Léon Babonneix. Terreurs nocturnes. Extrait du traité :« Les maladies des enfants, – Hutinel (Ed.) », (Paris), Asselin et Houzeau, 1909, vol. V,  pp. 951-956.

Léon Babonneix. Terreurs nocturnes. Extrait du traité :« Les maladies des enfants, – Hutinel (Ed.) », (Paris), Asselin et Houzeau, 1909, vol. V,  pp. 951-956.

 

Léon Pierre Paul Yves Babonneix [1876-1942]. Docteur en médecine. – Interne des hôpitaux de Paris (1898). – Médecin des hôpitaux (1912), hôpital Saint-Louis, Paris. – Président de la Société neurologique et de la Société de Thérapeutique. – Membre de l’Académie de médecine (élu en 1939). Principales publications :
— Les chorées.  Paris : E. Flammarion , 1924. 1 vol.
— Traité de pathologie médicale et de thérapeutique appliquée. Évreux & Paris, impr. Hérissey & Maloine, 1936. Plusieurs édition, en 2 ou 3 volumes suivant la date.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images (portait de l’auteur et tableau de John Singer Sargent) ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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TERREURS NOCTURNES

SYNONYMES : Frayeurs, peurs nocturnes ; pavor nocturnus i,fantum ; night terror ; cris perçants des enfants dans l’obscurité, nachliche aufschekende Aukreischen.

Définition. —Historique.—L’enfant est naturellement enclin à la peur. Le jour, tout événement imprévu l’effraie, sans qu’il s’agisse, pour cela, de ces peurs morbides que nous ont fait connaître Sikorski et, Cruchot (1). L’obscurité redouble ses appréhensions. Un romancier contemporain, se remémorant l’angoisse qu’il éprouvait, jadis, lorsqu’il se trouvait seul dans sa chambrette obscure, écrit cette jolie phrase : « Mes regards, pleins d’horreur, nageaient dans les ombres animées par la peur féconde (2). »

Ce ne sont pas ces faits qui nous occuperont ici. Les terreurs nocturnes sont toujours d’ordre pathologique. Leur nom indique d’une façon assez heureuse leurs principaux caractères. De jeunes enfants, bien portants en apparence, se sont couchés, le soir, comme à l’habitude ; ils dorment déjà depuis quelques heures lorsqu’ils s’éveillent brusquement, en proie à la plus vive angoisse ; leur physionomie bouleversée, leurs cris incessants, leurs paroles incohérentes, leur agitation fébrile expriment suffisamment l’effroi qui les étreint. Cette situation dure quelques minutes, pendant lesquelles ils ne reconnaissent personne. Puis, peu à peu, ils se calment. Bientôt, ils se rendorment. Le lendemain, ils ne se rappellent rien. Dans l’intervalle des crises, leur santé générale paraît excellente.

Cette curieuse affection a été, pour la première fois, décrite par Hesse, d’Altenbourg (1848). Depuis cette époque, elle a suscité un grand nombre de travaux (3), dont les plus importants sont, par ordre [p. 952] chronologique, la leçon de West, la clinique d’Ollivier, l’article de M. Moizard .

Étude clinique. —Symptomatologie.—Il peut se faire que, dans quelques cas, la crise soit annoncée par quelques prodromes : agitation, excitabilité nerveuse, émotivité anormale. C’est là, toutefois, l’exception. Le plus souvent, l’enfant paraissait bien portant lorsqu’il a été mis au lit, et il dormait profondément depuis quelques heures déjà — une à trois, d’habitude, —lorsque, brusquement, soudainement., il s’éveille, « dans une grande terreur, en poussant un cri perçant et retentissant » (West). Tout, en lui, respire l’effroi. Assis sur son lit, tremblant de tous ses membres, les yeux hagards, les prunelles largement dilatées, il s’agite incessamment ou même s’efforce de sauter à bas du lit, comme pour échapper à quelque mystérieux danger, son front est couvert de sueurs, ses traits bouleversés, et comme décomposés ; il se tord les mains, pleure, pousse des cris plaintifs, et prononce quelques mots tels que ; « Oh ! oh ! Otez-le ! papa ! maman ! » (West). Son cœur bat violemment. Tous ces phénomènes permettent de rattacher l’angoisse qu’il éprouve à l’existence d’hallucinationsterrifiantes, presque toujours d’ordre visuel. Le petit malade croit être poursuivi par des camarades armés de pierres, par un chien enragé, un chat sauvage ; il voit des animaux monstrueux, des gnomes, des fantômes, des voleurs, des hommes noirs. Il ne reconnaît plus personne. Au bout de quelques instants, la conscience revient par degrés ; il s’attache alors à sa mère ou à sa bonne, demande qu’on le lève, qu’on le promène dans la chambre et, peu à peu, quelquefois en dix minutes, d’autres fois, en une demi-heure, il se calme et se rendort » (West). La fin de l’accès est souvent marquée par une crise de larmes, ou encore par l’émission d’urines claires et abondantes . Jamais l’enfant ne se mord la langue ni n’urine involontairement sous lui. Le reste de la nuit se passe normalement.

