Ludovic Dugas. Le souvenir du rêve. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), juillet – décembre1897, pp. 220-223.

dugasdureve0001Ludovic Dugas. Le souvenir du rêve. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), juillet – décembre 1897, pp. 220-223.

Réponse à l’article qui lance la controverse entre M. Goblot « Le souvenir du rêve » [en ligne sur notre siteet lui-même.

Ludovic Dugas (1857-1942). Agrégé de philosophie, Docteur es lettre, bien connu pour avoir repris de Leibnitz, dans ses Essais sur l’Entendement humain, tome II, chapitre XXI, le concept de psittacus, et en avoir inscrit définitivement le concept de psittacisme dans la psychiatre française par son ouvrage : Le psittacisme et la pensée symbolique. Psychologie du nominalisme. Paris, Félix alcan, 1896. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 202 p. Dans la « Bibliothèque de Philosophie Contemporaine ». Il s’est intéressé précisément au « rêve » sur lequel il publia de nombreux articles. Il est également à l’origine du concept de dépersonnalisation dont l’article princeps est en ligne sur notre site. Nous avons retenu quelques uns de ses travaux :
Observations sur la fausse mémoire. Article parut dans la « Revue de philosophie de la France et de l’étranger », (Paris), dix-neuvième année, tome XXXVII, janvier-juin 1894, pp. 34-45. [en ligne sur notre site]De de
— A propos de l’appréciation du temps dans le rêve. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), vingtième année, XL, juillet décembre 1895, pp. 69-72. [en ligne sur notre site]
— Le sommeil et la cérébration inconsciente durant le sommeil. Article paru dans la « La Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), XLIII, janvier à juin 1897,  pp. 410-421. [en ligne sur notre site]
— Un cas de dépersonnalisation. Observations et documents. In « Revue philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), vingt-troisième année, tome XLV, janvier-février 1898, pp. 500-507. [en ligne sur notre site]
— Observations et documents sur les paramnésies. L’impression de « entièrement nouveau » et celle de « déjà vu ». Article parut dans la « Revue de philosophie de la France et de l’étranger », (Paris), dix-neuvième année, tome XXXVIII, juillet-décembre 1894, pp. 40-46. [en ligne sur notre site ]
— Un nouveau cas de paramnésie. Article parut dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), trente-cinquième année, LXIX, Janvier à juin 1910, pp. 623-624. [en ligne sur notre site]
— (avec F. Moutier). Dépersonnalisation et émotion. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), trente-cinquième année, tome LXX, juillet à décembre 1910, pp. 441-460. [en ligne sur notre site]
— De la méthode à suivre dans l’étude des rêves. « Journal de Psychologie normale et pathologique », (Paris), XXXe année, n°9-10, 15 novembre-15 décembre 1933, pp. 955-963. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 220]

LE SOUVENIR DU RÊVE

M. Goblot me demande de produire les faits pour lesquels je repousse son hypothèse de « la continuité (je ne dis plus contiguïté) entre le rêve et la veille » bien qu’il « doute par avance » que je puisse rien conclure de ces faits contre son hypothèse que j’aurai mal comprise. Je satisferai à sa demande et j’essaierai de justifier par de surcroit mes conclusions.

M, Goblot se défend d’admettre entre les rêves et la veille une contiguïté constante ; il n’admet cette contiguïté que pour les rêves dont on se souvient. Il m’avait paru que cela allait sans dire ; peut-il être question des autres ? Les rêves dont on ne se souvient pas et dont même on ne saurait se souvenir, si un réveil opportun ne venait les couper au beau milieu (je raisonne dans l’hypothèse de M. Goblot), on peut bien admettre qu’ils existent, mais il est oiseux d’en parler, et on n’en saurait rien dire. Il est donc entendu que M. Goblot et moi nous ne parlons que des rêves retenus, ne sachant rien des autres, pas même trop bien s’ils existent, ou tout au plus qu’ils existent.

