Ma conception de l’hystérie et de l’hypnotisme (pithiatisme). Par Joseph Babinski (1906)

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Joseph Babinski. Ma conception de l’Hystérie et de l’Hypnotisme (pithiatisme). Conférence faite à la Société de l’internat des hôpitaux de Paris (Séance du 28 juin 1906). Chartres, Imprimerie Durand, 1906. 1 vol. in-8°, 31 p.

 Le texte que nous proposons ici est d’une très grande rareté, car d’un tirage confidentiel. Il ne se trouve que dans quelques bibliothèques. Il est capital dans l’histoire de l’hystérie car il délimite épistémologiquement l’époque Charcot de ses successeurs. La tentative de Babinski pour imposer le terme  de pithiatisme, dont la première tentative date de 1901, fera pourtant long feu.

Józef Julian Francisez Feliks Babiński ( 1857 – 1932]. D’abord interne en médecine dans le Service de Victor-André Cornil (1837-1908) à l’Hôtel-Dieu (1879), puis chef de clinique dans le service de de Jean-Martin Charcot (1825-1893) à la Salpêtrière 1884. Il soutient en 1885 sa thèse de doctorat sur Étude anatomique et clinique sur la sclérose en plaques, Paris, G. Masson, 1885. 1 vol. in-8°, 151 p. En 1886 il publie un article étonnant Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sujet sous l’influence de l’aimant, Paris, Au bureau du Progrès médical et A . Delahaye et E. Lecrosnier, 1886. 1 vol. in-8°, 8 p. Nommé médecin des hôpitaux en 1890, sa carrière se déroule à la Pitié. Dans le service de Charcot, qui soignait ce que l’on rassemblait à l’époque sous le nom d’hystérie, il distingue les paralysies hystériques des paralysies organiques, et à partir de 1893 il recherche les signes objectifs des maladies organiques permettant de les distinguer des névroses (Démembrement de l’hystérie traditionnelle, 1909).

En 1896, il découvre le signe universellement connu maintenant sous le nom de signe de Babinski : inversion du réflexe cutané-plantaire en rapport avec une perturbation du faisceau pyramidal, qui se traduit par l’extension du gros orteil. En 1903, il complète ce signe par le signe de l’éventail. D’autres signes deviendront classiques en neurologie, tels que le signe du peaucier, le réflexe achilléen, le réflexe paradoxal du coude. Par ses travaux sur la sémiologie cérébelleuse, il a créé un syndrome clinique et indiqué l’analyse physiologique de l’asynergie, l’adiadococinésie, l’hypermétrie, la catalepsie cérébelleuse. Ses tests par les épreuves du vertige voltaïque et de la désorientation spontanée ou provoquée (épreuve de Babinski-Weill) permettent de déceler les lésions du cervelet ou de l’appareil vestibulaire. Ses recherches sur la pathologie de la moelle épinière l’ont amené à décrire la paraplégie spasmodique en flexion et à en fixer les règles précises de diagnostic. On lui doit la notion de l’exagération des réflexes de défense dans la maladie de Friedrich (ataxie), la première observation typique du syndrome adiposo-génital (syndrome de Babinski .
Quelques références bibliographiques :
— Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sujet sous l’influence de l’aimant, A. Delahaye et E. Lecrosnier (Paris), 1886.
— Notice sur les travaux scientifiques du Dr J. Babinski, G. Masson (Paris), 1892.
— Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sujet sous l’influence de l’aimant. Paris  aux bureaux du Progrès médical et A. Delahaye & E. Lecrosnier, 1886. 1 vol. in-8°, 8 p. [en ligne sur notre site]
— De l’asynergie cérébelleuse. Extrait de la Revue Neurolplique (Paris), 7 (1899), p.  806-81.
Définition de l’hystérie. Extrait de la « Revue neurologique », (Paris), Tome IX – Année 1901, pp. 1074-1080. [en ligne sur notre site]
— Ma conception de l’hystérie et de l’hypnotisme (pithiatisme), Conférence à la société de l’internat des hôpitaux de Paris, Durand, Chartres, 1906. [en ligne sur notre site]
— Démembrement de l’hystérie traditionnelle : pithiatisme, Impr. de la Semaine Médicale (Paris), 1909. [en ligne sur notre site]
— De l’Hypnotisme en thérapeutique et en médecine légale, Imp. de la Semaine Médicale (Paris), 1910. [en ligne sur notre site]
— Exposé des travaux scientifiques du Dr J. Babinski, Masson et Cie (Paris),

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons déplacé les notes qui se trouvaient en bas de page, en fin d’article. — Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé les fautes d’impression.
 – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

 

BABINSKICONCEPTION0001[p. 3]

MA CONCEPTION
DE L’HYSTÉRIE ET DE L’IIYPNOTISME »
(PITHIATISME)

Ainsi que l’indique le titre de cette conférence, ma manière de concevoir l’hystérie et l’hypnotisme diffère de la doctrine classique. Si mes idées sur ce sujet sont connues de la plupart des neurologistes et acceptées déjà par quelques-uns d’entre eux, comme MM. Dutil et Laubry, auteurs de l’article « Hystérie », paru dans la deuxième édition du Traité de Médecine de Charcot-Bouchard-Brissaud, elles sont ignorées généralement des médecins qui ne se sont pas spécialisés dans l’étude des maladies nerveuses. C’est pour m’aider à les prolonger que notre président, M. Vaquez, en qui j’ai un ami sincère et dévoué m’a invité à venir les exposer devant vous ; je tiens d’abord à lui en exprimer toute ma reconnaissance.

Anciennement, les médecins avaient cru remarquer qu’il existait un groupe de manifestations nerveuses intimement liées à une perturbation dans le fonctionnement de l’appareil génésique de la femme et provenant, soit de l’abus des plaisirs vénériens, soit d’une continence excessive. Ils avaient cherché à mettre ce caractère en évidence en appelant « Hystérie » de ὑστέρα, utérus, ce groupe nosologique, et il est incontestable que si la relation énoncée par eux était réelle, la névrose dont nous nous occupons serait ainsi définie convenablement et dénommée d’une manière très expressive. Mais une observation plus rigoureuse des faits conduisit plus tard à reconnaître que les divers troubles dits, « hystériques » [p. 4] apparaissaient aussi chez des femmes fort bien pondérées an point de vue sexuel et que, par conséquent, la notion primitive était inexacte ; néanmoins, ou conserva le terme « hystérie » parce que cette affection semblait tout au moins l’apanage du sexe féminin. Enfin, mon illustre maître Charcot prouva la fausseté de la conception transmise par ses prédécesseurs en montrant que les phénomènes névropathiques en question étaient communs chez l’homme, chez l’enfant, avant la puberté, ct même chez le vieillard, après l’extinction de la vie génésique.

Il aurait été logique d’éliminer alors du vocabulaire médical un terme propre à entretenir la confusion, mais l’habitude était prise et malgré les erreurs d’interprétation commises autrefois, il n’en restait d’ailleurs pas moins établi que les troubles nerveux appelés hystériques avaient un cachet particulier et qu’ils devaient être rangés dans une casse spéciale à laquelle on pouvait, à la rigueur, conserver la même dénomination, à condition de prévenir qu’elle avait perdu son sens étymologique.

S’il n’est pas absolument nécessaire de supprimer le mot hystérie, il est indispensable de le définir à nouveau, puisqu’on est obligé d’abandonner la définition primitive fondée sur une idée erronée.

Mais, il est facile de constater, en lisant les ouvrages consacrés à l’étude de cette névrose, l’embarras des auteurs à cet égard. Un médecin éminent Lasègue, frappé par l’imperfection des définitions qui avaient été proposées, et se jugeant, sans doute, incapable d’en donner une qui le satisfit, déclara que « la définition de l’hystérie n’avait jamais été donnée et qu’elle ne le serait jamais ». Je suis surpris qu’un esprit aussi distingué, un observateur aussi fin, un Maître qui, avant de se livrer aux études biologiques, avait professé la philosophie, ait commis une pareille faute de logique. Dire que ces mots, qu’on a, du reste, la prétention de conserver, ne peuvent être définis, c’est soutenir que les mots précèdent les idées ! Que penserait-on d’un naturaliste qui s’avouerait incapable de définir une espèce zoologique dont il admettrait la réalité ? Qu’on y réfléchisse un peu. C’est seulement quand on a cru découvrir un objet se distinguant par quelque caractère des objets déjà connus que l’on songe à le désigner d’un mot nouveau et la [p. 5] définition de ce mot consiste simplement dans l’énonciation des attributs qui semblent appartenir en propre à cet objet. Si l’hystérie ne pouvait être définie, c’est qu’elle se confondrait avec d’autres névroses et n’y aurait qu’à la rayer des cadres nosologiques. Si au contraire, on estime que l’hystérie a des attributs spéciaux, on peut et on doit la définir. Telle est l’alternative à laquelle on est nécessairement amené et je crois qu’aucun neurologiste n’hésitera à opter pour la deuxième de ces deux propositions.

