Les phénomènes télépathiques. Par Ferdinand Lodiel, S. J. 1900.

LODIELTELEPATHIE0003Ferdinand Lodiel, S. J. Les phénomènes télépathiques. Article parut dans la revue « Etudes, publiées par les pères de la Compagnie de Jésus », (Paris), 37e année, tome 85e de la collection, 5 octobre 1900, pp. 49-76.

Un texte curieux, écrit par un prêtre qui défend l’existence de la télépathie qu’il explique « divinement », et qui hésite entre la réalité du spiritisme et ses aspects démoniaques…

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé quelques fautes de typographie.
 – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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LES PHÉNOMÈNES TÉLÉPATHIQUES

Dans le passé, comme aujourd’hui, on a souvent parlé de pressentiments, de visions qui annonçaient des événements futurs, ou arrivés au moment même à grande distance. Mais généralement on regardait ces récits comme des fables, et leur objet comme des hallucinations sans valeur. Depuis quelques années, l’attention des savants a été éveillée par des témoignages plus précis, et un grand nombre de faits analogues à ceux qu’on rejetait avec dédain ont été constatés d’une manière scientifique. En France, les Annales des sciences psychiques recueillent, depuis dix ans, des manifestations de ce genre ; l’Italie s’en occupe plus encore, et depuis six ans, une revue mensuelle, la Rivista dei studii psychici, a publié de nombreux documents au sujet de ces phénomènes. La Civiltà cattolica, dont on sait la haute valeur, a consacré dernièrement plusieurs articles à l’étude de ces informations singulières.

Mais en Angleterre surtout, on s’est livré avec ardeur à la recherche des faits et . de leur explication. Il s’y est formé dans ce but une société qui compte parmi ses membres les hommes les plus connus par leur savoir ; et, dans un bulletin spécial. ils ont fait connaître le résultat de leur enquête (Proceedings of the Society for psychical researchs). Vers 1890, un précieux recueil de ces phénomènes fut publié à Londres par MM. Gurney, Myers et Podmore (Phantasms of the living) ; il a été en partie traduit en français par L. Marillier, sous un titre singulièrement modifié : les Hallucinations télépathiques

l\L Richet, directeur de la Revue scientifique (Revue rose), en donne un compte rendu (20 décembre 1890). Malgré ses idées positivistes, il ne craignit pas de dire : « C’est un ouvrage vraiment scientifique ;… certains cas bien complets, bien démonstratifs ont été recueillis ;… le long et patient travail de MM. Gurney, etc., a consisté dans la collection des [p. 50] témoignages, la vérification des faits, la constatation des dates et des lieux par des documents officiels… Le résultat a été excellent ; des faits indiscutables ont été rapportés. »

Une foule de savants de toute croyance religieuse, de toute opinion philosophique partagent ce jugement de M. Richet.

Voilà donc une question nouvelle qui s’impose à l’attention de tous, et il y a quelque intérêt à connaitre ces manifestations, à voir ce qu’elles signifient.

Nous en rapporterons quelques-unes, et nous dirons ensuite quelques mots des systèmes proposés pour les expliquer.

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I.  — LES FAITS

Pour éviter toute controverse théologique, MM. Gurney, Myers et Podmore ont voulu recueillir surtout les apparitions des personnes vivantes (Phantasms of the living) ; mais dans un grand nombre de leurs récits, nous trouvons l’annonce de la mort d’un parent, d’un ami…

Mme Storie, d’Édimbourg, voit en rêve un chemin de fer et la vapeur qui s’échappe de la locomotive, puis son frère étendu sur le sol, les yeux fermés ; la machine était près de sa tête : « Elle va le frapper », s’écrie la dame pleine d’angoisse. « Eh bien, oui ! » lui répond quelqu’un ; et elle vit son frère évanoui, les yeux roulant dans leur orbite, puis la vision disparut. On prit des renseignements au plus vite, et l’on apprit qu’en effet le frère de cette dame avait été écrasé par un train de chemin de fer ; on sut même que la locomotive avait une forme nouvelle, telle que la dame l’avait aperçue en songe (1).

Une autre dame connut par une vision semblable la mort de son fils : « Il s’est noyé la nuit dernière, dit-elle, comme il se rendait à bord ; pendant qu’il traversait la planche, il a glissé, je l’ai vu, je l’ai entendu dire : « Oh! Mère ! » Le narrateur du fait et d’autres témoins sont sûrs que la vision de Mme B… et le récit de l’agent qui rapporta la cause et la date de l’accident étaient parfaitement d’accord (2). [p. 51]

Dans le premier volume publié par la société anglaise (for psychical research), on raconte le fait suivant :

En 1855, pendant la guerre de Crimée, le capitaine G. F. Colt, dont le frère Oliver se trouvait au siège de Sébastopol, eut cette vision : « Dans la nuit du 8 septembre, dit-il, je fus brusquement éveillé, et je vis en face de la fenêtre de ma chambre, près de mon lit, mon frère à genoux. Je crus d’abord à une illusion causée par les reflets de la lune, mais je vis de nouveau mon frère me regardant d’un air affectueux, triste et suppliant. Je me levai pour regarder à la fenêtre : nul clair de lune ; il faisait noir, et la pluie battait les vitres avec force. Me retournant alors, je vis encore mon pauvre frère Oliver, l’air triste, et suppliant, et pour la première fois je remarquai sur sa tête, à la tempe droite, une blessure d’où s’échappait un flot de sang : son visage était pâle comme de la cire ; c’est une vision que je n’oublierai jamais. » Quinze jours plus tard, des nouvelles venues de Crimée confirmèrent les prévisions du capitaine : Oliver Colt avait été tué à l’attaque du redan, frappé d’une balle à la tempe droite, et trente-six heures après, on l’avait retrouvé comme agenouillé au milieu d’un monceau de cadavres (3).

Les Annales des sciences psychiques, 1891, rapportent un fait semblable arrivé pendant la guerre du Mexique. L’auteur du récit, M. Gustave Dubois, voyait souvent la mère d’un jeune officier, M. Escourrou, parti pour cette expédition. « Un jour, raconte-t-il, je trouvai cette dame toute en larmes :Ah ! me dit-elle, j’ai de cruels pressentiments ! Je dois perdre mon fils ! Ce matin, entrant dans la chambre où se trouve son portrait, pour le saluer comme chaque jour, j’ai vu, bien vu un de ses yeux crevés, et le sang coulant sur son visage ; ils ont tué mon fils ! » Peu de temps après, en effet, on apprit la mort du capitaine Escourrou, tué au siège de Puebla. Quelques semaines plus tard, le sergent-major de sa compagnie, de retour en France, raconta que cet officier montant à l’assaut, avait été frappé d’une halle qui, pénétrant dans l’œil gauche, l’avait tué sans qu’il pût pousser un cri.

