Maurice Ducosté. Érection comme équivalent épileptique. Extrait de la « Revue de psychiatrie et de psychologie expérimentale », (Paris), 7e série, 15e année, tome XV, n°5, mai 1911, pp. 183-185.

Maurice Ducosté. Érection comme équivalent épileptique. Extrait de la « Revue de psychiatrie et de psychologie expérimentale », (Paris), 7e série, 15e année, tome XV, n°5, mai 1911, pp. 183-185.

 

Urbain-Joseph-Maurice Ducosté (1785-1956). Elève d’Emmanuel Régis à Bordeaux, d’Edouard Toulouse et d’Auguste Marie à Villejuif, de Marandon de Montyel et de Paul Sérieux à Ville-Evrard, Maurice Ducosté est représentatif du psychiatres type  de sa génération. Major de l’Adjuvat en 1908, c’est à l’asile public d’aliénés de Bassens (Savoie), près de Chambéry qu’il occupe son premier poste, d’où il passera à Alençon en 1910, à Pau en 1911, avant de remplacer Capgras à la Maison de Santé de Ville-Evrard. Médecin en chef de ce même établissement en 1920, il termine sa carrière à Villejuif en 1937.
qAuelques publications:
— De épilepsie consciente et mnésique et en particulier d’un de ses équivalents psychiques: le suicide conscient. Thèse de médecine de Bordeaux. Bordeaux, 1899.
— Les songes d’attaques des épileptiques. Extrait du « Journal de Médecine de Bordeaux », (Bordeaux), novembre-décembre, 1899, Et tiré-à-part : Bordeaux, 1900. 1vol. in-8°, 13 p. [en ligne sur notre site]
— Les fugues dans la démence précoce. L’Encéphale, décembre 1906.
— Les fugues dans les psychoses et les démence précoces. Archives de neurologie, 3e série, 1907, pp. 121-134 et pp.138-148.
— Cours aux Infirmiers sur les soins à donner aux aliénés. 1908.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – La note de bas de page a été renvoyée en fin d’article.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 183]

ÉRECTIONS COMME ÉQUIVALENT ÉPILEPTIQUE
Par Maurice DUCOSTÉ
Médecin-adjoint de l’Asile de l’Orne

X… Alcide, 21 ans, sans profession (1).

Antécédents héréditaires : Père, mort à 52 ans, d’une affection hépatique ; déséquilibré, violent. — Mère, acariâtre, quérulente, exaltée. — Deux frères, décédés, l’un à 3 ans à la suite d’une chute dans le feu. —Trois sœurs, 37, 35, 25 ans ; la seconde : internée à l’Asile de Vaucluse (dypsomane, violente), la plus jeune : crises fréquentes et graves d’angine de poitrine.

Antécédents personnels : Caractère toujours difficile. Onanisme dès l’âge de 12, 13 ans. Émigré en Hongrie en 1909, puis à Vienne, y demeure 21 jours sans argent et vivant d’aumônes : il n’allait pas toucher à la poste les subsides envoyés de France ; il rentre à Paris ne se rend pas chez les siens, vagabonde dans les bois de Versailles. Sa mère finit par le retrouver. Il montrait une véritable fureur d’onanisme : un médecin conseille les bains de mer : pas d’amélioration. Toujours pour son onanisme invétéré, on le conduit successivement à une foule de spécialistes : hydrothérapie, électricité, hypnotisme : aucun résultat. On tente un stage dans une école d’agriculture : sortie au bout de trois mois, pour cause d’immoralité ; essai de placement dans une ferme : évasion. Un médecin aliéniste, enfin consulté, préconise l’internement.

Depuis 7 ou 8 ans que notre sujet se livre à l’onanisme, nuit et jour, c’est la première fois qu’on soupçonne un trouble mental : « la dégénérescence ». Jusqu’alors on avait considéré ce masturbateur, soit comme un « pervers », un érotique, soit comme atteint de pertes séminales. Tous les traitements avaient échoué.

Il entre donc à l’Asile de l’Orne (le 22 juillet 1910) pour édégénérescence avec idées érotiques et pertes séminales ».

— C’est un vigoureux garçon, à figure bestiale, gros mangeur, violent, taciturne. Pas de délire ; son intelligence est médiocre ; il est, à l’ordinaire, obnubilé, à demi-abruti, conséquence probablement de l’onanisme, qu’il n’avoue pas d’ailleurs : il parle sans cesse de ses pertes séminales, mais nie toute manœuvre qui les pourrait expliquer. Cependant une surveillance étroite affirme qu’il n’a pas de pertes diurnes : s’il en porte des traces, c’est qu’il se masturbe, notamment dans les W. C. Pour les pertes nocturnes, un doute subsiste. — Ce n’est point un pervers, comme on l’a dit : il ne cherche pas dans la masturbation une satisfaction érotique ; il n’aime pas à en parler ; il n’a eu qu’une seule fois des rapports sexuels normaux et n’en a pas conservé de souvenir obsédant ; il n’est pas inverti.

