Maurice Garçon. Quelques types de guérisseurs. Extrait de la « Revue d’anthropologie », (Paris), 1928, pp. 90-96.

Maurice Garçon. Quelques types de guérisseurs. Extrait de la « Revue d’anthropologie », (Paris), 1928, pp. 90-96.

 

Maurice Garçon (1889-1967). Avocat, polygraphe, polémiste, et écrivain, il est connu pour abbata participation à des retentissants procès, comme celui de Violette Nozière, mais aussi pour sa conséquente bibliothèque de démonologie, qui lui servit à la publication de ses nombreux ouvrages sur la sorcellerie et l’occultisme. Nous avons retenu les quelques ouvrages suivant.
Nous avons retenus les quelques publications ci-dessous :
— Le Diable, étude historique, critique et médicale (en collaboration avec Jean Vinchon) (1926)
— La Vie exécrable de Guillemette Babin, sorcière (1926)
— Vintras hérésiarque et prophète (1928).
— Le Magnétisme devant la loi pénale, Durville (1928), 33 p.
— Rosette Tamisier ou La miraculeuse aventure (1929).
— La Magie noire de nos jours. Articles parut dans la « Revue Métapsychique », (Paris), n°4, Juillet-Août 1929, p. 260-269. [en ligne sur notre site]
—  Trois histoires diaboliques (1930

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. 
– Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 90]

Quelques types de guérisseurs.

Par M. MAURICE GARÇON (Paris).

Mesdames, Messieurs,

Les orateurs qui viennent, avant moi, de parler sur les guérisseurs ont épuisé le sujet. Tout ce que je pensais vous exposer ils l’ont dit avec autrement de science et d’autorité que je n’en pourrais avoir. Si j’accepte pourtant de prendre la parole après eux, c’est qu’il me reste un dernier avantage j’ai pratiqué les guérisseurs et j’en connais beaucoup.

Je les ai pratiqués, non comme client – tes médecins diraient victime mais comme défenseur. Ils m’ont confié beaucoup de secrets et, pour me permettre de les assister plus efficacement devant les juridictions répressives, ils m’ont fait assister à leurs travaux et à leurs cures si je parlais comme eux je dirais leurs miracles.

De toutes les confidences reçues, de toutes les observations faites, j’ai tiré une conclusion. Peut-être la trouvera-t-on contestable. Je veux du moins l’exposer ici avec l’espoir que vos esprits seront assez libéraux pour ne point me chercher querelle, même si je suis en désaccord avec ce que mes amis médecins vous ont enseigné il n’y a qu’un instant.

Sur un seul point je serai d’accord avec eux, parce que leur science m’a convaincu. Il me parait, comme à eux, certain que c’est dans la suggestion qu’il faut chercher la cause des guérisons; parfois si surprenantes, opérées par leurs soins. Vinchon a montré le mécanisme de cette suggestion, sa formation, son développement et ses effets. Je ne peux qu’applaudir à la subtilité de sa dissection psychologique, mais je m’éloigne db ses conclusions lorsqu’il pense que le médecin peut remplir l’office actuellement tenu par le guérisseur et que, même, il peut faire agir la suggestion mieux que le guérisseur.

Sur ce point, mon opinion est faite depuis longtemps. La science du médecin lui donne un maigre appoint. La guérison, précisément parce qu’elle est seulement le fait de la suggestion, dépend, à mon sens, d’éléments purement psychologiques dans lesquelles les plus beaux raisonnements scientifiques sont de peu de poids.

C’est cet à-côté de la question que je veux brièvement développer devant vous.

Une première observation qui s’impose doit consister à établir des distinctions. On dit habituellement les guérisseurs sans s’occuper [p. 91] autrement de leurs méthodes et des écoles dont ils se réclament car, ne vous y trompez pas, il y a des doctrines diverses et des écoles ennemies, tout aussi naturellement que dans l’auguste faculté elle-même.

Pour ne prendre que de grandes divisions, permettez-moi de distinguer ceux qui se prétendent dépositaires traditionnels de doctrines métaphysiques, voire même scientifiques, des purs empiriques et enfin des escrocs. Chacun de ceux-là agit selon des méthodes différentes et je veux vous en tracer quelques portraits avant d’en arriver à mes conclusions.

Quel guérisseur plus illustre pourrais-je vous présenter que Mesmer, l’homme qui parut au XVIIIe siècle, en plein siècle de la raison, et bouleversa l’Europe par ses prodigieux exploits.

