysies, mais des contractures :

« Enfin, dit-il, ce qui nous paraît essentiel dans les accidents hystériques, c’est la persistance du rêve ; le rêve n’existe pas seulement dans quelques cas particuliers où [p. 78] un songe a été le point de départ des accidents, il existe toujours, le jour comme la nuit, que le sujet s’en rende compte ou qu’il l’ignore. C’est là le véritable accident hystérique et il n’est pas expliqué par l’épuisement accidentel d’un centre moteur (149). »

Le Dr Janet ne serait pas éloigné de considérer  l’hystérie comme une sorte de sommeil, et son état mental comme celui même du rêve ; alors le prolongement du rêve dans la veille n’en serait que la continuation normale.

C’est naturellement aux études si autorisées du professeur Raymond et du Dr Janet que nous pouvons surtout nous en rapporter pour l’influence du rêve sur leur vie.

Nous en trouvons nombre de cas (150).

Telle, cette insomnie dont la cause est un rêve.

C’est une femme dont l’enfant est mort depuis trois ans.

« Si elle s’endort profondément, si elle cesse de vous écouter, de vous répondre par des serrements de la main, elle va se réveiller brusquement dans un instant. Si elle continue à vous écouter, on peut la rassurer constamment, la diriger dans ses rêves, et le sommeil peut être prolongé pendant des heures.

« Quand on interroge la malade pendant ce sommeil, on constate très facilement un rêve, toujours le même, dont on ne pouvait se rendre compte pendant la veille. Le sujet de ce rêve, c’est tout simplement la pensée et le spectacle de la mort de l’enfant.

« Elle le voit mourir et assiste à son enterrement, le rêve ne dure guère, car la malade, bouleversée, épouvantée, se réveille immédiatement. Au début de la maladie, le rêve était invariablement le même ; depuis quelques mois, il se modifie un peu ; ce n’est pas toujours son enfant qu’elle voit mourir; c’est son père ou son frère qui meurent devant elle; et, dans sa pensée, il s’agit toujours d’une fièvre typhoïde. On voit là cette modification lente des idées fixes subconscientes qui nous a paru souvent fort intéressante. Quoiqu’il en soit, ce n’est au fond que l’idée fixe primitive, celle de la mort de l’enfant qui obsédait l’esprit d’une manière consciente pendant la convalescence de la fièvre typhoïde, et qui avait semblé disparaître complètement.

« En réalité la disparition n’avait été qu’apparente, comme [p. 79] cela arrive si souvent ; l’idée fixe avait simplement changé de caractère psychologique. Elle était devenue subconsciente et ne se développait plus complètement que pendant, les instants de sommeil. Ne peut-on pas dire que ce rêve, toujours le même, n’est ici qu’une forme variable de l’idée fixe ? Mais, sous cette forme, l’idée fixe avait déterminé un symptôme en apparence tout à fait nouveau, l’insomnie (151) »

Les observations de Ma. et Roi. sont analogues à la précédente.

Voici une malade, prise jusque dans le sommeil naturel d’attaques de sommeil particulières avec contracture, et attitude recroquevillée, à la suite de rêves émotionnels, où elle a des peurs folles, telles que celle qui consiste à aller dans le cabinet d’un médecin qui l’effraie ; elle croit sur- tout qu’elle est obligée de se battre, à la suite de querelles.

« On dirait que le sommeil devient pathologique quand les images kinesthésiques se réveillent. »

Chez Justine, dont nous avons déjà dit un mot, les rêves provoquent souvent des contractures systématisées.

« Dans d’autres cas, les idées fixes vont provoquer des mouvements subconscients. Préoccupée d’un changement de domicile, Justine rêve toutes les nuits qu’elle déménage ; elle fait des mouvements pendant le sommeil et, le matin, se réveille avec les bras et les jambes contractures. Ces contractures sont particulièrement intéressantes ; elles sont nettement systématiques. Tous les muscles ne sont pas tendus au même point ; ils le sont à des degrés différents, de manière à maintenir le membre dans une position rigide, mais expressive.

‘Les bras sont en avant du thorax, à demi-fléchis, comme s’ils portaient un objet lourd, l’une des jambes est étendue sur la cuisse avec le pied fléchi sur la jambe, l’autre jambe est à demi-fléchie. C’est la position que prennent les membres inférieurs quand on monte un escalier.

« Elle eut ainsi fréquemment des contractures systématiques de ce genre, à la suite, qui se sont produites pendant la nuit et même pendant le jour. Elle rêve qu(elle marche la tête en bas et contracture ses bras dans l’extension au-dessus de sa tête ; elle rêve qu’elle grimpe aux arbres et les mains restent en griffes ; elle rêve surtout à son piano et fait des efforts pour atteindre l’octave, et voici les deux mains qui restent immobiles, les doigts raidis et écartés au maximum, comme pour faire l’octave (152). » [p. 80]

Le Dr Janet s’est aussi parfois servi du rêve pour pénétrer le domaine profond de la conscience de ses malades.

C. O…, est sujette à de fréquentes attaques de sommeil. On lui suggère de rêver tout haut ; et voici ce que l’on entend :

« Ma pauvre amie, il faut que je porte des fleurs sur sa tombe… des fleurs blanches… on en fera des bouquets pour moi… Il faut pour moi une petite boite de bois, banche, toute petite, on la mettra sur deux chaises ; la voici, on l’apporte (153). »

C’est donc l’émotion d’avoir vu une amie agonisante et un homme écrasé qui produit l’attaque à tout propos. C’est le rêve qui a permis de trouver le mécanisme idéique de ces attaques de sommeil.

Notons qu’en revanche, des accidents hystériques disparaissent souvent pendant le sommeil ; ainsi en est-il pour des contractures (154), pour une paralysie (155), un torticolis mental (155), des hoquets et des rots (156), un tremblement émotionnel qui réapparaît pourtant avec des rêves reproduisant l’émotion (157).

Il en est encore ainsi pour des écoulements d’eau des mamelons et des seins : « Ils cessaient toujours complètement dès que la malade était endormie pour recommencer régulièrement chaque matin au réveil (158). »

Le Dr Janet avait déjà signalé ce phénomène pour d’autres accidents et même pour des stigmates hystériques, tels que l’anesthésie.

« Pendant le sommeil naturel de la nuit, l’anesthésie tactile disparait souvent. On comprend que le fait soit assez difficile à vérifier. Il faut surprendre les malades la nuit et avec toutes sortes de précautions pour ne pas les réveiller : il faut les pincer du côté anesthésique, elles gémissent, se retournent, se plaignent en dormant, ou se réveillent brusquement, absolument comme ferait une personne normale.

« Jules Janet, quand il était interne chez Dumontpallier, [p. 81] a vérifié ce fait à plusieurs reprises chez deux malades dont il m*a communiqué l’observation ; j’ai fait constater le fait sur plusieurs personnes, en particulier sur Berthe et Isabelle. Mon ami, M. Duthil, a bien voulu faire pour moi une vérification de ce fait sur une hystérique, G…, hémi-anesthésique gauche. Pincée à gauche pendant son sommeil naturel, elle rêve tout haut : « Tu me pinces… c’est bête… etc. (160).»

Il en est de même pour l’amnésie :

« Le sommeil naturel, comme nous l’avons déjà vu en étudiant les sensations, peut aussi nous montrer la mobilité, le caractère périodique de ces amnésies et la conservation réelle des souvenirs. On sait comment M. Gharcot s’est aperçu pour la première fois de la conservation des souvenirs chez Mme D…, cette malade qui semblait cependant ne conserver aucune image dans l’esprit. Elle parlait tout haut la nuit et murmurait des paroles que des voisines ont pu entendre. En rêve elle parlait du chien enragé, de la Salpêtrière, des médecins en tablier blanc, enfin de tout ce qu’elle paraissait avoir oublié. J’ai vu bien souvent une personne qu’on avait hypnotisée dans la journée, et qui semblait avoir un oubli complet au réveil, raconter tout haut pendant la nuit, comme faisait Lucie, ce qu’on avait fait avec elle pendant le somnambulisme. Quelquefois des souvenirs du somnambulisme réapparaissent d’une façon curieuse ; ils ne sont pas exprimés tout haut par le sujet, mais ils se représentent à lui pendant le sommeil comme un rêve ordinaire.

