L’opinion scientifique française et la psychanalyse. Par Angelo Hesnard. Le Disque vert. 1924.

HESNARDOPINION0001Angelo Hesnard. L’opinion scientifique française et la psychanalyse. Article parut dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 5-19.

Pour la biographie de Hesnard nous renvoyons à un de ses articles [en ligne sur notre site] : Ce que la clinique française a retenu de la Psychanalyse, 1935.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes  originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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L’OPINION SCIENTIFIQUE FRANÇAISE

ET LA PSYCHANALYSE.

La France est restée jusqu’à ces derniers temps assez franchement hostile à la Psychanalyse. Quand, en 1914, parut notre ouvrage en collaboration avec le Prof. Régis (1) ses lecteurs ne prirent pas au sérieux l’annonce que nous faisions de la diffusion inévitable de la doctrine de Freud dans le monde psychologique.

Les médecins — qui auraient dû être les premiers à s’en inquiéter — n’ont consenti à en discuter l’intérêt scientifique que contraints par l’opinion. Car, il faut bien le reconnaître, c’est par les lettres et les journaux qu’elle a pénétré dans notre pays.

Depuis ces deux dernières années, pourtant, les idées de Freud se sont introduites comme par effraction dans la Clinique française ; plusieurs livres de critique médicale en ont donné des exposés ; quelques ouvrages de Freud lui-même ont été traduits en français. La Société de Psychiâtrie a discuté l’an dernier le rôle du « Refoulement » sexuel dans le mécanisme des maladies de l’esprit. Une discussion d’ensemble de la question a suivi l’exposé de notre rapport au Congrès des aliénistes et neurologistes de Besançon en août dernier, où les différents argumentateurs ont, sans s’en douter, présenté les objections qu’on faisait à la Psychanalyse vers 1906-1910 en Allemagne, pays [p. 6] par excellence, quoi qu’on en dise en France, de l’Antifreudisme.

A l’heure actuelle, il n’est pas une revue de Psychiâtrie qui ne contienne une allusion aux idées freudiennes, pas une réunion d’aliénistes où il ne soit question de psychanalyse. Et l’on est obligé de reconnaître dans toutes les branches de la Psychologie normale et pathologique cette « marée montante quasi universelle du Freudisme » (2), dont certains se réjouissent, y voyant une féconde révolution dans les sciences de l’esprit, mais que d’autres dénoncent avec des cris d’alarme, la comparant à une épidémie mentale ayant déjà submergé les pays anglo-saxons et venant battre de ses flots grandissants le socle heureusement inébranlable du Génie latin.

La Psychanalyse — réduite surtout à ses proportions de méthode psychologique — n’est cependant ni une révolution scientifique, ni un danger social. Nous croyons qu’elle peut être un facteur de progrès dans la connaissance de l’âme humaine et dans nos procédés grossièrement empiriques de psychothérapie.

Mais pour comprendre cette vérité très simple, il faut faire le considérable effort d’être impartial. Or, pareille expression du bon sens français, de l’esprit latin de mesure — qu’on invoque, hélas ! à tort et à travers au service de toutes les causes — est chose assez rare… surtout, peut-être, chez les hommes de science.

