La psycho-analyse française. Par Paul Farez. 1915.

FAREZPSYCHANALYSE0001Paul Farez. La psycho-analyse française. Paris, A. Maloine, 1915. 1 vol. in-8°, 4 p.

Paul Farez (1868-1940). Médecin qui se spécialisa dans l’étude des sommeils, naturel, provoqués et pathologiques, et donc de l’hypnotisme. Il fut un des fondateurs collaborateurs de la Revue de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique créée par Edgar Bérillon en 1888, qui deviendra dès l’année suivante la Revue de l’Hypnotisme et de la psychologie physiologique, puis enfin la Revue de Psychothérapie et de psychologie appliquée, dont il fut le rédacteur en chef. Quelques publications :
— De la suggestion pendant le sommeil naturel dans le traitement des maladies mentales. Paris, A. Maloine, 1898. 1 vol.
— Hypnotisme et sommeil prolongé dans uncas de délire alcoolique. Paris, Imprimerie de A, Quelquejeu, (1899). 1 vol.
— L’analgésie obstétricale et la narcose éthyl-méthymique. Paris, Imprimerie de A. Quelquejeu, vers 1905. 1 vol.
— La dormeuse de San Remo. Article parut dans la « Revue de l’hypnotisme et de la psychologie physiologique », (Paris), 1905-1906 », (Paris), 1906, pp. 339-342. [en ligne sur notre site]
— Un cas de sommeil hystérique avec personnalité subconsciente. Privas, imprimerie de C. Laurent, vers 1909. 1 vol.
— Le Réveil de la dormeuse d’Alençon. Revue de Psychothérapie, (Paris), août 1910. Egalement en tiré-à-part : Paris, A. Maloine, 1910; 1 vol. in-8°, 12 p. avec 2 photographies.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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La Psycho-Analyse Française (1)

par le Dr Paul FAREZ.

Professeur à l’École de Psychologie
Rédacteur en Chef de la Revue de Psychothérapie
Médecin-Inspecteur adjoint des Asiles d’Aliénés

Vous savez qu’il existe, à Vienne, une école de médecins, neurologistes ou psychiâtre, qui reconnaît pour chefs Breuer et Freud, école qui comprend beaucoup de disciples, qui a produit de nombreuses et copieuses publications et qui pratique exclusivement un certain procédé de diagnostic et de traitement tout à la fois, savoir la « Psycho-analyse ».

Dans leurs publications, dans les réunions scientifiques, dans les congrès internationaux, les tenants de Freud répètent à l’envi : « Quand donc. en France, sc décidera-t-on à étudier et à pratiquer la psycho-analyse ? »

Leur objet est de remonter aux sources de la névrose ou de la psychose, de faire l’analyse psychologique non pas au point de vue statique, an moment même où l’on examine le malade, mais au point de vue dynamique, en retrouvant la série de tous les chaînons qui, de près ou de loin, rattachent la maladie actuelle à un fait initial, causal.

Cette analyse psychologique est-elle inconnue des Français ? Au contraire, ne la pratiquent-ils pas couramment et depuis longtemps ? N’était-dle pas un processus familier aux spécialistes de notre nation, bien avant que Breuer et Freud I’eussent énoncé comme une soi-disant nouveauté ?

D’ailleurs la psycho-analyse de Freud repose, en entier, sur les observations de Charcot relatives aux névroses traumatiques et sur celles de Pierre Janet ayant trait aux idées fixes des hystériques.

En explorant le subconscient, en recherchant le phénomène initial, ils marchent sur les traces de ces deux maîtres ; ils usent des procédés que ceux-ci leur ont enseignés.

Sans doute l’école de Freud a fourni un grand nombre d’observations précises et précieuses ; elle a fouillé, à un point que l’on n’avait pas encore atteint, la sexualité enfantine ; dans la pratique de [p. 2] la psycho-analyse elle a fait preuve d’une patience, d’une persévérance, d’une finesse, d’une acuité, d’une maîtrise qui vont jusqu’à la virtuosité. Mais, en tant qu’elle présente la psycho-analyse comme . un procédé de diagnostic et de traitement se suffisant à lui-même, supprimant tous les autres, les Français ont grand-peine à accepter ses excessives prétentions. Aussi bien sur ses procédés que sur ses doctrines, les cliniciens français font de nombreuses et formelles restrictions que l’on pourrait, ce me semble, résumer ainsi qu’il suit : (2)

I. — Les névroses et les psychoses n’ont pas toutes et nécessairenent une origine psychique. Le physique et le moral sont tellement imbriqués l’un dans l’autre que ce qui agit sur l’un retentit inévitablement sur l’autre. Les désordres psychiques sont souvent engendrés par des auto ou hétéro-intoxications ou infections, par des modifications des humeurs, des troubles sécrétoires, glandulaires, etc.

II. — Même quand elles ont une origine psychique, cette origine psychique n’est pas toujours subconsciente. Ce peut être une émotion, un bouleversement, du surmenage, de la dépression, un abaissement de la tension psychologique, dont le malade a pleinement conscience.

Ill. — Même quand l’origine psychique est subconsciente, elle n’est pas toujours et nécessairement de nature sexuelle, Ce peut être un traumatisme, physique ou moral, se rapportant à n’importe quel événement de la vie ordinaire et se localisant dans n’importe quelle sphère physiologique ou psychologique, autre que la sphère génitale.

IV — Même quand cette origine subconsciente est d’origine sexuelle, elle ne remonte pas toujours à l’enfance ; elle peut intéresser soit la puberté, soit les premiers rapports, soit I’accouchèrent, soit le veuvage, soit la ménopause, etc.

V — Si la cause est subconsciente, il n’est pas toujours bon, il est même parfois mauvais de l’amener à la pleine lumière de la conscience.

Comme le dit Morton Prince, ces souvenirs sont devenus subconscients parce qu’ils étaient en conflit avec les autres idées ou sentiments du sujet. Si on les ramène de force dans cette conscience qui ne les tolère pas, ils seront bien vite repoussés de nouveau et tout sera à recommencer indéfiniment. Et, d’autre part, le professeur Régis a bien raison de souligner qu’il est imprudent de causer indéfiniment avec les névropathes de leurs idées obsédantes, car on peut arriver, par ce moyen, à enfoncer plus profondément, leur esprit les idées morbides ; l’attention perpétuellemcnt.maintenue sur un état psychologique l’avive considérablement ; « elle risque de pratiquer la culture de l’obsession et de l’idée fixe» (Règis.)

VI — L’arrivée du subconscient à la pleine lumière de la conscience ne suffit pas à réaliser la guérison.

Comme le dit excellemment M. Pierre Janet, la mise au jour de ce qui est enfoui dans la subconscience est le préambule, l’introduction, la première opération. Une seconde opération s’impose ensuite pour tâcher de dissocier le souvenir traumatique, soit par la suggestion, soit par tout autre moyen, pour aider le malade à s’adapter à cette situation, à la Iiquider. Cette liquidation, indispensable, est même la partie la plus difficile.

VII. — Le transfert affectif n’est pas nécessairement le signe distinctif du complexe causal : loin qu’il faille le rechercher, le provoquer ou l’encourager, ce transfert affectif doit être évité.

Oui, sang doute, comme le dit M. Pierre Janet, pendant la cure psychothérapique, et, souvent dès le début, le malade, même à son insu, manifeste à l’égard de son médecin, une « attitude affective ». En effet, ce malade est incapable de conclure par lui-même, il a besoin d’être compris et dirigé; rencontrant un médecin qui lui prodigue de la bonté, du dévouement, de la sollicitude, de la patience. ll éprouve, tout naturellement, pour lui, de la sympathie, de la reconnaissance, une camaraderie affectueuse, une amitié cordiale qui le rendent pleinement docile aux directions thérapeutiques. Il y a loin de là à condenser sur la personne du médecin, soit au point de vue hétéro­sexuel, soit au point de vue homosexuel, l’affectivité insatisfaite du malade et le paroxysme de son libido sexualis. On a beau essayer de faire comprendre au malade, comme le recommande Freud, qu’il s’agir là d’un simple état transitoire, momentané, provisoire ; quand on a éveillé, provoqué, encouragé ce libido, on n’est plus maître d’en arrêter l’ardeur avec de la dialectique ou des considérations purement théoriques.

Tout en recherchant une sorte de communion sympathique entre son malade et lui, le psychothérapeute doit, au contraire, dès le début, veiller à cc qu’il ne s’y mêle, à aucun moment, rien qui puisse ressembler ù un attachement sexuel quelconque.

VIII. — Pour explorer le subconscient, il ne suffit pas d’interroger la mémoire consciente et de pratiquer l’unique procédé du « bavardage ».

Il s’agit de découvrir un phénomène subconscient et, pour cela, Freud explore le conscient ! N’y a-t-il pas la contradiction ? En racontant tout ce que sa mémoire lui rappelle, le sujet ne fait aucune incursion dans le subconscient ; celui-ci ne se laisse pas pénétrer par la pleine veille consciente. [p. 4]

Il faut, au contraire, tirer parti des formes variées des divers états passifs, hypnoïdes, hypotaxiques, tels que la rêvasserie, la somnolence, la dépression, le somnambulisme, le vigilambulisme, l’automatisme, le sommeil naturel. Il convient d’interroger le malade quand il est dans l’état subconscient, ou de l’y plonger systématiquement, quand on ne l’y surprend pas, par exemple : les divers degrés de l’hypnose, même l’éthérisation ou la chloroformisation, pendant lesquelles on peut obtenir de véritables confessions, qui découvrent, parfois, la clef de bien des psychoses, — de préférence encore, la narcose éthyl-méthylique qui permet l’exaltation de la mémoire et la reviviscence de souvenirs latents. (3)

IX — Les névroses et les psychoses sont possibles malgré une vie sexuelle normale ; même après l’évocation du complexe causal, le retour à une vie sexuelle normale n’assure pas toujours la guérison ; bien plus, la guérison est possible et fréquente, sans retour à la vie sexuelle normale.

X. — La thérapeutique est une étape distincte de la recherche étiologique. Elle fait appel à toutes les modalités de la psychothérapie, depuis la dérivation, la distraction, la dissociation, l’inhibition, la réduction et l’oubli jusqu’aux diverses variétés de la suggestion, soit indirecte (émotion, suggestion, armée, etc.) soit directe (hypnotique. somnique ou narcotique). Elle s’appuie aussi, dans la mesure du possible, sur la restitutie ad integrum des divers processus physiologiques ; et elle fait appel, en outre, aux agents physiques ou chimiques.

Il existe donc une psycho-analyse française, très vivace et journellement appliquée, qui ne se laisse pas emprisonner dans les dogmes étroits et exclusifs du pansexualtsme et du refoulement, — qui ne se cantonne pas dans un unique procédè d’exploration, — qui répugne au dangereux transfert affectif, — dont le point de vue, véritablement clinique, est plus large et plus étendu, — qui, serrant de très près la réalité, admet une pluralité de causes pathogènes, — dont les procèdes sont plus divers et plus souples, — qui permet des applications plus rapides et plus sûres au diagnostic et au traitement des névroses et des psychoses.

NOTES

(1) Communication faite à la vingt-troisième séance annuelle de la Société de Psychothèrapie, présidée par M. le Professeur Pierre JANET. (16 juin 1914).

(2) Deux magistrales (et j’oserais dire définitives) critique de la psycho­ analyse de Freud ont été faites, dans ces derniers temps, par M. Pierre Janet, professeur au Collège de France et par M. Régis, professeur à la Faculté de médecine de Bordeaux. Ce qu’on va lire ne saurait manquer d’être, dans une large mesure, comme une sorte d’écho de ce qu’ont écrit avec tant d’autorité ces deux éminents maîtres.

(3) L’évocation du subconscient a fait l’objet d’un très grand nombre de travaux publiés par les principaux spécialistes en la matière, principalement par M. Régis et M. Pierre Janet. Pour mon compte, je rappellerai les publications suivantes : Fausse angine de poitrine consécutive à un rêve subconscient (10e Congrès des Aliénistes et neurologistes, Marseille, 1899.) — L’évocation du subconscient (Congrès international de Psychologie, Paris, 1900.) —L’hypnotisme comme procédé d’investigation psychologique (2e Congrès international de I’hypnotisme, Paris, 1900. — La psychologie du somnoformisé. (Revue de l’hypnotisme, juillet-août 1903, (Paul Farez.)

 

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