« Or comme on peut ordinairement se souvenir de semblables rêves, le sujet, au moyen de cet intermédiaire, retrouvait la mémoire de son somnambulisme (161). »

Il y a, dans cette disparition des troubles hystériques dans le sommeil, un élément précieux pour le diagnostic de certains accidents que Ton pourrait croire somatiques et dont on reconnaît ainsi l’origine purement psychique.

Le cas suivant a trait à un individu dont les attaques sont régies par les rêves.

« Ce malade se réveille sans se souvenir du rêve qui a provoqué l’attaque ; ce rêve est cependant réel, il joue même dans l’accident le rôle le plus important et on peut [p. 82] constater son existence, soit par les paroles que le sujet prononce en dominant, soit par le récit qu’il a fait en somnambulisme. Il en est de même pour les attaques qui ont lieu dans le jour… (162). »

Citons encore une femme qui, à la suite de reproches que lui fit subir sa mère, voulut se jeter à l’eau dans son rêve ; elle fait un soubresaut qui la réveille, et, à la suite, a des peurs qui ont, dit-elle, pour motif des hallucinations de serpents provoquées par i émotion de la peur.

Is… a été violée. Depuis « elle a des rêves nocturnes et mêmes diurnes dans lesquels elle voit l’enfer, entend sa mère morte lui faire des reproches du haut du ciel, prend la résolution de mourir, etc. » Sa mère lui déclare aussi qu’elle ne doit pas manger et qu’elle est indigne de vivre. A la suite de cela, anorexie persistante d’Isabelle (163). Et ce cas ne doit pas être le seul d’anorexie causée par un rêve.

Le délire de Daill… est du même genre :

Daill…, trente-trois ans. « Voit le diable tout noir avec ses cornes ; il entend un démon chuchoter des menaces de damnation, et des conseils pernicieux ; il sent un autre démon dans la poitrine qui le force à prononcer des blasphèmes. C’est un délire de possession, avec agitation maniaque subaiguë.

« Il y a un an, il est rentré d’un petit voyage, sombre et préoccupé ; il refuse d’embrasser sa femme; sa mauvaise humeur continue et il semble perdre la parole. Bientôt il parle un peu mieux ; il eut des étouffements. Un médecin diagnostiqua angine de poitrine, l’autre diabète. Le malade, peu rassuré, refusa de quitter son lit et cessa de manger ; il s’écartait toujours de sa femme. Un matin, il se prit à éclater d’un rire satanique ; et, depuis, il délire, ne parle que de démon et commet mille folies. Mis en somnambulisme, il raconte que, pendant son voyage, il s’était permis de tromper sa femme, et, bourrelé de remords et tourmenté par l’idée d’une maladie contagieuse, de là son mutisme et son éloignement de sa femme… Puis il avait rêvé qu’il était bien malade et qu’il mourait : période d’immobilité dans son lit. Enfin il s’était cru transporté dans l’enfer. A ce moment, le rêve subconscient avait grandi et provoqué des hallucinations dans la conscience normale (164).

Parfois le rêve laisse après lui des zones hystérogènes :

« L… rêve qu’il se bat contre un voleur et repousse l’as- saillant avec sa main droite, pendant que celui-ci lui met le genou sur l’hypocondre gauche et lui serre le cou avec la main. Il présente, au réveil, un point hyperesthésique au [p. 83] flanc gauche, point qu’il suffit de presser pour amener l’hallucination complète de la scène, mais il présente en outre une plaque d’anesthésie au cou, une insensibilité complète et une paralysie presque complète du bras droit (165). »

Enfin il n’est pas jusqu’à des troubles extérieurs, des saignements de nez, qui ne soient provoqués par des rêves.

« Isabelle, que je n’ai pas vue depuis un an, revient à la Salpêtrière parce que, depuis quinze jours, elle saigne du nez tous les matins et ne sait à quoi attribuer cet accident. Mise en somnambulisme, elle raconte, ce qui a été vérifié, qu’il y a quinze jours elle s’est trouvée mêlée à une bataille qui avait lieu dans la rue. Elle avait eu une forte émotion, et se mit à saigner du nez. Depuis, elle rêve tous les matins à cette bagarre, et son rêve se termine par un saignement de nez, qui aurait sans doute résisté longtemps aux autres thérapeutiques (166). »

On a même trouvé parfois des cicatrices ou des plaies consécutives à des rêves. Une personne aurait, d’après Hasse, rêvé avoir reçu le fouet et, au matin, elle aurait eu des lésions en tout semblables à des cicatrices (167).

Ainsi donc, il semble, selon ces faits, qu’on ne puisse guère garder un caractère absolument net du rêve dans l’hystérie, que d’après son prolongement dans l’état de veille et l’influence anormale qu’il exerce sur les croyances et sur les actions des individus, et même sur leur attitude somatique.

Le rêve est, la plupart du temps, le facteur môme des troubles qui peuvent le produire, et n’en est pas seulement le symptôme. Cela semble la caractéristique du délire hystérique. Le rêve peut donc être, ici, plus qu’un instrument de pure et simple constatation, il peut et doit donc devenir aussi, dans une certaine mesure, un instrument d’action directe.

VI. — ÉPILEPSIE

Avant d’examiner les études modernes assez précises, quoique peu nombreuses, qui ont été faites sur [p. 84] les rêves des épileptiques, citons une remarque et une observation de Joseph Frank :

« On doit craindre, dit-il, que l’incube ne se transforme en épilepsie, en manie, en catalepsie, et surtout en apoplexie (168). »

L’observation, qu’il ne donne pas comme un cas de rêve prodromique d’épilepsie, peut cependant être considérée comme telle dans une certaine mesure.

« Les Juifs Lithuaniens, d’après l’ancienne coutume de leur nation, comme on le voit dans les cas d’Abémélech, de Joseph, attachent une grande importance à l’interprétation des songes, et, lorsqu’ils en tirent des présages défavorables, la terreur les jette parfois dans de graves maladies. Un capitaine russe me présenta le 18 mai 1815 un exemple très remarquable des effets pernicieux de songes effrayants. Le père de cet officier avait été pris d’épilepsie à l’âge de cinquante ans, par suite d’aspersions d’eau froide faites tout à coup et à son insu. Les attaques revenaient dès lors toutes les trois semaines, et enfin au bout de dix-sept ans, il mourut dans une d’elles. Le fils dont nous parlons avait alors dix ans. Il vécut en bonne santé jusqu’à sa dix-huitième année. Il lui sembla, une nuit, dans un songe, que son père, encore vivant, lui tombait sur la poitrine dans une attaque d’épilepsie. Il se réveilla aussitôt, et, néanmoins, la même image persista longtemps devant ses yeux.

« Peu de jours après, il tomba lui-même dans un état d’épilepsie dont les attaques revenaient tous les mois pendant le jour et qui persistait encore dans sa vingt-quatrième année. Le malade doit son état à la terreur produite par un songe. Mais ce songe n’était-il pas peut-être le résultat d’une épilepsie nocturne ? Ou n’était-ce pas une espèce de cauchemar précurseur de l’épilepsie ?

« Néanmoins il n’éprouva jamais depuis d’attaque nocturne et le réveil subit n’appartient pas ordinairement au cauchemar ».

Voici maintenant des études plus systématiques.

Féré (169) a parlé de ce qu’il appelle les rêves d’accès chez les épileptiques ; ce sont des rêves où le malade se sent le théâtre d’une crise épileptique qui n’a point réellement lieu. Or cela constitue un symptôme précurseur de réels accès prochains. [p. 85]

Nous allons lui laisser la parole, ce qu’il dit a une importance capitale.

« Le sommeil des épileptiques est souvent troublé par les rêves les plus divers, mais présentant d’ordinaire un caractère pénible et terrifiant.