Les idées de Freud ne choquent guère les esprits [p. 7] modérés que par la forme assez naïve qu’elles revêtent parfois. C’est surtout dans ce qu’on a appelé, avec exagération d’ailleurs, le « dogme pansexualiste », que les maladresses terminologiques de la Psychanalyse ont été désagréables à notre délicatesse française de sensibilité psychologique. Nous ne parlons pas de la crudité de quelques-uns des termes employés par Freud en matière de sexualité organique : P. Janet et bien d’autres après lui parmi les cliniciens de notre pays ont eu sur ce terrain des audaces dignes du grand siècle. Nous ne parlons plus non plus de l’insistance avec laquelle les psychanalystes mettent complaisamment en évidence les pensées répugnantes de leurs patients. Ils ne les inventent pas toujours. C’est le malade qui les trouve en lui-même le plus souvent, qui les vocifère parfois dans sa cellule d’hôpital. Et je ne conseille pas aux psychologues effarouchés qui ont qualifié la doctrine de Freud de « psychologie de latrines », de faire leurs études de médecine. Ils seraient capables de condamner toute la Pathologie digestive par répugnance de la Coprologie!… Nous voulons seulement parler des allégories freudiennes, de ces motifs mythologiques et ancestraux que la psychanalyse assigne à la pensée primitive et à la pensée morbide : Complexe d’Œdipe, Inceste, etc… et qui font peut-être commettre aux adeptes de Freud une erreur d’appréciation entraînée par un abus de langage.

Ainsi la mère qui ne fut jamais amante et qui a reporté sur son fils toute la tendresse éperdue et contenue de son âme vierge, mais passionnée, est, pour [p. 8] Freud, incestueuse. Incestueuse, la jeune fille dont l’idéal masculin très éloigné de toute révélation sensuelle n’est, qu’une effigie à peine voilée de l’image vénérée du père… II n’est pas jusqu’à cet affreux mot de Libido qui, dès que, traduit du latin, il passe de la langue noble des Pères de l’Église dans le jargon médical, ne contamine aussitôt toute émotion tendre d’un relent lointain de lubricité. Pourquoi aussi Freud a-t-il eu la malencontreuse idée de déclarer le petit enfant « pervers polymorphe », alors que la sexualité du petit enfant pour un observateur indulgent et délicat, si touchante dans sa naïveté instinctive, devrait être aussi peu répugnante pour le psychologue que le sont pour ses nourriciers ses innocentes exigences organiques ?

De même que l’obscénité consiste dans l’expression et la grossièreté dans les mots, de même la Théorie de Freud n’est choquante que dans sa forme. Malheureusement, cette impropriété de termes a pour conséquence de mal situer les notions correspondantes dans l’échelle des valeurs psychologiques.

C’est ainsi que l’Inconscient de Freud — sorte d’Enfer dantesque aux grimaçants et cruels symboles — apparaît au premier abord comme une construction déconcertante de l’imagination. Cette jeune femme, dans la vie ordinaire douce et aimante, apparaît à Freud, dans les rêves de la nuit, une amorale vicieuse et perverse, qui fait mourir ses rivales, souhaite les obsèques d’un parent chéri pour avoir l’occasion d’y rencontrer le mâle désiré. Ce fils respectueux souffre d’une haine féroce pour son père et [p. 9] désire posséder sa mère… En réalité n’est-ce pas là une interprétation mélodramatique de certains phénomènes biologiques très simples et sans retentissement dans le réel ? Quand nous analysons nos propres rêves, nous découvrons en effet en nous des désirs coupables et des sentiments dignes de l’âge de la pierre polie. Mais hâtons-nous de n’y voir que des velléités, que des impulsions naissantes, en elles-mêmes ni bonnes ni mauvaises. II faut bien que ces impulsions aussi innocentes dans leur signification sociale qu’effrayantes dans notre vision intérieure, que ces mouvements organiques anonymes et aveugles, naissent en nous, pour que notre sens moral, s’opposant à leur tentative aberrante de naître à la conscience, puisse lui-même éclore. En d’autres termes, nous n’avons pas en nous de vrais désirs ou de véritables instincts inavouables qui, si la censure de notre culture éthique ne les arrêtait pas au passage, pourraient se réaliser au-dehors. Nous n’avons que de vagues sollicitations, en elles-mêmes parfaitement irréalisables et respectivement d’ailleurs contradictoires, qui ne sauraient s’épancher que dans notre imagination, n’étant pas d’une nature à pouvoir le faire dans les actes.