Au réveil, le malade est un peu fatigué, il a les yeux battus, mais il ne se souvient de rien.

Telle est la forme la plus habituellement observée. Généralement, dit West, il ne se produit pas deux attaques dans la même nuit. Cependant, chez un nourrisson de onze mois observé par cet auteur, elles survenaient jusqu’à 7 à 8 fois par nuit, et même, on en observait quelques-unes au cours du sommeil de la journée (pavor noctnus). De tels faits sont absolument exceptionnels. La crise peut être unique. Plus souvent, elle se répète, soit à de longs intervalles, soit régulièrement, toutes les nuits à la même heure, pendant des semaines entières. Son évolution est donc variable. Steiner décrit des formes frustes : les enfants se réveillent en sursaut, émettent quelques sons bruyants, promènent autour d’eux des regards épouvantés, tremblent de tous leurs membres, puis, au bout de quelques minutes, se rendorment après une transpiration abondante.

Dans l’ intervalle des accès, ces enfants paraissent bien portants, et [p. 953 seul, un examen attentif décèle l’existence de troubles digestifs, ou encore de manifestations névropathiques diverses : accidents hystériques (Stekel), neurasthéniques (Braun , Thiemich), ou même crises de somnambulisme (Ellis, Goodhart.).

Diagnostic.—Il n’offre, le plus souvent, aucune difficulté. On n’a qu’à laisser parler les parents pour savoir immédiatement à quelle affection nerveuse on a affaire.

Dans l’épilepsie, les crises offrent le type convulsif, se compliquent. de morsure de la langue et de miction involontaire ; le lendemain, au réveil, apparaît une torpeur caractéristique. Toutefois, dans certains cas, l’hésitation est d’autant, plus permise que, chez l’enfant, le mal comitial peut débuter par des terreurs nocturnes typiques (Debacker, Jules Simon, Stern, Thiemich).

Pronostic.— II est généralement bon. Ce n’est que lorsque les crises se répètent à intervalles très rapprochés, que la santé des petits malades s’altère (Ollivier). On serait donc en droit de se montrer nettement optimiste si, parfois, les terreurs nocturnes n’étaient pas symptomatiques : dans certains cas, elles annoncent en effet l’apparition d’une méningite tuberculeuse, d’une tumeur cérébrale, de l’épilepsie.

Étiologie. Pathogénie.Causes prédisposantes.—Elles peuvent être d’ordre physiologiqueoupathologique.

Des premières, les plus importantes ont trait à l’âge. La maladie s’observe surtout entre deux et six ans, On l’a vue toutefois, dans quelques cas, chez des nourrissons (Comby, West) ou chez des enfants déjà grands. Les filles ne paraissent pas plus souvent atteintes que les garçons.

Les secondes ont été bien exposées par Ollivier. Elles peuvent se réduire à deux état névropathique, presque toujours héréditaire, mauvais fonctionnement des voies digestives.

Les enfants sujets aux terreurs nocturnes offrent constamment des manifestations diverses d’ordre névropathique : ils s’adonnent à l’onanisme, ont de l’incontinence d’urine (Comby, Ollivier), ont été atteints de chorée (Babinski, J. Simon), ou offrent de multiples stigmates de Il est rare que leurs parents eux-mêmes ne soient pas atteints d’une affection nerveuse organique : hémiplégie, paraplégie, ou fonctionnelle : hystérie, épilepsie, idiotie, folie, ou ne soient pas alcooliques (Bryand ).

