Lucien Roure. SPIRITISME. Extrait du « Dictionnaire apologétique de la foi catholique », (Paris), Gabriel Beauchesne, 1922, tome 4, colonne 1477 à colonne 1491

Lucien Roure. SPIRITISME. Extrait du « Dictionnaire apologétique de la foi catholique : contenant les preuves de la vérité de la religion et les réponses aux objections tirées des sciences humaines », (Paris), Gabriel Beauchesne, 1922, tome 4, colonne 1477 à colonne 1491.

 

Lucien Roure (1857-1954). Jésuite. – Licencié en droit et en lettres. – Rédacteur de la revue « Études ». – Directeur et secrétaire général de la « Ligue de sainteté sacerdotale », pour la France. Ce très prolixe critique, n’est étonnement pas répertorié parmi les théologiens ; il a participé aux Dictionnaire de Théologie Catholique, dans lequel il a rédigé, entre autres, les rubriques :  Possession démoniaque, Spiritisme. Nous avons retenu de ses publications :
Le merveilleux spirite. Paris, Editions Beauchesne, 1922.
Le spiritisme aujourd’hui. Paris, Editions Beauchesne, 1923.
Au pays de l’occultisme ou Par delà le catholicisme. Paris, Editions Beauchesne, 1925.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé les fautes d’impression.
 – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

SPIRITISME. — I. La question. — II. Nature du Spiritisme. — III. Les preuves. — IV. Les à-côté, a) Fluide et Périsprit ; b) Réincarnation ; c) les Médiums. — V. Les doctrines. — VI. Les faits [colonne 1478] invoqués. — VII. Explication par les forces naturelles. — VIII. La Métapsychique. — IX. Valeur apologétique du Spiritisme. — X. Nature du Spiritisme. — XL L’Église catholique et le Spiritisme. — Bibliographie.

I. La question. — Depuis l’année 1848 où les sœurs Fox, à Hydesville dans l’État de New-York, entendaient d’étranges craquements dans les murs et les meubles, trois quarts de siècle se sont écoulés. Les pratiques et les croyances spirites se sont répandues dans le monde entier. Pratiques et croyances multiples. Tables tournantes ou « remuantes » et chapeaux tournants, guéridons frappant du pied, rapsprovoqués ou spontanés, écriture sur double ardoise fermée, écriture jetée fiévreusement sur le papier par un médium en transe, à l’insu du médium, phrases données par un indicateur qui se déplace automatiquement sur un alphabet ; et, au milieu de tout cela, des lueurs, des buées, de vagues apparitions de formes humaines, des moulages de mains, l’ectoplasme avec toutes ses merveilles : voilà pour les phénomènes. Quant à l’explication, on nous propose, successivement ou simultanément, l’intervention des désincarnés, les forces occultes en général, le magnétisme en particulier, l’automatisme, la télépathie, la métapsychique, l’ectoplasmie, l’action d’êtres immatériels, la prestidigitation, la fraude.

Le public est quelque peu ahuri. Il demande à voir clair. Il entend dire qu’on peut communiquer comme de plain-pied avec l’au-delà, qu’il y a en nous des substances qui agissent à distance, qui peuvent être impressionnées par des substances semblables emportées dans l’autre monde par les âmes des défunts, des substances qui, en de certaines conditions, s’extériorisent et prennent les formes les plus diverses. Il voudrait des preuves, de bonnes preuves de toutes ces choses étonnantes qu’on lui raconte. Il s’impatiente des à peu près, des réponses évasives, des échappatoires, et des mots creux.

II. Nature du Spiritisme. — Et d’abord, qu’est-ce que le Spiritisme ? Au cours de son existence, et on peut le dire, dès son origine, le Spiritisme s’est encombré d’accessoires plus ou moins étrangers, il importe de le ramener à sa notion propre. Le spiritisme consiste essentiellement à prétendre que nous pouvons entrer en communication ordinaire avec les morts, que nous pouvons établir avec les défunts un commerce régulier. Les religions anciennes qui admettaient la survivance de l’âme, le christianisme qui professe la croyance à l’immortalité, ne font pas difficulté pour admettre qu’en certaines circonstances les vivants puissent recevoir certaines monitions ou communications concernant les morts. Comment se font ces communications ? Dieu en est-il l’auteur direct ? Se sert-il à cette fin d’êtres spirituels ? Donne-t-il exceptionnellement à tel défunt la liberté d’entrer en relation avec nous pour tel objet ? Les doctes discutent et discuteront longtemps ; tous s’accordent à reconnaître là des cas privilégiés, rares, exceptionnels. Donc, quand les spirites allèguent des faits d’apparition ou de monition tirés de l’antiquité sacrée ou profane, de la vie des saints, de récits transmis et dont nous voulons bien concéder que quelques-uns sont authentiques, ils sont en dehors de la question, ils mêlent des choses très diverses, consciemment ou inconsciemment, selon leur habitude. En tout cela, il ne s’agit nullement de communications régulières, organisées, comme le veut leur système. Et toute la question est là.

Ils disent : nous invoquons ces faits en faveur de [colonne 1479] la survivance et de la réalité de communications avec l’au-delà ; nous établissons cette double assertion par des témoignages puisés à des sources multiples. C’est notre droit d’appuyer notre doctrine par tout ce qui est de nature à la corroborer.

Voilà l’équivoque. Le Spiritisme enseigne l’existence de communications ajustées, organisées, avec l’autre monde. A l’appui, il apporte des faits isolés, sans lien entre eux et sans lien avec un rite spécial. Par là, il induit en erreur le public qui n’y regarde pas de si près. Si, au moins, il déclarait qu’il allègue ces récits à seule fin d’établir que les communications avec l’au-delà sont possibles, puis que, cela posé, il en viendra à sa doctrine spéciale. La position serait plus nette et l’on verrait sur quoi discuter. Mais le spiritisme n’est pas accoutumé à faire ces distinctions. C’est le royaume de la confusion perpétuelle. Voyez les livres et les revues spirites : les faits isolés dont nous parlons sont mêlés à l’exposé de leurs théories, comme si elles y trouvaient une confirmation. Nulle part, on ne prend soin de tenir le lecteur en garde contre une fausse induction possible, et on le devrait si l’on n’avait en vue que la vérité scientifique. Bien plus, on rapporte des faits douteux, sans garanties véritables, ou même des faits cent fois démontrés faux ; on se dit : le public est crédule. Et ces faits suspects, controuvés, on les accumule en chapitres ou en recueils qui donnent l’impression de choses familières, habituelles. C’est l’équivoque voulue, cherchée, cultivée.