La preuve en est que ce fond animal de l’inconscient des honnêtes gens a été aperçu et dénoncé sans causer aucun scandale par tous les observateurs impartiaux et perspicaces de l’âme humaine. Tel Huysmans, qui, décrivant les songes respectifs (abominables) de deux époux aux prises avec les difficultés matérielles de [p. 10] l’existence quotidienne (3), ajoute sans s’émouvoir : « Pris en traître, saisis à l’improviste par une force indépendante de leur volonté, ils incarnaient bien le lamentable exemple de l’inconsciente ignominie des âmes propres. Ils étaient, en somme, les victimes de ces terribles pensées qui se faufilent chez les meilleurs, qui font qu’un fils adorant ses parents n’aspire certes pas à être privé d’eux, mais songe, sans le vouloir, avec une certaine complaisance, à l’instant de leur mort… Si ferme, si vaillant qu’il soit nul n’échappe à ces mystérieuses velléités qui cernent de loin le désir, le couvent, l’élèvent, le cachent dans les latrines les plus dissimulées de l’âme. »

« Et ces impulsions irraisonnées, morbides, sourdes, ces simulacres de tentation, ces suggestions diaboliques, pour parler comme les croyants, naissent surtout chez les malheureux dont la vie est dématéee ; car c’est le propre de l’angoisse que de s’acharner sur les âmes élevées qu’elle abat en leur insinuant des germes de pensées infâmes… »

Ainsi donc, la doctrine de Freud a le plus grand tort, pour nous Français, d’être présentée sous cette forme brutale et un peu pédantesque. S’ensuit-il que nous devions la rejeter sans en contrôler l’intérêt doctrinal et la valeur pratique ? Nullement. Efforçons-nous de saisir, sous la fantasmagorie de ses pompes mythologiques, la réalité des faits vivants qu’elle a ça et là, minutieusement et patiemment recueillis. Exprimons-les dans cette langue, essentiellement docile aux [p. 11] infinies vibrations de l’âme, qu’une longue tradition d’écrivains psychologues a su assouplir à notre usage. Et après avoir ainsi traduit la Psychanalyse non seulement dans les mots — comme on commence à le faire

— mais aussi parfois les idées — ce qui sera plus long, mais combien fécond ! —soumettons-la au contrôle de l’enquête clinique. C’est alors seulement que nous en découvrirons les profondes vérités humaines.

Les mérites de la Psychanalyse, que la France n’a pas encore su clairement discerner dans les traductions hétéroclites de Freud et de son École, sont en effet réels. Avant tout, cette nouvelle doctrine psychologique est vivante, car elle impose cette puissante vérité que toute la vie pratique de l’homme est faite d’affectivité. Tout ce qui vaut dans l’existence la peine d’être vécu, tout ce qui meut l’esprit et le fait respirer, tout ce qui anime les énergies silencieuses et puissantes de l’âme, tout ce qui crée, tout ce qui fait la grandeur ou la décadence de l’individu, éclot de la vie instinctive, naît du jeu obscur des tendances pour s’épancher en sublimations morales ou en aptitudes réalisatrices.

Sans doute, tous les naturalistes de l’âme — praticiens de la psychologie ou artistes — le savaient, et le sens commun le proclamait. Freud n’a donc rien inventé. Mais il a mis au service de cette intuition collective l’opiniâtreté de son analyse, et il a par là même dans certains domaines — celui de la Psychologie morbide en particulier — où il était presque inconnu, imposé ce principe avec une telle maîtrise qu’il en est résulté pour la pensée scientifique une orientation nouvelle. [p. 12]