M. Dariex, directeur des Annales des sciences psychiques [p. 52] vit à deux reprises Mme Escourrou qui, spontanément, lui raconta cette singulière vision. Le frère du capitaine ajoute qu’elle eut lieu le 29 mars 1863, précisément le jour où cet officier mourait au siège de Puebla (4).

Le récit suivant nous offre l’expression saisissante d’un événement qui s’est passé à une distance plus grande encore. Voici une communication transmise d’Angleterre à l’Hindoustan.

Le lieutenant-colonel Jones l’a rapportée, ainsi de vive voix et par écrit :

« En 1845, j’ étais avec mon régiment à Moulmein (Birmanie ). Le 24 mars, vers midi, j’étais à dîner chez un ami, et après le repas, comme nous parlions de quelques affaires locales sous la véranda, je vis tout d’un coup distinctement devant moi la forme d’un cercueil ouvert, et une de mes sœurs restée dans ma famille y gisait avec l’apparence de la mort. Saisi à cette vue, je cessai de parler ; chacun me regarda avec étonnement et me demanda ce que j’éprouvais. Je leur racontai la chose comme une illusion sans valeur et l’on y fit peu d’attention. Après dîner, je retournai chez moi avec un ancien officier, le major-général Briggs ; il revint sur cet incident, et me demanda si j’avais reçu quelque nouvelle de la maladie de ma sœur : « Non, lui dis-je ; je n’ai pas eu de « lettres de ma famille depuis trois mois. » Le major me dit de prendre note de la circonstance, parce qu’il avait eu connaissance de plusieurs faits de ce genre très significatifs ; je le fis, et lui montrai la note que j’écrivis dans mon carnet avec la date du jour et du mois. — Le 17 du mois suivant, je reçus de ma famille une lettre qui m’annonçait la mort de ma sœur, arrivée ce jour-là même, 24 mars 1845. » Le colonel Jones assure n’avoir jamais éprouvé d’autre hallucination (5).

Dans ce même fascicule (p. 180), on signale un phénomène plus remarquable encore : c’est une perception collective au sujet d’un fait arrivé à plus de cent milles de distance. Le récit est écrit par Miss Catherine Weld, qui fut, avec son père, témoin de cette apparition. [p. 53]

« Philippe Weld, dit-elle dans une lettre au rédacteur, était le plus jeune fils de M. James Weld, et le neveu du cardinal Weld. En 1842, il fut envoyé par mon père à Saint-Edmund College, près Ware, pour son éducation. C’était un enfant d’une conduite très bonne, aimé de ses maîtres et de ses condisciples. Le 16 avril 1845, jour de congé, quelques élèves devaient faire une excursion en bateau sur la Ware. Philippe venait de terminer la retraite annuelle ; le matin même de ce jour, il avait fait la sainte communion, et, l’après-midi, accompagné de quelques condisciples et de l’un de ses maîtres, il se rendit au bateau pour cette excursion qui lui plaisait beaucoup. Au signal du retour, Philippe demanda une rame pour aider à la manœuvre ; mais pendant que la barque tournait, il tomba à l’eau dans un endroit où la rivière était profonde, et malgré tous les efforts, il fut noyé. Son corps cependant fut ramené au collège. Le Rèv. Dr Cox, directeur de l’établissement, fut saisi d’une douleur profonde, car il aimait beaucoup le jeune Philippe, et il sentait combien terrible pour sa famille serait la nouvelle de sa mort. Comment l’annoncer ? Après y avoir longtemps pensé, il se décida à se rendre lui-même chez M. Weld, près de Southampton. Il y arriva le jour suivant ; à peu de distance de la demeure de M. Weld, il le vit venir à sa rencontre. Il descendit de voiture et allait lui parler; mais celui-ci le prévint en lui disant : « Il est inutile de me rien cacher, car je sais que Philippe est mort !… — Comment cela ? — Voici, reprit M. Weld. Hier soir, je me promenais avec ma fille Catherine, quand soudain j’ai vu mon fils ; il marchait sur le trottoir opposé en compagnie de deux personnes dont l’une était revêtue d’une robe noire. Ma fille fut la première à I’apercevoir, et elle s’écria : « Oh ! papa ! avez-vous jamais vu quelqu’un si semblable à Philippe ? — Semblable à Philippe, répondis-je ; mais c’est lui ! » — Nous nous dirigeâmes vers ces trois personnages qui nous apparaissaient : Philippe regardait avec un sourire de bonheur le « jeune homme revêtu de la robe noire, qui l’accompagnait. Soudain, toute la vision disparut, et je ne vis plus qu’un paysan dont j’avais déjà remarqué la présence. Pour ne pas effrayer ma femme, je ne parlai pas de cette apparition. Lejour suivant, j’attendis le courrier avec anxiété. A ma grande joie, aucune [p. 54] lettre ne me fut remise ; mes craintes se dissipèrent, et je ne pensais plus à cette vision singulière, quand je vous ai aperçu à l’entrée du château. Alors, toutes mes pensées se sont réveillées, et je suis sûr que vous venez m’annoncer la mort de « mon cher enfant ! » On peut imaginer l’étonnement du Dr Cox à ces paroles. Il demanda à M. Weld s’il avait vu auparavant le jeune homme en robe noire que Philippe regardait avec un sourire de bonheur. « Jamais je ne l’ai vu, répondit mon père ; mais ses traits sont si bien gravés dans mon esprit, que certainement je le reconnaitrais, si je le rencontrais quelque part.»

« Le Dr Cox raconta alors à mon père toutes les circonstances de la mort de son fils ; elle avait eu lieu à l’heure précise où Philippe nous était apparu ; nous ressentions une grande consolation en pensant à cet air joyeux que mon père avait remarqué sur le visage de Philippe : il nous semblait l’indice de son salut et de son bonheur éternel.»