III. Les Preuves. — Les spirites se prétendent en relation ordinaire avec les défunts. Ils le disent et nous sommes invités à les croire. La prétention est d’importance, et il nous est permis de demander une preuve proportionnée. Or, de l’aveu de tous ceux qui ont étudié l’histoire du Spiritisme, depuis les origines, c’est-à-dire depuis soixante-quinze ans, aucune preuve, nous ne disons pas décisive, triomphante, mais seulement probable, digne de considération sérieuse, n’a été fournie de ces relations. Un guéridon frappe des coups avec le pied. On lui demande : « Qui est là ? » Il répond par des coups interprétés selon un alphabet : « C’est l’esprit de votre enfant. C’est l’esprit de Newton. C’est l’esprit de saint Paul. » La conversation continue. Les messages transmis sont des lieux communs, des phrases banales ou dénuées de sens, des propos de portière. Votre enfant mêle à de plates effusions sentimentales des commencements d’ouvertures, péniblement ânonnées, sur ses occupations d’outre-tombe. Newton a oublié la physique. Saint Paul fait des hérésies et parle comme un humanitariste. Parfois un auditeur plus exigeant demande des preuves d’identité. Le correspondant d’outre-tombe, en général après s’être fait longuement prier, suggère un détail qu’il est sensé seul connaître, détail noyé dans une masse de choses sans intérêt et sans cohésion, détail présenté souvent sous la forme d’une devinette, telles qu’on en trouve dans les magazines ou journaux illustrés pour enfants. Et l’on voit, comme dans le cas de Raymond, toute la famille d’Oliver Lodge s’atteler pour en extraire péniblement un sens acceptable.

Vraiment, est-ce que les défunts réels, communiquant avec nous, n’auraient pas des moyens plus simples et plus convaincants pour établir leur identité ? Car enfin, leur identité est la chose qui importe. Les « messages » que nous possédons sont de la plus désolante médiocrité et il n’est nullement nécessaire d’habiter l’autre monde pour être capable de les fabriquer. Mais ce que nous voulons, c’est de savoir si [p. 1480] celui qui nous parle est notre enfant, s’il est un habitant de l’au-delà. Cela établi, on lui fait grâce volontiers du reste. Car cela établi, c’est l’assurance que mon enfant vit et me connaît encore, c’est l’assurance qu’il y a un autre monde, une vie future où la conscience persiste. Or, cette preuve d’identité qui paraît si facile, qui peut se donner en tant de manières, qui est d’un intérêt primordial pour chacun des correspondants, c’est sur quoi on n’obtient que des indications fugitives, des clartés douteuses, des affirmations incertaines. Il y a bien les correspondence-cross, ces bouts de phrases communiqués à plusieurs médiums, bouts de phrases qui ne prennent un sens qu’après avoir été rétablis à leur place et assemblés. On peut admirer l’ingéniosité du procédé ; on peut se demander comment ont été conçus ces fragments et comment les médiums en prennent connaissance. Mais peut-on soutenir qu’aucune explication naturelle et « terrestre » n’en est possible, et qu’il faut, de nécessité, faire appel à l’intervention des esprits ? On imprime des volumes de communications dites d’outre-tombe ; ce qui y manque le plus, et ce qu’on y cherche avant tout, c’est la preuve qu’elles nous sont dictées d’outre-tombe.

On a essayé de faire entendre les esprits. Louable tentative. Insuccès pitoyable. L’aventure burlesque des esprits, parlant à travers une trompette d’argent, dans une séance organisée par Conan Doyle, aventure répétée devant le professeur Crawford, à Belfast, peut montrer jusqu’où va la crédulité humaine. Aucune voix parlée, se disant de l’au-delà, n’a été prise au sérieux, reconnue pour la voix d’un être cher, que par des correspondants disposés à tout croire.

On a entrepris de photographier les esprits. On a produit des plaques où les esprits des défunts tantôt étaient venus complaisamment se faire prendre avec leur figure terrestre, tantôt y avaient imprimé la trace de leurs effluves. Répétons qu’il faut que la crédulité humaine soit sans mesure pour que le spiritisme n’ait pas été, en ces circonstances, tué par le ridicule.

Dans les séances où s’évoquaient les esprits, on a entendu des craquements aux meubles ou aux murs ; des sons ont été perçus, sons de guitare ou de sonnette, parfois la guitare ou la sonnette ont voltigé en résonnant sur la tête des assistants. Des mains douces frôlent leurs visages, leur tapotent dans le dos. Plus récemment, à l’Institut métapsychique de l’avenue Niel à Paris, une patte velue vint les caresser, un animal mystérieux se joua dans leurs jambes, une odeur de fauve mouillé emplit la salle. Des lueurs ont apparu, des traînées de vapeur à l’éclat phosphorescent, des vapeurs ont pris corps dessinant des figures invariablement enveloppées de mousselines nuageuses. Des mains se sont imprimées sur de la farine disposée à cet effet, d’autres ont laissé leur moulage dans de la paraffine liquide tenue en suspension dans des baquets d’eau tiède. Et l’assistance de s’écrier, pâmée ou ahurie : « Deus ! Ecce Deus ! L’Esprit! Voilà l’Esprit ! »

Donc ce seraient les morts qui, à l’appel des vivants, viendraient exécuter ces voltiges, ces mascarades, ces pantalonnades ! Vraiment, ils ont bien du loisir et ils l’occupent d’étrange façon ! Voit-on nos défunts se prêter ainsi à des tours de tréteaux ? Le spiritisme a réussi à déshonorer la mort, cette chose sacrée devant laquelle toutes les religions s’étaient inclinées. Sous prétexte de nous révéler l’au-delà, il a gratifié ses habitants d’une mentalité de saltimbanques et de pitres. Et qu’on ne dise pas que c’est là le fait de quelques esprits qui n’auraient pas encore dépouillé les tares d’ici-bas. Laissons pour le moment les questions doctrinales que cette réponse [p. 1481] suppose. Les séances spirites ne peuvent présenter aucune manifestation se recommandant par quelque gravité. Et cependant les défunts les plus légitimement désireux de communiquer avec nous, ne seraient-ce pas ceux qui auraient de sérieuses leçons ou de graves avertissements à nous donner, qui voudraient au moins nous enseigner que tout ne finit pas à la mort ? Mais imagine-t-on qu’ils authentiquent leurs messages par des tours de foire ?

