Les possédées de Morzine. Nouveaux faits d’un caractère émouvant. Réflexions. Par Z.-J. Piérart. 1864.

PIERARTMORZINE0003Z. Piérart. Les possédées de Morzine, nouveaux faits d’un caractère émouvant. Réflexions. racle parut dans la « Revue spiritualiste », (Paris), 5e livraison, 1861, pp. 129-135.

Cet article est attribué à tort, par Yve-Plessis, n° 767 de son Essai d’une bibliographie française méthodique et raisonnée de la Sorcellerie et de la Possession démoniaque (1900),  à Charles Lafontaine. Certes ce dernier y est cité et comporte une longue reprise de l’article paru dans le Magnétiseur de Genève, mais l’ensemble est bien de Z.-J. Piérart.

Article extrait de : Revue Spiritualiste, Journal mensuel et bi-mensuel, principalement consacré à l’étude des facultés de l’âme, a la démonstration de son immortalité et à la preuve de la série non interrompue des révélations et de l’intervention constante de la Providence dans les destinées de l’humanité, par l’examen raisonné De tous les genres de manifestations médianimiques et de phénomènes psychiques présents ou passés et des diverses doctrines de la philosophie de l’histoire envisagée au point de vue du progrès continu. Rédigé par une société de spiritualistes, et publié par Z. Piérart,  Paris, Année 1864, 5e livraison, pp.126-139.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 129]

REVUE SPIRITUALISTE

ANNÉE — 1861 — 5e LIVRAISON.

SOMMATRE. – Les possédées de Morzine, nouveaux faits d’un caractère émouvant. Réflexions. – Etudes critiques sur la Bible et le Nouveau Testament, par Michel Nicolas. – Maison hantée à Smyrne ; deux jeunes médiums dont les facultés sont mal à proposattribuées à l’électricité. – Vision, poésie médianimique. – Maison hantée, bruita mystérieux à Riga. – Manifestations physiques d’Esprits à Rodez, qui, vont encore faire beaucoup d’honneur à la puissance du diable. –Fait de somnambulisme naturel fort remarquable.

PIERARTMORZINE0001

LES POSSÉDÉES DE MORZINE.

NOUVRAUX FAITS D’UN CARACTÈRE ÉMOUVANT. RÉFLEXIONS.

Un des plus remarquables faits spiritualistes qui existent, fait douloureux en lui-même, mais qui n’en est pas moins un de ceux qui sont de nature à renverser le plus les arguments de l’incrédulité, est sans contredit le phénomène fameux appelé possession démoniaque. Nous nous sommes déjà plusieurs fois expliqué sur cette affection terrible, ses causes, son caractère, ses phases diverses, ses moyens curatifs. Les six précédentsvolumes de notre Revue renferment de nombreux articles à ce sujet ; on n’a qu’à y recourir. L’antiquité, le moyen Age, nous ont offert de fréquents exemples de possessions spirituelles, autrement dites démoniaques ; nous en avons eu des exemples sous nos yeux, et, s’il ne nous répugnait extrêmement de parler [p. 130] de nous-même, des cures que nous avons obtenues, des bien faits magnétiques que nous avons produits, de l’action spirituelle que nous avons plusieurs fois exercée, nous citerions des faits récents qui montreraient que nous connaissons parfaitement cette maladie, ses causes, ses particularités diverses, et les moyens à l’aide desquels un homme convaincu peut arriverà en triompher. Mais nous préférons plutôt parler des autres que de nous. Nous dirons donc aux sceptiques, aux matérialistes, que le phénomène de la possession dite démoniaque est une vérité aussi ancienne, aussi universelle que le monde, trop souvent méconnue, hélas ! de nos Esculapes modernes. Quand ils accepteront cette vérité, quand ils étudieront les faits dans leur immense variété, alors la médecine aliéniste aura fait un grand pas. Sans doute, alors, on verra cette médecine employer moins de douches, moins de saignées, moins de camisoles de force et de séquestrations cellulaires, en un mot, moins de moyens physiques, pour des maladies d’un ordre tout spirituel. A des maladies morales, on opposera des remèdes moraux, psychiques : la prière, l’exorcisme rationnel, c’est-à-dire l’action d’une âme, d’une volonté pure et bienveillante, sur une organisation psychique perturbée ; celle de la musique, du magnétisme ; de douces distractions, de judicieux et bienveillants contacts au sein de l’air pur et libre de la campagne, sur les pelouses, au bord des clairs ruisseaux d’hospitaliers refuges. Les anciens, David avec sa harpe, Jésus-Christ, ses plus fervents disciples, nous ont enseigné la salutaire influence de quelques-uns de ces moyens. Un digne philanthrope de nos jours, l’aliéniste Joseph Tissot, le pieux Blumenhardt en son établissement de Heilbronn, Wurtemberg (1), ont montré tout l’effet qu’on pouvait attendre des autres moyens. Mais les possessions n’existent pas, disent les matérialistes : c’était bon pour les intelligences crédules du moyen âge que de croire à ces [p. 131] stupidités; nous n’y croyons pas, malgré des millions de faits et de témoignages passés, parce que, quand il s’agit de choses aussi insolites, il nous faut des faits actuels que nous puissions vérifier. A ces incrédules il a fallu citer les phénomènes très-actuels et persévérants qui se passent dans les bourgs de Josselin, en Bretagne, et de Morzine, en Savoie. Quelques-uns y sont allés, et ils ont été bien embarrassés de conclure : témoin le directeur d’un de nos hospices d’aliénés de Paris, qui fut délégué à Morzine par le ministre de l’intérieur, et qui a pris soin de ne point du tout publier son rapport. D’autres médecins, tout en constatant que la possession de Morzine n’avait rien de commun avec aucun genre d’épilepsie et d’hystérie, ne l’en ont pas moins appelée une hystéro-démonie. Ils ont dit qu’en séparant les malades, en agissant sur eux par la menace, la crainte, la négation des agents démoniaques de leur maladie, on en viendrait à bout. Tout cela a été fait : les malades ont été séparés, calmés, soignés, menacés, soumis aux enseignements, aux négations de la médecine matérialiste. Cela n’a pas empêché le mal de reparaître plus intense que jamais, et il est là, toujours debout, se dressant comme si la Providence voulait par son moyen donner un solennel démenti au tout-puissant scepticisme de la science officielle. Nous parlerons bientôt de nouveau avec détail de celte fameuse possession de Morzine dont les journaux viennent d’entretenir dernièrement le public. Tout ce que nous pouvons faire aujourd’hui, c’est d’emprunter à ce sujet, au Magnétiseur de Genève, l’article qu’on va lire.