Aussi, la plupart des médecins qui ont écrit sur l’hystérie n’ont pas contesté la possibilité d’une définition, mais ils ne se sont pas estimés en mesure de l’énoncer avec précision.

L’hystérie, suivant l’opinion la plus répandue, devrait surtout son cachet à un assemblage particulier de symptômes dont aucun ne serait absolument caractéristique, et il ne serait possible de la définir qu’en la décrivant au moins succinctement et en montrant comment s’unissent les uns aux autres, les éléments qui la composent.

On dit généralement que l’hystérie se manifeste par deux ordres de troubles, les uns permanents, les stigmates, les autres transitoires. Les stigmates, auxquels on attache une grande importance, auraient pour caractère, outre leur fixité, de se développer d’habitude à l’insu du malade ; ce sont l’anesthésie du fond de la gorge, l’hémianesthésie sensitivo-sensorielle consistant, quand elle est bien développée, en une abolition des divers modes de la sensibilité générale, une diminution unilatérale de l’acuité des sens spéciaux, en particulier de la vision, avec rétrécissement concentrique du champ visuel, diplopie ou polyopie monoculaire, et une dyschromatopsie qui, contrairement à celle qu’on observe dans le tabes et dans l’alcoolisme, porterait sur le bleu ct sur le violet, tandis que la perception du rouge resterait normale ; mentionnons encore parmi les stigmates les divers points douloureux, tels que le clou hystérique de la tête et l’hyperesthésie ovarienne. Les crises ou attaques, les paralysies, les contractures, l’aphonie, le mutisme, etc., constitueraient les manifestations transitoires, mobiles, apparaissant d’habitude brusquement sous l’influence d’une émotion, disparaissant, après avoir duré quelque temps, d’une manière soudaine ou [p. 6] rapide susceptibles de se substituer les unes aux autres et n’exerçant ordinairement aucune action notable sur l’état général.

Telle est la conception classique de l’hystérie, la manière dont on la définit. Il en résulte que, lorsqu’on a constaté chez un malade un trouble présentant un des caractères attribués aux manifestations hystériques transitoires, on s’empresse de rechercher les stigmates ; si on les trouve, on n’hésite plus ; le trouble est considéré comme hystérique. Beaucoup de médecins ne sont même pas si exigeants ; quand un symptôme leur parait difficile à interpréter et ne peut être rangé: à leur avis, dans aucun autre groupe nosologique, il leur suffit, pour rappeler hystérique, que le malade chez qui ils l’observent présente les stigmates de la névrose.

En procédant ainsi, on a été amené à classer dans l’hystérie les phénomènes les plus variés. Vous aurez une idée de l’étendue du domaine qu’on lui assigne lorsque je vous aurai mentionné les divers troubles qu’on lui attribue ; en voici l’énumération succincte.

Ce sont d’abord, sans compter les attaques el les anesthésies dont il a été question, les paralysies qui pourraient revêtir toutes sortes d’aspects, reproduire les traits de l’hémiplégie et des monoplégies cérébrales, ainsi que ceux des paraplégies spinales, qui seraient aussi susceptibles de se localiser sur les nerfs et de présenter les caractères des paralysies périphériques, par exemple ceux de la paralysie radiale, de la paralysie de la 3e paire ou de la 6e paire. On a décrit aussi des névralgies hystériques, en particulier des névralgies sciatiques.

L’hystérie serait capable de donner lieu à des troubles mentaux qui deviendraient parfois des plus graves et constitueraient ce qu’on a appelé la « folie hystérique » décrite en détail dans le Traité, si justement apprécié, des maladies mentales de Morel.

L’appareil de la vision est considéré comme payant un large tribut à l’hystérie ; outre la diminution de l’acuité visuelle, le rétrécissement du champ visuel ; les paralysies oculaires, déjà signalés, on observerait aussi parfois de l’immobilité pupillaire pendant les attaques et, en dehors même des attaques, l’hystérie pourrait provoquer de l’inégalité des pupilles et de la mydriase avec abolition des réflexes.

[p. 7] Des troubles cutanés et vaso-moteurs seraient fréquemment engendrés par la névrose qui nous occupe, si l’on s’en rapporte aux données classiques ; elle donnerait lieu à des érythèmes, des hémorragies, des plyctènes, des bulles, des ulcérations, et même des gangrènes ; on a publié de nombreuses observations d’œdème hystérique et en particulier d’œdème bleu.

Du côté de l’appareil respiratoire on a décrit l’aphonie, le mutisme, le spasme glottique, l’œdème de la glotte, les congestions pulmonaires, les hémoptysies.

Du côté de l’appareil cardiaque, on a rapporté des faits d’angine de poitrine, de tachycardie et de pouls lent.

L’hystérie se manifesterait à l’estomac par des gastralgies, des vomissements et des hématémèses.

La polyurie, l’anurie, les hématuries, l’albuminurie, l’incontinence et la rétention d’urine pourraient être aussi des manifestations de celte névrose.

Enfin la fièvre hystérique a été décrire depuis longtemps et récemment encore on en a relaté des cas qui ont été considérés comme indiscutables.

Vous voyez que cette liste, qui d’ailleurs, n’est pas absolument complète, est fort longue et que, d’après l’opinion généralement admise, l’hystérie serait en mesure de se manifester de toutes les façons. Charcot avait dit que l’hystérie est « la grande simulatrice » ; on a renchéri sur cette proposition et on en a altéré le sens en soutenant que « l’hystérie peut tout faire ». Du reste, cette idée, que beaucoup de médecins énoncent volontiers leur paraît conforme à leur conception un peu nuageuse de l’hystérie, suivant laquelle cette affection serait creusée par un agent d’une essence inconnue, mais capable d’atteindre chacune des diverses parties du système nerveux et de produire ainsi des désordres variant avec le siège du mal.

 

Messieurs, je vais maintenant soumettre à la critique les notions dont je viens de faire l’exposé.

Envisageons d’abord les stigmates qui, d’après la doctrine classique, auraient une importance fondamentale. La fixité en [p. 8] constituerait l’un des deux caractères essentiels. Eh bien, je me crois en droit de m’inscrire en faux contre cette assertion ; depuis de nombreuses années, chaque fois que je me trouve en présence d’un malade atteint d’hémianesthésie, de rétrécissement du champ visuel, je m’applique à faire disparaître ces troubles et je puis dire que, sauf dans quelques cas exceptionnels où j’ai été en face de « professionnels » de l’hystérie, pour lesquels cet état est un gagne-pain, et qui sont plutôt des simulateurs que des malades, je suis toujours arrivé au but que je visais. Lorsque j’ai devant moi un hystérique atteint d’anesthésie générale pu d’hémianesthésie, quelque complète qu’elle soit, à première inspection, chez qui l’expérience habituelle consistant à lui traverser les téguments avec des aiguilles semble avoir démontré une abolition des perceptions douloureuses, je procède de la manière suivante : j’applique à l’improviste sur la pulpe des doigts, région particulièrement sensible, les deux électrodes d’un petit appareil volta-faradique fonctionnant au maximum ; je constate alors, dix-neuf fois sur vingt, que l’individu en expérience fait une grimace dénotant la perception douloureuse et qu’il retire sa main. Parmi ces sujets, les uns refusent de se laisser électriser à nouveau et vont chercher asile dans quelque autre service, dont les appareils électriques soient en réparation ; les autres, et c’est, je dois le dire, le plus grand nombre, reconnaissent qu’ils ont senti l’excitation pratiquée ; je renouvelle alors l’expérience en leur affirmant que mon procédé est infaillible pour guérir l’anesthésie et, comme je l’ai dit, j’arrive presque toujours au résultat cherché, en très peu de temps, bien souvent séance tenante. Par des procédés analogues, j’obtiens tout aussi aisément la disparition du rétrécissement du champ visuel, de la dyschromatopsie et de l’insensibilité de la gorge, qui, soit dit en passant, est appelée à tort « abolition du réflexe pharyngé », car l’excitabilité réflexe n’est jamais abolie dans ce cas.