« Quelquefois les représentations du rêve persistent au réveil et peuvent donner lieu à des actes étranges et dangereux (de Sanctis (170 ) ; d’autres fois, les rêves donnent naissance à un délire plus ou moins prolongé. Dans un certain nombre de cas, les rêves paraissent annoncer les accès, rarement ils semblent les remplacer : c’est ce qui arrive surtout au cours d’un traitement efficace, et en particulier au cours de la bromuration. Les attaques nocturnes sont assez souvent précédées de rêves : quelquefois c’est toujours le même rêve. Un de mes malades se souvient qu’il a rêvé une chute dans un précipice ; il n’a aucun souvenir de l’accès, mais il s’est mordu la langue et a uriné dans son lit. »

Althaus (171) a cité un cas analogue ; toutefois la sémiologie n’a pas, jusqu’ici, écrit Féré, tiré grand parti des rêves chez les épileptiques.

Les rêves, sur lesquels Féré désire appeler l’attention, et qui lui ont paru présenter une certaine importance sémiologique, ce sont des rêves d’accès.

« Le malade raconte qu’en se réveillant à son heure habituelle, il lui restait le souvenir d’avoir éprouvé tous les phénomènes qui constituent l’aura de ses accès, puis, qu’il s’est senti perdre connaissance et qu’il avait senti des convulsions qu’il décrit. Rien n’a été dérangé dans son lit, il ne s’était pas mordu la langue et n’avait pas uriné comme dans ses accès. Les personnes qui couchaient dans sa chambre ou partageaient son lit, n’avaient pas été dérangées comme d’habitude ; s’il se sentait un peu las, il n’éprouvait point la courbature bien reconnaissable qui lui révèle ses accès nocturnes. »

J. L…, quarante-deux ans, d’une famille de névropathes.

Il reçut un jour un coup de marteau sur l’annulaire gauche ; il eut quelques heures d’endolorissement.

« La nuit suivante, le malade rêva que son annulaire gauche se raidissait, que son membre tout entier s’élevait en tremblant, pendant que sa tête était fortement tordue [p. 86] du côté opposé, el que sa face grimaçait malgré lui, puis sa jambe s’est secouée fortement, et tout à coup il est tombé paralysé de tout le côté. Il ne peut pas préciser combien de temps il a dormi après ce rêve, mais sa femme ne s’est pas réveillée. A quelques jours d’intervalle, ce rêve s’est reproduit une fois sans qu’au lever on remarquât la moindre faiblesse dans les membres et sans que personne eût rien entendu. Le lendemain du dernier rêve, en remontant de la cave, il fut pris d’un accès identique. Les rêves disparurent et les accès se généralisèrent. »

B…, vingt-quatre ans.

Epileptique depuis seize ans, avec intermittences.

Pendant six mois tranquille, en 1896 ; « mais au commencement de février, il avait eu successivement, pendant plusieurs nuits, des rêves d’accès ; il lui restait le souvenir, non seulement de l’aura primitif qu’il connaissait bien mais encore de la phase tonique et classique dont il n’avait jusque-là aucune connaissance. Il n’y avait eu ni la miction, ni la morsure de la langue qui manquaient rarement dans les accès, ni aucune trace de lutte dans le lit : sa mère n’avait rien entendu et il ne lui restait aucune courbature.»

Les rêves cessèrent pendant quinze jours, puis se reproduisirent deux nuits de suite ; le lendemain matin, en sortant du lit, un accès le prit. Il en eut deux la semaine suivante, puis une série. « Depuis que les accès matinaux sont revenus, les rêves ne se sont plus reproduits. »

Mme B…, trente-huit ans ; a eu des accès à la puberté ; à trente-quatre ans, elle a des attaques, puis éblouissement avec perte de connaissance deux ou trois jours par mois. Régime bromure.

Au cinquième mois, les vertiges ayant disparu dès le troisième, « elle raconta un matin qu’elle avait eu un rêve, dans lequel elle avait senti quelque chose qui se serrait dans sa tête, qu’elle avait poussé un cri, s’était raidie, était tombée à la renverse ; sa tête tournait adroite et à gauche avec une rapidité effrayante, elle s’était débattue, puis avait éprouvé un pressant besoin d’uriner et s’était réveillée. Elle s’était levée pour satisfaire le besoin du rêve, mais sans résultat. Il y avait à peu près une heure qu’elle s’était couchée à partir de ce rêve qui s’est produit à plusieurs reprises ; les accès matutinaux, qui autrefois n’étaient précédés d’aucune sensation, ont été annoncés par la sensation céphalique du rêve. La malade avait le temps de se lever ou de se coucher avant l’accès. Puis ceux-ci se sont éloignés, remplacés à même époque par le rêve d’accès.

« Aujourd’hui, la malade, qui prend 12 grammes de bromure de potassium par jour, n’a pas eu d’accès depuis cinq mois, mais elle a eu quatre fois le rêve pendant cette période. [p. 87]

« En somme, les rêves d’accès peuvent constituer un symptôme précurseur d’accès qui ne se sont pas encore produits ou qui vont se produire; au cours a un traitement, il^ peuvent faire présager l’éloignement ou la cessation des accès. »

Herpin (172) « a considéré comme une sorte de loi, l’existence d’accès incomplets avant l’apparition des crises convulsives. Il a cherché en outre à établir que les rêves d’accès incomplets reproduisent en général les troubles prémonitoires de l’attaque… et enfin que, lorsque les grandes attaques guérissent, c’est en… se transformant en accès incomplets. Les rêves d’accès peuvent être considérés comme ayant à peu près la même signification clinique… Les conditions dans lesquelles ils se produisent indiquent qu’il s’agit d’une diminution de l’accès. Le rêve est un véritable accès en miniature qui laisse une trace dans la conscience. »

Féré (173) dit encore que :

« Certaines attaques de la nuit sont causées par des rêves effrayants se rapportant au choc moral qui a, chez le malade, déterminé le premier accès. »

J.-B. Charcot (174) signale un cas d’épilepsie partielle due à une tumeur cérébrale :

L’aura, constitué par une sensation de fourmillement dans le pouce droit, avait été précédé d’un rêve singulier : le malade avait rêvé qu’un serpent lui mordait le pouce. Il s’agit, dans ce cas, d’un phénomène qui se rapproche d’un rêve d’aura.

De Sanctis, que cite Féré, a remarqué chez les épileptiques l’existence des songes terrifiants souvent mêlés à des songes érotiques. Il donne un exemple type dans la personne d’Antonio, âgé de quarante ans, qu’il observa en 1892 et 1897 (175).

Mais les rêves demanderaient à être détaillés.

Plus récemment encore, Ducosté (176) nous parle [p. 88] non plus des rêves d’accès, mais de ce qu’il appelle des songes d’attaque. Ces songes se produisent pendant les attaques, dont ils sont par conséquent contemporains, et pendant les attaques seulement, selon lui, mais ce point aurait besoin d’être démontré.

Nous allons résumer ici, mais assez longuement, les exemples qu’il cite, car ils sont intéressants.

Il n’y en a d’ailleurs que quatre.

1° J… Elle est immobile dans la mer froide qui lui vient à hauteur des seins. Elle éprouve une sensation très pénible, une angoisse inexplicable. A ce moment, arrive une pieuvre qui l’enserre ; elle sent le froid visqueux de ses tentacules glisser sur son corps et sur sa poitrine ; la pieuvre lui suce le sang ; des homards et des marsouins rouges l’enserrent ; elle glisse et tombe ; un homard lui fouille le crâne ; elle aperçoit un phare et veut s’y diriger, mais ses ennemis la harcèlent ; la mer est rougie de son sang, et, trop faible, elle meurt.

2° M…, trente-cinq ans; c’est le soir, le soleil se couche, illuminant en rouge la campagne et le ciel. Elle est debout dans un champ de trèfle. Un taureau monstrueux qui galope dans le champ vient la frapper à la poitrine, sans que, le laissant venir, elle pense à s’enfuir ; jusqu’à ce que, renversée, songeant enfin à se défendre, elle saisisse l’animal par les parties sexuelles qu’elle lui arrache. Un flot de sang s’écoule alors ; le taureau se retourne furieux et lui enlève la tête au bout de ses cornes.