« L’épidémie de Morzine et les hameaux voisins, situés au milieu des montagnes de la Haute-Savoie, n’a pas encore cessé ses ravages. Le gouvernement français, depuis que la Savoie lui appartient, s’en est ému. Il a envoyé sur les lieux des hommes spéciaux, intelligents et capables, inspecteurs des maisons d’aliénés, etc., pour étudier la nature et observer la marche de cette maladie. Ils sont pris quelques mesures, ils ont essayé du déplacement ; [p. 132] ils ont fait transporter ces filles malades à Chambéry, à Annecy, à Evian, à Thonon, etc., mais les résultats de ces tentatives n’ont point été satisfaisants ; malgré les traitements médicaux qu’on a jugé convenable d’y joindre, les guérisons ont été peu nombreuses ; et lorsque les malheureuses filles sont revenues au pays, elles sont retombées dans le même état de souffrance. Après avoir atteint d’abord les enfants, les jeunes filles, cette épidémie s’est étendue aux mères de famille et aux femmes âgées. Peu d’hommes en ont ressenti l’influence ; cependant il en est un auquel elle a coûté la vie. Ce malheureux s’était glissé dans un espace étroit, entre un poêle et un mur, d’où il prétendait ne pouvoir sortir ; il est resté là pendant un mois, sans vouloir prendre aucune nourriture ; il y est mort d’épuisement et d’inanition, victime de son imagination frappée.
« Les envoyés du gouvernement français ont fait des rapports dans l’un desquels M. Constant, entre autres, déclarait que le petit nombre des guérisons accomplies chez, cette population dû au magnétisme employé par moi à Genève sur les filles et sur, les femmes qu’on m’avait amenées en 1858 et 1859.

Pouvoir veule.

Pouvoir veule.

Nos lecteurs savent que ce fléau, attribué par les bons paysans de Morzine, et, ce qui est le plus fâcheux, par leurs conducteurs spirituels, à la puissance du démon, se manifeste qu’il saisit par des convulsions violentes, accompagnées de cris, de maux d’estomac et des faits de la plus étonnante gymnastique, sans parler des jurements et autres procédés scandaleux dont les malades se rendent coupables sitôt qu’on les contraint à entrer dans une église.