Les stigmates se développeraient à l’insu du malade et ce serait là leur second caractère cardinal. Je suis d’avis que ces phénomènes sont le produit de l’autosuggestion, ou plutôt de la suggestion inconsciente du médecin, ainsi, du reste, que cela a déjà été soutenu par le Dr Bernheim, de Nancy. L’interrogatoire du malade, les [p. 9] questions qu’on lui pose ordinairement, quand on explore l’état de la sensibilité, peuvent suffire pour éveiller dans son esprit l’idée d’une hémianesthésie ou d’un trouble visuel ; il est donc essentiel de prendre toutes les précautions pour éviter cet écueil.

Voici comment je me comporte pour me mettre, autant que possible, à l’abri de cette cause d’erreur. Je me garde d’examiner ces malades les uns devant les autres et d’entretenir, en leur présence, mes élèves, des symptômes que l’on peut observer dans l’hystérie ; j’agis avec la même circonspection, même si le sujet est en crise et en apparence inconscient, sachant fort bien qu’en pareil cas son inconscience n’est pas réelle, que l’on a affaire plutôt à un état de subconscience et que ce qui se dit alors devant lui peut être parfaitement enregistré par son intelligence. Avant d’explorer la sensibilité, je me contente de recommander au malade de me prévenir dès qu’il aura perçu une sensation de contact, de piqûre, ou toute antre impression ; puis, après lui avoir fait fermer les yeux, j’applique sur diverses parties des téguments, tantôt à gauche, tantôt à droite un pinceau de blaireau, la pointe d’une épingle, des corps chauds et des corps froids, ensuite je fais exécuter des mouvements passifs aux segments des membres supérieurs et des membres inférieurs, et enfin, je fais palper par le malade des objets ayant des formes diverses. Si je n’en obtiens pas une réponse immédiate, je me contente lui dire : « Que sentez-vous, qu’est-cc que je viens de faire ? », et jamais je ne lui pose ces questions : « Sentez-vous ce que je fais ? » ou encore : « Sentez-vous aussi bien d’un côté que de l’autre ? », car ce dernier mode d’interrogatoire peut déjà être le point de départ d’une suggestion. Depuis de nombreuses années que j’ai adopté cette méthode, je n’ai pas constaté un seul cas d’hémianesthésie chez les sujets qui, avant. de me consulter, n’avaient jamais été soumis à un examen neurologique et il va sans dire que j’ai exclusivement en vue des malades ayant des manifestations incontestables d’hystérie, telles que des attaques caractéristiques ; j’ajoute que mon expérience à cet égard porte sur plus de cent individus des deux sexes.

Le rétrécissement du champ visuel, pas plus que l’hémianesthésie, ne se développe spontanément, sans l’intervention de la [p. 10] suggestion. Vous savez, Messieurs, quelle est la technique employée dans la recherche de ce symptôme : on se sert d’un appareil appelé campimètre, que je fais placer devant vous ; le sujet met son menton sur l’échancrure du support spécial situé vis-à-vis du milieu de l’arc métallique gradué ; on lui fait fermer un œil et, de l’autre œil, il doit fixer constamment le bouton de cuivre placé au milieu de l’arc ; cela fait, on déplace du milieu à la périphérie ou de la périphérie au milieu du campimètre un index de papier fixé à une tige, en se servant successivement de papiers de différentes couleurs ; au préalable, on a pris soin de dire au malade de prévenir dès qu’il cessera de voir l’index, ou bien dès qu’il commencera à le voir. Cette manière de procéder est insuffisante et défectueuse ; en effet, comme à l’état normal, dans les conditions spécifiées, la vision à la périphérie est moins nette qu’au milieu, certains sujets, d’ailleurs absolument normaux au point de vue visuel, se figurant, ainsi que je m’en suis maintes fois assuré, qu’ils ne doivent prévenir qu’au moment où leur perception sera précise, donnent des renseignements qui induisent l’observateur en erreur ; de plus, il y a là une source de suggestion et d’autosuggestion. Il faut donc avoir soin de dire explicitement à la personne qu’on examine qu’elle devra faire signe dès qu’elle commencera à. distinguer l’index, avant même qu’il ne soit perçu de manière précise. J’ai l’habitude de placer d’abord l’index à la périphérie du campimètre, mais sur la face postérieure, de manière qu’il ne puisse être vu et, afin d’être certain que le sujet ne répond pas au hasard, je lui demande s’il le voit ; puis, après quelques instants, laissant toujours l’index à la périphérie, je le place sur la face antérieure de l’appareil et je le fais ainsi voyager plusieurs fois de suite d’arrière en avant et d’avant en arrière. J’ai étudié de cette manière, en collaboration avec mon ami, M. J. Chaillous, un grand nombre d’hystériques et le champ visuel nous a toujours paru sensiblement normal chez ceux d’entre eux qui jusque-là n’avaient pas encore été soumis il des examens oculaires. Nous n’avons jamais non plus observé chez eux soit la polyopie monoculaire, soit cette dyschromatopsie prétendue spéciale.

Alors ce que viens de vous dire sur l’hémianesthésie et les [p. 11] troubles visuels, je n’insisterai pas sur les autres stigmates, tels que l’hyperesthésie ovarienne ; ils sont, comme les précédents, le produit de la suggestion et les hystériques de mon service n’en ont pas.

Ainsi, Messieurs, les symptômes appelés stigmates ne sont pas des phénomènes permanents, ils ne se développent pas à l’insu du malade, ils font défaut, tout an moins dans la grande majorité des cas, quand l’examen est pratiqué avec la méthode que j’ai indiquée ; ils n’ont donc point, tant s’en faut, l’importance fondamentale qu’on leur attribue et la conception classique ainsi que la définition de l’hystérie fondées sur leur existence se trouvent ébranlées dans leur base.

Je passe aux manifestations hystériques appelées transitoires ; je chercherai à vous prouver que, parmi les caractères énoncés plus haut et devant servir à définir l’hystérie, il n’y en à pas un qui, à ce point de vue, mérite d’être retenu. Le rôle des commotions morales, de l’émotion dans la genèse des troubles hystériques est incontestable, mais ces mêmes causes sont capables d’engendrer des accidents nerveux chez les diabétiques et de déterminer même des troubles circulatoires graves chez les sujets atteints de lésions vasculaires ; ce caractère n’est donc pas distinctif de l’hystérie et ne peut faire partie d’un ne définition. La rapidité dans la disparition d’un trouble n’est pas non plus une propriété spéciale aux phénomènes hystériques ; est-ce que la douleur de la colique néphrétique, est-ce que la crise gastrique tabétique ne cèdent pas souvent d’une manière brusque, soudaine ? De même que l’hystérie, la goutte peut se manifester par des accidents variés qui se succèdent et se substituent les uns aux autres. Enfin, l’hystérie n’est pas la seule maladie qui, d’habitude, n’amène aucune perturbation dans l’état général ; les individus atteints de la maladie du doute sont logés à la même enseigne.

Comme vous le voyez, la définition classique ne résiste à la critique ni dans ses détails, ni dans son ensemble.

Avant d’aller plus loin, je crois devoir vous rappeler certaines définitions plus théoriques que cliniques qui ont été proposées.

Selon Moëbius, on peut ranger dans l’hystérie toutes les [p. 12] modifications corporelles provoquées par des représentations mentales. On n a pas l’a les éléments d’une définition, car le caractère car précédent ne s’applique pas à toutes les manifestations de l’hystérie et il s’applique à des troubles incontestablement étrangers à l’hystérie ; une hallucination hystérique n’est pas une modification corporelle et, d’autre part, certaines formes de vésanie accompagnées de troubles corporels ne sont-elles pas dues à des représentations mentales,

P. Janet a écrit : « L’hystérie est une psychose appartenant au groupe des maladies mentales par insuffisance cérébrale ; elle est surtout caractérisée par des symptômes moraux ; le principal est un affaiblissement de la faculté de synthèse psychologique. » En admettant même, ce qui pourrait se discuter, que ces caractères appartiennent bien à l’hystérie, il est évident qu’ils n’en constituent pas les attributs et ne peuvent servir à la définir.

Nous voilà donc arrêtés en route et il n’y a pas lieu, pour le moment, de discuter la valeur des autres données sur l’hystérie admises dans la doctrine classique. Y a-t-il, par exemple, ou n’y a-t-il pas de fièvre hystérique ? Il est impossible, il serait absurde de disserter sur ce sujet avant d’avoir au préalable déterminé le sens du mot « hystérie ». C’est-a-dire de l’avoir défini. C’est ce que je me propose de faire devant vous, je n’aurai pour cela qu’à vous rappeler la définition que j’en ai donnée il y a près de cinq ans (1) et qui est fondée sans doute sur des arguments solides, puisque, jusqu’il présent, aucun neurologiste n’est venu en contester la valeur.

