La part de la maladie chez les mystiques. Par Jean Vinchon. 1926.

Portrait de Vinchon Jean Jean Vinchon. La part de la maladie chez les mystiques. L’article que nous proposons est extrait d’une revue devenue fort rare : Pro Medico, revue périodique illustrée. Paris, 3e année, n°2, 1926, pp. 36-44.

 

Jean Vinchon nait à Ennemain près de Péronne en 1884, et meurt à Paris le 15 novembre 1964. Sa thèse de doctorat en médecine, ayant pour thème le délire des enfants, en 1911 devant un jury de la Faculté de médecine de Paris. Il sera un collaborateur de Gilbert Ballet, et Médecin assistant du service de psychiatrie à l’Hôpital de la Pitié de Laignel-Lavastine. Psychiatre et historien de la médecine il s’intéressera beaucoup au paranormal, au diable, à l’hypnose, mais aussi à l’art dans ses rapports avec la folie. Il collaborera avec Maître Maurice Garçon dans un ouvrage qui reste une référence : Le Diable. Il sera membre de l’Institut Métapsychique International (IMI).

Quelques titres de travaux parmi les 500 publications connues :

– Délires des enfants. Contribution à l’étude clinique et pronostique. Thèse de la faculté de médecine de Paris n°388. Paris, Jules Rousset, 1911. 1 vol. in-8°, 165 p., 2 ffnch.
– Hystérie. Paris, Stock, 1925. 1 vol. in-16, 122 p.
– L’art et la folie. Paris, Stock, 1924. 1 vol. in-18, 127 p. Illustrations. Dans la collection « La culture moderne ».
– Les guérisseurs – Du rôle de la suggestion dans les succès obtenus par les guérisseurs (Institut International d’Anthropologie n°13 de 1928).
– Sur quelques modalités de l’Art inconscient (juillet-août 1928).
– Les faux Dauphins et leurs prophètes (juillet-août 1929).
– Le fluide de Mesmer est-il une énergie physique ou une force métapsychique (juillet-août 1935).
– Le problème des stigmates et son intérêt métapsychique (nov.-déc. 1936). 
Diagnostic entre la transe médiumnique et les états similaires pathologiques (sept.-oct. 1937).
– La psychothérapie dans l’œuvre de Mesmer (mai 1939).
– Les formes et les éléments de la psyché dans la conception de Jung (15 avril 1954). (Marcel Martiny, 1964).
– Les aspects du diable 
à travers les divers états de possession. Article parut dans le numéro spécial des  » Etudes carmélitaines » sur « Satan ». (Paris), Desclée De Brouwer, 1948. 1 vol. in-8°, 666 p. –pp. 464-471. [en ligne sur notre site]

Les [p.] correspondent à la numérotation des pages originales de l’article.

Pro Medoc 1926 2 couverture-1

VINCHONMYSTIQUE0001

[p. 36]

LA PART DE LA MALADIE

CHEZ LES MYSTIQUES

par le Docteur Jean VINCHON

 L’opinion des médecins sur les mystiques a varié suivant les époques. Ceux-ci sont tantôt considérés comme hystériques, et tantôt comme délirants, suivant qu’ils sont observés à la Salpêtrière vers 1880 ou dans les asiles contemporains, et la même étiquette réunit des tableaux souvent fort dissemblables, confondant le mysticisme psychopathique, stérile et souvent antisocial avec le mysticisme d’une Sainte Thérèse, organisatrice d’élite, pleine de raison, au retour de ses envolées aux jardins célestes.
Nous voudrions aujourd’hui chercher à préciser, pour le médecin, la part de la maladie dans le mysticisme. Nous avons choisi à dessein un cas frontière, reconnu tel par les autorités ecclésiastiques qui l’ont ‘étudié du point de vue confessionnel.
Ce cas est celui d’une mystique du Tyrol, Maria de Mörl, presque notre contemporaine et que ses visiteurs honoraient comme une sainte. Elle resta une pieuse fille, sans autre adjectif. Il ne nous appartient pas de discuter cette décision de l’Église qui semble avoir été inspirée très tôt, dès les premières années de la vie mystique de Maria, à la suite de rapports médicaux.
Maria a vécu toute sa vie à Kaltern. Cette petite ville, où les chapelles et les églises alignées le long de la rue principale, témoignent de la foi ardente des habitants, est située au pied des hautes montagnes du Tyrol, près d’un lac de rêve, plein de mystère sous les brumes du matin. Les pentes ravinées du Tyrol la dominent, déjà sauvages à quelques pas des cultures. Derrière les crêtes, la nature reprend ses droits : ce sont des landes et des vallons, décors anciens des sabbats, aujourd’hui hantés seulement par quelques troupeaux.
Une population mi-italienne, mi-allemande habite ce pays.