M. Goblot admet la continuité des rêves ainsi entendu avec la veille. Qui dit continuité dit sans doute autre chose et plus que contiguïté dans le temps, mais dit aussi contiguïté. Le souvenir du rêve suppose toujours le réveil, autrement dit le point de jonction du sommeil et de la veille, tel est le sens qu’on peut donner à l’hypothèse de M. Goblot. [p. 221] Je crois que cette hypothèse, ainsi entendu, est fausse, comme trop générale. Il y a en effet des rêves qui ne produisent pas de réveil, à savoir les rêves où l’on rêve qu’on rêve. Et l’on n’a pas démontré que de tels le rêves plus illusoires. Je dis aussi que, si les rêves dont on garde le plus fréquemment le souvenir sont en effet ce qui se rapportent à la dernière période du sommeil, on n’est pas cependant donc fondé à soutenir que ces rêves soient les seuls dont on se souvienne. Le Dr Laupts dit très bien : « Généralement on se souvient d’autant mieux que l’on est moins éloigné de l’instant du réveil. Si à ce moment le rêve parvient à être ressaisi et fixé dans la mémoire, on le retrouvera ultérieurement avec une certaine facilité. Il n’en est pas toujours ainsi ; il arrive qu’au réveil on sait que l’on rêvait et l’on ne peut préciser l’objet du rêve ; plus on cherche, moins on trouve, et parfois spontanément, quelques heures après, ou même aux approches d’un nouveau sommeil, le souvenir en reparait (1). Le Dr Laupts sans doute ne prend pas ici parti dans la question soulevée par M. Goblot ; cette question ne paraît pas s’être présentée à son esprit ; mais il faisait observer qu’il déclare « banale », et qui semble pourtant avoir échappé à M. Goblot, que parfois le souvenir du rêve se produit en fait longtemps après le réveil, et a été même vainement cherché au moment du réveil. M. Goblot Dira qu’il ressort des lignes mêmes qui précèdent qu’au réveil on se souvient d’avoir aidé, sans se souvenir du fait auxquelles on a rêvé. Mais l’importance du réveil pour produire la mémoire du rêve est déjà singulièrement diminuée, si le réveil ne produit en quelque sorte une mémoire à vide, s’il produit pour mieux dire, la sensation du rêve oublié, et dont le souvenir du rêve. J’ajoute, d’après mon expérience personnelle, confirmée par celle des rêveurs que j’ai interrogés, bien souvent, au moment du réveil, on ne se souvient de rien, pas même d’avoir rêvé, et qu’on retrouve ensuite inopinément dans la journée le souvenir du rêve de la nuit. Après cela, il me paraît difficile de soutenir que le souvenir, ou plus exactement, la formation du rêve 1° ne peut être qu’un acte de la conscience éveillée (ce qui rendrait impossible les rêves où l’on rêve qu’on rêve), 2° a fortiori de peut-être qu’un acte de la conscience, prise au moment même où elle se réveille.

Je ne sais si M. Goblot se rendra aux faits je lui propose ; il est possible qu’il en trouve une explications concordantes avec son hypothèse. Mais il paraît tenir à son hypothèse surtout pour des raisons de doctrine. Il avertit en effet que la question, posée par lui, « l’intéresse pas seulement le sommeil et les rêves, mais encore celle sur la nature et les conditions de la conscience et de la mémoire ». Je ne sais si le salut des scènes de théorie de la conscience et de la mémoire dépend de l’adoption de l’hypothèse de M. Goblot ; je vais pas à le savoir et je ne veux par le [p. 222] chercher. Je cherche sur le terrain des observations psychologiques, je suis bien tranquille ; si ces observations sont exactes, la théorie s’en arrangera. Mais en ce qui concerne la question du souvenir du rêve, il me semble que l’hypothèse de M. Goblot n’est ni nécessaire, ni suffisante.