M.  Weld se rendit aux funérailles de son fils, et au sortir de l’église, il examina si quelqu’un des ecclésiastiques présents ressemblait au jeune homme qu’il avait vu avec Philippe ; mais aucun ne lui offrit cette ressemblance. Quatre mois plus tard, M. Weld alla visiter son frère, M. Georges Weld, à Seagram Hall (Lancashire). Un jour il se rendit avec sa fille Catherine au village voisin, à Chipping, et, après avoir assisté au service divin, il demanda à voir le prêtre chargé de cette église. Il dut l’attendre quelque temps dans le salon, et se mit à regarder les peintures qui en ornaient les murs. Soudain, il s’arrête devant un tableau qui ne portait point de nom visible, et s’écrie : « Voilà celui que j’ai vu avec Philippe ! Je ne sais quel personnage est ici représenté ; mais je suis sûr que c’est là le compagnon de mon fils ! » Le prêtre entra bientôt après, et lui dit que c’était l’image de saint Stanislas Kostka, et, ajouta-t-il, on la croit très ressemblante. M. Weld fut vivement ému à ces paroles, car il savait que saint Stanislas était mort très jeune dans la Compagnie de Jésus, et que son fils avait pour lui une particulière dévotion. Il se rappela aussi que M. Weld, son père, avait été un grand bienfaiteur des Jésuites, et pensa que les saints de cet ordre protégeaient sa famille.

« Le prêtre offrit immédiatement ce tableau à mon père, qui le [p. 55] reçut avec une grande vénération, et le garda jusqu’à sa mort. »

Ajoutons à ce récit de Miss Catherine Weld qu’on lui demanda si elle avait eu quelque autre hallucination de ce genre ; elle répondit que c’était absolument la seule qu’elle eût jamais éprouvée.

Remarquons encore cette particularité : ici, ce n’est pas l’illusion d’un songe qui vient annoncer un fait passé au loin ; c’est en plein jour, sur une voie publique, une même vision qui apparaît simultanément à deux personnes, et le principal témoin est un noble père de famille qui agit et qui parle en conséquence de cette information.

Un autre récit publié à New-York, en 1898, présente un message télépathique communiqué à la fois en deux villes différentes.

Un matin, M. M… se réveille en sursaut, se dresse sur son lit, et bien que tout éveillé, se trouve dominé par une impression intense : il se voit en présence de son frère qui habite loin de là. Ce frère le salue et lui dit : « Je vais mourir, dispose de mes biens, de la manière suivante » ; et il lui explique comment ces biens doivent être répartis. La vision disparut, mais l’impression resta profondément gravée dans l’esprit de M. M… qui en fit part à sa femme. Peu d’heures après, un télégramme lui annonçait la mort de son frère, arrivée au moment même de la vision. M. M… partit de suite pour régler ces affaires : en route, il rencontre un autre de ses frères qui lui dit aussitôt : « Ce matin, j’ai eu l’esprit frappé d’une manière étrange : il me semblait être dans ta chambre, notre frère s’y trouvait avec nous, et nous disait : « Je vais mourir, disposez de mes biens de telle manière… » » ; — et ces instructions étaient celles-là mêmes qu’il avait données au premier. Arrivés au lieu du décès annoncé de la sorte, les deux frères apprirent de leur famille que peu de minutes avant de mourir, M. M… avait été quelque temps dans une sorte de délire, où il paraissait s’entretenir avec quelques personnes de la répartition de ses biens. — Ainsi par une double communication télépathique, toute cause de litige était prévenue (6).

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II — LES SYSTÈMES

A ces faits nous pourrions en ajouter une foule d’autres reconnus pour certains par des hommes de toute croyance, et par des savants d’une prudence incontestée. Impossible donc de rejeter en bloc comme sans valeur ces manifestations singulières. « Quand nous passons en revue les six cents cas rapportés dans notre Iivre (Phantasms of the. living), disent MM. Gurney et Podmore, en considérant ces faits dont une large part nous a été fournie directement par des personnes que nous connaissons, nous ne pouvons douter que la réalité de ces communications à distance ne soit tôt ou tard généralement acceptée par les esprits non prévenus (7).

Dans ces étranges phénomènes, ce n’est pas seulement une impression semblable au choc d’une étincelle électrique, ni même une série de vibrations qui sont transmises, mais toute une série d’images et d’idées ; parfois des discours, des ordres, des scènes vivantes et expressives. Ce ne sont pas non plus de simples pressentiments (8), mais des indications nettes et précises, et ensuite on constate que ces informations répondent à des faits réels arrivés au moment même à grande distance. Quel est I’instrument de ces communications lointaines ?

Par quel intermédiaire les images, les pensées et les volontés sont-elles transmises aux personnes intéressées, parfois jusque dans un autre hémisphère ? Il y a là un problème troublant pour le positiviste qui ne veut rien reconnaître au delà de la matière, mais suggestif et intéressant pour tous.

Aux yeux des rationalistes, toute explication surnaturelle est écartée a priori ; c’est uniquement par les forces de la nature qu’ils veulent rendre compte des informations télépathiques. Mais, sur ce terrain, ils sont loin de s’entendre.

Les uns recourent à la clairvoyance que développe l’hypnotisme, [p. 57] ou à l’hyperesthésie causée par certaines maladies nerveuses. Les autres croient à l’intervention d’esprits semblables à ceux qu’évoque le spiritisme ; d’autres, affectant des allures plus scientifiques, admettent un fluide dont les ondulations vont porter au loin les dépêches cérébrales, à la manière du téléphone ou du télégraphe. Disons quelques mots de ces diverses hypothèses.

On sait que dans certaines maladies, la sensibilité est exaltée au point de percevoir des objets insensibles à l’état ordinaire. De là, plusieurs médecins ont conclu que l’hyperesthésie nerveuse pouvait expliquer la vision des objets éloignés. Ainsi en Italie, le Dr Giacchi, déclarait, en 1894, qu’à son avis la télépathie est le résultat d’une clairvoyance due à certaines conditions pathologiques (9).

Mais cette explication ne cadre nullement avec les faits observés. Dans presque tous les récits publiés, les sujets in­ formés des événements Iointains ne sont pas des hystériques, des névropathes, mais des personnes fort bien portantes, qui jamais n’ont éprouvéde crise semblable à celles que l’on suppose.