La petite maison de Maria contre la Chapelle des Franciscains.

La petite maison de Maria contre la Chapelle des Franciscains.

L’élément [p. 37] allemand est resté longtemps très attaché à l’Autriche ; les Italiens, au contraire, se sont plusieurs fois soulevés contre Vienne ; à l’époque où vivait Maria, pendant la première moitié du XIXe siècle, le souvenir de ces luttes était resté très vif.
Le hasard qui fait souvent bien les choses, nous a mis en possession d’une partie des papiers de Maria de Mörl. Le coffret où sont conservés ses souvenirs ne peut être ouvert sans émotion. Sa vie mystique y est enclose tout entière. Il y a là des enveloppes contenant des cheveux coupés à diverses époques, des fragments de linge, des photographies d’elle en extase ou sur son lit de mort, des images de piété, un clou qui lui aurait été enfoncé dans la jambe par le diable, des lettres et, enfin, une traduction du manuscrit de son confesseur qui relate sa vie.
Maria appartenait au Tiers-Ordre Franciscain. Elle s’était fait construire, à la mort de son père, en 1840, deux pièces et une cuisine, tout contre la chapelle du couvent et vivait là, dans la piété et la charité évangéliques. La biographie, les lettres sont profondément imprégnées de cet esprit de charité. A les lire, on oublie les heures présentes et on se croit transporté à Assise, au temps de Saint François, de Sainte Claire, de Frère Junipère et du bienheureux Frère Egide, pendant que des voix fraîches chantent les laudes célèbres : « Loué sois mon Seigneur, avec toutes les créatures, spécialement Monsieur le Frère Soleil, lequel donne le jour, illuminé par lui. Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur. De toi, Très Haut, il porte signification… » Alors, dans le froid Tyrol, exprimée par la langue allemande, revit toute l’Italie des Fioretti et des primitifs Siennois. Et c’est peut-être la clef des joies extraordinaires de Maria et de certaines de ses lettres, véritables poèmes de la nature ; au contraire, dans ses angoisses mystiques, elle reste la fille des montagnards farouches, souvent armés pour leur foi. [p. 38]
Sa vie se divise en trois périodes. Pendant dix-huit mois, elle cherche sa voie, c’est-à-dire qu’elle tente de fuir les angoisses et les douleurs physique et morale, qui ne lui laissent point de repos ; elle trouve son but mystique et, désormais, s’y tient jusqu’à ses dernières épreuves. Dans la seconde période, de Juin 1833 à Janvier 1864, Maria vit dans sa chambre, pâle recluse sensible, avec la seule joie des extases: elle y reçoit les stigmates et subit l’étrange supplice des épingles et des clous ; ses angoisses sont journalières; le diable rôde dans la cellule, autour du lit et l’assaille même parfois. La dernière période, de Janvier 1864 à Janvier 1868, est celle du grand combat : elle traverse une terrible crise au cours de laquelle elle perd le contrôle de soi-même, se croit le jouet des puissances infernales et doute d’avoir été inspirée par Dieu. Dans d’autres temps, elle aurait subi le sort de Madeleine de la Croix ; au cours de ces crises de doute, qui se renouvelèrent plusieurs fois, elle se serait vue, comme elle, victime de l’interprétation dans un sens démoniaque de sa vie merveilleuse et condamnée à l’internement dans un couvent.