C’est dans la clinique des Psychoses et des Névroses qu’on comprend clairement combien cet événement de la Psychanalyse correspond à un besoin. Tous les médecins amoureux de leur art et conscients de leur devoir humain, soupçonnent par exemple de quelle importance pour l’équilibre mental est l’évolution du besoin sexuel — d’abord simple impulsion organique endogène et égotiste, puis émotion sociale et altruiste. C’est, par exemple, à la puberté, dans cette période inquiète où s’effectue normalement la mystérieuse soudure de l’instinct physiologique brut et aveugle avec les mille émotions tendres, clairvoyantes et intellectuellement créatrices, que se déclare la maladie mentale, — préparée de longue main par les contingences malheureuses du premier développement affectif. Freud nous montre à cet instant critique les capitulations du sens sexuel devant les difficultés de l’adaptation sociale et l’installation plus ou moins définitive de tous les infantilismes sentimentaux. Plus tard, à tous les âges de la vie adulte, surviennent des déboires affectifs à l ‘occasion des péripéties de l’existence : deuils, déceptions, conflits entre la sensualité et le devoir moral, etc.

Alors la névrose réapparaît ou s’aggrave : C’est que l’individu dont les tendances intimes et profondes n’ont pas su se développer en harmonie avec le milieu, s’est créé une existence imaginaire intérieure, sorte de morphine économique qui lui a ouvert le paradis fallacieux de l’irréel. Et dès qu’une difficulté surgit dans sa vie sociale, il se réfugie par une régression à l’enfance, [p. 13] dans le rêve entrevu ; il le cultive et perd pied de plus en plus dans les vicissitudes de la réalité… Et ainsi, Freud nous fait pénétrer dans le prodigieux univers intérieur de la maladie mentale, insoupçonné du séméiologiste. Il nous révèle la richesse et l’étrangeté de ce Moi intime dont la façade sociale ne décèle rien ! Par là même, il fait le procès d’une Psychologie traditionnelle, imbue du préjugé intellectualiste, qui, construite d’après la sereine introspection de quelques philosophes sans contact avec la vie pratique, ignorait dans l’esprit humain jusqu’à la valeur de la volupté et de la souffrance, et oubliait dans la vie mentale de rechercher la personne humaine !

Reconstruite sous cet angle, la Psychologie pathologique apparaît, malgré les erreurs inévitables, comme singulièrement féconde. L’analyse psychologique n’a certes pas été inventée par Freud. Elle est née chez nous où elle a inspiré toute entière l’œuvre de P. Janet. Mais le Maître du Collège de France — dont la doctrine est beaucoup plus semblable qu’on ne le croit en France à celle de Freud, laquelle lui est postérieure et en dérive — ne pouvait avoir la témérité mystique de Freud. Aussi n’a-t-il pas pénétré dans l’exploration des Névroses au-delà de ce qui lui paraissait indispensable pour remonter du symptôme clinique aux causes biologiques traditionnelles de la maladie : l’altération cérébrale, agissant par l’intermédiaire des variations de la « Tension psychologique », énergie surtout motrice dont dépendrait la fonction du [p. 14] Réel. — Mais ainsi conçue par Janet, l’analyse psychologique ne pouvait conduire à un déterminisme très rigoureux des phénomènes morbides. Au contraire, conçue par Freud sur le plan de la vie affective et suivant le fil conducteur de l’évolution sexuelle, elle devait aboutir à cette hypothèse que tous les symptômes ont un sens : Cette phobie ridicule, cette étrange impulsion, cette hallucination en apparence indifférente, cette idée délirante, à première vue due au hasard de la lésion cérébrale sont, pour Freud, déterminées par des associations d’images aboutissant suivant un écheveau complexe, à des tendances affectives refoulées. Chaque symptôme est une allusion à des souffrances lointaines et secrètes. C’est de cette idée qu’est née la méthode de la Symbolique freudienne, fort aventureuse sans doute, fausse peut-être sur bien des points, mais à coup sûr féconde, parce qu’inspiratrice de recherches nouvelles.

