Marc Schlumberger. Exemple clinique de la Valeur de l’Interprétation psychanalytique du Rêve. Thèse pour le doctorat en médecine. Paris, Jouve & Cie, 1939. 1 vol. in-8°, 27 p.

Marc Schlumberger. Exemple clinique de la Valeur de l’Interprétation psychanalytique du Rêve. Thèse pour le doctorat en médecine. Paris, Jouve & Cie, 1939. 1 vol. in-8°, 27 p. Texte intégral.

 

Marc Schlumberger (1900-1977) a eu un itinéraire compliqué avant de devenir analyste. Orphelin en bas âge d’une mère anglaise, il souffrit de l’homosexualité de son père, le co-fondateur de la NRF. Après s’être lancé dans le forage des puits de pétrole, Schlumberger entreprend des études en médecine dans le but de devenir analyste.
Après une première analyse décevante avec Laforgue, il fait une deuxième tranche chez Nacht. D’un caractère original et bon vivant, Schlumberger sera un collègue estimé et aura sur son divan plusieurs analystes dont McDougall, Safouan et Granoff. Une inhibition à l’écriture a eu pour effet que ses enseignements sont aujourd’hui disparus. 

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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Exemple clinique de la Valeur de l’Interprétation psychanalytique du Rêve.

Freud écrit dans ses « Nouvelles Conférences sur la Psychanalyse : (1) : « La Psychanalyse n’a fourni aucune doctrine plus marquante, plus originale que celle des rêves, aucune même qui puisse lui être comparée. Elle est un morceau de terre inconnue gagnée sur les croyances populaires et le mysticisme… Elle m’offrit à moi-même un sûr appui dans cette période difficile ou les manifestations inconnues des névroses venaient troubler mon jugement encore mal affermi. Et certes, c’est l’expérience journalière du médecin qui se trouve en présence d’une névrose dont l’étiologie lui échappe : il tire du récit des rêves qui lui sont confiés des renseignements qui peuvent être pour lui un fil directeur. Dans le présent travail nous voudrions montrer la nature de cette aide et plutôt que de nous étendre sur la théorie du rêve (2) nous [p. 12] voulons présenter un cas étudié et guéri par nous presque uniquement par l’interprétation du rêve

Notre malade est un homme de 46 ans, contremaître dans une centrale électrique ; il est de petite taille, mais trapu et d’aspect viril. Α le voir et à entendre sa voix forte, nette et grave, οn ne soupçonnerait jamais qu’il souffre d’impuissance génitale presque totale, doublée d’anxiété. Marié depuis 23 ans, il n’est parvenu au coït que très rarement. Malgré son désir des femmes, qui est constant, et même au cours de tentatives extra-conjugales, il n’obtient qu’une érection insuffisante pour permettre l’intromission. Dans les rares occasions ou il parvient à celle-ci, l’orgasme est presque instantané et l’érection tombe aussitôt. Des examens médicaux répétés n’ont jamais révélé le moindre symptôme physique. Cette impuissance a un fâcheux effet sur sa vie quotidienne : il est hanté par l’idée du travail mal fait et se sent fautif en présence de ses chefs ; pour atténuer son anxiété, il fait parfois des heures supplémentaires. Il a peur d’adresser la parole à une femme qui risquerait de le tenter, sauf sur le ton de la plaisanterie, alors il lui en dit de « raides «  et s’éclipse.

Εn dépit de l’âge du malade nous lui avons appliqué la méthode psychanalytique, car l’anamnèse nous a apporté des éléments qui pouvaient faire supposer [p. 13] l’existence d’un conflit affectif, qui peut-être était à l’origine du symptôme.

Pour la compréhension du cas, nous allons donc nous étendre sur les antécédents personnel.

Le malade, que nous nommerons Χ…, naquit dans un milieu pauvre. Sa famille était composée de son père, de sa mère et d’une sœur de deux ans son ainée.

Son père parait avoir été, dans son genre, une personnalité. Il faisait tous les métiers, étant tour à tour cocher, débardeur, maçon, garçon de recettes, j’en passe, et, à diverses reprises, marchand de vin. Ce dernier travail lui plaisait particulièrement, car il avait un faible pour la boisson. Α jeun, il était plutôt doux, mais il puisait dans l’alcool des colères terribles qui dominent tous les souvenirs d’enfance du malade.