Quant aux troubles digestifs, ils ont été notés par la très grande majorité des auteurs. Quoi qu’en aient dit Henoch et Steiner, ils ne manquent presque jamais, qu’il s’agisse de dilatation d’estomac avec dyspepsie flatulente (Legendre et Broca), d’entérite ou d’appendicite chronique, d’helminthiase : lombrics, tæmia (Debacker, Sydney-Ringer), oxyures, ou de troubles gastro-intestinaux liés ) des erreurs de régime, à l’usage de vin, de café, d’alcool, à la dentition (Moizard). Ce qui prouve [p. 954] leur influence, c’est que parfois, chaque retour offensif de la maladie est déterminé par des manifestations dyspeptiques nouvelles (Id.), que l’on peut parfois, en administrant à temps un purgatif, ou en modifiant le régime, prévenir l’apparition des crises, et que celles-ci, annoncées par de la constipation (West), se terminent souvent par de la diarrhée » (Hesse). On est donc en droit de dire, avec West, que « les terreurs nocturnes sont toujours liées à un trouble quelconque de l’appareil digestif », et, avec Moizard , que « dans l’immense majorité des cas, le tube digestif est le point de départ des accidents ». Ce dernier auteur rapproche justement des terreurs nocturnes les cas d’aphasie passagère observés par Henoch et Siegmund chez des enfants gorgés de fruits, et disparaissant à la suite d’un vomitif, et le fait de Fränkol, où une indigestion se compliqua d’une hémiplégie transitoire.

Causes occasionnelles et déterminantes.—Elles sont des plus nombreuses : tantôt il s’agit d’une infection récente : bronchite (Ollivier), pneumonie (Soltmann), fièvre typhoïde (Thore), ayant déterminé une anémie plus ou moins marquée ; tantôt d’une intoxication par l’oxyde de carbone, la belladone, le datura stramonium, la quinine (J. Simon). Chez l’enfant au sein, la maladie est souvent causée par les habitudes d’alcoolisme qu’a contractées la nourrice. Citons encore les causes suivantes, dont l’influence nous semble moins établie :lymphatismeavec coryza, otite chronique et hypertrophie des amygdales (Babinski) ; rachitisme, affections cutanées : prurigo, gale, etc., affections dyspnéisantes (Rey).

Beaucoup plus souvent, il est facile de rattacher la crise à un événement récent, qui a vivement impressionné le petit malade. Tantôt il s’agit de scènes violentes, auxquelles il a assisté, tantôt et surtout, d’histoires de revenants, de contes fantastiques que les domestiques ont la fâcheuse habitude de narrer aux tout petits, au moment où ceux-ci vont s’endormir. Ollivier rapporte un cas de terreurs nocturnes développées chez un petit garçon « que préparait à la première communion un ecclésiastique dont l’enseignement était émaillé de descriptions variées des châtiments d’outre-tombe et qui peignait l’enfer avec un coloris trop dantesque ».

Ainsi, les terreurs nocturnes s’observent, le plus souvent, chez de jeunes sujets névropathes et dyspeptiques, à l’occasion d’une émotion vive. Mais comment se produisent-elles ? Quel est leur déterminisme pathogénique ?

Bouchut les considérait comme une névrose congestive de l’encéphale, Hesse, comme une forme atypique de manie. Aujourd’hui. on tend de plus en plus, à les rattacher soit à l’hystérie (Kamenski, Legrand du Saulle, Ollivier, Peugniez), soit à la neurasthénie. Stekel, conformément aux idées de Freud, leur reconnaît une origine sexuelle. Quant à leur mode même de production, il est encore discuté. [p. 955]

Pour M. J. Comby, les terreurs nocturnes ne sont que des rêves effrayants. Avec Ollivier, nous pensons qu’elles sont quelque chose de plus : « c’est le cauchemar qui persiste et se prolonge à l’étal de veille ». Le simple cauchemar, en effet, se termine par un brusque réveil, et n’amène ni frayeurs, ni cris. Dans la peur nocturne, au contraire, « l’assoupissement a cessé, l’enfant sent, distingue, comprend parfois, et, cependant, les sensations éveillées par la présence de gnomes difformes qu’avait créés et animés son cerveau, persistent et s’exagèrent » (Id.). Il y a donc lieu de rapprocher cet état morbide de l’état de rêve prolongé (Lasègue) dont se plaignent tant d’alcooliques.

