L’espouvantable et prodigieuse vision des Fantosmes au nombre de douze mille advenues au Pays d’Angoulmois et veuz par les habitants de là en grande admiration. Paris, Heureux Blanvillain (Jouxte la copie imprimée à Périgueux), 1608, 1 vol. in-12.

L’espouvantable et prodigieuse vision des Fantosmes au nombre de douze mille advenues au Pays d’Angoulmois et veuz par les habitants de là en grande admiration. Paris, Heureux Blanvillain (Jouxte la copie imprimée à Périgueux), 1608, 1 vol. in-12.
Repris dans les « Bulletins et mémoires de la Société Archéologique et Historique de la Charente, année 1926-1927 », (Angoulême), Imprimerie Ouvrière, 1928, pp. CXVIII-CXX. [c’est sur ce document que nus avons effectué la reprise du texte.]
 [Références: Y.-P.: 515.]

[p. CXVIII]

L’ESPOUVANTABLE ET PRODIGIEUSE VISION
DES FANTOMES AU NOMBRE DE DOUZE MILLE
ADVENUS AU PAYS D’ANGOULMOIS & VEUX
PAR LES HARITANS DE LA, EN GBANDE ADMIRATION
A Paris, chez Heureux Bianvilain, rue Saint-Victor,
au trois Mores.
M D C VIII
Jouxte la coppie imprimée à Périgueux.

Comme Dieu a veu les hommes s’endurcir à ses promesses & menaces, comme l’enclume sous les marteaux du forgeron, il a eu recours à un arrest présidental qu’il a donné en son conseil Eternel, de mort & damnation éternelle. Il n’en reste plus que l’exécution, par les boureaux de sa haute justice. Dequoy il nous en a advertis en plusieurs manières, par sa parole à laquelle il y a conjoinct les signes & prodiges au ciel, en l’air, en terre, & en l’eau tous ces éléments portants gravez en leurs fronts les caractères de la colère de l’Eternel. Un chacun a creu, que la paix en laquelle Dieu mercy nous sommes, nous devait estre en bénédiction qu’elle nous devait apporter un prix modéré à toutes choses, & principalement aux vivres. Qui a jamais veu les marchandises à plus haut prix ? quoy que tout le monde traficque ? Qui est celui qui ne souspire tous les ans voyant une récolte si petite, de [p. CXIX] bleds, & de vins, avec une si grande cherté ? combien que toutes les terres soient aujourd’hui labourées, & les plaines montagnes couvertes de bestail pour mieux les engraisser, pour cela elles n’en sont plus fertiles, ny la viande à meilleur marché. De sorte qu’il semble, que la nature se veut démentir elle-mesme touchant l’entretien du genre humain.

Que nous signfient aussi tant de prodiges qui paraissent à tous momens ? la Comète l’an passé au mois d’Octobre l’espace de trois mois ? l’hyver dernier si furieux qui a causé la mort en plusieurs pays à cent mille âmes en apparence avant terme ? Que dirons-nous du desbordement furieux & prodigieux de la rivière la Loyre ? qui a ravagé les terres, saccagé les maisons, desmoly les chasteaux, emporté les ponts, qui a causé la mort à plusieurs milliers d’hommes, de femmes & de petits enfans ; qui ont esté enveloppez inopinément par la fureur de ses ondes, sans pouvoir recevoir secours quelconque, que par la mort qu’ils ont soufferte pour ‘e plus prompt remède en leur extresme affliction. Et n’osant passer plus avant dans ces goufres impitoyabtes dont il y a un discours à part.

Serafino Macchiati – Le visionnaire (1904)

Je viens vous réciter comment au pays d’Angoulmois, il a esté veu une vision espouvantable de spectres et fantosmes, il y a environ deux mois seulement en cet an mil six cents huit. Cette vision parut en plein jour & fort clair partout, fors en ce quartier où vers le ciel paraissayent assez grand nombre de petits nuaux qui descendirent en terre, de quoy se formaient comme des hommes, on pouvait estimer le nombre jusques à douze mille.

Ils estoient tous grands et beaux hommes armez d’armes bleuës, ils avoyent des enseignes lesquelles estoient demy bleues et demy rouges, a demy desployes, les tambours avaient leur caisses sur l’espaule comme prest à battre. Il y avait un chef qui estoit d’une [p. CXX] grande apparence lequel marchait à la teste de cette armée environ dix pas devant elle marchait en grande haste tenant un ordre comme gents de guerre à travers les champs ; néanmoins elle estait divisée en bandes & troupes, chose qui fut fort espouvantable à tous ceux qui veirent cette vision, & dont plusieurs paysants prindrent tellement l’alarme, que croyant cette armée estre véritablement, des hommes de guerre, furent à leurs maisons pour emporter aux chasteaux voisins, ce qu’ils avaient, de plus cher. Plusieurs gentils-hommes montèrent à cheval pour recognoistre cela & les suivirent, ils remarquèrent que cette armée s’approchant d’un bois taillis pour le passer & pour ne rompre point leur ordre, ils s’enlevèrent tous par dessus le bois, & touchaient des pieds la fueille des arbres, puis furent veux ayant passé le boys encores a terre cheminans jusques vers une forest, où toujours la Noblesse du pays les suyvait pour sçavoir ce qu’ils deviendraient. Enfin ils entrèrent dans cette forest où ils se perdirent tous, & depuis ne parurent plus. Jugez messieurs que peut prédire ces spectres, ces symboles de guerre car ils semblaient à une armée qui se haste d’aller en quelque expédition notable ou pour faire quelque ravage en pays d’ennemy. Les naturalistes perdent en cecy leur escrime. Il faut donc dire que c’est une chose supernaturelle, ou le sens & la raison humaine ne voit goutte par les raisons & maximes de Physique. De tout cecy plus de trois cents personnes de qualité l’ont certifié par escrit & signé de leur main, lequel ils ont envoyé au Roy.

(Bibliothèque nationale : L2K – 109.)

 

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