3° H…, cinquante-trois ans. Les Tuileries brûlent, il est sur les bor4s de la Seine, entend une détonation, et reçoit une balle dans la poitrine, il voit sortir quelque chose de l’eau. C’est un drapeau rouge dont une main invisible tient la hampe, ce drapeau grandit démesurément, s’enroule autour de lui, fait cent fois le tour de son corps et l’étouffe ; un bruit d’enfer lui semble sortir de ses plis, et c’est comme une canonnade qui lui brise le tympan ; il a la sensation que ce bruit lui perce un trou au milieu de la tête ; il a un trou, en effet, et tombe de son haut; une colonne de sang chaud, brûlant même, le traverse complètement et sort en jet par le pénis. Il porte une main au sommet de sa tête, pour empêcher le sang d’entrer et de l’autre serre le gland. Mais le sang traverse la main posée sur le vertex et passe quand même ; et le gland étant trop serré pour qu’il puisse sortir, il le sent gonfler de plus en plus. Ses pieds et ses jambes lui semblent d’un poids énorme, son ventre est d’une ampleur démesurée ; le drapeau rouge qui l(enveloppe craque de [p. 89] tous côtés ; il revoit Paris et les Tuileries, qui brûlent toujours ; il court alors droit devant lui, mais, épuisé, glisse et s’enfonce. Tout à coup son crâne éclate avec un grand bruit et il meurt.

4° P…, quarante-deux ans. Une apparition se présente à lui, avec une croupe de cheval, une tête de sorcière, une poitrine de femme, les cheveux formés de serpents entrelacés. Cette apparition s’approche et, avant de la voir, il la sent à une odeur d’excréments. Ce monstre porte, à la place des organes sexuels, un tire-bouchon qu’il enfonce dans la poitrine du malheureux et le fait ainsi tomber, puis l’écrase. P… reste un moment impassible, malgré ses souffrances, puis saisit soudain le monstre aux mamelles et les tord de toutes ses forces. Les serpents se déroulent alors, l’entourent et pénètrent dans son crâne ; quand ils ont dévoré la cervelle, il meurt.

Pour la première observation, Fauteur note que le songe était connu de la malade, bien avant qu’on lui ait connu des attaques. Lorsqu’elle a fait ce songe, la nuit, elle est rompue, son lit est souillé, elle a mordu sa langue.

Dans les attaques diurnes, elle ne rêve pas ; cependant deux ou trois fois, le soir, étant assoupie près du feu, elle fit le songe et eut une attaque.

L’auteur conclut qu’il y a des songes spéciaux, toujours les mêmes pour chaque malade, qui imprègnent la conscience, pendant la crise épileptique, et il admet en parallèle l’aura dans la crise et dans le rêve, la période tonique delà crise et l’immobilité ou l’angoisse du rêve ; la période classique et la lutte ; enfin la résolution générale et la mort.

Nous sommes, pour notre part, portés à croire que tout le rêve n’est qu’une sorte d’aura et que la crise réelle se produit au moment où le malade croit mourir, c’est-à-dire perd conscience. Et, nous sommes ici, à ce qu’il nous semble, en accord avec Féré.

L’auteur, en constatant la prédominance du rouge, ne met pas en relief les caractères communs à tous les rêves et c’est ce que nous allons tâcher de faire.

Tout d’abord, le rouge : en effet, chez J…, nous voyons les homards et les marsouins rouges, l’eau rougie de son sang ; chez M…, c’est le soleil qui rougit le ciel, le sang qui s’écoule du taureau ; chez H…, ce sont les Tuileries qui brûlent, le drapeau rouge [p. 90] qui sort de l’eau, la colonne de sang qui le traverse.

Il n’y a que P…, chez qui on ne le remarque pas.

Il y a des parties du corps qui réapparaissent ; le crâne, les parties sexuelles, la poitrine.

Le crâne est en général au dernier acte du drame ; chez J…, c’est un homard qui lui fouille le crâne ; chez M…, le taureau lui enlève la tête ; chez H…, le bruit lui perce un trou dans la tête par où le sang pénètre malgré ses efforts et notons que ce trou est au vertex et que le crâne éclate à la fin ; chez P…, enfin, les serpents lui rongent le crâne et la cervelle.

Pour les mamelles, chez J…, l’eau vient à la hauteur des seins, la pieuvre glisse sur sa poitrine ; chez M…, le taureau la frappe à la poitrine ; H… reçoit une balle dans la poitrine. P…, enfin a la poitrine percée par le tire-bouchon et saisit le monstre aux mamelles. Les parties génitales, enfin, jouent un rôle important dans les observations 1 et 2.

Notons encore le monstre : pieuvre, taureau, drapeau rouge ou chimère, et la chute, dans tous les cas, ainsi que la marche identique des phénomènes.

Le docteur Fournie (177) prétend montrer l’importance médicale des rêves, dans l’épilepsie, tout au moins. Il ajoute deux observations nouvelles, très analogues aux précédentes. Toutes nos observations peuvent s’appliquer tout au moins à la première, et quant à la nature des sensations prédominantes, quant aux faits affectés, et quant à la marche générale :

Cécile M…, trente-trois ans. A des attaques en série. Voici un songe d’attaque, d’après l’auteur :

« La malade se croit sur le bord de la Garonne, à l’endroit où elle connut son premier amant. Soudain deux diables « rouges comme des homards cuits » bondissent hors de l’eau jusqu’à ses pieds. Se prenant par la main, ils exécutent autour d’elle une ronde vertigineuse qui lui fait perdre la tête ; ils poussent du pied, dans leurs évolutions, la terre qui tourne en sens inverse. Cécile en a le vertige et tombe. Alors les deux diables, poussant des ricanements stridents, se précipitent sur son ventre et se coupent mutuellement la queue pour en attacher les bras et les jambes de Cécile. Immobilisée et effrayée de se sentir ainsi attachée, [p 91] Cécile se console en pensant que les diables vont bientôt mourir, tant ils perdent de sang par leurs plaies. Mais voici qu’un diable, qui s’était éloigné, revient apportant une forge où flambait un énorme brasier ; tandis qu’il fait manœuvrer la soufflerie, son compagnon chauffe dans le feu un pilon de fer, gros comme le bras. Quand il est bien rouge, les deux diables reviennent vers Cécile, toujours immobilisée dans ses liens, et brusquement lui enfoncent le pilon dans les parties génitales. Cécile pousse un cri et se débat énergiquement. Par un effort considérable, elle brise ses liens, se relève, et se met en devoir d’écarter ses bourreaux des pieds et des mains. Mais les diables enfoncent toujours le pilon qui traverse la poitrine, le cou, atteint la télé ; la douleur que produit la brûlure est violente. Soudain Cécile meurt, son crâne partant en fumée (178). »

— Dans l’autre cas :

Marie Ch… soixante-quatre ans, prise d’épilepsie à la ménopause, qui n’eut d’attaque diurne qu’une fois ; le rêve est incomplet :

« Le feu prend à son lit ; la flamme, qu’elle voit s’étendre peu à peu, lui lèche les membres inférieurs des pieds jusqu’à l’aine. Elle ne peut retirer ses jambes qu’elle sent engourdies par la douleur, et la frayeur la paralyse. Mais la force lui revient ; elle se débat pour arrêter l’extension du foyer, cherche à se dégager et à fuir. »

Une fois la veilleuse la surprit essayant réellement de fuir : il fallut lui mettre la camisole.

On ne put établir la corrélation certaine entre ces rêves fréquents et les attaques nocturnes.

En tout cas, ce fait que l’on a vu la malade une nuit dans une période de son rêve et qui n’était pas une période d’attaque épileptique va à rencontre de l’interprétation de Ducosté et de Fournié que ce songe accompagne 1 attaque. Nous le répétons, le rêve est, selon nous, un rêve d’aura.

Notons d’ailleurs que, dans le premier cas, l’aura, amnésique d’ailleurs, se caractérisait par du vertige amenant une chute, ce qui se trouve dans le rêve.