Le Dr Giacchi, nous offre lui-même un fait qui réfute cette théorie. « En 1853, dit-il dans un écrit publié â Reggio en 1893, j’étais étudiant à Pise, âgé de dix-huit ans. Tout alors me souriait, aucune pensée mélancolique ne venait troubler mes rêves d’avenir. Une nuit, le 19 avril, — était-ce en songe, ou presque éveillé ? — je vis mon père étendu sur un lit, le visage livide, et il me dit d’une voix éteinte : « Mon fils, donne­-moi un dernier baiser ! » et il appliqua ses lèvres glacées sur ma bouche. Ce souvenir seul me fait encore frissonner. — Peu de jours auparavant, j’avais reçu d’excellentes nouvelles de mon père, et je ne voulus pas d’abord donner d’importance à cette vision ; mais un pressentiment sinistre s’empara de mon âme avec une telle force que, le matin, sans écouter ni raisons, ni .prières, je partis pour Florence (distante de Pise de 79 kil.), triste comme un condamné conduit au supplice. A peine avais-je franchi le seuil de notre demeure, que ma mère accourt à ma rencontre, tout en pleurs, et me dit [p. 58] que la nuit précédente, à l’heure même de ma vision, mon père avait été subitement emporté par une maladie de cœur (l0). »

On le voit par ce récit du Dr Giacchi : rien de pathologique ne le disposait à cette singulière clairvoyance. Ainsi en est-il dans la plupart des faits observés : les personnes informées d’événements lointains sont dans un état normal, sans aucune trace de maladie nerveuse. (M. Giacchi lui-même a, depuis, adopté une autre explication dont nous parlerons plus tard.)

Impossible, pour des raisons analogues, de recourir à la vertu du sommeil hypnotique ou de Ia suggestion qui le provoque. Pour en obtenir les effets, il faut un sujet bien disposé sur lequel l’hypnotiseur exerce son empire ; il faut surtout l’action d’une volonté puissante qui s’impose au patient, et lui fasse exécuter ses ordres.

Dans les faits télépathiques, on ne trouve aucune de ces conditions ; auprès du sujet informé, personne qui lui suggère ses volontés, rien qui le prépare à la clairvoyance de l’hypnose. Si vous dites : L’hypnotiseur est au point de départ ; c’est le parent, l’ami qui veut communiquer au loin ses pensées. Voyez combien d’hypothèses gratuites vous devez faire : cet agent dont vous parlez, est presque toujours un malade, un mourant, un faible enfant parfois ; comment pourrait-il exercer un pareil empire sur des personnes absentes, qu’il n’a jamais hypnotisées ? Comment pourrait-il communiquer ses pensées et ses ordres à grande distance et par un simple acte de sa volonté ? Quelques hypnotiseurs, je le sais, ont prétendu se faire obéir de cette manière ; mais d’autres maîtres en cette nouvelle science ne se reconnaissent pas ce pouvoir. Le Dr Braid , le créateur de I’hypnotisme, après vingt ans d’expériences, avouait n’avoir jamais pu obtenir d’action lointaine par la seule volonté. Si parfois le fait s’est produit, nous n’hésiterions pas à dire qu’il y a là un agent préternatureI, semblable à celui que les spirites ont à leur service.

Le spiritisme se pose de nos jours comme un moyen de communiquer avec les âmes des morts, et, par elles, d’acquérir [p. 59] des connaissances supérieures sur le problème de notre destinée.

Parfois aussi leurs médiums annoncent des événements qui se passent à l’heure même, à grande distance.

La Civiltà cattolica (3 févr. 1900) en cite un exemple que nous avons tout lieu de croire véritable : il est attesté par un spirite célèbre en Italie, le comte Baudi de Vesmes :

« Turin, 8 février 1899. — Le soir du 2 janvier 1898, nous étions autour d’une table pour faire nos expériences ordinaires. A peine eûmes-nous posé les mains sur cette table que trois coups avertisseurs se firent entendre. Nous demandâmes quel esprit était présent, et il nous fut répondu : « C’est l’archevêque de Naples, Vincent-Marie Sarnelli. » Etonnés de cette réponse, nous dîmes alors : « Est-il mort ? — Oui. — « Et quand cela ? — Aujourd’hui. — Combien d’années « a-t-il vécu ? » Et la table frappa soixante-trois coups pour indiquer soixante-trois années. Nous devons faire observer que par les journaux nous connaissions la maladie de l’archevêque, mais nous ignorions son âge et sa mort (11). »

Le comte Baudi de Vesmes, rapporte deux faits semblables arrivés en 1898 et 1899, et, dirons-nous comme la Ciciltà, nous n’avons aucune raison de les révoquer en doute. Bien d’autres informations de ce genre sont attestées par des témoins d’une sincérité reconnue.

Faut-il les attribuer à des âmes séparées du corps, et passées à une autre vie ? Les spirites le prétendent, et les esprits évoqués par leurs médiums le déclarent. Mais si nous consultons l’expérience universelle, les morts ne parlent pas et ne conservent plus de commerce naturel avec les vivants. L’Église catholique nous enseigne que l’âme des morts n’est point au service d’une curiosité malsaine, et toujours elle a défendu l’évocation des morts comme une pratique superstitieuse.

Du reste, pour nous assurer que l’agent des communications spirites est un esprit mauvais, il suffit de parcourir les publications des spirites eux-mêmes. Allan Kardec, un de leurs principaux écrivains, reconnaît qu’il est difficile de croire les esprits évoqués sur leur propre nature. Un autre chef de [p. 60] la secte, Eliphaz Lévi (12), a des aveux semblables. Les esprits ainsi consultés renient les dogmes de la religion chrétienne, l’enfer surtout, et l’éternité des peines ; parfois ils se permettent des propos obscènes, des récits mensongers, ou capables de troubler la paix des familles. Souvent la folie et le suicide sont la conséquence des pratiques spirites. En 1887, à Lyon, dans une seule maison de santé, on comptait quarante personnes atteintes d’aliénation mentale par suite de ces évocations. En Amérique, il y a vingt ans, le sixième des cas de folie et de suicide étaient dus à la même cause (13).