Elle n’est point nécessaire même pour expliquer « ce fait dont on n’a jamais rendu compte : l’oubli complet des rêves accompagnés de parole ». Il n’y a aucune raison particulière pour qu’on retienne ses rêves, et au contraire il y a une pour qu’on ne les oublie. En effet la mémoire des actes psychiques est en raison inverse de leur automatisme. Ainsi je me souviens des paroles que j’ai dites dans une conversation, mais je ne me souviens pas de les avoir dites : le fait de la prononciation ou de l’articulation des paroles étend habituelle, mécanique, n’est pas retenue ; au contraire, la combinaison des pensées, étant un acte réfléchi, reste dans la mémoire. Le dormeur, qui parle en rêve, parle machinalement ; il doit donc oublier qu’il parle. De même, le dormeur agité, qui se tourne et se retourne sur sa couche, n’a point conscience de ses mouvements, et n’en garde pont le souvenir ; les personnes qui ronflent de sans doute jamais, et, quand on le leur dit, elles ne veulent pas le croire ; je sais trois personnes qui ont la manie (c’est un cas curieux d’hérédité) de claquer leurs dents en dormant ; l’une d’elles, qui les dents usées par cet exercice, est arrivé jusqu’à près de quarante ans sans le savoir, et il a fallu bien entendu qu’on le lui apprit, pour qu’elle s’en doutât. L’oubli des paroles prononcées en rêve n’a donc rien d’étrange et est parfaitement explicable en dehors de l’hypothèse de M. Goblot.

Le cas, cité par M. Goblot, d’un rêve parlé, qui aurait été exceptionnellement retenu, parce qu’il aurait été interrompu, confirme seulement se faites bien connu, et que je ne songe pas à nier, car brusque réveil est favorable au souvenir du rêve en général : c’est là ce que les expériences de Maury avaient depuis longtemps établi d’une façon éclatante.

L’hypothèse de M. Goblot ne paraît donc pas suffisamment justifié dans le cas spécial où il y a recours.

Cette hypothèse donne-t-elle une explication du souvenir des rêves en général ? — À mon avis, la date de la formation du souvenir du rêve n’a aucune importance secondaire ; ce sont les conditions de cette formation qu’il s’agit proprement de déterminer, et il n’est point prouvé que le réveil soit une de ces conditions. M. Goblot parait croire (ici, je l’avoue, je démêle et j’interprète sa pensée, et m’excuse par avance des contresens possible) que le rêve n’existe dans la conscience et ne se fixe dans la mémoire qu’à la condition de se rapprocher, non seulement dans le temps (auquel cas il y aurait contiguïté pure et simple), mais encore par sa nature (et c’est là ce qui constitue la continuité proprement dite) et la pensée éveillée. On pourrait soutenir au contraire que le rêve et la veille sont de fonctionnalités analogues sans doute, [p.223] mais pourtant distinctes, du mécanisme cérébral, et que c’est précisément le contraste qui produirait, d’abord la conscience, et ensuite et conséquemment la mémoire du rêve. En d’autres termes, le rêve ne se poserait qu’en s’opposant à la veille. Le réveil serait alors la condition du souvenir des rêves, entend que marquant, non le point de jonction, mais au contraire le point de séparation de ces deux courants de la pensée qu’on appelle le rêve et la pensée éveillée. Il suffit dès lors que la différenciation des états de rêve et de veille se produise, à quelque moment d’ailleurs qu’elle ait lieu (et il me paraît qu’elle a lieu le plus souvent et le plus naturellement au réveil, mais quelquefois cependant aussi durant le sommeil même, et pendant la veille, à une période éloignée du rêve), pour qu’on ait conscience de ses rêves et pour qu’on puisse s’en souvenir. J’ai indiqué, dans l’article auquel fait allusion M. Goblot, quels sont, selon moi, les conditions de cette différenciation, soient pendant le réveil, soit un autre moment. En résumé la condition du souvenir du rêve, loin d’être la continuité du rêve et de la veille, serait au contraire la solution de cette continuité.

Et pourtant, je tiens à le dire après toutes ces critiques, l’hypothèse de M. Goblot, reste intéressante. Elle indique bien quel est l’occasion la plus ordinaire du souvenir du rêve ; elle est une loi empirique, sujette à exception sans doute, mais suffisamment vrai dans l’ensemble ; elle vaut à titre, nom d’explication, mais d’indications ; et l’on peut en tirer parti, à condition d’en prendre… et d’en laisser. L’auteur l’a-t-il présentée autrement ? « Occupé par d’autres travaux », il n’a point confronter son hypothèse avec les faits : rien d’étonnant si les faits s’y trouvent en partie rebelle.

L. DUGAS.

Note

(1) Dr Laupts. Le fonctionnement cérébral pendant le rêve et pendant le sommeil hypnotique. (Annales médicaux- psychologiques, nov.-déc. 1895).

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