« Nous sommes parvenus à guérir plusieurs de ces malades, qui n’ont subi aucune autre attaque tant qu’ils ont habité loin des influences fâcheuse de la contagion et des esprits frappés de leur pays ; mais à Morzine le mal horrible n’a pas cessé de faire des ravages parmi cette malheureuse population, et le nombre de ses victimes est au contraire allé croissant. En vain a-t-on prodigué les prières et les exorcismes, en vain a-t-on transporté [p. 133] les malades dans les hôpitaux de différentes villes éloignées : – le fléau qui s’attaque en général aux jeunes filles, dont l’imagination est plus vive, s’est acharné sur sa proie, et les seules guérisons que l’on ait pu constater sont celles que nous avons opérées et dont nous avons rendu compte dans les numéros précités de notre journal.
« Enfin, à bout de moyens, on a voulu tenter un grand coup : Monseigneur Magnin, évêque d’Annecy, fit annoncer dernièrement qu’il se rendrait à Morzine, tant pour confirmer ceux des habitants qui n’avaient pas encore reçu ce sacrement que pour aviser aux moyens de vaincre la terrible maladie. Les bonnes gens du village espéraient merveille de cette visite.
« Elle a eu lieu samedi 30 avril et dimanche 1er mai, et voici les circonstances qui l’ont signalée.
« Samedi, vers quatre heures, le prélat s’est approché du village. Il était à cheval, accompagné d’un grand nombre d’ecclésiastiques. On avait cherché à réunir les malades dans l’église ; beaucoup s’y étaient refusés ; on en avait contraint quelques-unes à s’y rendre. « Dès que l’évêque eut mis le pied sur les terres de Morzine, »dit un témoin oculaire, « les possédées, sentant qu’il s’approchait, furent saisies des convulsions les plus violentes ; et en particulier, celles qui étaient renfermées dans l’église poussèrent des cris et des hurlements qui n’avaient rien d’humain. Toutes les jeunes filles qui, à diverses époques, avaient été atteintes de la maladie, en subirent le retour, et l’on en vit plusieurs, qui depuis cinq ans n’en avaient ressenti aucune atteinte, tomber en proie au paroxysme le plus effrayant de ces horribles crises. » L’évêque lui-même pâlit à l’ouïe des hurlements qui accueillirent son arrivée ; néanmoins, il continua à s’avancer vers l’église, malgré les vociférations de quelques malades, qui avaient échappé aux mains de leurs gardiens pour s’élancer au-devant de lui et l’injurier. Il mit pied à terre à la porte du temple et y pénétra avec dignité. Mais à peine [p. 134] y fut-il entré que le désordre redoubla ; ce fut alors une scène véritablement infernale.

Les possédées, au nombre d’environ 70, avec un seul jeune homme, juraient, rugissaient, bondissaient en tous sens ; cela dura plusieurs heures, et lorsque le prélat voulut procéder à la confirmation, leur fureur redoubla, s’il est possible ; on dut les trainer près de l’autel ; sept, huit hommes durent plusieurs fois réunir leurs efforts pour vaincre la résistance de quelques-unes ; les gendarmes leur prêtèrent main-forte. L’évêque devait partir à 4 heures ; à 7 heures du soir, il était encore dans l’église,où l’on ne pouvait venir à bout de lui amener trois malades ; on parvint à en trainer deux, haletantes, l’écume à la bouche, le blasphème aux lèvres, jusqu’aux pieds du prélat ; – la dernière résista à tous les efforts ; l’évêque, brisé de fatigue et d’émotion,dut renoncer à lui imposer les mains : il sortit de l’église, tremblant, bouleversé, les jambes couvertes de contusions reçues des possédées, tandis qu’elles se démenaient sous sa bénédiction.

Il quitta le village en laissant aux habitants de bonnes paroles, mais sans leur cacher l’impression profonde de stupeur qu’il avait éprouvée en présence d’un mal qu’il ne pouvait se représenter aussi grand. – Il termina en avouant « qu’il nes’était pas trouvé assez fort pour conjurer la plaie qu’il était venu guérir, et en promettant de revenir au plus tôt, muni de pouvoirs plus étendus. »

Nous ne faisons aujourd’hui aucune réflexion ; nous nous bornons à relater ces faits déplorables. Peut-être dirons-nous, dans le prochain numéro, tout ce qu’ils ont provoqué de pénible en nous.

Ch. LAFONTAINE.

Mahlon Blaine.

Mahlon Blaine.