Quelle confiance méritent ces manifestations ? Prenons les fantômes qu’on évoque. Dans le laboratoire de William Crookes, Florence Eliza Cook fait paraître l’image de Katie King, qui est censée avoir vécu il y a quelques milliers d’années et avoir revêtu des incarnations successives. A la villa Carmen près d’Alger, Marthe Béraud (plus tard Eva Carrière) donne en spectacle à la famille Noël et au Dr Charles Richet la tête de Bien-boâ, une figure de papier coiffée d’un turban et terminée par une grosse touffe de poils. Bien-boâ a son roman merveilleux, que raconte Mlle Béraud : il a épousé jadis quelque illustre princesse ; il n’est pas sûr qu’il n’a pas été princesse lui-même. Combien il eût été plus persuasif de montrer un personnage connu, parent, ami ! Si les morts communiquent, de droit commun, avec les vivants, pourquoi ne pas évoquer devant William Crookes quelque savant, de ses amis de jadis, dont le témoignage aurait poids ? Pourquoi Marthe Béraud n’a-t-elle pas songé au fils de la générale Noël, qui semble avoir été un peu son fiancé ? Les médiums n’auraient-ils pouvoir que sur des étrangers, des êtres sans état civil vérifiable, marionnettes qui sortent d’où l’on ne sait trop, font un tour et s’en vont ?

Ce manque de preuves d’identité n’a pas échappé à quelques spirites de marque. Puisque l’enseignement spirite est que les désincarnés ont la faculté de communiquer avec les vivants, n’est-ce pas à eux, docteurs en spiritisme, qu’il appartient, avant tous autres, de manifester après leur mort leur survivance ? C’est ainsi que Lombroso en Italie, William James en Amérique, qui, dans leurs dernières années, avaient fait adhésion au spiritisme, laissèrent des messages cachetés dont ils devaient, après leur désincarnation, faire connaître le contenu à un ami. Le résultat fut le même que dans le cas de F. W. H. Myers. Celui-ci, un des membres fondateurs de la Society for Psysichal Research, avait confié en 1891 à la Société un pli scellé à lire sous sa dictée, après sa mort, par un médium quelconque. Plusieurs se présentèrent et proposèrent leur version. Le i3 décembre 1904, c’est-à-dire trois ans, jour pour jour, après la mort de Myers, les scellés furent brisés. L’écrit fut confronté avec les réponses envoyées. La veuve, Eveleen Myers, écrivait au Morning Post: « Mon fils et moi, nous voulons certifier, en réponse à beaucoup de demandes reçues, qu’après une étude attentive de tons les messages (présentés par les divers médiums), nous n’avons rien trouvé que nous puissions considérer comme possédant la plus petite valeur de témoignage (the smallest evidential value). » DE HEREDIA, S. j., Spiritism and Common Sense. New York, 1923, p. 140-141. De même Camille Flammarion, mort le 4 janvier 1925, avait promis à ses amis de leur envoyer de ses nouvelles : ils attendent encore. Après cela, comment soutenir que les désincarnés s’entretiennent couramment avec les vivants ?

Ici, une simple remarque pour noter l’obstination aveugle des spirites, et des plus qualifiés parmi eux. Sir Oliver Lodge suggéra que peut-être Myers avait oublié ce qu’il avait écrit et mis sous enveloppe. Comme si Myers pouvait avoir oublié ce que, de sa [colonne 1482] propre initiative, il avait fixé comme devant être la preuve cruciale de sa propre survivance !

De ce qui précède nous sommes en droit de tirer cette conclusion : le spiritisme, qui professe que les défunts ont la faculté ordinaire de communiquer avec les vivants, est incapable d’apporter aucune preuve qu’il existe, de fait, des communications combinées, régulières, de morts à vivants. Donc toute la doctrine spirite repose sur une affirmation gratuite, bien plus, sur une affirmation repoussée par toutes les vraisemblances.

Nous pourrions nous en tenir là et dire que le spiritisme, étant dépourvu de base soit du côté des faits, soit du côté de la raison, est une doctrine négligeable. Cependant, il peut ne pas être inutile, pour faire lu pleine lumière, de dire un mot de quelques enseignements parasites du spiritisme, puis des autres explications proposées pour rendre raison des phénomènes dits psychiques.

Les soeurs Fox.

IV. Les à-côté. — a) Fluide et Périsprit. — Le spiritisme, né en Amérique des expériences des sœurs Fox, fut organisé comme doctrine en France par Allan Kardec. Un des premiers dogmes du nouveau credo spirite, c’est l’affirmation du fluide vital. Si la table se met en mouvement, si le pied du guéridon frappe, si le crayon couvre de caractères l’ardoise, tout cela se fait sous l’action d’un fluide projeté par la main des opérateurs. Le fluide, c’est la force. L’intelligence qui le conduit, c’est l’esprit du moi t. Nous prêtons notre fluide au désincarné, qui s’en sert à ses fins.

Mais introduire en ces opérations un fluide, était chose bien imprudente. On ne tarda pas à remarquer que faire remuer une table, déterminer des craquements, ne requérait l’intervention d’aucune intelligence transcendante, que, d’ailleurs, les soi-disant messages adressés ne contenaient rien qui ne fût connu déjà ou ne pût être connu d’un des assistants ou ne répondît à la moyenne de leurs connaissances : dès lors, l’Esprit devenait inutile, et tout le spiritisme croulait.

Nous croyons fort que les spirites ne virent pas, en ces débuts, l’objection qu’on pourrait tirer contre eux de l’action de ce fluide. On était tout aux merveilles du fluide électrique récemment découvert, et on n’avait pas oublié le fluide magnétique, cultivé et célébré au siècle précédent par Mesmer. C’était le moyen, pour le spiritisme, de se rattacher, comme il l’a fait constamment par la suite, aux goûts du jour. Et puis, dans leur pauvreté métaphysique, Allan Kardec et son entourage ne voyaient pas comment un esprit pouvait agir directement sur un corps: ce fluide servait d’intermédiaire. Il leur semblait qu’étant inaccessible aux sens, il n’était plus tout à fait matière et, par suite, se trouvait apte à servir d’instrument aux âmes désincarnées. Ils complétèrent leur théorie du fluide vital par celle du périsprit. Dans le composé humain, pour réunir le corps et l’âme, il y a quelque chose qui n’est ni corps ni âme, mais qui tient de la nature de l’un et de l’autre ; c’est le périsprit. Le périsprit fournit le fluide vital. D’autre part, tandis qu’à la mort le corps se dissout, le périsprit, expression de notre personnalité, est emporté par l’âme dans l’au-delà. Ainsi l’esprit du désincarné dirige par son périsprit le fluide des opérateurs : par lui, il fait frapper le pied des tables, se promener les guéridons, courir les crayons sur l’ardoise.

