Les démoniaques dans l’art. [A propos de l’ouvrage de Charcot et Richer]. Par Emile Blémont. 1887.

BLEMONTDEMONIAQUES0001Emile Blémont. Les démoniaques dans l’art. Article paru dans la revu « La Tradition, Revue générale des Contes, Légendes, Chants, Usages, Traditions et Arts Populares », (Paris), A. Duprat éditeur, n°2, mai 1887, pp. 58-60. Emile Blémont est le pseudonyme de Léon-Émile Petitdidier, né en 1839 et mort en 1927. Il fonda la revue La Tradition, la Revue du Nord, Le Monde poétique et Le penseur. Les [p., col.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr [p. 58]

LES DÉMONIAQUES DANS L’ART

Nous recommandons aux Traditionistes la belle publication des docteurs Charcot et Richer : Les Démoniaques dans l’Art (Delahaye et Le Crosnier, éditeurs). Ils y trouveront et y liront avec un vif intérêt maintes légendes plus ou moins diaboliques, illustrées par les grands peintres. Ils y verront en outre comment la science peut tirer profit de la tradition et l’interpréter selon l’esprit moderne. « Les Grecs, disent les docteurs Charcot et Richer, avaient figuré l’âme à la sortie du corps sous la forme d’un petit fantôme, l’eidôlon, gardant la ressemblance du corps, ou bien sous les traits d’une petite figure nue, ailée et toujours peinte en noir. Il semble que ce dernier mode de représentation ait guidé les artistes chrétiens dans leurs premières figurations du Démon, lequel est reproduit sous la forme d’une sorte de génie, d’un petit être nu, parfois ailé, s’échappant, soit de la bouche, soit du crâne de l’exorcisé… « Plus tard, cette figure d’exorcisé prend des traits plus précis. Quand au démon, il a dès lors des cornes, une queue, des griffes. Il revêt même les formes d’animaux les plus étranges ; et jusque chez les grands artistes de la Renaissance, nous retrouvons cette tradition sous la forme de diablotins qui se sauvent dans un coin du tableau. « L’imagerie populaire et religieuse nous a légué un grand nombre de scènes de possessions…

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Les saints, qui, pendant leur vie, s’étaient fait remarquer par leur puissance d’exorcistes, étaient habituellement figurés exorcisant les démoniaques. Saint Mathurin fut un des plus célèbres, et son pèlerinage, à Larchant, a joui, du XIe au XVe siècle, d’une vogue extraordinaire… Saint Benoît, saint Ignace, saint Hyacinthe, saint Denis, et bien d’autres, ont été également représentés exorcisant des possédés ainsi que le témoignent les nombreuses estampes que nous avons trouvées à la Bibliothèque nationale : et des photographies prises d’après les originaux… » M. Philippe Burt y a fait connaître à nos auteurs un curieux document. C’est une tapisserie conservée dans la sacristie de Saint-Rémy. Elle représente la guérison d’une jeune possédée. Cette scène est accompagnée de la légende suivante : Une pucelle avait le diable au corps, Qui, au sortir, à dure mort la livre; Saint Rémy fait que, par divins records, La ressuscite et du mal la délivre.

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Pierre Breughel, qu’on a surnommé « le peintre des paysans, » ou encore « Breughel le drôle, » a laissé de curieux dessins représentant « les danseurs· de Saint-Guy conduits en pèlerinage ù l’église de Suint-Willibrod, à Epternach, près de Luxembourg. Cette procession existe [p. 59] encore de nos jours. Elle a lieu, comme autrefois, à Epternach, le mardi de la Pentecôte, en l’honneur de Saint-Willibrod… Les pèlerins, qui accourent toujours en grand nombre, ont la plus grande confiance dans la puissance du saint patron. Le jour de la fête, ils se réunissent tous sur la rive gauche de la Sure ; et là commence la procession dansante qui se dirige vers la basilique de Saint-Willibrod, au centre de la ville, et qui ne dure pas moins de deux heures. La danse s’exécute suivant un rythme prescrit et marqué par des groupes de musiciens placés de distance en distance. Elle consiste à exécuter, soit trois sauts en avant et un en arrière, soit cinq en avant et deux en arrière. Au dire de tous ceux qui l’ont vue, l’aspect de cette sorte de marée humaine, avec son flux et son reflux, est des plus curieux et des plus saisissants. Parmi les pèlerins, les uns, épileptiques ou atteints d’une maladie nerveuse, dansent pour leur propre compte ; les autres dansent pour obtenir la guérison de leurs parents, de leurs amis, voire même de leur bestiaux. Ceux qui sont trop âgés ou trop malades, payent des gamins d’Epternach, qui, moyennant un salaire de douze à vingt sous, dansent à leur place. Le même gamin saute souvent pour plusieurs pèlerins ou pèlerines… Ce jour-là, la danse se continue dans les bals publics et dans les guinguettes, au milieu d’amusements qui n’ont rien de religieux… » Une autre gravure, ‘qui représente Saint-Benoît délivrant un démoniaque, est commentée par une légende ainsi conçue : « Le saint, allant un jour à l’oratoire de San-Giovanni, qui est en haut de la montagne, rencontra notre vieil Ennemi, qui avait pris la figure d’un maréchal-ferrant et portait une cruche et des vivres. « Le saint lui dit : – Où vas-tu. « – Je vais, répondit l’Ennemi, donner à boire à ton frère. « Saint Benoit alla faire ses oraisons comme de coutume, mais, en réfléchissant à sa rencontre, il n’était pas sans inquiétude. Le malin Esprit, en effet, trouvant un moine d’âge avancé qui accepta le breuvage, il lui entra subitement dans le corps, le jeta ù. terre, et le tourmenta avec une étrange violence. L’homme de Dieu, à son retour à l’oratoire, vit le malheureux moine dans celte cruelle agitation. Alors il se contenta de lui donner un soufflet et chassa l’esprit maudit qui s’enfuit aussitôt et n’eut pas le courage de revenir. » Autre miracle, illustré par un tableau de J.-B. Garbi (1698). Il eut lieu dans la chapelle de Saint-Jean Gualberto, au milieu du bois de Vallombrosa. Taddéa, dame de Prato, possédée du démon, est délivrée par un moine qui tient la croix de Saint-Jean Gualberto. « Il parait que la guérison n’eut pas lieu d’emblée. Quand la possédée, guérie, retournait à son hôtellerie, le diable revenait prendre possession de sa victime, ce qu’on reconnaissait à des signes non douteux, dit le narrateur. Cela recommença plusieurs fois. Enfin le moine prit le partti d’accompagner l’exorcisée avec la croix de Saint-Jean, jusqu’à l’endroit où le démon avait l’habitude de revenir.

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Cette fois, le diable partit, et, malgré les [p. 60] menaces qu’il proféra en quittant la place, il ne reparut plus. C’était un diable plaisant et naïf, qui, par la bouche de la fille, expliquait, nu milieu d’éclats de rire et de bouffonneries, comment il savait céder à la force pour reprendre a proie, une fois le danger passé. » Aujourd’hui, il n’y a plus de démoniaques, il n’y a plus de possédées, pour la science tout au moins. Il ne reste que des névrosées, des hystériques. Les médecins guérisseurs remplacent les saints exorcistes. Tout donne à croire que l’humanité s’en trouvera mieux. Dès maintenant, on sait la nature du mal ; espérons que le remède en sera bientôt connu. C’est par la vérité qu’on arrive au progrès.

EMILE BLÉMONT.

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