Nous ne pouvons relater intégralement la vie de la « vierge extatique,
Maria de Mörl » telle qu’elle nous a été transmise par son confesseur le Père Simon Prantanier. Nous en rapporterons seulement les passages caractéristiques qui peuvent éclairer l’opinion d’un médecin sur les mystiques.
Maria naquit à Kaltern, le 6 Octobre 1812. Elle était la seconde fille d’une famille de neuf enfants. Fillette studieuse, elle partageait sa vie entre la prière, l’étude et l’exercice de la charité. Sa santé fut toujours médiocre. Elle souffrait de l’estomac et aurait vomi du sang à deux reprises, à 5 ans et à 9 ans. Après le second crachement, apparurent de l’.oppression et un point continuel du côté gauche. Son caractère se modifia dès lors dans le sens de la gravité. L’amour de la solitude se développait. La mort de sa mère accentua cette tendance. Elle était, à ce moment, âgée de seize ans et se faisait recevoir dans le Tiers-Ordre de Saint-François. Peu après, elle tomba pour la première fois dans de terribles crampes généralisées, où elle perdit la vue, la parole et la sensibilité extérieure. Des vomissements alternaient avec des convulsions et des syncopes. Le Docteur Marchesani, appelé auprès d’elle, la guérit au bout de 30 jours, bien qu’elle n’ait pu prendre, pendant ce temps, aucun médicament, mais seulement, avec beaucoup de peine, un peu de nourriture.
Les crampes, les vomissements, les convulsions et les syncopes reparurent pendant deux mois et guérirent de nouveau subitement après une prière ardente à Saint-François et à Saint-Romuald. Les mêmes symptômes se reproduisirent une troisième fois, avec, en plus, des visions terrifiantes d’hommes noirs tourmentant les âmes du purgatoire, de chats noirs se promenant dans la chambre, avec des hallucinations auditives la menaçant de damnation. Elle guérit encore subitement après être tombée en extase pour la première fois, état qui se répéta à chaque communion nouvelle. Cet état d’extase était caractérisé par la perte de toute sensibilité extérieure, la perte de la notion du temps et par une transfiguration complète. Il avait été préparé par des consolations au cours desquelles l’Enfant Jésus lui aurait manifesté sa présence.
Reprenons les faits et arrêtons-nous à cette première étape. Maria nous apparaît comme ayant d’abord souffert d’angoisse physique : l’oppression, le point de côté en sont les symptômes. En même temps, elle a peu de goût pour le monde et n’aspire qu’à la vie religieuse. Elle cherche ainsi l’état qui la consolera de ses douleurs physique et morale et le trouve dans l’extase. [p. 39]