Il faut oser dire que tout cela est une philosophie de nègres. Les nègres animistes croient à l’existence d’un double, qui s’échappe de nous durant le sommeil, voyage de-ci de-là, d’où le rêve; ;et ce double [colonne 1483] après la mort, va peupler les espaces éthérés. Encore font-ils de ce double un simple souffle, sans se mettre en peine de sa nature. Il faut le dogmatisme, ignorant et lourd, des spirites pour proposer catégoriquement une substance qui soit, tout ensemble, matière et esprit. Il est vrai que le spiritisme n’a jamais su nous dire ce qu’il entend par esprit.

Un des rôles du périsprit est de conserver à ce qui survit du défunt sa personnalité, l’esprit étant par lui-même une chose interchangeable. Le malheur est que les soi-disant esprits, évoqués par les spirites, agissent et parlent comme des ombres falotes, précisément sans personnalité aucune, tenant tous le même langage insignifiant, témoignant tous de la même déplorable médiocrité. De quoi leur sert leur périsprit ?

  1. b) Réincarnation.— Mais à quoi occuper dans l’autre monde ces esprits, accompagnés de leur fidèle périsprit ? La vie de là-bas, telle qu’on l’entrevoit à travers les messages, ne mérite vraiment pas beaucoup d’être vécue. Le spiritisme imaginera la réincarnation. Cela, au moins, coupera la monotonie de l’existence d’outre-tombe. Seulement, les esprits qui, pour garder leur personnalité, ont emporté leur périsprit dans l’autre monde, et le rapportent dans celui-ci, oublient en se réincarnant ce qu’ils ont été autrefois, et même qu’ils ont été autrefois. C’est vraiment trop de malchance. Mais ce total et singulier oubli offre le grand avantage de permettre aux spirites d’affirmer tout ce qu’ils veulent sur les existences précédentes. Chose curieuse, les médiums auxquels est révélé ou qui retrouvent eux-mêmes, par je ne sais quel procédé, quelque chose de leur passé (les Théosophes enseignent que ce privilège est réservé à ceux qui sont chargés de quelque importante mission), ont toujours été des personnages illustres, des princes ou des princesses, des rois ou des reines, de grands savants ou de grands penseurs. Mais alors, quel méfait ont-ils commis pour mériter d’être réincarnés en si piètre condition ? Au dire des spirites, la réincarnation a, normalement, pour objet d’élever le désincarné à un degré supérieur, à moins qu’il n’ait à expier et à se purifier. Voilà un radjah indien qui se retrouve médium besogneux, voilà un Pythagore ou un Newton transformé en un médium ignare. Comment ont-ils encouru pareille déchéance ?
  2. c) Les Médiums. — Et quel est le rôle de ces médiums ? Qui expliquera leur nécessité ? Les spirites affirment qu’en 1854, c’est-à-dire six ans après les premières expériences des sœurs Fox, on comptait aux États-Unis trois millions d’opérateurs. La soi-disant faculté d’évoquer les morts n’est donc pas un don si réservé. Même si l’on prend le chiffre de trente mille médiums, qu’ils revendiquent en Amérique, pour l’année 1856, il est assez étonnant qu’on trouve ainsi à un moment donné, qui n’a rien de distinctif, une telle multitude de personnes jouissant d’un privilège qu’ils veulent exceptionnel. Et il s’est trouvé des époques où ailleurs, par exemple en France, une foule de gens prétendaient faire tourner et parler les tables, et y réussir, avec la conviction que la seule condition nécessaire était la foi. De nos jours encore, la masse des opérateurs n’entend nullement être douée de pouvoirs privilégiés.

Il n’est donc pas téméraire d’affirmer que les médiums ont été amenés à se découvrir des aptitudes spéciales sous l’appât de l’espoir d’une profession lucrative. Dès l’origine, nous avons l’exemple de la sœur aînée des deux miss Fox, qui leur montre dans les pratiques spirites une source de beaux revenus.

Ceux qui ont écrit, ex professa, sur le spiritisme, comme Gabriel Delanne, Oliver Lodge, Charles [p. 1484] Richet, abandonneraient volontiers la foule des médiums, dont ils n’ont cure. Mais ils mettent à part ceux qu’ils appellent les grands médiums. Ceux-ci ne seraient jamais guère que trois ou quatre par génération. Voilà qui diminue singulièrement la facilité des relations avec l’autre monde et ne fera pas les affaires du bon peuple, qui s’imaginait pouvoir entrer de plain-pied en relation avec les désincarnés. Cela aussi amène à penser que, dans le nombre de faits allégués, il y a, aux yeux des tenants officiels du spiritisme, bien du déchet, qu’à un examen tant soit peu consciencieux toute cette fantasmagorie se volatilise.

Que sont ces grands médiums, précieux spécimens d’une race qu’on croyait plus féconde ? Mettons les choses au mieux. Ce serait, si l’on veut interpréter tout à leur bénéfice, des tempéraments disposés particulièrement au somnambulisme et à l’automatisme. Grâce à ce tempérament, ces médiums peuvent entrer en transe. La transe n’est qu’un état somnambulique. Dans cet état, ils jouissent d’un certain pouvoir de télépathie ou de lucidité. Ils auraient la faculté de recevoir l’impression d’objets ou de personnes éloignées, peut-être de communiquer à distance leur propre impression. Mais la lucidité n’a rien de commun avec l’évocation des morts. Déjà commander à un être lointain vivant, l’obliger à répondre à des questions, l’assujétir à sa volonté, est tout autre chose que de voir ce qui se passe à distance. Que dire de la prétention de mettre à sa discrétion les morts ? Les exemples de lucidité qu’on allègue se passent dans notre plan terrestre. Or, les conditions de l’existence dans l’au-delà diffèrent grandement des conditions de l’existence ici-bas, quelque effort que fassent les spirites pour transporter dans l’autre monde le mode de vie de celui-ci : les désincarnés, n’ont plus leur corps et il n’est, nous l’avons vu, aucune apparence que les âmes soient revêtues d’un périsprit. Donc lors même qu’un vivant pourrait communiquer avec un vivant éloigné, il ne suit pas qu’il aurait la faculté de communiquer avec un mort. Quoi qu’on fasse, il est évident que la mort nous fait entrer dans un ordre nouveau.