Sa mère, qu’il prétend n’avoir jamais vu sourire, passait une existence triste dans la pièce unique où logeait toute la famille. Elle faisait à gauche et à droite de menus travaux et se plaignait sans cesse. Les retours du père déchiraient cette monotonie. Il était presque toujours saoul et en dehors des querelles quotidiennes. Χ… se souvient surtout des jours où sa sœur et lui étaient refoulés de l’autre côté du rideau qui coupait la pièce en deux ; de ce « coin des enfants », ils entendaient souvent leur père exiger le coït de leur mère qui protestait. Lorsque leur père prenait le dessus, l’acte avait lieu dans un concert de plaintes et de jurons. Une fois leur mère s’était refusée net ; leur père, furieux, avait empoigné sa femme [p. 14] et les mioches et les avait tous littéralement jetés dehors ; sur quoi il avait refermé la porte sur eux pour cuver tranquillement son vin.

X… grandit dans cette atmosphère. Vers 8-10 ans, il est d’humeur batailleuse et s’amuse à brimer sa sœur. L’acte sexuel n’a évidemment pas de secrets pour lui, la masturbation ne parait pas lui donner de remords et, s’il urina longtemps au lit (une fois encore à 13 ans), la répression n’a pas été sévère.

Vers 13 ans, au voisinage de la puberté, par conséquent, son caractère se transforme. Il devient pensif, doux et passe le plus clair de son temps libre dans le logis, assis sur une chaise, près de sa mère. Α cette époque, deux camps se sont formés : sa mère et lui d’un côté, de l’autre, son père et sa sœur. Celle-ci évolue vers une liberté sexuelle voisine de la prostitution qui l’entrainera, vers 18 ans, hors du cercle de la famille. Quant au père, il se fera de plus en plus rare et, un beau jour il disparaitra pour de bon, mais un certain temps après le mariage de Χ… ; on dit qu’il s’est engagé dans un cirque, puis qu’il est mort quelque part en province.

Χ… fait son apprentissage et entre dans une usine. Il est déjà l’ouvrier consciencieux qu’il demeurera toute sa vie. Α 18 ans, poussé par les copains, il tente de jeter sa gourme avec une prostituée. Cet essai lui apporte la première révélation de son impuissance : l’érection est insuffisante, bien qu’il ne puisse accuser ni le manque de désir, ni le dégoût, ni la crainte de la maladie. Quelques mois plus tard, il obtient un [p. 15] résultat un peu meilleur : il parvient à l’intromission. mais l’orgasme est presque instantané et la détumescence immédiate. L’impuissance n’est donc pas absolue et, au cours des années qui suivent, quoiqu’il éprouve de l’appétit pour les femmes, il n’a que quelques rares rapports οù, parfois, il échoue et parfois parvient, après force travail, à l’intromission, mais toujours avec éjaculation précoce.

Α 23 ans, il épouse la femme qui l’accompagne à sa première consultation. C’est, comme l’est sa mère, une femme triste.

Χ … ne se sépare pas volontiers de sa famille ; il craint de laisser sa mère seule, en butte au mauvais caractère de son père. D’ailleurs. son propre ménage n’est pas trop bon et si, au début, lorsque sa femme était sa maitresse et dans les premiers temps de leur mariage, ils eurent des rapports qui, bien que médiocres et espacés, furent tout de même les meilleurs qu’il eut connus, des disputes s’élèvent bientôt, entretenues par l’absence d’effusions. Α deux reprises, sa femme quitte le domicile conjugal avec un amant ; chaque fois, après quelques mois, elle revient, insatisfaite. Pendant ces νeuνages, Χ … s’accommoderait bien d’une partenaire, pourvu que ce ne fût pas une prostituée, mais il n’ose rien, malgré les occasions.

Enfin, après le départ définitif de son père, il a repris sa mère avec lui et actuellement, ils habitent tous trois un petit appartement de trois pièces, car Χ… maintenant contremaître, gagne honorablement sa vie. ΙΙ est inutile de dire que les deux femmes ne [p. 16] s’entendent pas ; la mère, qui a 75 ans, et ne peut marcher sans être soutenue, se plaint de sa belle-fille à longueur de journée et celle-ci, en sourdine, le lui rend bien. Χ… n’a pas abdiqué une autorité naturelle, mais il a le plus grand mal à la défendre.