Dessin, d'après nature, montrant les stigmates.

Dessin, d’après nature, montrant les stigmates.

Mais, entre temps, elle souffre à plusieurs reprises d’autres états pénibles, où l’abolition de la sensibilité du monde extérieur existe, comme dans l’extase. Ces états lui permettent d’abord des consolations, puis l’envahissent toute entière et lui imposent la conviction qu’elle est perdue sans retour. Ils expriment deux ordres de troubles : des troubles émotionnels, allant jusqu’à l’anxiété la plus vive; des troubles imaginatifs, dont le plus grave est la rêverie hallucinatoire. Sur un terrain préparé, au même degré émotif et imaginatif, la suggestion d’une foi ardente produit les plus apparents des symptômes : crampes, convulsions, vomissements, anesthésie; la suggestion médicale les guérit d’abord ; ils cèdent ensuite, après rechute, à une suggestion venue de cette même foi religieuse, c’est-à-dire à une auto-suggestion.
Essayons une synthèse de ces faits. Maria de Mörl, cherchant un refuge contre le monde extérieur, croit d’abord le trouver dans l’hystérie aggravée d’une démonopathie épisodique. Comme la plupart des vrais mystiques, elle ne s’est pas arrêtée là ; au-delà de l’hystérie, elle a trouvé l’extase. Mais n’oublions pas qu’elle était partie de l’angoisse et d’un trouble émotionnel et que, même dans l’hystérie, ceux-ci ont joué un rôle important. Par là, elle diffère des hystériques classiques qui ne sont qu’imaginatifs.
L’hystérie reparaît dans le reste de l’histoire de Maria à plusieurs reprises. [p. 40]
Une fois, entr’autres, il s’agit d’une paralysie apparente du côté gauche avec rechute des souffrances anciennes durant quatre mois et se terminant par l’apparition de la « gaieté extraordinaire » qui dure près de deux mois. « Elle riait alors beaucoup en faisant d’innocentes plaisanteries, » et surtout elle prêtait au monde une attention qui ne lui était pas coutumière. Alors que dans les périodes de souffrances et d’angoisse consciente, elle répondait brièvement aux nouvelles et invitait ses correspondants à ne pas oublier, à cause des choses de la terre, les seules préoccupations auxquelles il faille s’arrêter : la connaissance de la Foi et le service du Christ, dans les périodes de « gaieté », elle se laisse aller à chanter la nature, sur le mode franciscain. Voici un fragment de lettre qui date d’une de ces périodes :
« Le triste hiver est maintenant passé. Tout dans la grande nature et la création de Dieu, pousse, fleurit et verdit et revient à la vie. Je dois, pour cette raison, t’envoyer un signe de vie de ma tranquille petite chambre, pour que tu ne croies pas que je suis morte, car il y a si longtemps que je ne t’ai pas écrit. Aussi nous sommes maintenant aux temps joyeux des Pâques et je dois te transmettre, à toi et au cher Joseph, mes souhaits et mes sentiments d’amitié réunis dans un joyeux alleluia. Et maintenant, chère Joséphine, comment es-tu et vis-tu encore ? Est-ce que tes souffrances et ton mal physique et moral t’ont quittée ? As-tu l’esprit aussi déprimé et aussi triste que lorsque tu m’écrivais ta dernière lettre. Si cela était encore, ne te désespère pas et dirige avec foi ton cœur vers le bon Dieu dans le ciel… » Il y a là une exaltation de l’humeur, mais qui se rapproche bien plus de celle d’une convalescence après une longue maladie que de l’excitation hypomaniaque. Il ne s’agit pas de fuite des idées, mais au contraire d’une attention mieux fixée sur le monde extérieur et de variations plus riches sur les thèmes habituels, constants et opposables à la variabilité des pensées de l’hypomaniaque. De même sa charité, qui inspire ses légères plaisanteries, s’oppose à la taquinerie, à la causticité et à l’exaltation des mauvais instincts chez ces malades. Comme l’extase, la gaieté extraordinaire appartient en propre aux mystiques et ne dépend pas d’un syndrome pathologique défini.
L’épisode des clous et des épingles mérite d’être rapporté intégralement : il est dans la tradition démonologique, et Jean Wier, qui l’a longuement discuté, le considère comme un des principaux signes de la possession démoniaque. Nous ne l’avons jamais noté chez les possédés modernes que nous avons observés, alors que le « don des langues » serait la règle chez eux. L’Église, actuellement, attache une grande importance à ce dernier signe.
« On remarquait, dans sa bouche, des épingles qu’elle essayait de mâcher et qu’elle ne rendait qu’avec de grands efforts. Deux ou trois fois par jour, ces épingles, des morceaux de fil de fer et de verre, différents clous de fer, de petits os pointus et du crin sortirent de son corps, de la bouche, de la tête, du dos, de l’estomac; un grand clou à planches sortit du pied gauche paralysé, qui aussitôt recouvra sa souplesse. De même dans son lit, dessus et dessous son drap, on rencontrait de ces objets; à peine les avait-on ôtés qu’on en retrouvait d’autres et, ce qu’il y a de remarquable, c’est que ces objets ne pouvaient être trouvés et enlevés qu’en présence du confesseur, par la femme de chambre. A cette époque, elle se plaignait d’élancements dans les yeux, la tête, le dos et la poitrine, elle criait et se lamentait à faire pitié, s’arrachant les cheveux ; elle devint toute égarée et ne put être retenue au lit qu’avec peine. Interrogée comment ces objets étaient entrés dans son corps, elle répondit [p. 41]

 

 