Et que vaut l’affirmation des médiums qui prétendent nous rapporter le message des morts ? Ces messages, avons-nous dit, ne portent en eux-mêmes aucune preuve d’identité. Ce sont, sauf de très rares cas à examiner de plus près, des messages passepartout, pouvant émaner de n’importe qui et adressés à n’importe qui. C’est le médium qui vous affirme les tenir de saint Louis, de Victor Hugo ou de votre enfant. Or, tous ceux qu’on range même parmi les grands médiums ont été convaincus de fraude et de mensonge. Leurs défenseurs les plus favorables l’avouent. Ils admettent qu’il arrive aux médiums de frauder sciemment pour se tirer d’un mauvais pas, pour fournir une réponse qu’on attend d’eux et qu’ils ne se trouvent pas alors en état de donner. Ils ajoutent que le sujet qui est en état de somnambulisme ou de médiumnité n’a plus le contrôle moral de ses actions, et que le mensonge, si mensonge il y a, est inconscient. Il n’est donc pas légitime de le disqualifier pour une supercherie découverte, pas légitime de conclure de ce qu’un médium a menti qu’il ment toujours.

Soit, répondrons-nous ; mais il suffit qu’il puisse toujours se trouver dans le cas de tromper, d’avoir intérêt à tromper, pour que toujours nous soyons en défiance, pour que toujours nous hésitions ou refusions d’ajouter foi à sa parole : il s’agit ici d’une matière extrêmement grave.

Ajoutons que les grands médiums fraudent même [p. 1485] dans des expériences de contrôle, faites par des techniciens qui accordent que le pouvoir médiumnique n’est pas à la discrétion du sujet, qu’il est intermittent. Ils seraient favorablement impressionnés d’un aveu fait par le médium de sa présente incapacité. Mais en pareille occurrence, le médium fraude ou essaie de frauder, à moins qu’il n’ait le sentiment d’une surveillance particulièrement exacte, tant la fraude lui est familière.

Quant à la thèse que le somnambulisme enlève au sujet la maîtrise morale de sa conduite, cela n’est vrai que dans les choses d’importance secondaire. Il est établi que dans les actes d’une portée morale notable, le somnambule se ressaisit. Il est établi que le somnambulisme dénonce et accuse nettement la pente ordinaire du sujet. S’il fraude et ment, dans le sommeil somnambulique, en une chose aussi grave que l’affirmation d’être en relation avec les morts, c’est qu’en aucun état il ne mérite créance.

Et ce qui est loin de nous rendre confiance, c’est l’intervention du contrôle. Longtemps les spirites se sont contentés de doubler, au moins dans certains cas, le consultant d’un médium. Puis un beau jour, ils se sont avisés de doubler l’esprit d’un intermédiaire analogue, que les Anglo-Saxons ont appelé contrôle. Comme le médium prête son concours au vivant qui interroge, ainsi le contrôle donne son aide au désincarné qui répond. Quelle est cette aide ? Sans doute, de mettre à la disposition du défunt sa force psychique en même temps que son expérience des voies et communications interplanétaires. Pareille innovation ne laisse pas que d’étonner Voilà une pièce de l’organisme de transmission qui, à l’heure présente, est réputée indispensable, et que les fondateurs du spiritisme ont ignorée ! On peut soupçonner que les modernes l’ont inventée pour couvrir les bévues et les insignifiances de tant de messages. Le responsable ne serait pas le désincarné, mais son contrôle, celui-ci participant à toutes les imperfections et tares des médiums terrestres. Mais alors, de nouveau, quelle foi méritent ces messages dont on nous promet merveilles ? Ils passent par un contrôle qui vaut ce que valent nos pitoyables médiums, qui est peut-être — et ce serait dans la logique du système —un médium désincarné, ayant fait ici-bas métier d’un don prétendu. Par ailleurs, les docteurs en spiritisme nous assurent que les esprits ont grand’peine à se faire à leur nouveau mode d’existence, qu’ils restent longtemps dépaysés. Que voilà de causes de déformation pour un message ! Et c’est là-dessus qu’on nous invite à régler nos croyances et notre vie !

A dire le vrai, si un spiritisme pourrait mériter considération, c’est le spiritisme sans médium, le spiritisme de la mère, de l’épouse, qui, seule, interroge l’âme de son enfant, de son époux. Mais si ce spiritisme est digne d’intérêt, il se heurte aux difficultés d’ordre général que nous avons indiquées.

V. Les Doctrines. — En dehors des théories du périsprit, de la réincarnation, de la médiumnité, le spiritisme présente-t-il un corps de doctrines ? C’est ALLAN KARDEC qui a donné au spiritisme son Credo. Le Livre des Esprits, qui remonte à l’année 1867, contient tout ce qu’un bon spirite doit croire et pratiquer : vague déisme, immortalité de l’âme, morale de la bienfaisance et de la solidarité, pas de révélation évangélique, ni Église ni sacrements, surtout pas de châtiments éternels, le Christ un sage et le plus puissant des médiums. Et particulièrement sur la nature de Dieu, le fondement et la portée de la morale, des formules [colonne 1486] imprécises, des équivoques, des incohérences, des reprises. Les points fondamentaux de ce Credo furent adoptés par les pays anglo-saxons. Mais là surtout, il y eut, dès l’origine, des divergences nombreuses. Sur Dieu, sur l’état des esprits désincarnés, les uns disaient que nous ne pouvons rien savoir, les autres s’étendaient en explications positives, en descriptions minutieuses. C’est l’anarchie avec Home, Stainton Moses, Archdeacon Colley. — Herbert THURSTON, S. J., A new history of Spirilualism(il s’agit du nouvel ouvrage de Arthur Conan Doyle). The Month, july, 1926, p. 1 -14. — Le principe du libre examen s’est introduit dans le dogme spirite. A l’heure actuelle, dans les pays anglo-saxons, on se contente d’évoquer les esprits des parents pour converser avec eux, ou on se livre aux expériences de craquements, de déplacement d’objets. Tout ce qui est doctrine est négligé. Aux États-Unis même, la doctrine de la réincarnation est en défaveur, abandonnée dans certains milieux. Comment accepter de revenir en celte terre peut-être dans le corps d’un nègre ?