La Symbolique scientifique consiste, on le sait, à expliquer l’image absurde du Rêve, les contradictions déconcertantes du caractère normal, mille étrangetés de la vie morale de chaque jour et surtout les symptômes énigmatiques de la Névrose et de la Folie en les supposant inspirés, dans leur réalisation concrète, par une intention inconsciente. En d’autres termes ces incohérences dont la Conscience s’étonne et dont elle ne peut saisir le sens, seraient des moyens détournés employés par les tendances affectives pour s’exprimer. Ainsi ce tic, cette contracture, cette idée obsédante seraient actionnés par un désir que le malade ne consent pas à [p. 15] accueillir dans son être moral, qu’il repousse de toutes les forces de son effroi, de sa pudeur ou de son scrupule, mais qui reste assez efficacement dangereux pour détraquer sa santé et se matérialiser en maladie.

De même pour le Rêve normal, dont voici un court exemple personnel et récent : La femme d’un officier de marine, personne parfaitement équilibrée, rêve une nuit qu’elle prend son repas seule, avec sa fillette et qu’elle mange de bon appétit des radis roses. Les détails lui rappellent que cela se passait à T…, ville de ses rêves. Or, son mari, dans la vie réelle, étant précisément menacé d’être désigné pour le Nord, elle cherche sincèrement depuis quelques jours à s’habituer malgré elle à cette fâcheuse éventualité pour le suivre par devoir. Les associations indiquent que les radis symbolisent dans l’esprit du sujet, non quelque hantise érotique — comme ne manqueraient pas de le faire les antifreudistes, à l’affût des plaisanteries les plus douteuses — mais les menus simples, à son goût personnel et réalisés sans aucun rite culinaire, qu’elle se fait lorsque, son mari étant absent, elle reste seule chez elle avec son enfant (4). Qui ne voit que ce rêve, à première vue sans signification, révèle le désir lointain et réprimé de quitter le mari s’il est désigné. pour une résidence désagréable ? [p. 16]

Mais on voit combien cet art délicat du Deviné est plein d’embûches ! Combien il est favorable à ce que nous avons appelé les « artifices de préparation psychologique » ! Il faut une grande subtilité d’esprit et un grand bon sens pour interpréter les symptômes et les rêves à la manière de Freud. Il faut surtout une très grande prudence dans les inductions qu’on en peut tirer ! Ainsi, l’analyste qui aurait conclu du rêve précédent que cette jeune femme n’aimait son mari que du bout des lèvres de sa conscience morale, aurait sottement jeté le trouble dans l’esprit de sa patiente, car des quantités d’autres rêves nous ont montré chez elle une vie non seulement amoureuse, mais conjugale des plus satisfaisantes…

Pour la Symbolique psychanalytique comme pour toutes les méthodes nouvelles, il faut donc attendre avant de se prononcer. Mais nul ne saurait nier cependant, à l’heure actuelle, que l’analyse des associations d’idées, des rêves, etc… ne soit au moins une occasion exceptionnellement favorable de connaître l’intimité morale d’un individu. Que le rêve réalise ou non des désirs, qu’il soit une intention ou une reviviscence désordonnée, un déterminisme rigoureux ou un certain hasard, il n’en est pas moins une mine inexplorée de découvertes concernant la structure de la pensée ; et son étude apparaît comme le meilleur moyen de nous faire une idée, par analogie, des lois qui président au mécanisme déroutant de la pensée morbide.

Quiconque ayant la pratique de la Psychiâtrie cherche, en effet, à analyser à la manière de Freud les [p. 17] détails, à première vue incompréhensibles, du contenu des Psychoses, ne peut que constater l’analogie évidente, déjà affirmée depuis l’antiquité, du Songe et du Délire. Mais s’il est guidé par son expérience analytique du rêve normal, le délire lui apparaît non plus comme la conséquence imprévisible d’une dislocation anarchique de l’esprit, mais comme le résultat d’une logique affective spéciale dont la connaissance peut dans certains cas donner la clef de la création morbide. L’aliéné se laisse alors comprendre du médecin ; il se révèle homme et non brute, entravé dans sa pensée claire et son affirmation sociale, mais non abêti et primitivement dément.