 

que des hommes horribles se tenaient près d’elle, lui montraient des clous et la forçaient à les accepter. Une fois qu’on arrangeait son lit, elle se mit à trembler et à crier. Son confesseur lui en demanda la cause et elle expliqua : « Une chose abominable vient d’entrer dans mon lit. » Le Père lui dit alors de prendre la chose au nom de Jésus et de la lui donner. Elle répondit : « Voilà qu’elle s’en va et entre dans la pièce à côté. » Le Père y courut bien vite et saisit l’objet : c’était un morceau de bois dur qu’entouraient quelques cheveux.
Après des prières publiques, Maria fut délivrée de cette épreuve, qui paraitra toujours suspecte à un esprit médical. Deux hypothèses seules restent discutables : ou bien l’hypothèse d’une origine surnaturelle de ces objets, ou celle d’une simulation de leur apport par les démons, simulation plus ou moins consciente, dont l’origine serait la tradition, fidèlement conservée dans un pays mystique, comme le Tyrol. Nous verrons plus loin à propos des stigmates quels arguments on peut apporter à l’hypothèse de la simulation. Maintenant nous nous contenterons de noter que la simulation, si elle a existé, à été une étape, au même titre que l’hystérie.
A l’épisode des clous, succèdent des luttes avec des fantômes noirs, sans suite grave pour Maria puisqu’elle n’éprouve ensuite qu’une « légère douleur de la tête ou des membres » puis encore des inquiétudes, des tentations ; les extases deviennent, dans le même temps, de plus en plus fréquentes, si fréquentes que son confesseur doit y mettre ordre, au nom de l’obéissance. Les autorités ecclésiastiques, émues du concours du peuple que suscitaient ces merveilles, interdirent cette affluence et imposèrent une surveillance médicale à Maria. Il est regrettable que le rapport qui résumait cette observation ne soit pas dans le dossier, car sa conclusion formulée par l’Évêque témoigne d’un esprit scientifique remarquable. [p. 42]

Faut-il, à propos de stigmates, revenir à la même hypothèse que pour les clous et les épingles ? Maria s’efforce, d’abord, de les dissimuler, puis les avoue dans ses extases. N’oublions pas que peu après qu’elle eut montré les stigmates récents à son confesseur, Maria se prit à pleurer et à gémir, demandant pourquoi Dieu faisait de telles choses, disant que tout était faux, qu’elle avait été trompée et trompait encore d’autres, qu’elle serait de nouveau obligée de se soumettre à de pénibles examens, etc… Elle cherchait maintenant à cacher les stigmates avec le plus de précaution possible… » Ce fragment du récit du Père Simon reste très troublant : ce sont presque les mêmes termes qu’il reprend lorsqu’il décrit la crise anxieuse de la fin : « (Elle) se lamentait constamment, disant qu’on l’avait trompée, qu’elle-même était une menteuse, que pendant tant d’années elle avait trompé un si grand nombre de personnes qu’aucune absolution ne pourrait lui être utile. » Les « auto-accusations » sont des symptômes classiques au cours des crises d’anxiété, mais ne peuvent-elles aussi être considérées comme des aveux ? Le problème est difficile à résoudre.
Les intuitions, les prémonitions de Maria sont nombreuses ; dès son enfance, elle connaît, par des intuitions, les faits immédiats ou lointains, elle est avertie des sentiments de l’entourage, de la curiosité et de la malveillance. Maria sait voir aussi en elle et découvre, dans son cœur, toute la gamme des sentiments affectifs, de l’amour à la compassion ; chacun de ces sentiments est poussé à l’extrême et participe de sa vive sensibilité de malade n’ayant jamais quitté la chambre. Mais son cœur s’impose même, dans les extases, l’obéissance à la stricte orthodoxie. Sur ce terrain, vraiment mystique, elle échappe à la pathologie et se montre bien différente des malades rêveurs, à l’imagination désordonnée et délirante. Des tableaux, comme celui de l’Adoration des Anges, illustrent cette musique intérieure. Ils sont colorés de la fraîcheur des primitifs. Tableaux, voix du ciel ou de l’enfer, sont bien plus que des hallucinations, des rêveries très vives, comme Régis l’avait observé chez les mystiques délirants. Le même processus imaginatif intervient chez le malade et dans notre cas, bien qu’ils soient, en réalité, différents.
Les confesseurs de Maria comprirent tous la nécessité de la contenir dans l’obéissance. Ils la rappelaient sans cesse à l’humilité et à la soumission à Dieu, s’abstenaient de l’interroger et la laissaient parler. Ils suivaient, en cela, les conseils de l’Église, toujours prudente devant un nouveau miracle, et dont les neurologistes pourraient s’inspirer pour l’examen des névropathes. C’est dans le même esprit de prudence que les autorités ecclésiastiques réclamèrent plusieurs fois l’examen des médecins.