Que ces songes n’existent que dans la crise ou qu’ils la précèdent et puissent exister sans qu’on la constate d’une manière bien définie, il est clair qu’il y a là plus même qu’un symptôme pour le diagnostic ; il y a [p. 92] une source de données curieuses sur la nature même de l’épilepsie et le rôle que jouent certaines parties du corps : la tête, la poitrine et les parties génitales dans ces accès.

Nous pouvons rapprocher de cette étude celle de Thomayer, de Prague, et Simerka (179), qui considèrent certains rêves pénibles comme de véritables accès d’épilepsie.

Ils ne citent que deux observations :

La première est celle d’un jeune homme de Gand. Il remarque à un moment donné qu’il avait des battements de cœur la nuit, sans pouvoir se réveiller. Cela se reproduisit tous les quinze jours ou tous les mois ; mais bientôt, ce fut après un rêve lourd et pénible.

En voici un exemple :

« II se voit dans une réunion où l’on discute des affaires politiques. Il écoute tranquillement tout le tapage fait autour de lui. A la fin, chacun devait faire des imprécations contre l’humanité entière. Un des hommes présents a déjà prononcé la malédiction. A ce moment, un boulet rouge tombe du ciel. C’est le tour du malade à maudire, on lui demande de le faire. Il s’en défend disant : « Qui maudit est maudit lui-même. » Un second boulet rouge tombe, menaçant de l’écraser. En même temps, il est saisi d’un grand battement de cœur. Il s’éveille se sentant paralysé des mains. Il éprouvait une sensation inexplicable dans le cerveau. » Il criait alors au réveil, et parlait haut, riait, pleurait, etc.

Il était d’une famille nerveuse. Mais on n’a pas l’histoire clinique de la maladie.

Pour considérer ce rêve comme un accès épileptique, il n’y a guère de fondements ; jamais d’accidents le jour, ni d’émission d’urine, ni de morsure de langue. L’auteur cependant l’admet comme tel ; ce qui pourrait nous faire pencher vers son opinion, c’est, non seulement les phénomènes d’étouffement, mais surtout l’apparition des boulets rouges, étant données les observations précédentes.

Le second cas est plus net :

Il s’agit d’un cordonnier de vingt-huit ans, qui a des rêves accablants depuis quatre ans. Il a une sœur épileptique ; ses enfants sont éclamptiques ; il est sain d’ailleurs. Dans ses rêves, il lutte constamment, il y a des coups de fusils tirés, il est mordu par des chiens, etc. Il crie alors et on l’éveille ; il a chaque fois les cheveux hérissés et ne [p. 93] peut se rendormir. Or le rêve de la nuit revient le lendemain matin entre onze heures et midi. Il est alors précédé de vertige et, signe encore plus net, ces rêves et ces accès de jour ont disparu sous l’action du bromure.

Enfin, terminons par cette observation de Debacker, qu’un petit malade épileptique se voyait toujours menacé de globes de feu.

Nous avons, au cours de ces observations, mis assez en lumière les traits essentiels de ces rêves pour ne pas développer ici de conclusions. Il semble que les faits parlent d’eux-mêmes. Aussi, sans prétendre, bien entendu, que ces rêves existent toujours et d’une façon aussi caractéristique chez les épileptiques, il y a lieu de ne pas les négliger, surtout dans le cas où, ce qui n’est pas toujours facile, il est utile de faire le diagnostic différentiel d’avec l’hystérie. Enfin, quand de tels rêves apparaissent, même s’il n’y a pas toujours les accidents épileptiques, il y a une indication pour employer le traitement bromure, au moins à titre d’essai. [p. 94]

CONCLUSION

Nous voici arrivés au terme de noire étude, et nous espérons que le lecteur en aura emporté l’idée assez nette de l’importance du rêve au point de vue médical, du profit qu’on en peut tirer, et qu’il aura appris à connaître, par les faits, les différentes formes dans lesquelles le symptôme peut se présenter et l’attitude qu’on doit avoir vis-à-vis de lui. Nous n’avons que bien peu de chose à ajouter aux conclusions partielles que nous avons présentées pour chaque chapitre de l’ouvrage.

Bien que la pathologie nerveuse soit naturellement la plus intéressée à connaître l’état du rêve, on a pu voir que la pathologie générale, quoique la négligence des médecins à cet égard n’ait permis aucune étude systématique et vraiment sérieuse à ce sujet, n’avait pas à négliger les signes qui peuvent lui être fournis de ce côté.

Ce que nous voudrions, c’est contribuer à ce qu’on se rende compte de cette utilité, et qu’on se décide enfin à donner, pour chaque maladie, à côté des autres symptômes, une place aux rêves, c’est qu’on en tienne compte dans les observations que l’on prend, et qu’on les cite dans l’histoire des maladies, enfin que les médecin les observent et que les manuels les signalent.

On s’occupe beaucoup du rêve à notre époque, mais bien souvent de façon discursive et même désordonnée. Nous espérons parvenir à fournir un peu d’unité aux recherches auxquelles nous prétendons contribuer pour notre part. Nous avons voulu montrer ce qui était fait et ce qui restait à faire, ce que l’on savait déjà et ce qu’il restait à savoir, les voies qui étaient ouvertes, et la direction dans laquelle on pouvait marcher, afin que l’on puisse la suivre sans s’égarer.

Nous ne voulons pas surpasser par trop les faits qui nous servent de prémisses pour les conclusions que nous pouvons donner, et cependant nous ne craindrons [p. 95] pas d’affirmer qu’il y a réellement, dans le rêve, une source précieuse, et même une source capitale de renseignements, non seulement sur notre état psychologique, mais même sur notre état physiologique le plus intime, qui se réfléchit en quelque sorte librement pendant le sommeil dans les domaines sub- conscients de notre esprit ; il y a là une mine inexplorée, car on préfère, en général, voltiger à la surface de notre conscience superficielle, plutôt que plonger plus profondément dans les régions qu’elle recouvre et dont elle émane. N’hésitons pas à creuser et à fouiller ; notre peine ne sera pas perdue. Nous n’y trouverons rien de mystérieux; qu’on ne s’attende pas à trouver là des phénomènes miraculeux, comme les anciens croyaient, et certains paysans croient encore aujourd’hui que les entrailles de la terre recouvrent des choses extraordinaires et surnaturelles, que c’est là que logent les lutins, les gnomes, les diables, et toutes les divinités infernales ; les lois de la nature semblaient s’arrêter au seuil de ces régions interdites, parce qu’inconnues. Eh bien, non ! Les lois de la nature pénètrent partout, et ne sont arrêtées au seuil d’aucun prétendu mystère. Maintenant, c’est sur les domaines inconnus des dessous de la conscience que les divagations contemporaines s’épanchent. Laissons dire, et projetons la lumière de la science sur ces régions obscures pour faire évanouir les superstitions radicales. Et nous en tirerons profit, encore une fois. Le médecin doit y avoir une utilité véritable. Qu’il contribue à défricher ces terres ; il est vrai que cela est souvent difficile et pénible, mais on n’a rien sans peine, que le médecin s’habitue donc à cette investigation comme aux autres. Après quelques tâtonnements, il y arrivera aussi bien. Au fond, cette partie de son art ne sera pas moins précise que beaucoup d’autres, et souvent plus, et nous pouvons espérer obtenir une précision scientifique et rationnelle croissante.

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos                                                                          5

Introduction                                                                            7

I — Historique                                                                        11

II. — Pathologie générale                                                     23

III. — Psychopathies                                                             41

IV. — Aliénation mentale                                                        66

V. — Hystérie                                                                          69

Vl. — Épilepsie                                                                        83

Conclusion                                                                               94

 

NOTES

(1) J.-P. Durand (de Gros), Essais de physiologie philosophique, Paris, 1866, in-8, 2e essai, III, p. 52.

(2) Moreau de la Sarthe, Dictionnaire des sciences médicales, art. Rêve, t. XLVIII, art. 8, p. 289, Paris, in-8, 1820.

(3) Diogène Laerte, Liv. VIII, sect. 32, p. 514.