C’est vers 1778 que Mesmer apparut à Paris. Il arrivait précédé d’une réputation singulière. A Vienne, il avait passé une thèse de médecine dont le sujet portait sur l’influence des planètes sur le corps humain.

Sa doctrine était mélangée d’hypothétique astrologie et de science exacte. De l’aimant, il avait tiré cette observation qu’une force rayonnante agissait obscurément et invisiblement sur les corps et que la gravitation universelle était la plus étonnante conséquence de ce principe.

Ainsi avait pénétré dans son esprit l’idée que le monde est baigné dans un fluide universel et que tout dépend de tout. A la façon du νους de Platon, âme de l’univers, il pensait que le rayonnement de la force obscure, unique et générale, tenait seul le monde en équilibre.

La maladie ne lui parut plus qu’un déséquilibre partiel, passager si la maladie est guérissable, définitif si l’affection est mortelle. Il fallait, pensait-il, pour rétablir l’équilibre rompu, rendre du fluide sain au corps malade ainsi pratiquait-il des passes destinées à transmettre le magnétisme animal échappé du corps sain au podagre qui sollicitait du secours.

Ses succès furent foudroyants. A Vienne, en Souabe, en Suisse, les miracles succédèrent aux miracles. A Vienne, il soutenait avoir guéri une jeune aveugle de 18 ans, mais cette cure causa assez de scandale pour que l’impératrice enjoignit au savant guérisseur de « finir ailleurs sa supercherie ».

Dès son arrivée à Paris, Mesmer publia un mémoire sur sa découverte. Il y posait 27 propositions qui demeurèrent le fondement de la doctrine classique du magnétiseur. Il disait

1° Il existe une influence mutuelle entre les corps célestes, la terre et les corps animés ; [p. 92]

2° Un fluide universellement répandu et continué de manière à ne souffrir aucun vide, dont la subtilité ne permet aucune comparaison et qui, de sa nature, est susceptible de recevoir, propager et communiquer toutes les impressions du mouvement, et le moyen de cette influence ;

3° Cette action réciproque est soumise à des lois mécaniques inconnues jusqu’à présent ;

4° Il résulte de cette action des effets alternatifs qui peuvent être considérés comme un flux et reflux.

Plus loin Mesmer ajoutait :

10° La propriété du corps animal, qui le rend susceptible de l’influence des corps célestes et de l’action réciproque de ceux qui l’environnent, manifestée par son analogie avec l’aimant, m’a déterminé à le nommer MAGNÉTISME ANIMAL.

Le succès de mémoire fut immense. La Cour et la ville accoururent chez Mesmer. Le guérisseur élégant les recevait vêtu d’un habitlilas, portant le jabot et les manchettes de dentelle. Il touchait les malades du bout de sa baguette de verre ou de fer, et les plus atteints s’en allaient guéris. Des airs de musique accompagnaient en sourdine les cérémonies. Certains étaient pris de crises nerveuses.il fallait les transporter dans un salon voisin

Bientôt Mesmer ne suffit plus à sa tâche. Il magnétisa alors de l’eau contenue dans un baquet où l’on avait jeté pêle-mêle du verre, de la limaille, du machefer, du sable. Les malades prenaient en main des tringles de fer recourbées qui plongeaient par un bout dans le liquide. Lorsque la foule était trop nombreuse, un second rang de patients se plaçait derrière le premier, formant la chaîne avec lui.

La Faculté s’émut. Un docteur régent de la Faculté, Deslon, qui avait embrassé la doctrine magnétique, fut poursuivi par ses collègues et traduit devant un conseil qui rendit cette sentence

1° Injonction est faite à M. Deslon d’être plus circonspect à l’avenir.

2° Suspension pendant un an de voix délibérative dans les assemblées de la Faculté.

3° Radiation, à l’expiration de l’année, du tableau des médecins de la Faculté, s’il n’a pas, à cette époque, désavoué ses observations sur le magnétisme.

4° Les propositions de Mesmer sont rejetées.

Ces persécutions augmentèrent le succès. Mesmer parla de quitter la France. La Cour s’émut, la reine intervint. On offrit au savant thaumaturge une pension de 20.000 livres s’il consentait à se faire contrôler. Il refusa fièrement. On lui promit alors la pension sans condition [p. 93] et un loyer de 10.000 livres à condition de former des élèves. Il refusa encore et partit pour Spa.

Les malades menaçaient de faire une émeute. Une souscription publique lui rapporta 343.764 livres.