Que s’agit-il de faire pour définir l’hystérie ? Je l’ai dit plusieurs fois : il n’y a qu’à déterminer et énoncer les caractères qui lui appartiennent en propre. Pour y arriver, il faut analyser les manifestations nerveuses telles que les grandes attaques, certaines paralysies, certaines contractures, l’hémianesthésie sensitivo-sensorielle dont il a été question plus haut, que les médecins sont unanimes [p. 13] à considérer comme hystériques, il faut ensuite les comparer aux troubles nerveux qui, de l’avis de tout le monde, sont étrangers à l’hystérie, et faire ainsi ressortir les caractères distinctifs de cette névrose.

Ce rapprochement m’a conduit à cette conclusion que les manifestations hystériques possèdent deux attributs qui sont, d’une part, la possibilité d’être reproduites par suggestion avec une exactitude rigoureuse chez certains sujets, et, d’autre part, celle de disparaître sous l’influence exclusive de la persuasion.

Avant de chercher à vous prouver l’exactitude de mon opinion, je crois bon de vous rappeler aussi le sens précis qu’il y a lieu, selon moi, d’attacher à chacun de ces deux mots « suggestion » et « persuasion ». Le mot « suggestion » signifie généralement, dans le langage courant « insinuation mauvaise » (Dictionnaire de la langue française de Littré). Dans le sens médical, ce mot me paraît devoir exprimer l’action par laquelle on tâche de faire accepter à autrui, ou de lui faire réaliser, une idée manifestement déraisonnable. Par exemple, dire à quelqu’un, par un temps clair et sec, que le ciel est couvert de nuages et qu’il pleut à verse constitue de la suggestion, car cette allégation est en désaccord flagrant avec l’observation ; soutenir à un individu dont les muscles fonctionnent d’une manière normale qu’il est hémiplégique ou paraplégique est encore de la suggestion, car cela est en contradiction avec le bon sens. Si ces affirmations sont, acceptées, si l’hallucination visuelle ou si la paralysie est réalisée, on peut dire que le sujet en expérience a été suggestionné. Au contraire déclarer à un malade atteint d’une paralysie psychique que le trouble dont il est atteint doit guérir, soit par un simple effort de volonté, soit à l’aide de l’électrothérapie ou de quelque autre traitement, n’est pas de la suggestion, car l’idée émise est raisonnable, ou tout au moins ne choque pas la raison ; c’est de la persuasion.

Reprenons notre argumentation. Les troubles incontestablement hystériques que j’ai mentionnés plus haut, les attaques, l’hémianesthésie, etc., peuvent être reproduits par suggestion chez certains sujets et la reproduction est tellement fidèle qu’il est impossible de distinguer la copie du modèle ; il me semble inutile [p. 14] d’insister sur ce point, car je ne trouverais certainement pas, à cet égard, un seul contradicteur, Or, aucune des affections classées aujourd’hui en dehors de l’hystérie ne peut être reproduite rigoureusement par suggestion ; il est tout au plus possible d’obtenir, par ce moyen, une imitation très imparfaite, facile à distinguer de l’original ; je défie par exemple de faire reproduire exactement à un individu quelque suggestionnable, quelque hypnotisable qu’il soit, les traits de la paralysie faciale périphérique, de la paralysie radiale, de la paralysie de la 3e paire, de l’hémiplégie organique ou de la paraplégie organique ; il serait même impossible d’obtenir une reproduction fidèle des autres névroses. Assurément l’on pourrait, par suggestion, développer une phobie, une obsession, une douleur de tête en forme de casque, etc., et l’on créerait ainsi des états névropathiques qui pourraient être pris, par un observateur superficiel, pour « la maladie du doute », ou pour « la neurasthénie » ; mais, un médecin versé dans l’étude de ces affections ne s’y laisserait pas prendre ; il lui suffirait d’interroger attentivement les sujets ainsi suggestionnés et, au besoin, de les suivre pendant quelque temps pour éviter la confusion.

De même que tous les grands accidents hystériques peuvent être reproduits par suggestion, ils sont tous susceptibles de disparaître sous l’influence exclusive de la persuasion : et il n’y a pas un seul de ces accidents qu’on n’ait vu parfois s’éclipser en quelques instants après la mise en œuvre d’un moyen propre à inspirer au malade l’espoir de la guérison (2). Aucune autre affection ne se comporte de cette manière et, si l’on n’a pas l’expérience de ce mode de traitement, on est même surpris des échecs que l’on essuie quand on cherche à guérir par persuasion certains malades sur lesquels ce moyen semble a priori devoir agir efficacement. Voici, par exemple, un sujet atteint de la maladie du doute bien caractérisée et tourmenté par des phobies diverses ; c’est un homme intelligent, n’ayant aucune idée délirante, se rendant parfaitement [p. 15] compte de l’absurdité des pensées qui l’obsèdent, sachant bien que ses craintes ne se réaliseront pas et animé d’un ardent désir de se débarrasser d’un trouble qui rend sa vie intolérable ; admettons, de plus, que ce malade soit hypnotisable. Il semble vraiment qu’un cas de ce genre réunisse les meilleures conditions pour guérir sous l’’influence de la persuasion. Or, l’observation vient donner un démenti à ces vues préconçues ; la persuasion pourra procurer à ce malade un peu de calme, et lui être utile, mais elle est incapable de le guérir. Admettons maintenant qu’on ait affaire à un neurasthénique qui, alarmé de son affaiblissement cérébral, est tourmenté par de sombres pensées, des idées hypocondriaques qu’il ne peut chasser ; il se voit menacé de folie et cette obsession, qui constitue un véritable travail de l’esprit, aggrave les phénomènes neurasthéniques. Si l’on arrive à persuader au malade que ses craintes ne sont pas fondées et qu’il doit nécessairement guérir, on procure à son esprit le repos qui lui est indispensable et l’on accélère ainsi le retour à l’état normal. En réalité, la psychothérapie a rendu service, elle a eu pour résultat d’empêcher la neurasthénie de s’accentuer, mais elle n’a pas été le seul agent de la guérison qui a nécessité l’adjonction d’autres moyens, en particulier d’un repos cérébral plus ou moins prolongé.

Ce qui précède s’applique aux accidents que j’appelle primitif, de beaucoup les plus importants, les anesthésies, les paralysies, les contractures, les crises, le mutisme, etc., qui sont susceptibles d’apparaître sans avoir été précédés d’autres manifestations de l’hystérie. J’estime qu’il serait légitime d’appeler encore hystériques les troubles qui, sans présenter les caractères des accidents primitifs, seraient liés d’une façon très étroite à un de ces accidents et lui seraient subordonnés ; mais il faut alors ajouter à ces troubles l’épithète de secondaires. L’atrophie musculaire, dans l’hystérie (3), serait le type du genre ; elle n’apparait jamais primitivement ; la suggestion ne peut la faire naître ; elle est liée à la paralysie ou à la contracture hystérique qu’elle ne précède jamais, [p. 16] dont elle est la conséquence et elle ne tarde pas à disparaître quand la fonction musculaire est redevenue normale ; il est donc permis de rattacher cette atrophie à l’hystérie. Toutefois, je reconnais qu’on pourrait discuter cette opinion et soutenir qu’en pareil cas l’amyotrophie n’est que le résultat du repos auquel sont soumis les muscles paralysés ; c’est d’ailleurs ce que je pense actuellement moi-même de la nature de cette atrophie que nous avons été les à décrire, mon maître Charcot et moi. Quoi qu’il en soit il y a lieu de conserver, au moins jusqu’à nouvel ordre, le casier des accidents secondaires dans lequel on rangerait des troubles, qui seraient incontestablement liés d’une manière intime à des phénomènes hystériques primitifs et indépendants de tout autre état pathologique.

Vous me direz peut-être que, jusqu’à présent, je n’ai défini que les accidents hystériques et vous me demanderez de définir l’hystérie elle-même.