Tous ces accommodements sont significatifs : il y a dans le spiritisme, faits ou doctrines, ce que chacun y met. Cela n’empêche pas le spiritisme d’être pour beaucoup une religion, la seule religion, une religion qui offre au rabais le surnaturel et la morale.

VI. Les Faits invoqués. — Le spiritisme, en tant qu’il enseigne la réalité d’un commerce ordinaire avec les morts, est un système fantaisiste. Les théories parasitaires du périsprit, de la réincarnation, de la médiumnité, l’encombrent sans l’appuyer. Il semble qu’elles ne sont là que pour détourner l’attention de la gratuité et des vices du système central. Mais on dira : alors, comment expliquer tous ces faits psychiques dont la niasse s’impose, masse qu’il n’est pas permis d’écarter par une fin de non-recevoir ?

Gardons notre sang-froid. Des faits innombrables alignés par les revues et les livres spirites, l’immense majorité tombe à un premier examen. Tout de suite, il s’y découvre un manque de précision, ou une invraisemblance, ou une naïveté qui ôte le crédit. Que subsisterait-il du reliquat soumis à une enquête approfondie ? Les sondages pratiqués par des gens avisés ont toujours abouti à montrer le manque de base de ces constructions. Il y a erreur sur un point essentiel, ou démarquage, ou signe manifeste de quelqu’un qui conte, ou précaution évidente pour empêcher précisément le contrôle. Des récits démontrés comme imaginaires, comme inventés de toutes pièces, continuent à figurer dans Des recueils classiques. Car les écrivains spirites ont accoutumé de ne tenir compte d’aucun démenti, d’aucune réfutation. C’est peut-être une forée près du vulgaire, mais cela enlève à leurs assertions toute valeur près des gens sérieux et honnêtes.

Allons-nous prétendre que ceux qui présentent ces récits et ceux qui les propagent trompent sciemment ? Il est, et en grand nombre, des esprits portés à voir en tout de l’extraordinaire, à interpréter les faits selon des raisons mystérieuses, supranaturelles, à choisir de préférence l’explication qui sort du commun. Esprits crédules et superstitieux, ils désirent voir, et par là-même s’imaginent voir : ils affirmeront qu’ils ont vu. Une fois qu’ils s’abandonnent à celte pente, ils se laissent entraîner sans que rien les puisse arrêter. Ajoutez que souvent il s’agit d’un fait soudain, imprévu, fugitif, qu’on ne peut retenir pour l’examiner, répéter pour le contrôler. Quand on vient ensuite à vouloir en rendre compte, on a grand’peine à le reconstruire sans y ajouter, [colonne 1487] sans le déformer ; on le complète d’instinct par les circonstances qui découlent de telle donnée supposée. Ainsi pour les rêves qu’on veut reconstituer au réveil.

Mme Blavastky, une des fondatrices de la Théosophie, a là-dessus quelques paroles qui sont à considérer. S’il est vrai que son orgueil se plaît à se distinguer de la foule, il reste qu’elle a pratiqué longtemps un milieu qui ressemble fort au milieu spirite. Cela nous permet d’appliquer à ce milieu ce qu’elle écrit.

« Croiriez-vous qu’avant comme après la fondation de la Société Théosophique, je n’ai pas rencontré plus de deux ou trois hommes capables d’observer, devoir et de remarquer ce qui passait autour d’eux? C’est simplement étonnant. Au moins neuf personnes sur dix sont entièrement dépourvues de la capacité d’observation et du pouvoir de se rappeler exactement ce qui a eu lieu quelques heures auparavant. Combien de fois il est arrivé que, sous ma direction et ma révision, des procès-verbaux relatifs à des « phénomènes » ont été rédigés. Les personnes les plus innocentes et les plus consciencieuses, même des sceptiques, même ceux qui me suspectent actuellement, ont signé en toutes lettres comme témoins au bas des procès-verbaux ; et toujours je savais que ce qui était arrivé n’était nullement ce qui était rapporté dans ces procès-verbaux… Savez-vous bien que, presque invariablement, plus un « phénomène » est simple et grossier, plus il a des chances de réussir ? Si vous saviez seulement combien de lions et d’aigles, dans tous les coins du globe, se sont changés en ânes à mon coup de sifflet, et ont agité avec obéissance leurs grandes oreilles au moment où je forçais la note. » (A modem Priestess of Isis, p. 154-157. Cité par René GUENON. Le Théosophisme. Paris, 1921, p. 73 et 79.)

VII. Explication par les forces naturelles. — Le triage opéré, certains faits resteront, qu’on ne verra pas, pour le moment, le moyen d’écarter par l’hypothèse de la crédulité ou de la fraude. Faits matériels de tables vacillantes, de guéridons qui se dressent, de meubles qui se déplacent. Faits d’ordre plus intellectuel, messages, pressentiments, monitions. Allons-nous les attribuer tout de suite à l’intervention des morts ? Un principe de commune sagesse veut qu’on épuise d’abord les explications les plus simples, les plus naturelles, avant de recourir à des explications compliquées et extraordinaires. Or, l’hypothèse des mouvements musculaires, inconscients, de la main, capables d’agir sur un objet (comme il arrive pour la baguette des sourciers), l’hypothèse d’un fluide vital tantôt agissant seul, tantôt dirigé par le subconscient, l’hypothèse de la télépathie, par quoi, grâce aux vibrations d’un milieu convenable, des impressions, des images cérébrales, par voie de conséquence la pensée, se communiqueraient à distance, sont des hypothèses raisonnables et relativement simples, appuyées sur des analogies sérieuses, qui rendent suffisamment compte — sous réserve de la remarque à faire tout à l’heure — de ce reste de faits « psychiques ». Donc faisons l’économie de l’hypothèse de l’intervention des morts ; gardons-nous surtout de présenter cette intervention comme l’explication nécessaire, évidente. Les spirites ressemblent aux gens qui, ne retrouvant pas un objet perdu, crient tout de suite au voleur. Et ce sont eux qui l’ont égaré. Bien plus, si on retrouve l’objet dans un coin de la chambre, ils jureront leurs grands dieux que le voleur l’y a replacé.