Mesmer revint, discuta encore, se disputa avec l’Académie, partit encore et revint de nouveau. Il mourut seulement en 1825. La doctrine fut continuée. Après lui Puységur, son disciple, magnétisa des arbres sous lesquels les malades obtenaient un repos ou un sommeil bienfaisant. Les découvertes relatives au somnambulisme parurent ajouter des preuves nouvelles aux expériences acquises et la révélation d’un prétendu état particulier, généralement désigné sous le nom d’hypnose, donna un regain nouveau aux affirmations des magnétiseurs.

Aujourd’hui la doctrine magnétique est demeurée intacte entre les mains d’un grand nombre de guérisseurs répandus dans le pays, le magnétisme est pratiqué communément.

Que j’ajoute seulement que les progrès de la médecine ont rendu certains magnétiseurs prudents. Beaucoup ont compris avec bonne foi que leur thérapeutique n’est pas une panacée universelle. Ils font appel au médecin qui trie les malades qui se présentent et ils ne traitent que ceux pour lesquels la suggestion constitue une médication suffisante et efficace.

Tout autres sont les empiriques. Ceux-là n’obéissent à aucune doctrine déterminée. On les rencontre plus particulièrement dans les campagnes. Lorsqu’on interroge leur entourage on apprend seulement qu’ils guérissent parce qu’ils ont un don. Si on les interroge eux-mêmes, ils se prétendent favorises d’une puissance surnaturelle généralement transmise héréditairement. Leurs pratiques sont multiples, mystérieuses et souvent ridicules.

J’ai connu ainsi Pancrace, dormeur dans les Deux-Sèvres ; on prétendait dans sa famille qu’étant le septième enfant, il avait reçu une grâce particulière et bienfaisante. Il tombait, disait-on, en catalepsie dès qu’il était interrogé par un malade, voyait « au travers du corps comme dans une bouteille », apercevait le mal et révélait la médication appropriée et généralement inoffensive. Il prescrivait surtout des simples. Il fut poursuivi pour exercice illégal et condamné sa fortune s’en accrut, les malades vinrent plus nombreux chez le persécuté. Les guérisons étaient nombreuses et, lorsque je l’ai défendu devant la justice, tout le pays se déclarait prêt à témoigner en sa faveur.

D’autres font des prières et des invocations comme de véritables [p. 94] exorcistes. D’autres, encore, pratiquent des passes miraculeuses et prononcent des paroles bizarres, dont eux-mêmes ne comprennent pas le sens. On pourrait presque dire que c’est dans le domaine métaphysique que certains guérisseurs empiriques vont chercher leurs succès. Une troisième catégorie, enfin, est composée d’escrocs et d’aventuriers. Leurs résultats ne sont pas moins surprenants. Récemment, à Paris, un « professeur » américain vint s’installer, Macaura. Il avait inventé un appareil vibratoire qui guérissait toutes les maladies : le pulsocon. Il fit une publicité importante. Son succès fut étonnant. Chaque jour la police dut établir un service d’ordre à sa porte. La queue des malades s’étendait loin dans la rue.

En quelques mois, il avait gagné une fortune. Poursuivi pour escroquerie, il disparut non sans emporter sa caisse. Tous ceux qu’il avait soignés étaient satisfaits.

A Bordeaux, j’ai défendu, naguère, une guérisseuse dont les ordonnances étaient envoyées dactylographiées et toujours identiques pour tous. Elle ne voyait même pas les malades, traitait par correspondance et se contentait de tenir un instant dans les mains un objet leur ayant appartenu ou tes ayant touchées. Poursuivie et condamnée malgré les protestations de tous ses miraculés, elle a cessé d’exercer en France elle continue, mais sa publicité s’étend à l’étranger seulement. De Bordeaux, elle guérit en toute tranquillité à Sao Paolo et à Honolulu.

Ce rapide tableau, s’il montre la diversité des pratiques, pourrait servir d’illustration à ce qui vous a été exposé si clairement avant moi: que la seule suggestion agit. Pour que de si nombreux procédés produisent le même effet, il faut bien que le remède soit unique et étranger à la thérapeutique même qu’on emploie.

Le magnétiseur, l’empirique, l’escroc, provoquent également le choc émotionnel, créateur de la suggestion par des moyens divers. Les médecins le peuvent également mais, tant vaut l’homme, tant vaut le remède.