(4) Hippocrate, Des songes, liv. IV ; Du régime. Œuvres complètes, édit. Littré, Paris, 1839-1861, t. VI, p. 640 et 662.

(5) Hippocrate, Des songes, p. 659.

(6) Galenus, De dignotione ex insoumis (περί τής εξ ένυπίων διαγνώσεως). Ed. Kûhn : Medicorum græcorum opéra quæ exstant, Lips., 1823, t. VI, p. 822-825 (Ed. Chart. t. VI, p. 517- 518, Ed. Bey., t. III, p. 463).

(7) (Galien, Œuvres. Trad. Daremberg, 1854 (De la tête, de l’encéphale et des sens), t. I, liv. VIII, p. 524. — De melu musculorum, etc.

(8) Sprengel, Hist. pragmatique de la médecine, trad. Jourdan, 1815, t. I, sect. 2, en. v, p. 140-175.

(9) Sprengel, loc. cit. p. 163 d’après Gruter ; in-4, Lipsiæ, 1749.
Nous en avons déjà parlé dans un article relatif à la croyance, à la valeur prophétique des rêves dans l’antiquité.
Cf. N. Vaschide and H. Piéron, Prophétie dreams in Greak and Roman antiquify. The Monist, January, 1901, p. 267-268.

(10) Artémidore, Oneirocriticon, liv. V, ch. LXI.

(11) Artémidore, Oneirocriticon, liv. V, ch. XXVI.

(12) Artémidore, Oneirocriticon, liv. V, ch. V.

(13) Cf. par exemple Augustin Ferrerius {Liber de Somniis), Hippocrate, Galien et Synesius, Lugduui, 1549, in- 12.

(14) D. Johannis Friderici Zückert, De Insomniis, ut signo in medicina, observationes nonnullæ cum subjunctis de mirocritica medicina meditationibus quibusda. Berlin, 5 avril 1765. Nova acta Academiæ Naturæ curiosoirum, in-4, t. III, p. 506-527, Observation XCIX.

(15) Zückert, loc. cit., p. 518.

(16) Double, 4e Fragment séméiotique, considérations séméiologiques sur les songes (Journal général de médecine, vol. XXVII, oct. 1806, p. 129-153). [en ligne sur notre site]

(17) Maçoudi, Les prairies d’or. Texte et traduction par C. Barbier deE Meynard et Pavet de Courteille  (Société Asiatique, Paris, Imprimerie Nationale, 1861, in- 12).

(18) Maçoudi, loc, cit,, t. 111, chap. LII, p. 360-362.

(19) Choquet, Hypnologie ou du sommeil considéré dans l’état de santé et de maladie (Thèse de Paris, 1808, t. V. n° 124, 49 p.).

(20) Moreau de la Sarthe, Article « Rêve » Dictionnaire des Sciences médicales, t. XLVIII, Paris, 1820, in-8, art. VIII. Interprétation médicale des rêves, p. 277-299.

(21)  Moreau de la Sarthe, Interprétation médicale des rêves, p. 279.

(22) Franck, Pathologie médicale, t. III, ch. VIII, p. 43, in Encyclopédie des Sciences médicales, 2° division, Médecine, t. III, in-8, déc. 1838.

(23) Franck, loc, cit., Ch. IX, p. 45.

(24) Franck, loc, cit., Ch. IX, p. 45. note 9.

(25) Lischwitz, De vitiis somnum et vigilia, Lips., 1720, p. 35.

(26) R. Artigues, Essai sur la valeur séméiologique du rêve, Thèse, Paris, 1884, in-8, 52 pages.

(27) Larousse, Dictionnaire, Art. a Rêve ».

(28) Nicéphore, In Oneirocriticis iambis.
Cf. Rhazis and Mansor, De Re medica, Liv. II, cap. XXIV.

Michel Scot, Physionomia, cap. XI.

(29) Ysgrand de Diemerbroeck, Lib. IV, De Peste ; hist. 67.
Cf. Encore Philipi Hœchstetteri, Obs. méd. De Cas., VII, Casus secundus Scholion, Borri chius, Act. de Copenhague, 1677, 78, 79, Collect. Acad. part., etc., VII, p. 355, obs. XLVI.

(30) Ball, Théorie des hallucinations, Revue Scientifique, 1er mai 1880, 2* série, 9^ année, n° 44, p. 1029-1036. [en ligne sur notre site]

(31) Sergueyeff, Physiologie de la veille et du sommeil, 1890, in-8, t. II, p. 791.

(32) Hervey de Saint-Denis, Les Rêves et les moyens de les diriger, p. 361.

(33) Hervet de Saint-Denis, loc. cit., p. 355, note.

(34) Hervet de Saint-Denis, loc. cit., p. 356.

(35) Marie de Manacéine, Le Sommeil tiers de notre vie. Trad. Jaubert, Paris, 1899, in-12, p. 314-315.

(36) Marie de Manacéine, loc. cit., p. 329.

(38) Debacker. Des hallucinations et terreurs nocturnes chez les enfants et les adolescents. Thèse, Paris, 1818, 164 pages.

(38) Nous n’avons pas considéré comme devant rentrer dans notre étude sur la psychologie pathologique du rêve, les études sur l’hérédité du rêve, cependant fort intéressantes, et qui peut transmettre aussi des caractéristiques pathologiques. Signalons [p. 28] à ce sujet le travail de Gianelli, Sulli crédita di alcuni fenomeni

onirici, Riv. sper. di Frenialria, 15 juillet, 1899, vol. XXV, fasc. 2, p. 341-352.

(39) Debacker, loc. cit., p. 79-80 et note.

(40) Debacker, loc. cit., p. 65.

(41) JuLius Nelson, A study of dreams. The American Journal of psychology, vol. I, may 1888, n° 3, p. 365-402.

(42) Tissié, Les Rêves, p. 60-74. — Il cite à ce propos : Artigues, p. 43 ; Lasègue, Le sommeil (Études médicales), Paris, 1884 p. 442 ; Morgagni, Épist. 18., cap. VI

(43) Tissié loc. cit., Il cite Debacker, p. 96 ; Macario, Annales médico-pathologiques t. IX, 1847, p. 27 ; Simon, L’irritabilité cérébrale chez les enfants et son traitement, Revue de thérapeutique générale, 1891, 2e série, t. I.

(44) Tissié. Il cite : G. Sée, Des dyspepsies gastro-intestinales, 1881 ; Maury, Le sommeil et les rêves ; Azam, Amnésie périodique, Bordeaux, 1877 ; Ph. Chaslin, Du rôle du rêve, Thèse, Paris, 1887 ;  Girtauner, Ueber die Kinderkrankheiten, p. 112.

(45) Faure, Rêves morbides, Archives générales de médecine, mai 1876, vol. I, p. 558.

(46) Tissié, loc, cit., p. 91-99.

(47) Blocq et Onanoff, Séméiologie et diagnostic des maladies nerveuses, Paris, 1892, in-12, ch. III, p. 19 ; et Blocq, Semeiology of sleep, Brain, 1891, vol. XIY, p. 115, London, in-8.

(48) (1) Graham Little, The causation of night terrors, Pédiatrics, New- York, 15 octobre 1899. Analysé dans : Revue de psychologie clinique et thérapeutique, décembre 1899, p. 384.

(49) Klippel et Lopoz, Du rêve et du délire qui lui fait suite dans les affections aiguës, Revue de psychiatrie, avril 1900, p. 97-103.

(50) Klippel et Trenaunay, Un cas de rêve prolongé d’origine toxi-infectieuse, Revue de psychiatrie, juin 1900, p. 161-170. Voir aussi, Trenaunay, Recherches pathogéniques et cliniques sur le rêve prolongé, délire consécutif à un rêve à l’état de veille. Thèse de Paris, 1901, in-8.

(51) Klippel et Trenaunay, loc. cit.  p. 164.