Nous ne prétendons pas proposer les hypothèses dont nous parlons, autrement que comme des hypothèses. Nous croyons même qu’elles resteront longtemps telles. Il nous suffit qu’elles soient raisonnables, acceptables. Tant qu’on n’en aura pas démontré [colonne 1488] la fausseté, n’allons pas chercher ailleurs, surtout dans un monde dont il faut reconnaître que nous savons si peu.

VIII. La Métapsychique. — C’est du côté des explications naturelles que semblait d’abord devoir s’orienter la Métapsychique. Par ce nom, assez mal choisi d’ailleurs, créé en 1905 par le professeur Charles Richet, on désigne la connaissance ou la recherche des phénomènes psychiques anormaux. Les métapsychistes affichent leur indépendance à l’égard de tout système préconçu. Rien de mieux. Seulement, il faut dire que leurs recherches sont mal engagées. Nombre de ceux qui s’y livrent ont trop partie liée avec les spirites. Les expériences sur l’Ectoplasme—c’est le nom scientifique du périsprit — gardent tout l’appareil louche des évocations spirites. A l’Institut métapsychiquede l’avenue Niel, à Paris, on voit apparaître des mains, des visages de soi-disant désincarnés. La Revue métapsychiqueinsère une foule d’informations, de communications, de manifestations spirites.

IX. Valeur apologétique du spiritisme. — Il n’est pas rare d’entendre des auteurs spirites nous dire : Vous nous condamnez ; et cependant nous vous apportons des preuves expérimentales d’un au-delà, de la survivance des âmes. Quelles vérités plus essentielles ? Vous devriez marcher avec nous. » — Ce que vaut cette démonstration expérimentale, nous l’avons montré suffisamment par tout ce qui précède. La foi et la raison n’ont que faire d’un pareil appui. En outre, le catholicisme ne saurait ignorer les prétentions du spiritisme à devenir une religion, à substituer ses fantaisies à nos dogmes. Une alliance serait de notre part vraiment trop un marché de dupes. Il faut toute la niaiserie présomptueuse du spiritisme pour la proposer. Pour vivre, le catholicisme n’en est pas réduit à de telles compromissions.

Tout ce que l’apologiste spiritualiste et chrétien peut faire, c’est de montrer dans le spiritisme les aspirations de l’humanité vers la survie et le préternaturel.

X. Fortune du Spiritisme. — Et que le nombre des adeptes du spiritisme ne nous en impose pas. Le spiritisme a bénéficié dès son origine et continue à bénéficier de la profonde areligion, du positivisme régnant. Il offrait et offre à ceux qui se trouvent, par naissance ou par éducation, privés du surnaturel chrétien, ou qui n’ont des croyances chrétiennes qu’une connaissance superficielle et insuffisante, un merveilleux facile, qui répond au besoin qu’a la nature humaine comme de se dépasser, au moins de s’élever au-dessus des objets immédiatement contrôlables par les sens. Le spiritisme, à sa manière, dépose en faveur des aspirations intimes de l’homme vers une religion, vers un surnaturel. Récemment, on a émis l’hypothèse que la propagation du spiritisme, à ses origines, avait été favorisée par quelque organisation secrète. René GUENON (le Théosophisme, Paris, 1921, p. 14 et 134.L’erreur spirite, 1923, p. 20-28), va jusqu’à indiquer la société désignée par les initiales H. B. of L.: Hermetic Brotherhood of Luxor. Le fait est que le premier historien du Moderne Spiritualisme en Amérique appartenait à ce groupe. Allan Kardec, qui répandit le spiritisme en France, faisait partie de la franc-maçonnerie et il recrutait, au début, ses adeptes surtout dans la petite bourgeoisie qui était, en même temps, le milieu le plus favorable à la maçonnerie. Que le spiritisme naissant se soit appuyé sur une [colonne 1489]organisation secrète, l’hypothèse n’a rien d’invraisemblable. Mais il dut surtout sa vogue à ce qu’il promettait une religion au rabais, un moyen à la portée de tous de communiquer avec les disparus.

Si le spiritisme avait, sur le second point, tenu ses promesses, il faudrait s’étonner non du grand nombre de gens adonnés aux pratiques spirites, mais de ce que le monde entier ne soit pas converti au spiritisme. S’entretenir familièrement avec les défunts : qui n’a eu ce rêve ? qui n’a formé ce désir ? Et il suffirait de quelques cas bien authentiques de communication, pour soulever le monde. On peut être assuré que les spirites se seraient employés avec zèle à les divulguer.

XI. L’Église catholique et le Spiritisme. — En face du spiritisme, quelle a été l’attitude de l’Église catholique ?

Elle a traduit sa pensée dans un certain nombre de documents. Ce sont surtout des réponses faites par l’autorité ecclésiastique à des questions proposées. Réponses peu nombreuses, réponses prudentes et réservées sur certains points, formelles et décisives sur d’autres. D’ordinaire, il y est parlé à la fois du magnétisme, de l’hypnotisme et du spiritisme. C’est que non seulement les questions posées portaient sur le magnétisme et l’hypnotisme autant que sur le spiritisme, mais la pratique d’une de ces catégories de faits amène, par un lien naturel, à envisager aussi les autres. Par exemple, le mouvement des tables tournantes ne serait-il pas l’effet d’un fluide magnétique ? Certaines connaissances et certains états du médium ne relèvent-ils pas de l’hypnotisme ?

Ces documents ne condamnent pas le magnétisme et l’hypnotisme en soi, ils en condamnent l’abus. Sont réputées abus la recherche de fins criminelles ou immorales, la prétention d’obtenir par des moyens naturels des Uns d’ordre vraiment préternaturel. Le spiritisme proprement dit comporte l’évocation des esprits : cette évocation est toujours répudiée comme entachée de superstition et de divination.

Le document le plus complet et le plus solennel est une lettre adressée, le 4 août 1856, par le tribunal de l’Inquisition romaine, aux évêques du monde catholique contre les abus du magnétisme.