Je pourrais vous répondre que c’est un état psychique rendant le sujet qui s’y trouve susceptible d’être suggestionné et capable de s’autosuggestionner ; nous avons vu, en effet, que certains troubles, tels que l’hémianesthésie et le rétrécissement du champ visuel sont la conséquence de la suggestion médicale et, dans les cas où la suggestion n’est pas apparente, il est naturel d’admettre qu’elle existe sans que nous ayons pu la mettre en lumière, ou qu’il s’est agi d’une autosuggestion. Mais vous auriez peut-être le droit de m’objecter que certains troubles absolument étrangers à l’hystérie sont aussi la conséquence de l’autosuggestion ; n’est-ce pas par une sorte d’autosuggestion que le nosomane arrive à la conviction qu’il est atteint d’une affection incurable, ou que le persécuté s’imagine qu’une coalition s’est formée contre lui ? A la vérité, il est certain que le processus mental est, de part et d’autre, bien différent ; en voici la preuve : les troubles que l’hystérique s’autosuggère sont susceptibles, comme je viens de l’exposer, d’être reproduits par suggestion et de disparaître par persuasion : il n’en est pas de même des idées formées par le cerveau du nosomane ou celui du persécuté. Néanmoins, il y a là une cause de malentendu qu’il est préférable d’éviter. Remarquez bien, [p. 17] d’ailleurs que séparer l’hystérie de ses manifestations, c’est réaliser une abstraction et que si l’on veut rester dans le domaine des faits, sur le terrain de la clinique, ce sont les manifestations hystériques seules qu’il importe de définir. Pour ces motifs je fais subir une légère modification au texte de la définition que j’ai donnée antérieurement.

 

En résumé, voici la définition que je vous soumets :

L’hystérie est un état psychique spécial qui se manifeste principalement par des troubles qu’on peut appeler primitifs et accessoirement par des troubles secondaires.

Cc qui caractérise les troubles primitifs c’est qu’il est possible de les reproduire par suggestion chez certains sujets, avec une exactitude rigoureuse, et de les faire disparaître sous l’influence exclusive de la persuasion.

Ce qui caractérise les troubles secondaires, c’est qu’ils sont étroitement subordonnés à des troubles primitifs.

 

J’ai déjà eu l’occasion de vous dire que, jusqu’à présent, aucun neurologiste n’est venu combattre publiquement mes idées, ni proposer une nouvelle définition des manifestations hystériques. Cependant, dans des entretiens particuliers, quelques collègues m’ont fait certaines objections qui peuvent aussi se présenter à l’esprit de quelques-uns d’entre vous et auxquelles je crois bon de répondre ; je vais les passer successivement en revue.

1° La distinction que j’ai faite entre la suggestion qui engendre les troubles et la persuasion qui les guérit a été critiquée ; ce n’est pas par le raisonnement pur, m’a-t-on dit, que l’on fait disparaître d’habitude les manifestations hystériques ; généralement la guérison est obtenue grâce à une émotion, à la confiance inspirée par le médecin, à la croyance dans quelque puissance mystérieuse, telle que la vertu curative d’une pilule « fulminant » ou l’influence occulte d’un sorcier. Je n’en disconviens pas et, du reste, je n’ai jamais soutenu que la cure soit toujours la conséquence directe d’un raisonnement serré. il n’en est pas moins vrai que, contrairement à la suggestion, le processus mental qui [p. 18] aboutit au retour à l’étal normal est raisonnable sinon rationnel, ou, tout au moins, n’est pas en opposition avec le bon sens. Avoir confiance dans un médecin qui promet la guérison est chose toute naturelle ; ajouter foi à la parole d’un sorcier affirmant l’action infaillible de quelque remède secret n’a même rien d’absurde de la part d’un esprit sans culture intellectuelle ; le guérisseur agit par persuasion. D’ailleurs ce n’est là qu’une question secondaire au point de vue de la délimitation de l’hystérie.

2° On m’a fait cette autre objection : il y a des cas d’hystérie franche qui sont rebelles à la persuasion, qui s’éternisent malgré les efforts des médecins, ou qui disparaissent un beau jour sous l’influence d’une émotion, après avoir résisté avec opiniâtreté à la psychothérapie. Vous ne pouvez donc, me dit-on, considérer connue un caractère spécifique des troubles hystériques la possibilité d’être guéris par persuasion. Je ne prétends pas, assurément, qu’on soit toujours sûr de guérir par persuasion les manifestations hystériques, je dis seulement qu’elles sont tontes susceptibles de guérir par ce moyen, mais cela suffit pour légitimer mon opinion. Je pense qu’une comparaison vous en montrera la justesse. Parmi les affections organiques de l’encéphale chez l’homme, la syphilis cérébrale est la seule qui puisse guérir complètement sous l’influence du mercure et je suis convaincu que tout le monde sera d’accord avec moi pour déclarer que cette propriété constitue un caractère qui distingue la syphilis cérébrale des autres maladies organiques de l’encéphale ; or, personne n’ignore que, dans bien des cas, le traitement hydrargyrique ne parvient pas à arrêter l’évolution de cette affection.

3° On m’a encore objecté que la psychothérapie n’était pas efficace seulement dans l’hystérie et que, par conséquent, la curabilité par persuasion n’en constituait pas un caractère distinctif. J’ai déjà répondu plus haut à cette critique, mais, afin de ne laisser subsister aucune obscurité, je crois bon de vous donner encore à ce sujet quelques éclaircissements complémentaires. Je répéterai d’abord que je ne conteste pas l’utilité de la psychothérapie en dehors de l’hystérie ; je soutiens seulement que les accidents hystériques sont les seuls qui soient susceptibles de disparaître sous cette unique influence, [p. 19] sans le concours d’aucun autre agent. Si vous voulez vous faire, à cet égard, une idée personnelle fondée sur l’expérimentation, ayez soin de choisit comme objets d’étude des cas bien net au point de vue du diagnostic et écartez systématiquement ceux qui sont frustes. Dans le domaine des névroses, se manifestant presque exclusivement par des symptômes subjectifs, on est exposé à l’erreur plus qu’ail1eurs et il faut être très circonspect dans l’interprétation des faits ; la suggestion peut, par exemple, fort bien engendrer quelques phobies passagères que la persuasion fera ensuite disparaître, mais il ne s’agit pas là, à proprement parler, de « la maladie du doute ». Désirez-vous être fixé sur l’action de la psychothérapie dans cette affection ? Choisissez un sujet type chez qui la maladie remonte à l’enfance, s’est manifestée au début par des scrupules, des manies, et qui, tout en présentant des alternatives en bien et en mal, n’a jamais disparu depuis, à donné lieu à des troubles tels que l’arythmomanie, le délire du toucher, la nécessité de consacrer plusieurs heures aux soins de la toilette, etc., et essayez de guérir par la persuasion un pareil malade. Sans doute, vous pourrez lui rendre service, corriger quelques-uns de ses défauts et le résultat que vous obtiendrez vous semblera surtout appréciable si, par bonheur, votre traitement coïncide avec le début d’une accalmie, mais, même si vous avez affaire à un cas des plus favorables, vous constaterez sans peine que votre influence est singulièrement, limitée. Pour apprécier le rôle de la psychothérapie dans la neurasthénie, adressez-vous à un cas de neurasthénie bien franche, à la forme dite constitutionnelle ; là encore vous ne tarderez pas à reconnaître que votre restreinte et ne peut être composée à celle que vous avez dans certains cas d’hystérie, où, en quelques instants, vous guérissez complètement des accidents de plusieurs années de durée.

4° On m’a dit encore cette autre critique : « Pourquoi limitez-vous ainsi le domaine de l’hystérie ? Je répondrai que les classifications ne peuvent être arbitraires, que ma délimitation n’est pas le résultat d’un caprice, qu’il est indispensable afin d’éviter la confusion, de séparer les uns des autres des troubles n’ayant pas les mêmes qualités.

[p. 20] En possession d’une définition précise, nous sommes en mesure, maintenant, de faire une révision utile des nombreux troubles attribués à l’hystérie, que nous avons énumérés plus haut et de voir s’ils en font réellement partie.

L’hystérie peut donner naissance à des crises nerveuses sous des formes variées, à des paralysies qui occupent un membre, un segment de membre, un côté du corps, les deux membres inférieurs, et qui sont tantôt flasques, tantôt accompagnées de contractures ; elle peut engendrer des anesthésies généralisées à toute l’étendue du corps, limitées à un côté seulement, à un membre ou à un segment de membre, des hyperesthésies, du rétrécissement du champ visuel, de la diminution de l’acuité visuelle, de la cécité, de l’aphonie, du mutisme, des vomissements, de la rétention d’urine, de rémission en apparence involontaire de l’urine. Tout cela est incontestable, car on observe des malades chez lesquels il est parfois possible de faire disparaître en très peu de temps, uniquement par la persuasion, des phénomènes de ce genre, et parce qu’on est en mesure de reproduire avec rigueur, des phénomènes identiques chez certains sujets, par la suggestion. Mais faut-il en conclure que toutes les formes d’attaques nerveuses, de paralysie, d’anesthésie, d’hyperesthésie, d’aphonie, d’incontinence d’urine puissent être causées par l’hystérie ? Assurément non, car elles ne possèdent pas toutes les caractères distinctifs des manifestations hystériques (4).