On peut donc conclure avec le Dr Dunaud : « Derrière ce que Mesmer et ses disciples ont nommé le magnétisme, se cachent les démons » ; et le baron du Potet, après une longue pratique du spiritisme fait le même aveu : « Je ne croyais pas au diable, dit-il ; mais mon scepticisme a fini par être vaincu (14). » [p. 61]

M. Alexandre Aksakoff, directeur d’une revue paraissant à Leipzig (Études psychiques), n’a cessé depuis quarante ans d’étudier les phénomènes du spiritisme ; il a réuni des milliers de témoignages, constaté des phénomènes physiques qui se produisent sans la participation du médium, et des manifestations d’ordre intellectuel qui « nous obligent à reconnaître une force intelligente extérieure au médium ». Il a vu par lui-même que les phénomènes attribués au spiritisme sont bien réels ; mais il ajoute : « Je crois que tout observateur sensé est frappé de deux faits incontestables : l’automatisme évident des communications spirites, et l’impudente fausseté tout aussi évidente de leur contenu. Les grands noms dont elles sont souvent signées sont une preuve que ces messages ne sont pas ce qu’ils ont la prétention d’être. » M. Aksakoff dans ses révélations cherchait la lumière sur le problème de l’avenir, mais la solution ne venait pas ; au contraire, la banalité des communications, le caractère mystificateur et mensonger de la plupart de ces manifestations ne faisaient qu’aggraver les difficultés du problème (15) ».

Ce n’est donc pas au spiritisme qu’il faut demander I’explication naturelle des informations télépathiques ; celles qu’il obtient sont dues à un agent supérieur, mais à un esprit mauvais.

Du reste, les messages dont nous voulons parler sont d’une classe toute différente : ils ne sont pas provoqués, demandés à l’intervention d’un médium ; mais bien spontanés, et communiqués à des personnes qui n’y songent en aucune manière.

Comment sont-ils transmis ? Aux systèmes déjà écartés on pourrait en joindre quelques autres plus ou moins fantaisistes, par exemple l’hypothèse d’un corps astral, ou d’un périspirit qui se séparerait de l’agent, source du message, et s’en irait trouver la personne qui le doit recevoir. Un tel intermédiaire, lien subtil entre l’âme et le corps, qui l’a vu ? Qui jamais en a positivement constaté l’existence ?

Comment l’agent pourrait-il vivre sans ce nexus vital ? Comment ce médium pourrait-il voyager lui-même sans [p. 62] le corps et sans l’âme qu’il doit unir ? — Laissons donc le périspirit à quelques utopistes du spiritisme, et voyons des explications plus scientifiques.

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Pour rendre compte du magnétisme animal et de ses effets, Mesmer invoquait l’action d’un fluide répandu dans l’univers, et servant d’intermédiaire entre les êtres animés comme entre les corps célestes. « Les mouvements modifiés par la pensée dans le cerveau et dans la substance des nerfs, étant communiqués à la série d’un fluide avec lequel cette substance des nerfs est en continuité, peuvent s’étendre à des distances infinies, et se .rapporter au sens interne d’un autre individu (16). » Ainsi, disait Mesmer, les sujets magnétisés sont mis en rapport.

Plusieurs savants, occupés aujourd’hui à I’étude des phénomènes télépathiques, recourent, à l’action d’un fluide analogue. On a même cru trouver, dans la télégraphie sans fils, l’indice ou l’image du procédé qui peut relier entre elles les intelligences séparées par de grandes distances. ‘

Un savant anglais, connu par ses travaux et ses découvertes, le professeur William Crookes, fit l’exposé de cette théorie dans une conférence, publique, vers la fin de 1898. Voici quelques-unes de ses idées (17) :

La télépathie, dit-il à ses auditeurs, ou la transmission des pensées et des images d’un esprit à un autre sans l’intermédiaire des organes corporels, est.une conception nouvelle, et déjà elle a conquis un certain crédit. Pour l’expliquer, rappelons-nous la manière dont se transmettent la plupart des phénomènes sensibles.

C’est par les vibrations de l’air ou d’un autre milieu pondérable que se propagent les sons avec leurs notes et leurs nuances diverses. D’autres vibrations se produisent dans l’éther ; celles qui se manifestent à nous sous forme d’électricité dépassent le nombre de trente-trois milliards par seconde ; celles que perçoivent nos yeux, sous forme de lumière, varient dans le même temps de quatre cents cinquante à sept cent cinquante trillions. Les vibrations qui [p. 63] produisent les rayons Rœntgen sont encore plus rapides ; et, puisque ces rayons traversent des milieux de diverse nature, ne peut-on pas en admettre d’autres capables de franchir une foule d’obstacles, et de porter au loin des dépêches cérébrales ? C’est là, dit M. Crookes, l’unique hypothèse scientifique qui puisse expliquer les phénomènes télépathiques, et qui le fasse sans recours à des agents surnaturels.

Qui puisse les expliquer ? — Non, dirons-nous, comme la Civiltà cattolica (18) ; non sans faire une foule d’hypothèses gratuites, non sans se buter à des impossibilités.

Vous supposez un agent capable d’émettre des rayons qui parviennent à d’énormes distances, parfois dans un autre hémisphère ; le cerveau d’un malade, d’un mourant peut-il déterminer un tel ensemble de vibrations, tandis que nul homme en pleine vigueur, ne possède une telle puissance ?

Vous comparez les ondulations d’un certain fluide magnétique à celles que détermine l’étincelle électrique ; vous les supposez capables de rayonner par monts et par vaux, et de traverser mille obstacles ; mais, parmi les corps interposés, ne s’en trouvera-t-il aucun qui puisse arrêter l’onde vibrante ou la faire dévier comme on le voit pour les ondes hertziennes ? Si, comme il est plusieurs fois arrivé, le message vient d’un autre hémisphère, le rayon devra traverser une grande partie du globe terrestre et pénétrer jusque dans ses profondeurs, et ce sera le cerveau d’un mourant qui produira ces merveilles !

Ce n’est pas tout. Comment le message arrivera-t-il à destination ? Ce n’est pas l’agent émetteur qui le dirige : presque toujours cet agent ignore le lieu précis où se trouve la personne qui doit être informée, et cependant l’information parvient directement au sujet intéressé, en quelque lieu qu’il se trouve, loin de sa demeure, sur une route quelconque, ou dans une hôtellerie.

A cela, vous répondrez sans doute que les rayons télépathiques se propagent dans tous les sens et peuvent toujours atteindre la personne intéressée. — Soit ; mais dans leur [p. 64] marche ondulatoire, ces rayons rencontrent des milliers de personnes aussi rapprochées, et cependant une seule les remarque et les comprend, sans que les autres en perçoivent le moindre indice. Direz-vous que le sujet informé présente une disposition spéciale, un cerveau qui vibre à l’unisson du principe émetteur ? Comment se fait-il que sur des milliers de cerveaux humains, sur des millions peut-être compris dans la même sphère d’action, pas un seul autre ne présente cette sympathique disposition ? C’est là, sans doute, une hypothèse absolument invraisemblable dont rien ne peut vérifier la valeur.