Dans les cas heureux, même, il arrive à comprendre que quelqu’un est entré dans son monde imaginaire et il finit par apprécier la douceur de cette sympathie revenue d’un univers lointain. Le psychiâtre devient peu à peu pour lui — malgré lui quelquefois — le sauveteur qui, après avoir descellé les murs étouffants de sa cellule morale, tente de le ramener à l’air libre de la réalité sociale et à la joie de vivre par les autres.

Certes, il ne faut pas être dupes des promesses trop magnifiques que renferme ce premier résultat de la Psychanalyse. Elle ne guérira jamais la Folie. — Mais elle a déjà obtenu, indiscutablement, de très beaux résultats thérapeutiques dans une branche de la Médecine où l’on avait depuis longtemps renoncé à faire autre chose que de la médecine vétérinaire. Pour notre part, nous avons, en nous inspirant de Freud, amélioré déjà beaucoup de psychopathes, — plus qu’avec [p. 18] toute autre méthode. Nous avons même guéri quelques malades dont nous n’aurions jamais, jadis, sous l’influence des idées médicales régnantes, pensé à prévoir même la possibilité d’un traitement — surtout moral ! Cela seul nous permet de dire, à nous praticien, qui avons eu la patience, malgré les critiques toujours passionnées et souvent ironiques, de contrôler par nous-mêmes ses enseignements sur les malades, que si Freud est un esprit faux, c’est tout de même aussi un grand médecin et un bienfaiteur de l’humanité.

Nous conclurons de ce qui précède que l’opinion française actuelle sur Freud est encore incertaine. Elle ne le connaît pas suffisamment, car la plupart de ceux qui en parlent n’ont jamais appliqué sérieusement sa méthode, faute de loisirs ou de patience. Elle ne lui sera jamais entièrement favorable, car, quoi qu’il en pense — et malgré ses études chez Charcot — le Maître de Vienne est resté, dans son œuvre, assez loin de l’esprit français. Et sous sa forme outrancière et naïve qui confond faits et Théorie, Doctrine et Méthode, la Psychanalyse ne séduira jamais que ceux qui auront le courage et la probité scientifique de l’expérimenter par eux-mêmes et de l’adapter à l’esprit de notre race.

En tout cas, la chose la plus certaine qu’on puisse conclure aujourd’hui du genre d’accueil très réservé qui se dessine chez nous de cette doctrine, c’est que les idées de Freud y agitent considérablement les esprits : II n’y a pas de meilleure preuve qu’il s’agit [p. 19] d’une Psychologie profondément humaine. Et une telle Psychologie aura sans nul doute une formidable répercussion sur la pensée contemporaine.

Dr HESNARD.

NOTES

(1) Régis et Besnard, « La Psychanalyse des Névroses et des Psychoses », Alcan, 1ère édit., 1914 ; 2e édit., 1922.

(2) Laignel-Lavastine. « La Médecine », février 1924.

(3) Huysmans. « En Rade ». (Plon-Nourrit, 1917, p. 150.).

(4) Rappelons à propos de cet exemple que le sens symbolique d’un souvenir de rêve n’est décelable que lorsqu’on connaît les associations qu’il éveille habituellement chez le sujet observé. C’est pour avoir méconnu cette affirmation de la psychologie qu’on s’est tant moqué de la Symbolique freudienne, en particulier des fameux symboles phalliques.

 

ANDRÉ BRETON (Les Pas Perdus) :
« Aux jeunes gens et aux esprits romanesques qui, parce que la mode est cet, hiver à la psycho-analyse, ont besoin de se figurer une des agences les plus prospères du rastaquouérisme moderne, le cabinet du Professeur Freud avec des appareils à transformer les lapins en chapeaux et le déterminisme bleu pour tout buvard, je ne suis pas fâché d’apprendre que le plus grand psychologue de ce temps habite une maison de médiocre apparence dans un quartier perdu de Vienne… »

 

 

 

 

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