Il est impossible de reproduire par suggestion des crises nerveuses, accompagnées de lividité des lèvres et suivies de petites ecchymoses cutanées ; des attaques de nerfs offrant ces particularités ne peuvent donc être hystériques.

Je soutiens depuis longtemps que l’hémiplégie organique par lésion cérébrale et la paraplégie par lésion spinale se manifestent par certains signes qui manquent toujours dans l’hémiplégie et la [p. 21] paraplégie hystérique pure. Les limites de cette conférence m’empêchent de discuter cette question dans ses détails (5) et je me contenterai d’attirer votre attention sur l’un de ces signes que je considère comme tout à fait distinctif, c’est l’exagération des réflexes tendineux et l’épilepsie spinales parfaite (6) qui n’est qu’une forme de cette exagération. Mes idées sur ce sujet sont déjà admises en grande partie par certains neurologistes ; pour s’en convaincre, il n’y a qu’à parcourir les bulletins de la Société de Neurologie de Paris, où cette question a été discutée plusieurs fois ; néanmoins il y a encore beaucoup de médecins qui considèrent comme un fait incontestable la possibilité de l’exagération des réflexes tendineux dans l’hystérie, ce qui lient, sans doute, à ce qu’ils ne sont pas suffisamment familiarisés avec la recherche des réflexes tendineux chez l’homme sain et qu’ils prennent souvent pour un état pathologique ce qui est physiologique. Si l’exagération des réflexes tendineux et l’épilepsie spinale parfaite étaient susceptibles de constituer des troubles hystériques primitifs, on devrait être en mesure de les reproduire par suggestion avec une exactitude rigoureuse chez certains sujets et de les faire disparaître dans certains cas sous l’influence unique de la persuasion ; or, cela n’est pas ; pour ma part, j’ai tenté l’expérience en vain sur bien des sujets très suggestionnables, hypnotisables, et, à ma connaissance, personne jusqu’à présent n’y est parvenu, D’autre part, pour établir que ces phénomènes peuvent être rangés dans la classe des manifestations hystériques secondaires, il faudrait prouver qu’ils sont parfois étroitement subordonnés à des accidents hystériques primitifs. Qu’on me montre, par exemple, un malade atteint d’hémiplégie hystérique avec des réflexes tendineux manifestement exagérés au membre supérieur et au membre inférieur, avec de l’épilepsie spinale parfaite du côté paralysé, qu’on le guérisse de [p. 22] son hémiplégie et qu’on le présente de nouveau peu de temps après, débarrassé de son épilepsie spinale, avec des réflexes tendineux égaux des deux côtés ; la preuve sera faite alors. Mais je me hâte d’ajouter que cette preuve, que je demande depuis six ans à ceux de mes collègues qui conservent l’opinion ancienne, n’a pu être apportée.

Vous voyez donc déjà que l’hystérie ne peut pas tout faire ; elle est incapable de reproduire un des traits essentiels des paralysies liées à une lésion du système pyramidal.

Pour les mêmes raisons, je soutiens que l’hystérie ne donne jamais naissance à des paralysies limitées au territoire d’un nerf périphérique. Les observations sur lesquelles on s’est appuyé pour admettre ces données sont loin d’être démonstratives. On a, par exemple, publié des faits de paralysie de la 3e paire qu’on a qualifiée d ‘hystérique, parce que les sujets qui en étaient atteints étaient hystériques et que la paralysie, après avoir duré quelque temps, a disparu rapidement ; ces arguments sont sans valeur ; ne savons-nous pas, en effet, que dans la période préataxique du tabes il se développe souvent des paralysies oculaires ayant précisément pour caractère de disparaître avec rapidité ; et, d’autre part, rien n’empêche d’admettre que ces malades, tout en étant atteints d’une paralysie périphérique organique étaient des hystériques, les associations hystéro-organiques étant chose très commune,

Si l’atrophie musculaire simple, sans D. H. peut dépendre de l’hystérie, en qualité de manifestation secondaire, il n’en est pas de même de l’atrophie dégénérative qui est absolument étrangère à cette névrose,

Je ne m’attarderai pas à discuter la question de la folie hystérique ; je suis d’avis que cette espèce de vésanie n’existe pas ; d’ailleurs, les aliénistes s’accordent généralement aujourd’hui pour ranger dans « la démence précoce » la plupart des faits que l’on classait autrefois dans la folie hystérique. La persuasion est sans action sur les troubles de ce genre et on ne peut pas les reproduire par suggestion.

On a l’habitude de dire que l’hystérie provoque souvent une anesthésie complète de la cornée et des conjonctives ; c’est encore [p. 23] un point que je conteste. Essayez de faire disparaitre complètement, par suggestion, la sensibilité de l’œil de façon à amener, comme dans anesthésie cocaïnique, ou dans celle qui est due à la section du trijumeau, une abolition du réflexe palpébral ; je puis vous déclarer que vous n’y arriverez pas.

Les hyperesthésies sont communes dans l’hystérie, mais elles ne sont pas cantonnées rigoureusement dans le territoire d’un nerf périphérique. En réalité l’hystérie n’est pas plus capable d’atteindre un nerf sensitif qu’un nerf moteur, et le terme de névralgie, dont on se sert pour désigner certaines douleurs dépendant de l’hystérie, est impropre ; il est impossible de faire naître par suggestion certains symptômes objectifs comme, par exemple, l’abolition des réflexes tendineux qu’on observe si souvent dans les névralgies névrites ; jamais, dans la sciatique dite hystérique, le réflexe achilléen ne subit de perturbation et, d’autre part, on n’a jamais guéri uniquement par persuasion une sciatique accompagnée d’une abolition de ce réflexe.

J’affirme qu’il est impossible d’obtenir par suggestion une abolition des réflexes pupillaires, ou une inégalité des pupilles, qu’il est également impossible de guérir ces troubles par persuasion et qu’on ne les observe jamais, contrairement à ce qui a été soutenu par bien des auteurs, pendant l’attaque hystérique. Mon opinion est fondée sur des centaines de faits étudiés avec rigueur, sans aucun parti pris, et je soutiens, avec la plus entière conviction, que la notion de la « mydriase hystérique » repose sur des erreurs d’observation ou d’interprétation.

Je prétends aussi que la réalité des troubles cutanés et vasomoteurs dans l’hystérie est loin d’être démontrée. Pour ce qui me concerne, je n’ai jamais observé de faits probants d’hémorragie cutanée, de phlyctènes, de bulles, d’ulcération, de gangrène, ou d’œdème hystérique, et je crois que ceux qui ont rapporté des cas de cet ordre ont été induits en erreur par des simulateurs, ou ont attribué à l’hystérie ce qui appartenait à quelque affection concomitante.

J’ai cherché à reproduire par suggestion des troubles cutanés, ce qui serait très simple, si l’on en croit certains hypnotiseurs, et je n’y suis jamais arrivé. J’ai relaté, en 1903, à la [p. 24] Société médicale des Hôpitaux, une expérience de ce genre, que je vais vous rappeler. J’avais, dans mon service à la Pitié, une grande hystérique très suggestionnable, présentant les phénomènes du « grand hypnotisme ». L’ayant plongée dans le sommeil hypnotique, je me suis efforcé de lui suggérer qu’elle avait été brûlée au bras et qu’il se développerait infailliblement, sur la région où la brûlure s’était produite, de la rougeur et des ampoules. Je me trouvais dans les conditions les meilleures pour faire accepter ma suggestion, car je connais cette femme depuis fort longtemps, je suis en mesure de développer chez elle toutes les manifestations hystériques classiques, et je crois pouvoir dire que j’ai sur elle une très grande influence. J’ai eu soin d’emprisonner le membre dans un appareil silicaté et cela dans un double but, d’abord pour renforcer dans l’esprit de la malade l’idée qu’elle avait été victime d’un accident, et, ensuite, pour me mettre plus facilement à l’abri de toute tentative de fraude consciente ou inconsciente ; de plus, car on ne saurait trop prendre de précautions en cette matière, j’ai fait surveiller le sujet de très près. Eh bien, quarante-huit-heures après, ayant défait l’appareil, je n’ai constaté sur la région en expérience ni le moindre soulèvement épidermique, ni même la moindre rougeur. J’invite les médecins qui sont d’un avis contraire au mien à venir apporter de nouveaux faits ; si, en se plaçant dans des conditions aussi rigoureuses que celles qui viennent d’être indiquées, ils obtiennent chez certains sujets des phlyctènes, des hémorragies, ou un œdème bleu, il ne me coûtera rien de changer d’avis à cet égard et je serai obligé de reconnaître que ces troubles, présentant les attributs des manifestations hystériques primitives appartiennent à1’hystérie, mais je doute fort que cela arrive ; je ne crois pas non plus que ces phénomènes soient appelés à faire partie de la classe des accidents hystériques secondaires.