Son onanisme lui est imposé en quelques sorte. En effet, à un moment quelconque de la journée, et le soir, lorsque couché il commence à s’assoupir dans la tiédeur du lit, et la nuit, [p. 184] surtout lorsqu’il est étendu sur le dos, il est brusquement pris d’une érection. Il n’a pas besoin de l’appeler par des manœuvres manuelles ou des rêveries érotiques ; elle est spontanée, soudaine, presque instantanément complète. Et il est poussé invinciblement à se masturber par les sensations dont elle s’accompagne.

C’est là le phénomène essentiel, primitif. Tout le reste en découle : les idées érotiques, par un mécanisme normal, banal, bien connu ; et probablement aussi les rêves érotiques. Ces érections surprennent X… A. trois, quatre fois par jour, et autant la nuit ; mais il est des jours où elles sont plus rares, comme d’autres où notre sujet est en proie à un véritable tétanos localisé, ce qu’on pourrait appeler un état de mal érectif.

L’examen local ne donne point l’explication de ces crises : un léger phémosis n’y suffit pas ; et l’on ne trouve rien d’anormal du côté du gland, des testicules, du rectum, de la vessie ou du périnée. Un état congestif du centre des nerfs érecteurs, une excitabilité exagérée, une prédominance de ce centre, sont hypothèses gratuites ou n’expliquent rien. On ne peut, d’autre part, incriminer en l’espèce aucune de ces affections nerveuses ou mentales que Pitres et Sérieux ont vu à la base de « crises clitoridiennes », phénomène analogue, pour la femme, à ce que je note chez X… A. L’épilepsie, de par les antécédents héréditaires de notre sujet, et certains points de son histoire (bien qu’on n’y note aucune crise convulsive) serait, à la rigueur, le moins aléatoire diagnostic. J’ai signalé moi-même, en 1899, dans ma thèse, deux cas de spermatorrhée comitiale, et en ai résumé un autre, dû à l’obligeance de M. Régis. Mais l’éjaculation se produisait au cours de la crise convulsive même.

Le malade est laissé jusqu’au 13 septembre en observation, sans traitement. A cette date, on lui fait prendre 1 gramme de bromure de camphre ; à continuer chaque jour, jusqu’à nouvel avis. Le 16, je remarque une ecchymose sur le front du malade ; les infirmiers me disent que cette légère blessure est due à une chute qu’il a faite en dormant, la nuit dernière ; il ne s’est pas réveillé ; on l’a replacé dans son lit où il a continué à dormir.

Ce petit accident me donne l’éveil : on ne tombe pas, en effet, de son lit dans le sommeil naturel : tout le monde sait qu’une certaine conscience y veille qui nous évite les chutes quelle que soit l’exiguïté de notre couche, comme elle nous garde de l’asphyxie sous nos couvertures lorsque nous nous y blottissons en hiver. Un individu qui tombe de son lit sans interrompre son sommeil, fait immédiatement penser à l’épilepsie.

Une surveillance de nuit est organisée auprès du malade. Et, [p. 185] dans la nuit du 17 au 18, il a une crise convulsive nettement épileptique. Vers la fin du mois, il en montre une autre, suivie d’un délire violent qui dure une quinzaine de jours et demeure amnésique. Du 13 septembre au commencement d’octobre, il n’a présenté, par contre, qu’une seule fois l’érection spontanée dont j’ai parlé ci-dessus. — Vers la mi-novembre, le malade quitte volontairement l’Asile.

X… A. est donc un épileptique, et ses crises d’érection entrent dans le groupe des équivalents. En l’état actuel de nos connaissances, c’est le diagnostic le plus logique, et sans doute, trouverait-on dans la littérature spéciale, aujourd’hui si riche, des cas semblables à interprétation analogue. Il est peu probable que le bromure de camphre, malgré le pouvoir électif qu’on lui prête, ait été l’agent de transformation du paroxysme comitial ; il n’y a là, sans doute, qu’une coïncidence. Il est difficile d’admettre, d’autre part, malgré le silence des renseignements, que la crise convulsive du 16 septembre ait été la première dont ait souffert le malade : des crises antérieures ont pu facilement passer inaperçues. Cependant, si l’on analyse, selon les suggestions de la doctrine reçue, les seuls termes certains de cette observation, il faut admettre que des érections spontanées, soudaines et tenaces, répétées pendant plusieurs années peuvent être sous la dépendance de l’épilepsie, et constituer même le seul symptôme de cette névrose.

Note

(1) Ce malade a été présenté à la Société des sciences médicales d’Alençon.

 

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