Nous croyons avec M. Lafontaine, et cela d’autant plus parce que nous l’avons expérimenté nous-même, que le magnétisme [p. 135] est un des meilleurs agents de guérison qui puisse être employé dans cette affreuse maladie. Mais il n’est pas le seul, et, dans beaucoup de cas, il ne serait pas suffisant. Il faudrait d’abord an préalable recommencer à Morzine ce qui a été fait, c’est-à-dire arracher les malades du foyer de l’épidémie, qui, cet aveu dût-il faire sourire les sceptiques, nous parait être un lieu hanté. Ceux qui suivent nos études savent ce que ce mot signifie. Il faudrait de plus, comme nous l’avons dit plus haut, de douces distractions, de judicieuses fréquentations, de bienveillants contacts, le chant, la musique, la prière, enfin tout ce qui constitue le magnétisme moral ou véritable exorcisme. Nous comprenons l’exorcisme comme action d’une âme pure, armée d’une volonté forte, bienveillante et soutenue, et non comme le résultat ·de vaines prières, de cérémonies accomplies d’après un rituel, des formules d’où ces qualités seraient absentes. Les apôtres avaient voulu guérir un possédé en opérant de la même manière que Jésus, et ils n’y purent parvenir. C’est à cause du peu de force de votre foi, leur dit le divin thaumaturge. On pourrait en dire autant des exorcistes de notre sacerdoce moderne. Il leur manque souvent ce qui faisait la force des purs croyants. Ajoutez à cela que le genre d’exorcisme employé à Morzine a été loin d’être judicieux. Pourquoi en avoir fait une cérémonie publique, solennelle, une espèce de parade qui impressionne des imaginations déjà trop frappées, qui s’annonce comme une espèce de duel public entre l’exorciste et l’Esprit possesseur ! L’exorcisme devrait être solitaire, mental, et s’exercer à l’insu du malade. Il doit résulter d’une forte volonté supérieurement morale, parlant tacitement à la volonté perverse qui a envahi l’âme du possédé. Il doit être individuel. Nous ne comprenons l’exorcisme collectif et public, l’exorcisme tel qu’il s’est exercé plusieurs fois dans l’église de Morzine par des ecclésiastiques, que comme une chose peu réfléchie, regrettable, fâcheuse de tout point.

Nous aurions d’autres remèdes à signaler, si l’espace nous était donné pour nous étendre davantage ici sur cette grave affaire. [p. 136] Nous aurions peut-être à parler de vérités semblables à celles qui résultent des faits cités par nous dans la Revue spiritualiste, t.1. p. 107, t. Il, p. 232, vérités dont l’énoncé ferait sans doute rire aux éclats la science matérialiste, dont nous avons ri nous même autrefois, et dont nous ne rions plus du tout aujourd’hui.

Le mariage, un lien conjugal suffisant, accepté, aimé, nous semble dans beaucoup de cas de possession de jeunes filles, de femmes, un excellent remède, et sous ce rapport nous ne pouvons que nous rallier à ce qu’a dit dans la brochure intitulée Les Diables de Morzine, M. Chiaria, un des médecins qui sont allés étudier la triste démonopathie qui désole en ce moment la Savoie. Ce médecin, disant que le mariage, des rapports de sexe avaient été un salutaire remède dans une foule de cas de possessions anciennes, surtout dans celles qui s’étaient si fréquemment déclarées au sein des couvents de femmes, cite à cet égard le docteur Esquirol, qui a indiqué le veuvage comme une cause, efficiente de cette maladie ; il mentionne aussi l’aveu du docteur Marc Dunan, qui, parlant de la démonomanie de Loudun dans un ouvrage publié à l’époque où elle apparut, avoue « qu’il conviendrait que de tels esprits ne s’adonnassent pas à la vie solitaire et religieuse, car la fréquentation ordinaire des hommes leur pourrait servir de préservatif contre de tels maux. « A celai le docteur Chiaria rappelle que dans l’épidémie dite des Nonnains, l’une des plus célèbres que l’on ait vues en Allemagne, on eut aussi recours au mariage pour mettre fin aux désordres des convulsionnaires, lesquelles, d’ailleurs, guidées par l’instinct du mal, avaient commencé à se traiter elles-mêmes en faisant passer des jeunes gens, la nuit, par-dessus les murs de leur couvent.

Le docteur Chiaria, devant ces faits, a été porté à écrire les lignes suivantes :
« Morzine passe pour un pays très moral, où la débauche est presque inconnue. Par une habitude déjà ancienne, les filles ne se marient qu’à l’âge de 25 à 30 ans ; les jeunes femmes, [p. 137] comme on le sait, restent séparées de leurs maris une grande partie de l’année. Ces faits, je les livre sans commentaires. »

Z.-J. PIERART.

(1) Voyez Revue spiritualiste, t. l, p. 215.

 PIERARTMORZINE0001Le couvent.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE