Le dialogue au jardin. Le Disque vert. Par Marcel Arland. 1924.

ARLANDPSYCHANALYSE0001Marcel Arland. Le dialogue au jardin. Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 137-141.

Marcel Arland (1899-1986). Romancier, essayiste et scénariste. Il est connu, outre pour ses romans, pour ses critiques du surréalisme. Nous renvoyons aux nombreuses notes biographiques et bibliographiques qui lui sont consacrées.

[p. 137]

LE DIALOGUE AU JARDIN.

C’était le soir, un jardin et quelques branches de lilas.

— Parfois, dit Jacques Maast, on aperçoit d’ici la silhouette de Gide.

— C’est une silhouette fort habilement composée, lui dis-je. J’ai vu Gide entrer dans un cercle d’amis, les yeux plissés, la bouche ricanante, guettant sur chaque visage un signe de décomposition; et je fus tenté d’applaudir. Cette après-midi, Soupault, qui avait par hasard une mauvaise langue, et comme à l’habitude un cœur charmant, prétendait qu’il ne vivait plus que pour deux raisons, dont la seconde était ses préoccupations religieuses.

— Avez-vous lu, dit Maast, l’histoire de ce jeune Anglais qui avait le don de séduire les cerfs et qui coupa une jeune femme en une multitude de fragments. Entre ce don et ce crime, je distingue mal le rapport ; je suis pourtant assuré qu’il existe. — Que pensez-vous de la psychologie ?

Je ne dissimulai pas mon embarras:

— C’est, il me semble, un des noms des plus récents de l’intelligence.

— Vous pensez donc que M. Bourget, par exemple…

— Ah ! Maast, vous trichez. Presque chacune de vos questions cache un piège (examinons pourtant celle-ci, elle se rapproche assez de la note que je prépare sur Freud). Attendiez-vous que je fisse une mine dédaigneuse en vous entendant parler de psychologie ? [p. 138]

Ce n’est pas d’elle que je me défie, puisque j’y vois une partie de l’âme, celle que l’on oppose d’ordinaire à la sensibilité ; ce n’est pas d’elle, mais de son appareil, de ses professionnels, de ses charlatans. Comme vous avez raison d’instruire le procès des mots, qui sont si traîtres, et de la traîtrise de qui vous jouez si habilement.

— Ai-je parlé de cela? Vous m’inquiétez. Je ne pense pas que l’on puisse reprocher au langage ses trahisons sans comparer d’abord la pensée aux mots

— ni comparer la pensée aux mots sans tricher. (Il s’agit de deux choses incomparables.) — Mais Freud ?

— Laissons-là Freud. C’est de ses thuriféraires que je voudrais parler, et des séances inénarrables où l’on fait de la psychanalyse, des airs initiés, des termes d’école, de tant de pédantisme et de pédanterie. Je ne peux guère parler qu’en littérateur, mais je le ferai : cet envahissement de notre littérature par les morticoles, psychanalystes, psychiâtres ou aliénistes, le clystère ou le scalpel à la main en guise de porteplume, me paraît d’une suprême impertinence. Encore certains sont-ils plus ou moins hommes de science, mais que dire des amateurs !

— On m’a rapporté cette anecdote, dit Maast. Comme M. de Montherlant affirmait qu’il ne s’endormait jamais sans avoir lu une page de Tacite : — « Mais au moins, l’interrompit Mauriac, connaissez-vous le latin ? »

— Connaissez-vous la santé, devrait-on demander à tous ces guérisseurs; mais pour eux comme pour le [p. 139] Knock de Romains, tout homme sain est un malade qui s’ignore. — Je n’oublie pas d’ailleurs que l’art vit surtout de maladie. La plus belle oeuvre de jeune écrivain que je connaisse (c’est une œuvre encore inédite d’André Malraux), elle n’est qu’un pur tourment.

— Je pensais au Citadin, d’Odilon-Jean Périer, que nous aimons tous deux ; n’est-ce pas une œuvre calme et saine.

— Quelle sérénité plus grande que celle des tragédies de Racine, dont chacune cependant renferme un trouble inoui ! C’est à la faveur de la mesure, que le désordre de l’âme apparaît nettement.

— Mais vous alliez me parler de Freud.

— Qu’un philosophe ou qu’un peintre parle d’un livre, je souffre trop pour qu’à mon tour je parle d’un tableau ou d’un traité de philosophie, autrement que par leurs à-côtés. Freud est un poète de grande envergure, un esprit profond et tenace, un artiste lourd mais malin. (Je n’ignore pas qu’il se vante surtout d’être un médecin.) Il possède cette puissance étonnante du génie germanique à bâtir des systèmes complets. Il a su mettre son œuvre en formules, ce qui est un moyen de survie. Son influence est assez importante pour qu’on s’en inquiète ; elle peut être assez utile pour qu’on ne la repousse pas en bloc. Il constitue un excellent exercice de l’esprit.

— Mais la philosophie a-t-elle tant d’influence sur la littérature. Je me souviens d’une époque où les gens du métier ne juraient que par Durkheim et sa [p. 140] philosophie social et pourtant aucune trace de stars chez les écrivains.

— C’est qu’il ne s’agit point ici de philosophie, mais d’une attitude de l’esprit vis-à-vis des problèmes traditionnels, et de moment à l’égard de la vie ; et je ne suis pas bien sûr que cette attitude, cette méthode ne soit le meilleur de Freud. C’est ensuite que les découvertes de Freud ne sont point assez étranges pour nous déconcerter ; elles nous séduisent par leur allure de paradoxe, mais ce sont des paradoxes auxquels nous somment préparés par toute une lignée de moraliste. Mais c’est surtout qu’elles ne heurtent en rien notre individu, qu’elles l’exhalent au contraire, et s’accordent fort bien avec la doctrine de Nietzsche, dont nous ne sommes pas encore dégagés, et qui tend à faire de l’homme, comme dit Pascal, le centre de soi.

— Ne pensez-vous pas que toute psychologie tend à faire de l’homme le centre de soi ?

Le soir était devenu un peu frais, et je n’eus pas encore, ce jour-là, le courage de pousser cette remarque jusqu’à une conclusion nécessaire : toute intelligence est antireligieuse.

Quelques jours après, je recevais ces mots de Maast : « Je voulais vous dire, l’autre soir, que la psychologie (si elle était réellement ce qu’elle prétend être et saisissait les faits qu’elle prétend saisir) en quelque façon expliquerait, arrêterait un état psychique, dans la mesure où elle ne saisirait le mécanisme de la réflexion métaphysique, ses causes, son évolution. Ce n’est pas [p. 141] tout à fait sans fondement : c’est peut-être pour éviter les voies trop indiquées qu’il est bon, plutôt que de rechercher la métaphysique, de s’y laisser contraindre.

Marcel Arland.

NOVALIS (Henri d’Ofterdingen) :

« Est-ce que chaque rêve, même le plus confus, n’est pas un phénomène singulier et qui, alors même qu’on ne croirait pas à un envoi de Dieu, n’en est pas moins une déchirure significative à travers le rideau mystérieux descendu, avec ses mille plis, au fond de notre conscience ? »

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