L’hystérie peut produire de l’aphonie et des troubles respiratoires, qui, du reste, ne s’accompagnent pas des signes objectifs dénotant une perturbation dans l’hématose, mais elle est incapable de donner naissance à une paralysie vraie des cordes vocales, à de l’œdème de la glotte, ou à de la congestion pulmonaire. Ma dénégation est fondée sur les arguments que j’ai déjà donnés ; les faits sur [p. 25] lesquels on s’est appuyé ne réalisent pas8 les conditions requises.

J’en dirai autant des hémorragies viscérales ; rien n’autorise à admettre que les hémoptysies, les hématémèses, les hématuries puissent dépendre de l’hystérie ; ce sont probablement des cas d’association hystéro-organique mal interprétés qui ont trompé certains médecins, dont les observations ont été acceptées sans contrôle suffisant. Je me rappelle plusieurs malades, longtemps considérés comme atteints d’hémoptysie ou d’hématurie hystérique et chez lesquels ont apparu plus tard les signes caractéristiques de la tuberculose pulmonaire ou de la tuberculose rénale. Il est à remarquer, d’ailleurs, que les cas de prétendue hémorragie hystérique sont devenus de plus en plus rares, au fur et à mesure que se sont perfectionnés les procédés permettant de déceler l’existence des affections organiques viscérales.

L’hystérie peut provoquer des douleurs dans la région du cœur, mais il est difficile de les confondre avec l’angor pectoris. Je n’ai jamais vu de faits de tachycardie ou de pouls lent pouvant être attribués à l’hystérie.

On observe parfois dans l’hystérie, une émission d’urine qui semble indépendante de la volition, mais ce n’est qu’une apparence et l’incontinence vraie, légitime, dans laquelle l’urine sort sans jet, goutte à goutte, en quelque sorte, en suintant, n’est pas hystérique ; on ne constate jamais, dans les cas de ce genre, les caractères qui appartiennent aux manifestations hystériques primitives ou secondaires.

La polyurie dite hystérique, dont j’ai moi-même publié une observation autrefois, me parait être simplement une émission abondante d’urine consécutive d’une polydipsie. Je considère comme une fiction l’anurie hystérique, admise sans conteste par la plupart des médecins ; c’est un phénomène simulé par cette variété de déséquilibrés que mon ami, M. Dupré, a appelés « les mythomanes » et qu’on voit toujours s’éclipser dès que les sujets qui en sont atteints sont soumis à une surveillance déjouant la supercherie. Quant à l’albuminurie hystérique, son existence n’est rien moins qu’établie.

On a publié de nombreuses observations de fièvre hystérique, on en a relaté de nouvelles tout récemment encore, mais aucune [p. 26] d’elles ne me parait convaincante ; ou bien il s’agit de sujets chez lesquels la température n’a pas été prise avec toutes les précautions permettant d’écarter la supercherie, ou bien les malades n’ont pas été suffisamment suivis pour qu’il soit permis d’exclure l’idée d’une maladie infectieuse associée. Généralement, les auteurs de ces observations s’appuient dans leur diagnostic sur ces deux arguments : présence de stigmates hystériques et absence apparente de toute maladie donnant lieu à de la fièvre ; ce sont là des raisons tout à fait insuffisantes, car, d’une part, l’hystérie ne confère pas l’immunité contre les autres maladies et, d’autre part, un diagnostic par exclusion est toujours sujet à caution. Pour démontrer que la fièvre puisse être un produit de l’hystérie, il faudrait présenter des faits où la fièvre se comporterait comme les autres manifestations hystériques. La considère-t-on comme un accident hystérique primitif ? Il faut alors la reproduire par suggestion et la faire disparaître par persuasion. Mais il serait indispensable d’obtenir des résultats immédiats pour établir une relation de cause à effet entre la fièvre d’une part, la suggestion et la persuasion, de l’autre ; car un accès de fièvre très intense peut céder spontanément après quelques heures de durée. Veut-on soutenir que c’est un accident secondaire ? Dans ce cas, qu’on montre la fièvre étroitement subordonnée à un accident primitif, à une attaque hystérique par exemple. Mais, là encore, il y a un écueil à éviter et il faut avant tout être sûr que le malade observé n’est pas sujet, dans d’autres circonstances, à des accès de fièvre ; nous savons, en effet, que, dans la tuberculose, une fatigue quelconque, une marche demi-heure peut provoquer une élévation de la température ; chez un pareil malade, la fatigue due à une grande attaque hystérique pourrait avoir le même effet et il ne saurait, en pareil cas, être question de fièvre hystérique.

L’hystérie, malgré l’élimination de troubles nombreux qui lui ont été attribués à tort, conserve pourtant un champ très étendu. Si, trop souvent, on croit la voir là où elle n’existe pas, on la méconnaît plus souvent encore dans bien des cas où elle existe, non pas à l’état de pureté, mais associée à d’autres affections, que ce soient [p. 27] des névroses, des maladies organiques du système nerveux ou des maladies viscérales. J’ai insisté sur la fréquence de ces associations (7) que Charcot avait été le premier à signaler, qu’il est parfois difficile, toujours très important de reconnaître et qui expliquent les succès en apparence extraordinaires que l’on obtient chez certains malades porteurs de lésions incontestables, par les divers modes de la psychothérapie.

Voyant que l’analyse des faits conduit à éliminer de l’hystérie tous les phénomènes objectifs que la suggestion est incapable d’engendrer, quelques-uns d’entre vous sont peut-être amenés à se demander si l’hystérie est réellement un état pathologique et si les manifestations dites hystériques ne seraient pas tout simplement des accidents simulés. Voici mon opinion sur cette question, qui mérite d’être posée et discutée. De l’observation des très nombreux hystériques que j’ai suivis s’est dégagée pour moi cette conviction, qui est aussi celle des neurologistes, que beaucoup de ces sujets sont sincères et ne peuvent être considérés comme des simulateurs, mais je dois avouer que cette idée est fondée sur des arguments d’ordre moral et ne saurait être démontrée avec la rigueur scientifique qu’on peut apporter dans l’étude des affections organiques. Un simulateur habile et éduqué à bonne école pourrait arriver à reproduire avec précision tous les accidents hystériques, ce qui est une source de difficultés pour ainsi dire insurmontables dans les expertises médico-légales relatives à des cas d’hystéro-traumatisme. Il y a aussi tout lieu de croire que bien des hystériques deviennent des simulateurs et arrivent à reproduire à volonté, suivant leur caprice ou leur intérêt, des troubles qui, au début, étaient le résultat de la suggestion ou de l’autosuggestion. J’ajoute enfin que l’hystérique vrai, sincère, n’est jamais absolument inconscient de son état ; a-t-il, par exemple, pendant une attaque, une hallucination où il se voit entouré de [p. 28] de flammes, il se gardera bien, comme le font d’autres hallucinés, de fuir le danger imaginaire en s’exposant à un danger réel. Selon moi, l’hystérique n’est pas inconscient, il n’est pas non plus complètement conscient, il se trouve dans un état de subconscience.

Après cet exposé, Messieurs, je n’aurai pas besoin de développer longuement ma manière de concevoir l’hypnotisme. On a donné de cet état diverses définitions fondées, la plupart, sur les idées qu’on s’est faites de sa nature intime, de son mécanisme. Voici celle qu’a proposée autrefois M. Bernheim : « État psychique particulier, susceptible d’être provoqué, qui met en activité ou exalte

A des degrés divers la suggestibilité, c’est-à-dire l’aptitude à être influencé par une idée acceptée par le cerveau et à la réaliser (Psychothérapie, p. 76).

J’estime qu’il faut procéder avec l’hypnotisme comme avec l’hystérie et, faisant d’abord abstraction de toute idée théorique, se placer sur le terrain clinique. Quand disons-nous qu’un individu est hypnotisé ? C’est lorsque, après avoir pratiqué certaines manœuvres telles que la fixation du regard, la pression sur les globes oculaires, l’injonction verbale de dormir, on a développé certains troubles nerveux, des paralysies, des contractures, des anesthésies que l’on peut ensuite, au commandement, faire disparaître et reparaître. Or, ces manifestations de l’hypnotisme sont absolument identiques à celles de l’hystérie, et si l’on ignorait les circonstances dans lesquelles elles ont pris naissance il serait impossible de les distinguer les unes des autres ; nous avons vu d’ailleurs, que la possibilité d’être reproduits avec rigueur par la suggestion constitue un des deux caractères des accidents hystériques primitifs.