Αu cours de la première séance, il explique donc qu’il se sent très diminué par son impuissance, qu’il croit être due à une déficience glandulaire, car il a remarqué que le produit de son éjaculation est minime. Il accepte notre tentative de traitement, se réservant de recourir, s’il échoue, à certaines pilules dont il nous montre le prospectus.

Dès la visite suivante Χ… nous raconte un rêve. « Je vois le tramway qui mène de Ρaris en banlieue chez ma sœur. J’y monte, je paie ma place, mais je m’aperçois que j’ai laissé tomber mon imperméable dans la rue. Je redescends pour le ramasser, tant pis si je rate le tramway. » Nous n’interprétons pas ce premier rêve qui se poursuit à la visite suivante par un autre que voici : « Sur la même ligne de tramway que dans le rêve précédent, je suis dans une auto qui va sur les rails avec ses pneumatiques au lieu des roues en fer : l’auto avance excessivement lentement parce que les roues patinent. »

Α première vue ces deux rêves n’avaient entre eux qu’un rapport de lieu : la ligne de tramway qui menait de Paris, domicile de Χ… , chez sa sœur. Cependant différents éléments nous avaient frappé. Notamment celui-ci : Χ…, en nous racontant sa vie, nous avait dit son attachement à sa mère durcie qu’il avait [p. 17] recueillie dans son ménage, et s’il avait décrit sa sœur charnelle, il avait ajouté qu’il ne la revoyait pour ainsi dire jamais, comme si vraiment il la jugeait une personne indigne.

Εn relatant son rêve Χ… dit d’ailleurs que cette sœur est pour lui une étrangère. Ce premier point retient notre attention : voilà un homme impuissant, vivant avec deux femmes tristes et froides et qui deux fois de suite rêve qu’il va vers une fille sensuelle, sa sœur, avec laquelle il fût très lié avant sa puberté, et qui aujourd’hui, consciemment lui est étrangère… Un deuxième point nous frappa. Dans le premier rêve le malade semble plus s’inquièter de son imperméable que du tramway : il a mis en scène le départ, mais est prêt à l’abandonner. Dans le deuxième, il est bien parti mais c’est le véhicule qui n’avance pas. Si le premier élément (la ligne de tramway) représente un but, le deuxième (la descente du tramway et les roues qui patinent) se traduisent comme un freinage.

Enfin, un troisième élément méritait qu’on s’y arrêtât. Il n’est pas facile de reproduire une séance d’analyse d’une heure, au cours de laquelle la malade débite tout ce qui lui passe par l’esprit. Entre autres choses souvent il se répète, souvent il revient sur un thème, et les mots dont il se sert ne sont pas toujours les mêmes. Notamment ici, quand nous lui demandions à quoi lui faisait penser son imperméable, il employa, pour le désigner, le mot de « caoutchouc ». Le lien entre le « caoutchouc » du premier rêve et les pneumatiques du second nous frappa et nous pensâmes [p. 18] que ces symboles représentaient le moyen du freinage des deux rêves. Si le but était sexuel, le « caoutchouc » représentait quelque chose de protecteur contre la sexualité.

Α la visite suivante, nous fîmes part à Χ… de nos réflexions au sujet de ses rêves. Il se défendit d’avoir la moindre envie de revoir sa sœur, mais quand nous lui expliquâmes que le caoutchouc représentait assez bien (remplaçant comme il l’avait rêvé le dur métal des roues) la mollesse d’une verge incapable d’érection, il se tint silencieux pendant quelques minutes. Et tout d’un coup il s’écria que ses rêves l’avaient trahi et qu’il y avait une chose qu’il ne m’avait pas dite : c’est que, pour remédier à son insuffisance, il avait minutieusement façonné, voici quelques années déjà, un gros pénis en caoutchouc avec un gland sculpté, mais pénis creux dans lequel il logeait sa propre déficience. Grâce à cet artifice il obtenait parfois la satisfaction, soit avec sa femme, soit en se couchant à plat ventre par terre lorsqu’il était seul à la maison.