La dernière crise, « le combat final » reproduit le tableau de l’anxiété confusionnelle. Son corps était épuisé par la privation de nourriture. Elle perd la notion du monde ambiant et, avec elle, les conseils du sage guide qui la maintenait dans des limites raisonnables, même au moment des extases. Sur ce fond de confusion, des visions pénibles apparaissent. Elles sont colorées de rouge et de noir, comme c’est la règle quand elles reproduisent des démons ou des fantômes hostiles. Elles expriment les craintes, alors familières aux Tyroliens, très attachés à la religion et à la monarchie des Habsbourg. Les soldats, les libéraux de ces visions, évoquent les carbonari, adversaires de l’Autriche. Maria les craint au même titre que les diables et finit par ne plus trouver aucun repos, ni le jour, ni la nuit.
Notre mystique se calme avec l’automne, mais elle est de plus en plus faible

 

 

[p.43] Son corps est couvert de plaies et d’escarres. Elle souffre d’une toux violente. Cette dernière période se termine par une mort douce, après une dernière vision céleste.
Maintenant que nous sommes en possession des principaux éléments du débat, quel diagnostic allons-nous porter ?

Nous avons déjà parlé d’hystérie, de simulation plus ou moins consciente. La guérison brusque de l’anesthésie générale et sensorielle, de la paralysie du côté gauche rentrent dans le premier cas ; l’histoire des clous et des épingles, des stigmates, rentrerait peut-être dans le second. Hystérie ou simulation à ce degré sont le résultat de suggestions : désir de fuir le monde en abolissant la sensibilité ; suggestion entretenue par la tradition démonologique ; suggestion enfin due au désir de ressembler à Saint François. [p. 44]

Image de piété représentant Maria avec les stigmates.

Image de piété représentant Maria avec les stigmates.

De la certitude de l’hystérie à un moment donné, peut-on déduire que Maria est une hystérique et rien de plus ? Elle ne présente que partiellement l’état mental habituel de ces névrophates qui ne sont jamais comme elle, humbles, solitaires et capables de continuité dans la vie.

Il ne s agit pas non plus d’un des délires mystiques des prédisposés. Les hallucinations, ou plutôt les rêveries hallucinatoires, sont trop banales chez les mystiques pour caractériser un délire. Par contre, il manque, dans notre cas, l’orgueil (elle reste jusqu’au bout soumise à ses supérieurs) et la méfiance (elle ne présente aucune idée de la nature des idées de persécution en dehors des périodes d’angoisse).
Le mysticisme de Maria est l’expression d’une psychologie particulière, mais il ne rentre pas dans les cadres de la psychiatrie. Il ressort plus du domaine du psychologue que de celui du médecin, à qui il n’appartient que par périodes.
Maria partie à la recherche de l’union mystique avec Dieu, s’égare dans le labyrinthe où elle est engagée. Elle s’attarde plusieurs fois à l’hystérie, peut-être à la simulation, mais elle dépasse ces étapes ; l’hystérie passe au second plan dans son histoire, derrière « l’exaltation du sentiment religieux, l’angoisse du doute, la soif de la certitude, le désir de la sainteté » (C. Dumas).

Nous savons qu’elle n’est pas une aliénée. L’imagination l’a consolée en lui offrant les extases; l’exaltation des fonctions organiques après les souffrances, l’a mise dans un état d’humeur analogue à celui des convalescents, l’état de gaieté extraordinaire.
La part de la maladie est limitée dans ce cas, comme chez la plupart des mystiques et nous pouvons reprendre avec l’archevêque François-Xavier Luschin, l’heureuse formule qui peint bien son état : « La maladie de Maria de Mörl n’est pas sans doute de la sainteté, mais sa constante dévotion n’est pas non plus de la maladie. »

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1 commentaire pour “La part de la maladie chez les mystiques. Par Jean Vinchon. 1926.”

  1. vallin michelleLe mardi 14 mars 2017 à 17 h 37 min

    Je connaissais l’histoire de Marthe Robin ..