Encore est-il une foule de messages parfaitement attestés qui ne peuvent nullement se transmettre par un pareil procédé.

Un télégraphe peut déterminer au loin des vibrations analogues à celles que l’on excite ; mais nul appareil de ce genre ne saurait reproduire des tableaux, des scènes vivantes, et cependant les informations télépathiques nous montrent des personnes qui apparaissent, qui parlent, qui agissent comme si elles étaient présentes. Ainsi, le Dr Giacchi voit son père mourant, il l’entend, il reçoit un baiser de ses lèvres, glacées. M. M… , sur le point de mourir, apparaît à ses deux frères éloignés l’un de l’autre et leur déclare ses dernières volontés.

Ce qui est plus inexplicable encore, dans le système proposé par M. Crookes, c’est la différence qui existe entre la scène du point de départ et celle d’arrivée. On concevrait, à la rigueur, un appareil reproduisant l’image d’une réalité matérielle comme une sorte de photographie ; mais ici, bien souvent l’image reçue est toute différente du spectacle initial. Dans l’histoire de Philippe Weld, nous voyons, au départ, un jeune homme qui périt dans les flots ; au point d’arrivée, ce jeune homme apparait à son père et à sa sœur marchant d’un pas alerte avec un visage respirant le bonheur. Plus tard nous aurons l’occasion de rappeler de semblables contrastes. Comment les vibrations d’un fluide pourraient-­elles transformer ainsi l’image et l’expression des faits ?

Impossible donc d’expliquer, par de simples ondulations, la plupart des messages télépathiques. Nul intermédiaire [p. 65] purement physique ne suffit à de pareilles communications. Il faut un agent spirituel pour dicter des pensées et des ordres, et reproduire les scènes vivantes qui d’ordinaire apparaissent aux yeux des personnes informées.

Cet agent, quel est-il ? Nous l’avons dit en parlant du spiritisme : s’il s’agit d’informations provoquées par l’action d’un médium la chose n’est pas douteuse, elles sont dues à des esprits mauvais et trompeurs, et l’Eglise condamne hautement ces pratiques superstitieuses.

Mais dans les cas de télépathie spontanée dont nous nous occupons, rien, d’ordinaire, ne trahit l’action d’un esprit mauvais, souvent même on y découvre l’influence d’une cause honnête, sainte et providentielle.

Ici, c’est la paix de la famille qu’il faut assurer :

Un homme, sur le point de mourir, veut prévenir des causes de litige au sujet des biens qu’il laisse à ses frères ; il leur apparaît et leur intime ses dernières volontés.

Plus souvent, c’est le dernier adieu d’un parent, d’un ami, qui vient rappeler leur souvenir et réveiller des pensées salutaires.

Parfois, c’est un service rendu par une personne aimée, un secours nécessaire au milieu du danger. Nous lisons un fait de ce genre dans les Annales des sciences psychiques, juillet 1895.

Un jeune Polonais de la garde marine russe se trouvait dans sa famille, à Paulowok, non loin de Saint-Pétersbourg, quand il reçut l’ordre de se rendre à bord. En faisant ses adieux aux siens, il se recommanda spécialement à sa sœur bien-aimée, et la pria de penser à lui, disant que ce souvenir lui porterait bonheur. Un mois plus tard, vers huit heures du soir, cette jeune fille tomba évanouie : lorsqu’elle reprit connaissance, elle raconta qu’elle s’était sentie transportée en mer au milieu d’une tempête, qu’elle avait vu son frère luttant contre les flots avec des efforts désespérés, et venant buter contre un rocher où sa tête fut ensanglantée. Le jour suivant, on reçut un télégramme du jeune marin ainsi conçu : « Je suis vivant, je rends grâce à ma sœur, elle me reverra bientôt. » On ne comprit pas d’abord la raison de ce message ; mais le lendemain on apprit par les journaux que le [p. 66] navire où se trouvait le jeune Polonais avait sombré près de l’île d’Alando. A son retour, le jeune homme raconta qu’au moment du naufrage, lorsqu’il n’avait plus la force de lutter contre les flots, il s’était vu secourir par un fantôme blanc dans lequel il reconnut sa sœur. Celle-ci l’avait conduit dans une direction inconnue jusqu’au moment où il sentit une violente douleur de tête et s’évanouit. Sa tête était blessée, mais il fut recueilli et secouru par des pêcheurs ; ainsi fut-il sauvé, seul de tout l’équipage.

Ne serait-ce pas la prière fervente de la jeune Polonaise qui avait obtenu pour son frère cette insigne protection ?

D’autres faits ont une signification plus haute encore et projettent leur lumière sur la destinée de l’homme après la mort.

Nous avons rapporté l’histoire de Philippe Weld apparaissant plein de joie à son père et à sa sœur; et nous avons dit quelle conviction cette vue fit, naître dans leur âme au sujet de son sort éternel.

Un autre fait, rapporté par MM. Gurney, Mayers et Podmore, a pour nous le même sens.

En 1870, Mme Hosmer, sculpteur distinguée, habitait à Rome, rue Babuino , avec une autre Anglaise de ses amies. Elle avait dû congédier une femme de chambre atteinte d’une maladie incurable ; mais, comme elle l’aimait, elle allait souvent la voir en faisant ses promenades quotidiennes. Dans une de ses visites, Rosa, cette servante, lui parut aller mieux et lui exprima le désir d’avoir une bouteille d’un certain vin. Mme Hosmer lui promit gracieusement de satisfaire sa demande. La nuit suivante, cette dame reposa fort bien ; mais, de grand matin, elle se réveille soudain, tout effrayée, croyant qu’une personne est entrée dans sa chambre, soigneusement fermée à clé. « Qui est là ? » s’écrie-t-elle. Pas de réponse, pas d’autre bruit que le battement de l’horloge qui sonna cinq heures. Au même instant, Rosa lui apparut souriante, debout au pied de son lit, et lui dit en italien : « Maintenant, je suis contente, je suis heureuse ! » — Et elle disparut.