Soulagé par son aveu, frappé par l’interprétation de son rêve, Χ… prend confiance et au bout de quelques jours, il annonce avec fierté qu’il a eu, sans son appareil, un rapport sexuel assez satisfaisant. Il admet la possibi1ite d’une participation érotique aux jeux de son enfance avec sa sœur, mais il ne comprend pas bien pourquoi il a réagi par l’impuissance. Les deux rêves d’ailleurs ne nous éclairent pas là-dessus. Jusqu’ici nous ne savons que ceci : Χ… a [p. 19] révélé une tendance (aller vers sa sœur) et une inhibition de cette tendance (l’imperméable et les pneus dans les rêves). Mais dans la réalité, le pénis en caoutchouc permet à Χ… comme nous le savons maintenant, d’obtenir une certaine satisfaction ; nous pouvons donc penser que ce moyen, le caoutchouc en général, représente en fait, un compromis entre la tendance et le besoin de la freiner.

C’est encore par le rêve que Χ… va lui-même nous éclairer davantage. Nous avons dit qu’il vivait avec sa femme et sa mère. De la première, il rêve une nuit : « Je suis couché sur le dos dans une rue tout près d’un pont qui passe au-dessus (et où, en réalité, l’autre jour un camion chargé trop en hauteur s’est renversé). Μa femme est accroupie près de moi et est en train de coudre ensemble les deux côtés de ma braguette de pantalon. »

L’idée du rêve est celle-ci : il y a un danger à se tenir debout (car comme le camion trop haut on pourrait être détruit ; Χ… reste donc couché (passif et impuissant) et, mieux, il demande à sa femme de coudre son pantalon, ce qui indique bien le lieu où les précautions doivent être prises : l’érection est un danger. Dans la réalité, comment Χ… demande-t-il un tel service à sa femme ? Nous avons interrogé celle-ci et elle nous a très ouvertement déclaré que bien qu’elle avait beaucoup d’affection pour son mari, l’acte sexuel la laissait complètement indifférente avec X…, ou avec les deux amants qu’elle avait eus, elle n’avait jamais ressenti le plus petit plaisir ; pour [p. 20] elle, seuls les hommes désiraient le coït ; elle-même s’en passait volontiers. Nous comprenons donc que Χ…, inconsciemment et malgré ses protestations du contraire, exploitait pour son compte la frigidité de sa femme ?Maintenant, pourquoi y a-t-il danger ? Pourquoi Χ… a-t-il le besoin de contrecarrer ses tendances sexuelles ?

Avant de nous le dire, Χ … fait des progrès considérables dans le sens de la réduction du symptôme. ΙΙ a eu jusqu’ici une trentaine de séances et constate une amélioration certaine tant dans la force de l’érection que dans sa durée ; son anxiété diminue de concert, il devient moins soucieux. Quand un jour il nous raconte le rêve suivant : « Μa mère dort (dans le lit que nous occupons, ma femme et mοi). Je suis debout, dans la pièce, avec une érection gigantesque. Τοut-à-cοup, je vοis s’ouvrir l’œil de ma mère, un œil froid qui me fait peur et l’érection tombe immédiatement. »

Χ … est stupéfait de ce rêve. Il nous reparle spontanément de son enfance, de l’horreur des scènes de cοït entre ses parents, de la crainte que lui inspirait son ivrogne de père toujours si coléreux et brutal, des protestations véhémentes de sa mère. Or voilà que dans le rêve qu’il nous apporte aujourd’hui, Χ… se ,représente comme l’objet de la réprobation de sa mère dont l’œil sans chaleur le condamne. Et il ajoute que cela le surprend, car sa mère fût toujours pour lui une amie tolérante et il n’a pas souvenir qu’elle [p. 21] lui eût jamais fait la leçon en ce qui concerne les manifestations de la sexualité.