(52) « Rappelons que M. Carnot a été assassiné le 24 juin 1894. Depuis lors, trois présidents, M. Casimir Périer, M. Faure et M. Loubet se sont succédé à l’Elysée. Notre malade n’a jamais voulu en convenir. »

(53) (I) N. Vaschide et H. Piéron, Contribution à la séméiologie du rêvé, Gazette des Hôpitaux, 748 année, n° 59, jeudi 23 mai 1901, p. 569-571. Nous reproduisons ici presque intégralement nos observations et les conclusions de cet article.

(54) Chabaneix, Physiologie cérébrale, Le subconscient chez les artistes, les savants et les écrivains, Paris, 1897.

(55) P. B…, Observation d’hallucination. Revue scientifique, 1891, 2e semestre, p. 305.

(56) Hack Tuke, Le corps et l’esprit, 1886, p. 16.

(57) (1) J. Sully, Illusions, A psychological study, 1882, p. 144.

(58 Paul Farez, De la suggestion pendant le sommeil naturel {Revue de l’hypnotisme, n° 12, p. 257-266 ; 292-302 ; 324-335, etc. Broch. 46 pages).

(59) J. Léonard Corino, Emploi des vibrations musicales avant et après le sommeil, Revue internationale d’électrothérapie et de radiothérapie, 1899, t. IX, p. 209-224.

(60) Drossner, L’anesthésie musicale, Académie de médecine, séance du 14 mai 1901.

(61) Näcke, Die Forensische Bedeutung der Traüme, Archiv. für Kriminal Anthropologie, Bd. V, 1er avril 1900.

(62) E. Näcke. Kritische zum Kapitel der normalen und pathologischen Sexualität, Archiv, für Psychiatrie, Bd, XXXII, Heft, 2, 1899, p. 363-365 ; 380-381. — D’après Féré, La prédisposition et les agents provocateurs dans l’étiologie des perversions sexuelles, Revue de médecine, 1897 ; Féré, Hysteria, Épilepsy and the spasmodic neuroses, Ninetheent century Practice of Médecin, vol. X, New-York, 1897 ; Ellis, Auto-erotism ; a psychological study, The alienist and neurologist, oct. 1898 ; Lacassagne, Vacher l’éventreur et les crimes sadiques, Lyon-Paris, 1899, p. 249,275 ; Moll, Untersuchungen uber die libido sexualis ; Zuccarelli, Polluzione notturne ed epilepsia, Anomalo, 1894- 1895, p. 42.

(63) Charcot et Magnan, Inversion du sens génital, Archives de Neurologie, n® 7, janvier-févr. 1882, p. 53-60 ; n° 12, nov. 1882, p. 296-322.

(64) Charcot et Magnan, loc. cit., p. 305.

(65) Charcot et Magnan, loc. cit., Observation V, Reprise dans le travail de Chaslin, obs. XXI.

(66) Faure, Étude sur les rêves morbides. Rêves persistants, Archiv. génér. De méd., mai 1876, vol. 1, 6e série, t. XXVII, p. 550-570.

(67) Faure, loc. cit., p. 553.

(68) Faure, loc. cit., Observation XI.

(69) Faure, loc. cit., Observation III.

(70) Faure, loc. cit. Observation IV.

(71) Faure, loc. cit. Observation V.

(72) Nodier, De quelques phénomènes du sommeil {Revue de Paris, t. XXllI, février 1831, p. 40). L’exemple est cité par Moreau de Tours (Du haschich et de l’aliénation, Paris, 1855, p. 254)et repris depuis par Chaslin(observ. I).

(73) Chaslin, , loc. cit. Observation III.

(74) Chaslin, loc. cit. Observation IV (personnelle, à la Salpêtrière) .

(75) Chaslin, loc. cit. Observation VIII (personnelle, à la Salpêtrière).

(76) Chaslin, loc. cit. Observation X (Dr Séglas).

(77) E. Mariani, Un sogno mistico (Rivista mensile di neuro-patologia e psichiatria, 1er août 1900, n° 2).

(78) Sauvet, Rêves. Délire partiel consécutif, in Répertoire d’observations inédites (Annales médico -psychologiques, mars 1844, p. 306-308).

(79) E. Régis, Les hallucinations oniriques ou du sommeil des dégénérés mystiques {Congrès de neuro-psychiatrie de Clermont-Ferrand, août 1894 ; Tribune médicale ; Br. in -8, 22 pages, 1895) ;

Id., Le délire de rêve chez les vieillards (Journal de médecine de Bordeaux, 1895, XXV, p. 494496) ; Id., Les rêves (La Gironde, Bordeaux, 31 mai 1890) ; Id., Note sur le délire consécutif aux brûlures graves [Congrès de médecine, Paris, août 1900, Cf. Revue de psychologie clinique et thérapeutique, sept. 1900).

(80) Extrait de Lélut, Observations sur la folie sensorielle p. 284. — Du démon de Socrate, 1 vol. in-8, 1834.

(81) Extrait de Dupain, Étude clinique sur le délire religieux, Thèse de Paris, 1888, p. 124.

(82) Extrait de Dupain, loc, cit., p. 78.

(83) Magnan, Les délires des dégénérés [Bulletin médical, n° juin 1894).

(84) Extrait H. Colin, Essai sur l’état mental des hystériques. Thèse de Paris, 1890, Observation XXXII, p. 147.

(85) Christian, Art. Hallucination {Dict. encyclop. des sciences médicales, p. 95).

(86) Extrait Krafft-Ebing, Lehrbuch der Psychiatrie, t. III, 1880, obs. LXVIII, p. 89.

(87) E. Régis, Les régicides dans l’histoire et le présent (Arch. de l’anthropologie criminelle, 1890, 1 vol.).

(88) Pierre de l’Estoile, Journal de Henri III.

(89) Desmarets, Témoignages historiques ou quinze ans de haute police (sous ce nom, Paris, 1833).

(89) Brierre de Boismont, Des hallucinations, Paris 1845, p. 336.

(90) Moreau de Tours, Du haschisch et de l’aliénation, Paris, 1855, p. 275.

(91) Maury, Le sommeil et les rêves, Paris, 1865, p. 237.

(92) Triple homicide commis par un halluciné (Annales d’hygiène et de médecine légale, 37e numéro, janvier 1838, p. 218, Paris, in-8).

(93) Klippel et Trenaunay, Délire systématisé de rêve à rêve, (Revue de psychiatre, avril 1901, p. 97).

(94) Klippel et Trenadnay, loc. cit., p. 99.

(95) Klippel et Trenaunay, loc. cit., p. 104.

(96) Klippel et Trenaunay, loc. cit., p. 107.

(97) Klippel et Trenaunay, loc. cit., p. 111.

(98) Macario, Des rêves {Annales médico-psychologiques, 1847, t. IX, p. 17-48).

(99) Dagonet (H.), Traité des maladies mentales, Paris, 1862,  in-8, 816 pages, ch. II, Rêves, p. 40-41, et 1894, p. 59-60.

(100) Tissié, loc. cit. p. 85-91.

(101) Dr H. Schüle, Traité clinique des maladies mentales, 3e éd., 1886, traduit par les Drs J. Dagonet et G. Duhamel, Paris, 1888, in-8, p. 282.

(102) Esquirol, Des maladies mentales, Paris, in-8, 1832, t. II, p. 813, ch. XXI.

(103) Esquirol, loc. cit., chXI, p. 19.

(104) Esquirol, loc. cit., ch. XI, p. 34.

(105) Ph. Chaslin, Du rôle du rêve dans révolution des délires, Paris, 1887, in-8.

(106) Chaslin, loc. cit. p. 28.

(107) Chaslin, loc. cit. Observation III, prise par le Dr Sellier à la Salpêtrière.

(108) Chaslin, loc. cit., p. 39.

(109) Faure, Étude sur les rêves morbides, rêves persistants, {Archives générales de médecine, mai 1876, vol. I, 6e série. t. XXVII, p. 550-570).

(110) Faure, loc. cit., Observation VI, p. 558.

(111) Faure, loc. cit., Observation II.

(112) Faure, loc. cit., Observation III.

(113) Faure, loc. cit., Observation VlII.

(114) Faure, loc. cit., Observation IX.

(115) Faure, loc. cit., Observation X.

(116) Faure, loc. cit., Observation XIII.