Mme Hosmer n’était plus troublée : rien n’était effrayant dans cette vision ; mais elle fut intimement persuadée que [p. 67] Rosa était passée à une autre vie. Elle fit part de l’incident à l’Anglaise son amie, et, le jour venu, elle se hâta d’envoyer un exprès à la demeure de Rosa pour s’informer de son état. Bientôt le messager revint lui dire que la jeune fille était morte à cinq heures du matin, donc au moment où la vision s’était montrée (19).

Le récit abrégé, traduit de l’anglais, ne dit pas si Mme Hosmer était catholique ; la jeune Rosa devait l’être, car elle était née près de Rome. C’était une bonne fille qui avait su gagner l’affection de sa maitresse, et nous serions porté à croire, dit I’écrivain de la Civiltà cattolica, que cette âme, parvenue à une vie meilleure, venait remercier sa bienfaitrice, et l’inviter doucement à la suivre dans la voie qui l’avait conduite au bonheur.

Une conclusion semblable se dégage plus clairement d’un fait arrivé en Belgique et rapporté par la Civiltà (19 août 1899, p. 416) :

Un enfant se trouvait malade à Gand, lorsque sa mère mourut subitement à Bruxelles. Au moment où elle expirait, elle apparut à son fils, le visage respirant le bonheur, et l’invita à venir la rejoindre au ciel. Le gardien de l’enfant, « celui-là même qui nous a raconté le fait », dit l’écrivain de la Civiltà, voyant le petit malade converser avec un personnage invisible, crut qu’il était en délire et tint peu compte de ce qu’il rapporta ; mais, peu de temps après, un télégramme annonçait la mort imprévue de cette dame, arrivée au moment où elle adressait la parole à son fils. Celui-ci ne tarda pas à mourir lui rème, comme un prédestiné, et parut ainsi répondre à l’invitation de sa pieuse mère. — A nos yeux, dirons-nous avec la Civiltà, ce cas de télépathie n’a pas besoin de commentaire.

Bien d’autres faits analogues pourraient être cités, et l’histoire en a consigné quelques souvenirs.

Dans ses Mémoires sur la Vie de sainte Jeanne de Chantal, Françoise-Madeleine de Changy rapporte la mort tragique du baron de Chantal, mari de la sainte, et elle ajoute : « A même temps que ce brave seigneur expira, son père, [p. 68] qui était malade à douze lieues de là, vit passer dans sa chambre une troupe de jeunes jouvenceaux fort gracieux et vêtus à l’angélique, qui menaient, en certaine contrée fort éloignée le baron de Chantal, lequel, s’approchant de lui, lui donna un petit coup sur l’épaule, comme lui disant adieu. Le bon vieillard s’éveilla en pleurant, et dit : « Mon fils de Chantal est mort ! » L’on fit promptement partir un homme, lequel en trouva un autre en chemin qui venait annoncer cette nouvelle ; et, ayant diligemment supputé l’heure du décès, on trouva que c’était justement alors que le père avait eu cette vision (20). »

Ces derniers faits ont un sens assez clair : sans doute ils sont dus à la bonté divine qui veut consoler les âmes et les encourager par l’assurance du bonheur futur ; aux fidèles catholiques, ils rappellent le dogme de la communion des saints, et la société intime qui unit les chrétiens, même avec ceux qui sont passés à une vie meilleure.

Pour avoir une lumière encore plus complète sur le sens de ces manifestations posthumes, il est bon de les rapprocher de faits analogues qui se trouvent dans l’histoire de plusieurs saints modernes.

Au siècle dernier, saint Alphonse de Liguori, prêchant dans la petite ville d’Arienzo, s’interrompit tout à coup pour dire à ses auditeurs : « Mes chers enfants, récitons un Pater à l’occasion de l’heureux trépas de Mgr Albertini, évêque de Caserte. » On fut étonné de ces paroles, mais quelques jours après, on apprit que la mort du prélat était arrivée à l’heure où saint Alphonse l’avait annoncée (21).

Saint Philippe de Néri, fondateur de l’Oratoire, vécut à Rome, au seizième siècle (1515-1595), vénéré de tous pour son zèle et sa charité. D’après le récit de ses historiens et des témoins qui déposèrent au procès de sa béatification, il vit plusieurs fois sous une forme sensible les âmes de ses amis ou de ses disciples monter au ciel au moment de leur mort (22). Ainsi, l’an 1547, Marc Tosini, homme d’une grande [p. 69] piété lui apparut entouré d’une éclatante lumière à l’instant où il expirait (23).

Saint Philippe vit de même un de ses disciples, Vincent llIuminator, monter glorieux vers le ciel, et le matin même il alla annoncer cette consolante nouvelle à la famille qui pleurait sa mort.

Dans la vie de saint Benoît-Joseph Labre, l’abbé Marconi rapporte la déposition juridique de deux habitants de Lorette qui, plusieurs fois, lui avaient donné l’hospitalité pendant ses pèlerinages à la Santa Casa.

« Le carême dernier, 1783, dit l’un d’eux, Gaudenzio Sori, comme nous parlions de Benoit-Joseph à l’approche du jour où il avait coutume de venir à Lorette, notre fils Joseph, âgé de cinq ans et quatre mois nous répondit : « Benoit ne vient pas, Benoît se meurt. » Et toutes les fois que nous parlions de l’arrivée du serviteur de Dieu, le petit nous faisait la même réponse. Lorsque nous lui demandions : « Comment le sais-tu ? — Le cœur me le dit ! » répondait-il ; et le jeudi saint, il ajouta : « Benoit ne vient pas ; Benoit est allé en paradis. » De fait, c’était la veille au soir que saint Benoît­Joseph était mort à Rome. — Ainsi Dieu se plut à manifester par la bouche d’un enfant la gloire de son fidèle serviteur.

La vie de sainte Thérèse nous offre un fait encore mieux connu. En 1570, quarante missionnaires Jésuites s’embarquèrent à Lisbonne pour se rendre au Brésil sous la conduite du bienheureux Ignace d’Azévédo. Arrivés en vue de l’île de Palma, l’une des Canaries, ils furent surpris et massacrés en haine de la foi par des corsaires calvinistes. Le jour même de leur mort, Sainte-Thérèse étant en prière vit monter au ciel quarante martyrs resplendissants de lumière, la palme à la main, et parmi eux son proche parent, François Pérez Godoï, l’un des compagnons du bienheureux d’Azévédo. Elle fit part de cette vision à plusieurs personnes, et au procès de sa canonisation, cette révélation fut juridiquement reconnue comme authentique (24). [p. 70]

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III. – CONCLUSION

La vie des saints les mieux connus pourrait nous fournir bien d’autres informations semblables, constatées de la manière la plus certaine. On y voit clairement l’origine ct le sens de ces manifestations. Dieu les accordait pour affermir la foi des peuples, et pour glorifier ses fidèles serviteurs.