Traitement.—Préventif.—Il consiste essentiellement à éviter tout ce qui peut favoriser l’apparition du pavor nocturnus. On soignera (Rey) le nez et la gorge des petits malades. Un régime alimentaire sévèresera ordonné ; on luttera contre la constipation, on supprimera les boissons excitantes : vin, thé, café, alcool ; on veillera à ce que le repas du soir soit léger et se compose uniquement d’aliments ternaires : féculents, sucres. On proscrira de la façon la plus formelle « les récits terrifiants, les menaces de croquemitaines, de fantômes et de loups-garous, moyens stupides inventés par la veulerie des parents et des bonnes qui, pour se débarrasser d’une scène d’insubordination, n’hésitent pas à fausser l’esprit de leurs marmots et à les rendre, comme il plaisir, malades et difformes d’esprit » (M. de Fleury). Le lit, dur, 1w devra pas être trop chaud. Avant. d’y monter, l’enfant aura soin de vider sa vessie (Bendix). On l’habituera, petit à petit à dormir sans lumière. Dans la journée, on ne le laissera pas se fatiguer à l’extrême. On évitera de se livrer devant lui à des actes de violence. Bref, on observera, de la façon la plus stricte, les règles classiques de l’hygiène intellectuelle.

Symptomatique.—Il utilise, selon les cas, les méthodes physiques ou les médicaments chimiques.

Parmi les méthodes physiques, nous ne ferons que citer la musique recommandée par Betchinski ; les airs en mode mineur jouiraient, parait-il, d’une réelle efficacité. Plus usitée est l’hydrothérapie, sous forme de bains tièdes, ou de bains de tilleul (d’Espine et Pirot), quotidienset prolongés.

Les médicaments chimiques se proposent tous d’assurer le sommeil dans les premières heures de la nuit (West). L’opium « ne vaut rien » (Ollivier), parce qu’il est toxique et exagère la constipation préexistante. L’antipyrine, le chanvre indien, la jusquiame, le tétronal, le trional, l’uréthane, la valériane, bien que recommandés par de bons auteurs, ne sont pas sans inconvénients. Et les seules substances qui aient fait leurs prouves sont les bromures et le chloral, que l’on peut. d’ailleurs associer (West).

Les bromures seront donnés au moment du repas du soir, aux doses de 0gr 25 à 1 gramme suivant l’âge. Si cette façon de procéder ne suffit [p. 956] pas à faire disparaître les crises, on donnera le bromure en deux doses, une le matin, une le soir. Le bromure de sodium est moins toxique,  le bromure de potassium, plus actif.

Le chloral sera administré soit en potion (5 à 10 centigrammes de chloral), soit plutôt sous forme de suppositoire (0gr,20 par suppositoire).

Le sulfate de quinineréussit parfois dans les cas où les médications précédentes ont échoué ; les enfants sont-ils très anémique, on pourra en faire alterner l’emploi avec celui des préparation ferrugineuses (Unger).

Notes

(1) CRUHET. Caprices et peurs infantiles. Gaz. Hebd. des Sc. Méd. de Bordeaux, 30 avril 1905.

(2) ANATOLE FRANCE. Le livre de mon ami. Voy. aussi, dans PIERRE NOZIÈRE, ce curieux passage : « La nuit, dans ma couchette, je voyais des figures étranges, et, tout à coup, la chambre si bien close, tiède, où mouraient les dernières lueurs du foyer, s’ouvrait largement à l’invasion du monde surnaturel. Des légions de diables cornus y dansaient des rondes, puis, lentement, une femme de marbre noir passait en pleurant, et je n’ai su que plus tard que ces diablotins dansaient dans ma cervelle et que la femme lente, triste et noire était ma propre pensée ».

(3) Bibliographie. —BEYRAND, Thèse de Paris, 1900, n° 444. —BRAUX. Jarhbuch für Kind., T. XLIII, 1896, p. 407. —DEBACKER. Thèse de Paris, 1881.—M. DE FLEURY. Le corps et l’âme de l’enfant, 1re édit., p. 185-188 (A. Collin, édit.). —MOIZARD. Traité Grancher-Comby, T. IV, 2° édition. —OLLIVIER. Leçons cliniques, XVIIIe leçon. —STEKEL. Névrose d’angoisse. Med, Klinik., LV, 1908, p. 621 et 659. —WEST. Maladies des enfants, p. 311.

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