Une préoccupation toute récente de Χ… nous mettra sur la voie. Son père avait disparu depuis de nombreuses années. Ce départ avait été un soulagement pour tous et Χ… ne nous parlait de lui que pour répéter les scènes où il avait été odieux. Cependant, depuis quelques jours, Χ… veut savoir ce que cet homme est devenu. Un besoin nouveau s’impose à lui : si ce père vivait encore, il aimerait le revoir pour le connaitre mieux, l’affronter aussi mais avec curiosité, comme s’il se demandait : quel homme ai-je vraiment pour père, que suis-je, moi, maintenant par rapport à lui ? Χ… se met en chasse, retrouve d’anciennes connaissances de son père et dans une ville de province, finit par avoir la certitude de son décès ; il ne trouvera pas de tombe car le vagabond a été enterre dans la fosse commune.

Son père est donc mort. La loi, qu’au père défunt succède le fils, s’applique à lui désormais et cette prise de conscience de son nouveau rôle, cette transformation de fils en père, survient au moment où Χ… retrouve la liberté de son automatisme sexuel. Le rêve que nous avons relaté plus haut traduit donc ce fait : que Χ… craint de jouer maintenant ce rôle paternel dont il avait conçu l’horreur, de faire le geste sexuel qu’il avait toujours blâmé. Il fait appel, dans le rêve, à sa mère pour faire cesser l’érection énorme (telle que l’enfant qu’il avait été l’imaginait chez son père). On remarquera que sa sœur ne joue plus de rôle. C’est [p. 22] que cette sœur avait une autre opinion que lui sur les rapports entre ses parents. Elle défendait toujours son père et bien des années après le départ de celui-ci, elle reprochait encore à sa mère son attitude de défense et l’accusait d’avoir toujours fait des histoires : à sa place, elle, sa fille, eût reçu son père au lit, même saoul.

C’est là le point capital. L’impuissance génitale était pour Χ… un besoin. Dans les deux premiers rêves il avait indiqué la tendance vers une femme qui eut toléré, voire provoqué, le désir paternel. Mais à cette époque X … était impuissant. Α l’heure actuelle, il en est autrement, et dans ses rêves, Χ… s’efforce de renforcer les interdictions (couture du pantalon par sa femme, œil glacé de sa mère) parce que justement par la superposition de la situation d’enfance à celle du présent, son instinct sexuel moins inhibé lui parait plus blâmable. Il en sera ainsi tant que durera la superposition, la confusion entre le passé et l’actuel, tant que l’activité ne sera pas complètement détachée du sentiment de jouer une partie de ses tendances sur la scène même de sa jeunesse. En effet, ce n’est que sur cette scène d’enfance que sévit l’interdiction qui peut se résumer ainsi : à chaque poussée de l’instinct sexuel, il impose inconsciemment une inhibition. C’est comme s’il disait : « la sexualité de mon père est abominable, je me défends de jamais l’imiter. »

Νous voudrions ajouter un mot avant de terminer : nous avons parlé plus haut, au sujet du rêve du pont sur la rue, d’un danger qui, menaçait Χ…, et nous parlons [p. 23] maintenant simplement de « défense ». C’est qu’en effet cette défense d’imiter un père s’appuie sur une crainte. Nous n’avons malheureusement pas de rêve du malade qui nous permettrait, tout en restant dans le cadre de ce travail, d’indiquer les sources de ces craintes. Qu’il nous suffise de rappeler que notre malade haïssait son père et souhaitait qu’il disparût pour que cessât dans la famille la continuelle tension qu’il provoquait.

Être père équivalait donc à être haï et menacé, parce que être père, c’était être dangereux et menaçant pour autrui. Lors des poussées du désir sexuel de Χ… qui tendaient à faire de lui l’émule de son père (puisque c’était tout spécialement l’agressivité sexuelle qui caractérisait pour lui la sexualité paternelle) il ne pouvait que se sentir menacé.

Il va de soi que cette susceptibilité de l’adulte a des sentiments provenant de son enfance cesse lorsqu’il atteint une complète maturité affective.