Les faits recueillis de nos jours n’ont pas d’ordinaire cette clarté : trop souvent ceux qui les racontent suppriment le côté moral et religieux qui pourrait en révéler la cause. Ils ont leur signification pourtant, et tout homme de bonne volonté peut l’apercevoir. Les auteurs du rapport publié en 1884 par la Société anglaise (for psychical research), malgré leur réserve excessive au point de vue moral, voient dans ces phénomènes « la preuve la plus claire » que nous ne sommes pas des gouttes isolées, perdues dans un nuage immense emporté par les tempêtes, mais des centres et des principes de force qui agissent les uns sur les autres, et communiquent entre eux comme les membres d’un même corps » (p. 173).

A nos yeux, ces informations extraordinaires ont encore un autre sens plus élevé.

On voulait bannir de la science tout ce qui dépasse la portée des forces physiques étudiées dans les laboratoires, et voilà que des phénomènes parfaitement constatés révèlent des énergies supérieures, intelligentes, dont la matière ne peut rendre compte. Pour la génération présente imbue de positivisme, la survivance des âmes n’était plus qu’une hypothèse sans valeur ; et maintenant des hommes éminents par leurs connaissances positives reconnaissent comme certaines des manifestations non équivoques de cette vie ultérieure.

Il y a là, sans doute, un indice suffisant pour attirer l’attention de tout homme qui réfléchit sur le sens de la vie. Quelques rayons inattendus jaillissent de la source expérimentale elle-même, je veux dire, des faits qu’elle constate, et ces rayons nouveaux projettent leur lumière sur la puissance de l’âme humaine, et sur son immortelle destinée.

FERDINAND LODIEL, S. J.

NOTES

(1) Les Hallucinations télépathiques, p. 110 et suiv. (Extrait de la Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1892. p. 89.)

(2) Ibid, p, 151. (Idem, 1888.)

(3) Proceedigs of Society for psychical research, 1883, vol. I, p. 124.

(4) Le sixième fascicule de ln Society for psychical researck rapporte plusieurs autres faits non moins remarquables, p. 164, 177, 179, etc.

(5) Proceedings of the Society for psychical research, 6e part., p. 173.

(6) Récit publié à New-York par sir Austin, directeur d’un collège, et reproduit par la Civiltà, 2 décembre 1899.

(7) Proceedings of the Society for psychical research, july 1884, p. 173.

(8) Trop souvent il survient des pressentiments qui ne sont nullement justifiés, ou qui s’expliquer par les circonstances, aussi les avons-nus soigneusement écartés.

(9) Dr Oscar Giaechi, Télépathie (extrait du Racioglitore medico Forli 1894, p. 8). Civiltà, 3 mars 1900, p. 546.

(10) Cité par la Civiltà cattolica, 4 septembre 1899, p. 678.

(11) Civiltà, février 1900, p. 281-282.

(12) La Clef des grands mystères. Paris, 1864, p. 264. — Le prêtre qui a eu le bonheur de convertir E. Levi nous communique ce qui suit : « On sait les scandales de M. Eliphaz Levi, connu aussi sous le nom d’abbé Constant : séminariste à Saint-Sulpice, entré dans les ordres, défroqué, marié, écrivain antireligieux et chiromancien. En 1874, il était tombé grièvement malade et avait refusé de recevoir le clergé de sa paroisse. Une âme charitable vint m’en prévenir, me pressa de tenter un dernier effort. Le difficile était d’arriver jusqu’à lui. Quand je me présentai, le portier lui-même se prit à rire. Un jeune homme de trente ans, élève du malade, me congédia poliment.
Durant six jours, mêmes démarches et même insuccès. Je demandai des prières aux bonnes âmes. Le septième jour on consentit à me laisser entrer, à condition qu’il ne serait pas question de confession. L’accueil du malade fut aimable. Très vite, et sans difficulté, la confession se fit.
Le lendemain, à ma grande surprise, le portier de M. Eliphaz Levi vint me dire que le malade attendait avec impatience le saint viatique. Je le lui apportai ; au moment de la communion, je dis quelques paroles d’amende honorable, ajoutant que c’était là le gage de la rétractation sincère que le malade était disposé à faire, s’il revenait à la santé. M. Eliphaz fit un signe approbatif. Je le communiai, présentes toutes les personnes de son entourage. Il mourut dans l’après-midi du même jour .
Les amis du malheureux, durant son agonie, vinrent protester et blasphémer contre cette fin chrétienne. Le jeune disciple de M. Eliphaz qui m’avait reçu répondit qu’il n’avait fait, en introduisant un prêtre, que se conformer au désir formel du malade. Les obsèques eurent lieu à l’église Saint-François-Xavier.

(13) P. Lescœur, Annales de philosophie chrétienne, février 1896.

(14) P. de Bonniot, le Miracle et ses contrefaçons ; la Controverse, T, III, p. 264, 266.

(15) P. Lescœur, Annales de philosophie chrétienne, mai 1899, p. 149, 156.

(16) Mémoire de Mesmer sur ses découvertes, 1778. [Nouvelle édition. Paris, 1828, p. 17.) Cité par M. l’abbé Moreau, L’Hypnotisme, p. 587.

(17) Extrait de la Civiltà, 2 juin 1900, p. 542 et suiv,

(18) Civiltà cattolica, 2 juin 1900, p. 50 et suiv.

(19) M. Marillier, les Hallucinations télépathiques, p, 147.

(20) Mémoires de la mère de Changy. Œuvres de sainte Jeanne de Chantal, T.I, p. 33.

(21) Vie de Saint-Liguori, par l’abbé Jeancard. 2e édit., p. 500.

(22) Bollandistes, 26 mai, p. 510 et 591. 1re édit.

(23) Bollandistes, 26 mai, p. 475.

(24) Vie du bienheureux Ignace d’Azévedo, par le P. Beauvais, S. J., p. 165.

 

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