La seule différence qui sépare les manifestations hypnotiques des manifestations hystériques, c’est que les unes demandent pour se développer l’intervention d’autrui et que le rôle de la suggestion dans leur genèse est patent, tandis que les antres semblent apparaître spontanément sous l’influence de l’autosuggestion, mais ce n’est qu’une question de nuances et nous avons vu, du reste, que les symptômes de l’hystérie auxquels on a attaché le plus [p. 29] d’importance, les prétendus stigmates, sont le plus généralement le résultat de la suggestion.

J’ajoute que ce n’est pas l’hypnotisme qui crée ou exalte la suggestibilité ; il en est la conséquence ou la manifestation.

Voici comment je définis l’hypnotisme :

« L’hypnotisme est un état psychique rendant le sujet qui s’y trouve susceptible de subir la suggestion d’autrui.

« Il se manifeste par des phénomènes que la suggestion fait naître, que la persuasion fait disparaître et qui sont identiques aux accidents hystériques. »

 Comme on le voit l’hystérie et l’hypnotisme sont faits de la même pâte, se confondent l’un avec l’autre, ainsi que je l’ai soutenu, il y a déjà 15 ans (8) et contrairement à ce que déclarait M. Bernheim qui actuellement, il est vrai, tend à accepter cette manière de voir.

 

Je prévois une question que vous serez tenté de me faire : si hypnotiser, ç’est, comme je le soutiens, développer des manifestations hystériques, hypnotiser c’est, rendre malade et comment est-il permis alors d’employer l’hypnotisme au point de vue thérapeutique ? Je vais m’expliquer à ce sujet.

Je suis d’avis, en effet, conformément à cette manière de voir que les pratiques de l’hypnotisme peuvent être nuisibles ; elles sont de nature à faire naître dans l’esprit de l’hypnotisé cette idée qu’il est déséquilibré, incapable de résister à la volonté d’autrui, et je trouve qu’il est préférable de s’en abstenir d’habitude. Si j’ai affaire à un malade ayant une culture intellectuelle le rendant apte à suivre un raisonnement scientifique, j’emploie d’abord chez lui, [p. 30] comme moyen de traitement, la psychothérapie dite rationnelle ; je lui déclare qu’il ne présente aucun des signes qui dénotent l’existence d’une affection grave, je lui affirme qu’il est victime d’une illusion, qu’il doit être son propre médecin et guérir par un effort de volonté ; j’ai obtenu ainsi bien souvent, en particulier chez des étudiants en médecine, la disparition rapide et définitive de manifestations hystériques. S’agit-il d’un esprit plus simple, n’ayant pas l’habitude des raisonnements rigoureux, mais confiant dans la médecine, je me contente de lui affirmer, sans chercher à le lui démontrer, que les moyens dont je dispose amèneront la guérison, et là encore je ne fais aucune tentative d’hypnotisation, c’est-à-dire de suggestion ; je fais intervenir un mode de persuasion. Mais, lorsque je suis en présence d’un malade atteint d’une manifestation hystérique de longue, durée, tenace, ayant résisté aux divers moyens que d’habitude on met en œuvre (hydrothérapie, électrothérapie, isolement, etc.), et que le malade, après mûr examen, me paraît sceptique, en ce qui concerne la thérapeutique, j’ai recours volontiers à l’hypnotisme qui m’a donné, comme à bien d’autres médecins, des résultats remarquables dont je vais vous proposer une interprétation. Un sujet atteint, par exemple, d’une monoplégie brachiale hystérique, jusque-là rebelle aux moyens curatifs habituels, s’est buté à l’idée que sa paralysie est incurable et la persuasion, à ce point de vue, n’a aucune action sur lui ; mais ce malade est suggestionnable et les manœuvres d’hypnotisme, c’est-à-dire de suggestion dont il est l’objet, sorte d’exercices d’assouplissement cérébral, lui montrent quo son médecin est capable de paralyser ses autres membres et de les ramener ensuite à leur état normal ; il se tient sans doute, consciemment ou subconsciemment, le raisonnement suivant : « Puisque le médecin a une pareille action sur moi, que les paralysies apparaissent et disparaissent à son injonction, il sera probablement aussi en mesure de me débarrasser de la monoplégie brachiale que je croyais définitive » ; le malade est devenu ainsi accessible à la persuasion et, en l’espèce, cet avantage compense largement les inconvénients de la suggestion, c’est-à-dire de l’hypnotisme.

On peut dire d’une manière générale que pour traiter les hystériques [p. 31] comme il sied, il est essentiel de chercher au préalable, à pénétrer leur état d’esprit auquel on doit adapter les moyens de persuasion qui lui sont le plus conformes ; suivant que le malade est intelligent ou borné, très désireux de guérir ou indifférent à cet à égard, d’un caractère gai ou porté à la mélancolie, ses réactions seront différentes vis-à-vis de la persuasion. Il y a dans le mode d’application de ce moyen des difficultés qui permettent de comprendre que tous les médecins ne l’emploient pas avec le même succès. Si maintenant l’on songe que les accidents hystériques, suivant qu’ils sont soumis ou non au traitement qui leur convient, peuvent disparaître en quelques instants ou s’éterniser, on arrive à cette conclusion qu’il est essentiel de connaître à fond l’hystérie et de bien manier la psychothérapie.

Messieurs, avant de terminer, je recommanderai particulièrement à votre réflexion le côté pratique de ma définition de l’hystérie ; suivant ma conception, cette névrose est constituée par tous les troubles qui sont susceptibles de guérir uniquement par la persuasion d’une manière directe ou indirecte. C’est pour mettre ce trait en lumière que j’ai proposé de la dénommer « pithiatisme », néologisme qui dérive de deux mots grecs πειθώ et ιατος signifiant, le premier « persuasion », le second « guérissable » ; ce terme aurait l’avantage de dissiper tout malentendu, car il serait impossible de confondre dans une classification des phénomènes dénommés « pithiatiques », c’est-à-dire guérissables par la persuasion, avec des accidents sur lesquels la persuasion est sans action ou n’a qu’une influence restreinte.

Ma conception peut ainsi se réclamer d’un principe nosologique qui a subi l’épreuve du temps, car elle est en conformité avec le vieil adage : naturam morborum curationes ostendant.

(1) Définition de l’hystérie, par J. Babinski (Société de neurologie, séance du 7 novembre 1901).

(2) Voir: Hypnotisme et hystérie, Du rôle de l’hypnotisme en thérapeutique.

Leçon faite à la Salpêtrière, par J. Babinski et publiée, en l891, dans la Gazette hebdomadaire.

(3) Voir à ce sujet : De l’atrophie musculaire dans les paralysies hystériques, par J. Babinski (Archives de neurologie, 1886).

(4) Voir ; Introduction à la sémiologie des maladies du système nerveux. Des symptômes objectifs que la volonté est incapable de reproduire. De leur importance en médecine légale », par J. Babinski (Gazette des hôpitaux, 11 octobre 1904. Ce travail se rapporte au sujet qui nous occupe.

(5) Voir à ce sujet : Diagnostic différentiel de l’hémiplégie organique et de l’hémiplégie hystérique. Leçon clinique faites par J. Babinski à la Pitié (Gazette des hôpitaux, 5 et 8 mai 1900).

(6) Voir à ce sujet : De l’épilepsie spinale fruste, par J. Babinski (Société de neurologie de Paris, séance du 1er mars 1906).

(7) Voir : Association de l’hystérie avec les maladies organiques du système nerveux, les névroses et diverses autres affections, par J. Babinski (Société médicale des hôpitaux de Paris, 11 novembre 1892).

(8) Voir : Hypnotisme et hystérie, par J. Babinski. Leçon faite à la Salpêtrière, le 23 juin 1891, in Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, juillet 1891. Voici la conclusion de cette leçon : « Je me crois autorisé de toute cette discussion que les phénomènes hypnotiques sont de même essence que les phénomènes hystériques et que des liens intimes unissent l’hypnotisme et l’hystérie. »

 

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1 commentaire pour “Ma conception de l’hystérie et de l’hypnotisme (pithiatisme). Par Joseph Babinski (1906)”

  1. vêtements dégriffés femmesLe jeudi 9 août 2018 à 20 h 14 min

    Excellent article!!

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