Les sorciers de village et la suggestion. Par Gérard Encausse. 1891.

ENCAUSSESORCIERS0001Gérard Encausse. Les sorciers de village et la suggestion. Article paru dans les « Annales de psychiatrie et d’hypnologie dans ses rapports avec la psychologie et la médecine légale », (Paris), 2e série, 1891, pp. 176-178.

Gérard Anaclet Vincent Encausse [1865-1916]. Plus connu sous son pseudonyme de Papus, et plus connu comme occultiste que comme médecin. Elève de l’aliéniste Jules Luys à l’hôpital de la Charité à Paris, il soutint sa thèse en 1894. Figure pittoresque du début du XIXe siècle, il sut alimenter les polémiques autour de lui et ainsi se faire une place dans les plus importantes des sociétés savantes. Nous renvoyons aux différentes études le concernant et particuli§ement à celle que fit son fils, Philippe Encausse, Papus, sa vie, son œuvre, Paris, Ed. Pythagore, 1932. Nous signalerons parmi les très nombreuses publications les suivantes :
— Du Traitement externe et psychique des maladies nerveuses, aimants et couronnes magnétiques – miroirs – traitement diététique – hypnotisme – suggestion – transferts. Paris, Chamuel, 1897. 1 vol., in-8°.
— La Magie et L’hypnose. Recueil de faits et d’expériences justifiant et prouvant Les enseignements de l’Occultisme Avec 8 planches photoglypiques. Paris, Chamuel, 1897. 1 vol. in-8°.
— Le Diable et l’Occultisme, réponse aux publications « Satanistes ». Paris, Chamuel, 1895. 1 vol. in-8°.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 176]

Les sorciers de village
et la suggestion.

par Gérard Encausse,
Chef du laboratoire hypnotique de la Charté.

Parmi les malades traités au laboratoire de la Charité, se sont trouvés deux cas assez curieux qui révèlent l’influence que peuvent avoir certains individus de la campagne sur des sujets quelque peu émotifs.
Lorsqu’on parle de ces sorciers de village, de ces rebouteurs, de ces bonnes femmes, représentants de ces sciences occultes aujourd’hui oubliées, la première tendance est de rire et de ne tenir aucun compte des mille faits colportés de chaumière en chaumière, et grossis par l’imagination des narrateurs.
Il y aurait pourtant une curieuse étude à faire sur les suggestions, accompagnées de paroles bizarres, qui sont la cause véritable de la plupart des actions de ces magiciens au petit pied. — Ces suggestions n’ont d’effet que sur les êtres émotifs, et toute personne qui se moque du “sorcier” échappe de ce fait à son influence, quoi qu’en disent les partisans à outrance de la suggestion à l’état de veille et de son action universel1e.

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John Martin – Manfred et la sorcière alpestre.