Celui qui est suggestionné porte en soi la guérison. La cure n’est pas le fait de telle ou telle médication, la science pharmaceutique du médecin est inutile. Le miracle dépend de l’activité qu’on peut provoquer dans l’imagination du malade. C’est lui-même qui se guérit sans d’ailleurs s’expliquer bien clairement le mécanisme de sa guérison. Ce qu’il attribue à l’influence étrangère n’est qu’un ressort secrètement animé chez lui-même et qui le persuade qu’il est guéri. [p. 95]

Sur ce terrain le médecin n’atteindra jamais la valeur du guérisseur. La guérison participe d’une certaine mystique. C’est le mystère même qu’évoque l’espoir du malade qui provoque en lui l’émotion profonde et sacrée, mère de la suggestion.

En quoi les médecins sont-ils mystérieux On admire leur science, mais on la sait accessible à chacun. Qui ne peut être bachelier, puis docteur. Le diplôme s’acquiert après quelques années d’études. La médecine s’apprend dans les livres, ses plus grands secrets s’enseignent à l’école. Le médecin ne participe en rien du surnaturel. Bien plus, il tue le surnaturel en s’efforçant de tout expliquer avec une audacieuse persévérance.

Tout autre est le guérisseur. Ce qu’on dit de lui est étrange. Lorsqu’on va chez lai une émotion bienfaisante s’empare de celui qui le consulte, on ne l’aborde qu’avec crainte. Il tient de la divinité puisque rien de ce qu’il fait n’est explicable et qu’on poursuit ses doctrines au nom de la science officielle comme on tourmenta jadis les martyrs du vrai dieu au nom des divinités païennes réunies au Panthéon. Les gestes évoquent l’inconnu, ses paroles troublent le plus profond de l’âme. L’imagination s’enflamme au récit des merveilles qu’il réalise. On croit, et c’est la foi qui fait le miracle.

Comment le médecin pourrait-il lutter ses armes ne sont pas égales.

Quel médecin oserait employer des pratiques telles que celles que j’ai vu employer à des guérisseurs ? J’en connais un qui reçoit ses malades tous volets clos, sous une lumière tamisée, dans une demi obscurité embrumée par des fumées d’encens. Il parle et son langage emprunte autant à la religion qu’à la magie et qu’à la morale. On ne vient là qu’en tremblant. La cabinet de consultation est un sanctuaire d’où le malade sort aussi réconforté que le pêcheur chrétien sort réconforté du tribunal de la pénitence. Toutes les fibres de son corps ont été bouleversées.

Toute sa volonté s’est livrée simplement à ce qu’il croit la force d’autrui et, par une confusion singulière, il attribue au fluide d’autrui ce qu’il ne doit qu’à lui-même. Un médecin qui emploierait ces procédés serait, comme Deslon au XVIIIe siècle, ridiculisé par la Faculté, traité de charlatan et de saltimbanque. Le respect qu’il doit à son diplôme l’empêche d’employer la mise en scène quasi magique qui fait le succès de son concurrent. Sans doute il analyse et comprend mieux, sans doute il acquiert une prudence que le guérisseur méprise parce qu’il ignore le danger de son entreprise, mais il est maladroit dans son traitement, croit que la science pourtant limitée le rend maître [p. 96] même des esprits. Il oublie que la médecine des Grecs se réfugia d’abord dans les temples, où les Asclépiades, disciples d’Esculape, guérissaient au nom d’un dieu.

Vous dirais-je que mon ambition serait de voir les guérisseurs maîtres de nos hôpitaux ? Vous pensez bien que non. Ils deviendraient plus dangereux que certains médecins même, s’imaginant, les insensés et les ignorants, qu’ils détiennent une panacée universelle. Je voudrais seulement plus d’entente entre le sorcier et le docteur. Au lieu de vouloir injustement usurper les fonctions du premier, le second devrait comprendre que son secours est indispensable. Ce que l’un fait et réussit, l’autre ne le peut accomplir

Le guérisseur inhabile au diagnostic ne devrait se livrer à ses pratiques qu’après qu’un médecin lui a indiqué que le malade est susceptible d’être guéri par lui ; et le médecin devrait abandonner au guérisseur les nerveux sur lesquels son influence de praticien officiel ne peut s’exercer.

Parviendrons-nous jamais à réconcilier leurs professions qui, professionnellement, se combattent depuis quelques millénaires ? j’en doute et le regrette.

Je le regrette parce que leur réconciliation serait féconde en bienfaits et calmerait quelques souffrances de l’humanité.

 

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