La lettre rappelle d’abord quelques actes antérieurs. Réponse particulière du 21 avril 1841, condamnant l’usage du magnétisme en tant qu’il viserait un objet non naturel, non honnête, qu’il emploierait des moyens en soi illicites. Condamnation de divers livres propageant avec obstination ces sortes d’erreurs. Réponse plus générale du 28 juillet 1847. Le Saint-Office y déclare que « si l’on prend soin d’écarter toute adhésion à une doctrine erronée, tout sortilège, tout recours explicite ou implicite au démon, l’usage du magnétisme, entendu comme l’emploi de certains procédés physiques, par ailleurs de caractère honnête, n’est pas défendu par la morale, pourvu qu’on ne s’y propose pas une fin illicite ou en quoi que ce soit perverse. Il y aurait manœuvre criminelle et péché d’hérésie à faire appel à des données et à des procédés d’ordre naturel pour obtenir des effets surnaturels. »

« Cette réponse, continue le tribunal de la Sainte Inquisition, fixait suffisamment ce qu’il y a de permis et ce qu’il y a de défendu dans l’usage ou dans l’abus du magnétisme. Mais la malice humaine s’est accrue. Négligeant les modes naturels d’investigation, pour s’attacher à des pratiques anormales, les hommes se vantent d’avoir découvert un mode sûr de prédiction et de divination… De là les prestiges du somnambulisme et de la claire-vue, selon l’expression en [colonne 1490] vogue, prestiges auxquels des femmes sans considération s’abandonnent sous l’action de passes où l’honnêteté n’est pas toujours respectée. En cet état, elles prétendent percevoir l’invisible, et se mêlent témérairement de discourir sur la religion, d’évoquer les âmes des morts, d’en recevoir des réponses, de découvrir des choses inconnues ou éloignées, et de pratiquer d’autres semblables superstitions ; pratiques de divination qui ne vont pas pour elles et ceux qui les emploient sans notables profits. En tout cela, quelle que soit la part d’artifice et de prestidigitation, comme on fait appel à des moyens naturels pour obtenir des effets qui ne sont pas d’ordre naturel, il y a manœuvre tout à fait condamnable, entachée d’hérésie, avec scandale contre l’honnêteté des mœurs. » Voir EnchiridionDenzinger-Bannwart, n° 1653-1654.

Le 24 avril 1917, le tribunal du Saint-Office rendait une décision qui porte plus spécialement sur le Spiritisme. Il avait été demandé : « Est-il permis de prendre part, soit par médium soit sans médium, en usant ou non de l’hypnotisme, à des entretiens ou à des manifestations spirites, présentant même une apparence honnête ou pieuse, soit qu’on interroge les âmes ou les esprits, soit qu’on écoute les réponses faites, soit qu’on se contente d’observer, alors même qu’on protesterait tacitement ou expressément que l’on ne veut avoir aucune relation avec les esprits mauvais ? » La Sacrée Congrégation du Saint-Office a répondu : Non, sur tous les points. Acta Apostolicae Sedis, Ia junii 1917, p. 268.

De ces documents, plusieurs parties débordent, nous l’avons noté, la question du spiritisme proprement dit. De plus, on insiste sur les fraudes dont les pratiques en cause sont souvent viciées Ce qui apparaît manifeste, c’est le jugement porté par l’Église contre l’évocation des esprits ou le recours aux âmes des morts, à savoir le fond même du spiritisme. Et selon la doctrine catholique, cette évocation, dans les conditions où procède le spiritisme, est illicite.

Sans doute, rien ne s’oppose, ni de la part de la raison ni de la part du dogme catholique, à ce que les âmes des défunts puissent communiquer parfois avec les vivants, et des exemples de pareilles communications paraissent sérieusement établis. Mais ni la raison ni le dogme catholique n’admettent que les âmes des défunts soient à la disposition des vivants pour satisfaire leur curiosité souvent vaine, pour se prêter à leurs fantaisies, pour donner lieu à des exhibitions d’ordinaire puériles, théâtrales, souvent bassement foraines. Dans la région de l’au-delà, les âmes désincarnées sont, de fait, sous la dépendance de Dieu, totalement suivant la doctrine catholique, plus entièrement qu’elles l’étaient durant leur temps d’épreuve ici-bas suivant toute doctrine philosophique raisonnable : ne sont-elles pas affranchies des sollicitations contraires suggérées par l’imagination et les sens ? Or, il serait impie de rendre la sagesse de Dieu complice de toutes ces manifestations, trop souvent dénuées de motif sérieux ou de gravité.

Quant aux âmes sincères qui ne cherchent dans les pratiques du spiritisme qu’un moyen de conserver le contact avec des êtres ravis à leur affection, elles peuvent se rendre compte, si elles y réfléchissent, que les prétendues réponses faites ne s’accordent, par leur caractère vague, insignifiant, banal, ni avec leurs intimes désirs ni avec ce que nous pouvons savoir de la sage et aimante providence de Dieu.

On a pu enregistrer, comme mieux fondées en vérité, quelques apparitions brèves d’âmes de défunts, arrivées au moment précis de la mort ou dans les [colonne 1491] moments qui la suivent de près. Mais précisément ces apparitions sont toutes spontanées, non provoquées, encore moins contraintes.

A plus forte raison, il est inadmissible que les esprits bons, à la fois tout dépendants de Dieu, tout baignés dans sa lumière, tout stables dans la rectitude morale, se commettent avec les humains selon la manière ridicule et mesquine propre aux manifestations spirites.

Quant aux esprits mauvais, l’Église ne dit pas que, dans les pratiques spirites, ils interviennent toujours. Elle ne dit pas même qu’ils interviennent souvent, et cela, elle s’abstient de le rechercher. Pour justifier ses sévérités, il suffit qu’ils puissent intervenir.

Que si l’on nous demande dans quelle mesure exacte il faut dire que le démon se mêle aux manifestations spirites et quelles manifestations sont de sa spéciale compétence, nous répondrons que nous n’en savons rien. Mais nous dirons que le spiritisme a tout ce qu’il faut pour être son domaine.

Tout ce qui excite les désirs pour les tromper, tout ce qui jette les âmes dans le désarroi et le doute, tout ce qui les détache des réalités pour les livrer aux chimères, n’est-ce pas ce qui fait excellemment le jeu du Mauvais ? Pas n’est besoin que lui-même opère dans les tentatives spirites. Il y a pu le faire plus fréquemment au début. Nous croyons qu’il le fait rarement de nos jours. Il lui suffit d’en entretenir, d’en favoriser, d’en déchaîner la passion ou le goût. Que l’Église catholique est sage et bienfaisante de nous dire : « Gardez-vous de ce terrain. Il est marécageux, on s’y enlise. »

Et si l’on considère seulement la multitude des troubles cérébraux amenés par les pratiques spirites, il faudrait savoir gré à l’Église de veiller à la santé physique et mentale des siens.

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Lucien ROURE.

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