Les deux malades dont il s’agit sont des hystériques chez lesquelles, du reste, aucun accident ne s’était déclaré jusqu’à l’époque où la suggestion fut donnée.
La première de ces malades, Elisa C…, nous fut amenée le 11 décembre par une parente qui avait consultée à ce sujet de nombreux médecins, qui avaient fait divers traitements, le tout sans aucun résultat.
La malade, âgée de 18 sns, avait une contracture persistante du bras droit d’origine purement hystérique.
Mise devant Ie miroir rotatif, elle ne tarda pas à être fascinée et, dès lors, on put combiner Ie traitement par les transferts avec le traitement par la suggestion. Sous cette double influence, la contraction du bras disparaît au bout du quatrième jour de traitement.
Mais, dans la nuit du 4e au 5e jour, la malade devient subitement muette. — Nous pensons venir facilement à bout de ce mutisme par l’emploi de la suggestion. Mais ce fut en vain que nous essayâmes deux jours de suite divers procédés de suggestion. Tout échoua. [p. 177]
C’est alors que l’idée nous vint que la malade était dominée par une suggestion antérieure inconnue de nous et qui détruisait notre action au fur et à mesure des résultats obtenus. Le mutisme persistant pour empêchait d’interroger la malade. Nous eûmes recours à un subterfuge expérimental.
Nous étant assurés que toutes les suggestions étaient exécutées par la malade, sauf celle qui avait trait à sa maladie, nous suggérâmes (le sujet étant en période de somnambulisme lucide) que la personne qui avait fait le mal était là devant elle et nous montrions en même temps un des élèves du laboratoire.
La figure de la malade prit de suite une expression de fureur très accentuée, et c’est avec grand’peine que l’auteur supposé de l’état actuel du sujet put s’approcher et ordonner d’une voix forte à la jeune fille d’être guérie de suite, ce qui fut fait sur l’heure.
Du dialogue qui s’engagea entre les deux interlocuteurs, nous pûmes déduire les faits suivants :
La jeune malade était fille d’un homme considéré dans le village comme un peu sorcier. Le jour où elle vint à Paris, emmené par ses maîtres, son père, pris d’une violente colère, la maudit en lui disant :
« À partir d’aujourd’hui, tu seras toujours malade, et nul que moi ne pourra te guérir. »
Jusque-là, jamais elle n’avait été malade, jamais elle n’avait eu de crise d’hystérie, ni d’accidents neuropathiques quelconques. Cette scène, comme on pense, la frappa vivement. Elle partit, et quelques jours après, la contraction du bras se déclarait.
On comprend facilement pourquoi, dès que cette contraction fut guérie, une autre affection se déclarait. Les paroles du père avaient agi comme une véritable suggestion.
Connaissant cette histoire, il nous fut facile de tout faire cesser. Le père supposé, créé par notre action suggestive, déclara cesser sa malédiction et pardonna à sa fille. Il répéta ce pardon quand le sujet fut éveillé, et dès ce moment, tous les accidents cessèrent.

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L’histoire de l’autre malade rentre également dans la même catégorie.
Adolphine F., 27 ans, mariés depuis l’âge de 18 ans, nous fut amenée le 7 septembre 1890. [p. 177]
Elle aurait été subitement atteinte chez elle d’accidents neuropathiqnes intenses, crises d’étouffements, douleurs su­bites, attaques d’hysterie, etc., etc.
Elle avait été traitée au moyen du bromure, même à hautes doses, de la valériane, du chloral, etc., rien n’avait réussi.
Le traitement par les transferts seuls eut raison très facilement de tous ces accidents et, moins de 15 jours après le début de ce traitement, la malade de retournait chez elle guérie. Malgré toutes nos demandes, il nous avait été impossible de trouver la cause de la maladie, et nous avions bien affaire à une nerveuse, quelque peu émotive ; mais cela ne suffit pas pour établir l’étiologie d’accident aussi subits.
Le 11 décembre 1890, la malade revint nous voir, atteinte encore une fois, des mêmes symptômes. Un interrogatoire minutieux l’amena à avouer qu’elle se faisait quelquefois traiter, dans son pays, par une femme qui passait pour sorcières. Cette femme lui avait un jour dit, dans un moment de colère, qu’elle serait toujours malade dès ce moment, et qu’aucun médecin ne pourrait la guérir. La colère de la sorcière était causée par le refus d’une petite somme d’argent de la part de la malade. On a vu qu’elles avaient été les résultats de cette véritable suggestion.
Un nouveau traitement suggestif approprié à cette singulière étiologie, eut raison de la maladie qui est aujourd’hui complètement guérie – au grand scandale de la « sorcière », paraît-il.

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En somme, il y a une question sur laquelle on passe souvent avec trop de dédain.
Les récents travaux de notre maître, le Dr Luys, éclair d’un jour tout nouveau les actions de ces empiriques, dont la suggestion peut être portée par des objets divers (talisman, pacte, etc.) comme un état neurologique est porté par une couronne aimantée. – Et qui aurait lieu de différencier les cas où ces hypnotiseurs de village font œuvre utile d’avec ceux où ils sont passibles des peines édictées par la loi contre les gens qui extorque, par la menace, l’argent de leurs victimes.
Ces deux observations montrent de plus de quelle utilité est la recherche de l’étiologie dans ces accidents neuropathiques qui se déclarant subitement chez des sujets jusque-là parfaitement bien portants ou à peine émotifs.

Gérard Encausse

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