(117) Mme de Manacéine, loc. cit., p. 323.

(118) Lasègue, Le délire alcoolique n’est pas un délire mais un rêve {Archives générales de médecine, novembre 1881, p. 513- 536). [en ligne sur notre site]

(119) Régis et Lalanne, Origine onirique de certains délires dans la paralysie générale [Congrès de médecine mentale, Paris 1900. Cf. Revue de psychiatrie, nov. 1900, p. 34).

(120) Maudsley, La pathologie de l’esprit, trad. du Dr Germont, Paris, in-8, 1883, p. 44 et 46. (Cette observation a été citée par Chaslin, Observ. II).

(121) Dechambre, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, 1881, art. Songe, p. 430. [en ligne sur notre site]

(122) N. Vaschide et P. Meunier. Projection du rêve dans l’état de veille {Revue de psychiatrie, t. IV. n° 2, février 1901, p. 88-49). [en ligne sur notre site]

(123) Taine, De l’intelligence, t. II. p. 119.

(124) Dr Lhomme, Annales médico-psychologiques, 4e série, t. II, p. 238.

(125) Ball, Leçons sur les maladies mentales, 2e édit., Paris, 1890, p. 140.

(126) Ball, La morphinomanie, in-12, Paris, 1885, 6e leçon ; Les rêves prolongés, p. 123-142, et encore : Leçons sur les maladies mentales, p. 156.

(127) Ball, loc. cit., p. 139.

(128) (1) Johanniss Christophori Bautzmanni, Hystericæ passionis admirandum exemplum in virgine omnem mali vicissitudinem ipsamque medendi rationem variis somniorum prædictionibus edocens, 12 déc. 1692. — Miscellanea Academise naturaæ curiosorum, an. I. 1692-93 (1694), decuria III, m-4, Lips.et Francofurti,

Appendix, p. 35-84.

(129) Escande de Messières, Les rêves chez les hystériques, Thèse de Bordeaux, 1895-1896. D’après Maury ; Tissié ; Janet ; Pitres, Leçons cliniques ; Giraud, L’asclépéion d’Athènes ; Russel Reynolds, Remarks on paralysis and other discorders of motion and sensation dépendent of idea ; Bernheim, Suggestion et psychothérapie ; Bateman, De l’aphasie, trad. Villard, p. 95 ; Chaslin, De l’hystérie infantile, Thèse de Paris, 1880 ; Vibert, Les mensonges des hystériques [Progrès médical, 1893, p. 469).

(130) Sante de Sanctis, I sogqi, studi psicologici e clinici di un alienista, Torino, 1899, p. 140-172. Piccola Biblioteca di Scienze Moderne.

(131) Tissié, Les aliénés voyageurs. Essai médico-psychologique. Thèse de Bordeaux, 1886-87, in-4, 116 pages, p. 59.

(132) Tissié, loc, cit., p. 94 et 109.

(133) Tissié, loc, cit., p. 98.

(134) Tissié, loc, cit., p. 110.

(135) Pitres, Du rôle des phénomènes psychiques inconscients et des rêves dans la pathogénie et la curation des accidents hystériques (Revue de l’hypnotisme, nov.déc. 1894, p. 129-134 ; 164-169).

(136) Chaslin, loc. cit., p. 29.

(137) P. Farez, Sommeil naturel et suggestion [Indépendance médicale, 6e année, n° 44, 31 octobre 19U0, p. 353-354).

(138) (Delboeuf, De l’appréciation du temps par les somnambules, (Proceedings of the society for psychical Research, vol. VIII, part, XIII, 1892, p. 414-422).

(139) Dubruel, Considérations sur la pseudo-grossesse, Thèse de Bordeaux, 1895-96, n° 65, p. 42.

(140) Kelle, Du sommeil et de ses accidents en général, et en particulier chez les hystériques et les épileptiques, Thèse de Paris, 1900, in-8, 80 pages.

(141) E. Bérillon, Auto-mutilation survenant sous l’influence de rêves chez un hystéro-épileptique {Revue de l’hypnotisme, mai 1900, p. 278).

(142) Féré, Médecine d’imagination. Extrait du Progrès médical, (1884, no 16; 1886, n° 35-36-37), Paris, in-8, 1886, 32 pages, p. 26.

(143) Féré, loc., cit., p. 27.

(144] Chaslin, loc., cit., p.28.

(145) Chaslin, loc., cit., p. 48, Observation IX (Dr Séglas).

(146) Macario, Les rêves (Annales méd, psych. janvier 1847, p. 29). — Mémoire sur la paralysie hystérique (Annales médico- psychologiques, janvier 1844).

(147) Paul Farez, Angine de poitrine consécutive à un rêve subconscient (Archives de Neurologie, 1899, 2e série, n° 7, p. 400).

(148) Féré, Un cas de paralysie hystérique consécutive à un rêve, (Société de Biologie, 20 nov. 1886).

(149) P. Janet, L’état mental des hystériques. Les accidents mentaux, Paris, in-12, 1894, ch. II, p. 119-121.

(150) Raymond et Janet, Névroses et idées fixes, 1898, t. II, passim.

(151) Raymond et P. Janet, Névroses et idées fixes, t. II, Ch. IV, Insomnie, p. 364.

(152) P. Janet, Névroses et idées fixes, 1898, t. II ch. IV ; Histoire d’une idée fixe, p. 175.

(153) P. Janet, Névroses et idées fixes, T. 1, p. 227, observation 111.

(154) Raymond et Janet, Névroses et idées fixes, t. 11, p. 516 ; t. 1, ch. VIII, § 5. p. 336-338.

(155) P. Janet, loc. cit., t. I, p. 337.

(156) Raymond et Janet, loc. cit., t. II, ch. m, § 2, Observation 103. p. 377.

(157) Raymond et Janet, loc. cit., t. II, ch. III, §1, Observation 100, p. 366-368.

(158) Raymond et Janet, loc. cit., t. II, ch. II, § 3, Observation 91, p. 325-326.

(159) Raymond et Janet, loc. cit., y t. II, p. 526.

(160) P. Janet, État mental des hystériques. Stigmates mentaux, in-12, Paris, 1892, p. 22.

(161) P. Janet, loc. cit., p. 99-100. (162)

(162) P. Janet, État mental des hystériques. Les accidents mentaux, p. 153, ch. II.

(163) P. Janet, loc. cit., p. 67, 173.

(164) P. Janet. loc. cit., p, 255-256.

(165) P. Janet, loc. cit., p. 132.

(166) P. Janet, loc. cit., p. 286.

(167) Basse, Zeitschrift für psychische Aertze, vol. IV, § 3, p. 20.

(168) Frank (J.), Pathologie médicale, ch. X, p. 50.

(169) Ch. Féré, Des rêves d’accès chez les épileptiques (Médecine moderne 1897, p. 777).

(170) (Santé de Sanctis, Sogni e il sonno nell’ isterismo e nelle epilepsia, Roma, 1896.

(171) Althaus, Case of epilepsy with complications (The Lancet, 1867, 1. 1, p. 208). Cité d’après Féré.

(172) Herpin, Des accès incomplets d’épilepsie, in-8, 1867.

(173) Féré, Pathologie des émotions, 1892, p. 151.

(174) J.-B. Charcot, Épilepsie Bravais-Jacksonnienne , avec paralysie longtemps limitée au membre supérieur (Méd.

moderne, 1894, p. 1606, rapporté par Féré, p. 777).

(175) Santé de Sanctis, I Sogni, etc., p. 150-172.

(176) Ducosté, Les songes d’attaque des épileptiques [Journal de médec, de Bordeaux, 26 nov. et 3 déc. 1899, n° 48 et 49, p. 533-535, 545-547.

(177) ) Dr Aurélien Fournié, De l’onirocritie comitiale (Les rêves chez les épilepliques). Thèse de Bordeaux, in-8, p, 57, 1899.

(178) Fournié, loc. cit., p. 27.

(179) Thomayer et Simebka, La signification de quelques rêves (Revue neurologique, 5° année, n° 4, 28 févr. 1897, p. 98-101).

 

 

 

 

 

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