Nous avons laissé Χ… après ce rêve où sa mère condamnait son excessive virilité et lorsqu’il venait d’obtenir la certitude de la mort de son père. Nous continuâmes le traitement pendant une trentaine de séances encore avec de très heureux résultats. L’instauration de la puissance normale se faisait progressivement dans tous les domaines, rapports plus fréquents (il en eut trois par semaine), érection plus solide, de plus longue durée, plaisir plus vif et, enfin, plus grande abondance de liqueur spermatique. En même temps Χ… gagnait en assurance, cessait d’être [p.24] obsédé par la crainte de mal faire son travail, il osait se défendre devant ses chefs et parlait haut dans son ménage. Et ce n’était pas la fabulations : en effet quelque temps avant la fin du traitement, sa femme vint nοus trouver pour nous demander d’arrêter la cure, car disait-elle, avec ses 41 ans et son peu de goût pοur l’acte, elle craignait de ne plus pouvoir suffire à des emportements qui menaçaient d’entrainer son mari vers d’autres femmes. Lorsque Χ… nous quitta il affirma se sentir d’une jeunesse qu’il n’avait jamais connue, même à vingt ans (3).

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*    *

Le cas que nous avons décrit n’est qu’un exemple pour mettre en valeur l’aide apportée à sa compréhension par l’interprétation du rêve. Νοus n’avons traité à fond ni le cas, qui est plus complexe, (4) ni la théorie du rêve que l’on trouve dans l’ouvrage cité. Νotre but a été de montrer la corrélation entre un symptôme névrotique et les rêves du malade, les rêves donnant au symptôme tout son sens.

Nous nous sommes borné à quatre rêves. Dans chacun d’eux, nous avons observé la notion de conflit, caractérisé par une tendance ou poussée et un [p. 25] freinage ou inhibition. Et la résultante de ces deux forces, le compromis, correspond à la fois au rêve et au symptôme. Au cours du rêve, chacune des forces du conflit se révèle : les voies de la motilité sont supprimés pendant le sommeil et les images oniriques ne risquent pas de se traduire en actes ; le conflit ne fait donc que se « jouer »d’une manière plus ou moins ouverte. Le jeu a pour but de produire une certaine décharge de la tension psychique que tout conflit provoque.

L’interprétation du rêve permet de mettre en lumière le conflit en remontant à ses origines. Au cours d’une analyse nous trouvons toujours que les données du conflit sont dans l’enfance. Dans l’exemple que nous avons donné, si nous examinons le rêve οù Χ… se fait coudre son pantalon par sa femme, nous voyons que la frigidité de celle-ci est exploitée par Χ…, mais que le besoin qu’il a d’être inhibé par elle vient des représentations de tragiques scènes d’enfance qui gardent pour le malade toute leur nocivité.

Au fur et à mesure de la prise de conscience du conflit, les forces instinctives qui lui étaient liées se dégagent et s’intègrent à la réalité actuelle : c’est comme un déconditionnement de réflexes. Dans l’exemple choisi, l’automatisme sexuel de X… s’est montré régi par des représentations d’enfance de l’acte sexuel : c’est de ces représentations que nous l’avons libéré pour le guérir. [p. 26]

CONCLUSIONS

Dans ce rapide exposé, nous avons simplement voulu montrer comment une symptomatologie névrotique donnée (une impuissance génitale dans l’exemple choisi), pouvait se traduire dans les rêves du malade et comment l’interprétation de ces rêves pouvait conduire à une évolution favorable du symptôme en rendant conscient le conflit psychique ignoré. Les conclusions qui découlent de ce travail sont les suivantes :

  1. Le rêve a un sens.
  2. Il est provoqué par une tension psychique due à un conflit affectif dont l’origine remonte à l’enfance et qui se décharge partiellement au cours du sommeil.
  3. Cette décharge se fait sous forme onirique reproduisant d’une manière plus ou moins directe les données mêmes du conflit. [p. 27]
  4. L’interprétation du rêve rend le conflit conscient et permet ainsi au malade de le résoudre en prenant vis-à-vis de lui, et grâce au concours du médecin, une attitude adulte.

NOTES

(1) Tr. Α. Berman, Gallimard. Paris, 1936.

(2) Cette théorie est exposée dans l’ouvrage princeps de Freud La Science des Rêves, Alcan. Paris. Ce livre contient une bibliographie très étendue où sont cités un grand nombre de travaux français.

(3) Nous le revîmes trois ans plus tard : le symptôme n’avait pas reparu.

(4) Sur l’impuissance, cf. la thèse de Paris du Dr R. Loowenstein, La conceptίon psychanalytique des troubles de la puissance génitale chez l’homme, 1935.

 

 

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