La Paramnésie et les rêves. Par A. L. D. 1915.

René Magritte.

René Magritte.

A. L. D. La Paramnésie et les rêves. Article parut dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Étranger », (Paris), quarantième année, tome LXXIX, janvier-juin 1915, pp. 39-48.

Un article intéressant en réponse aux nombreuses publications sur le sujet, qui initie une réflexion sur les rapports de la paramnésie et du rêve, au regard d’une expérience personnelle.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé plusieurs fautes de typographie. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 39]

La Paramnésie et les rêves

Les phénomènes connus sous les noms de paramnésie, fausse mémoire et fausse reconnaissance, ont été l’objet d’études d’une grande valeur. Ces travaux je les ignore presque tous.

Je serais dès lors inexcusable d’aborder de plain-pied un sujet aussi difficile, si je n’avais à exposer certains faits d’expérience et les remarques qui en découlent. Les uns comme les autres auront peut-être quelque intérêt pour ceux qui explorent les régions encore si mystérieuses du souvenir.

Et tout d’abord je prie le lecteur de m’excuser si mes impressions personnelles tiennent ici tant de place. Il ne peut en être autrement dans ce genre de travaux.

Comme tout le monde, je fais souvent des rêves lesquels n’ont pour la plupart du temps rien d’extraordinaire. Mais quelquefois les choses prennent une tournure plus compliquée. Ainsi, il m’est arrivé il y a longtemps de résoudre algébriquement pendant le sommeil un problème dont j’avais, pendant la veille, cherché inutilement la solution. M’étant couché découragé par l’insuccès, j’eus au réveil une agréable surprise le problème était résolu. Je n’eus qu’à mettre sur le papier, sans nouveaux efforts de raisonnement, les résultats obtenus pendant le sommeil.

Dans ce temps, le puissant rôle joué par l’inconscient et le subconscient dans l’activité psychique n’avait pas éveillé la curiosité des chercheurs. Cette matière m’était absolument étrangère comme, du reste, presque toute la psychologie.

Et c’est ainsi que le fait mentionné, tout en m’étonnant vivement, néanmoins ne provoqua pas chez moi le désir de l’examiner sérieusement. Je doute, d’ailleurs, que j’eusse pu faire à cette époque, n’ayant pas l’habitude de l’introspection, un examen sérieux. Mais le souvenir du rêve ne s’efface jamais. Il resta net et détaillé, me servant, plus tard, pour reconstruire et analyser longuement les faits. [p. 40]

Il est d’abord évident que tout un raisonnement déductif s’est déroulé à mon insu, et que seulement une partie, les résultats, a franchi le seuil de la conscience, se cramponnant à la mémoire. Et cela à un tel point que pendant plusieurs années ces souvenirs y restèrent avec toute leur fraîcheur. Il n’est pas moins évident que le processus a été bien enchaîné et correct puisque la solution a été trouvée exacte.

ALDPARAMNESIE0005

Supposons maintenant que je n’eusse jamais fait à l’état de veille des raisonnements identiques à ceux qui avaient été nécessaires pour résoudre le problème en question. Et admettons aussi que le mode de solution, n’ayant pas frappé mon attention, eût disparu sans laisser le moindre souvenir conscient. Si dans ces conditions on fait en ma présence les mêmes opérations algébriques jadis faites par moi, de deux choses l’une :

Ou bien les raisonnements me sembleront tout à fait nouveaux ou bien je croirai les avoir faits auparavant. Ils auront pour moi cet air de déjà vu, de familiarité qui est le propre du souvenir. Mais dans l’espèce cet air familial est pour moi une cause de trouble parce que je me demande en vain où, quand, et comment j’ai fait, ou vu faire, les opérations qui se déroulent devant mes yeux. Je peux fouiller toute mon expérience antérieure, je ne trouve pas. Et cependant tout cela n’est pas pour moi du nouveau pur ; je puis même prévoir ou deviner ce que va dire ou ce que va faire l’opérateur. — Devant l’impossibilité de reconnaître je conclurai à une fausse reconnaissance. En est-ce une, vraiment ? Il me semble que non. C’est un faux souvenir en apparence, et seulement en apparence. L’état actuel a réveillé le passé. Celui-ci, pour des causes qui dans l’état actuel de la science restent ignorées, est devenu du présent, sans porter tous les signes qui, habituellement, accompagnent les états représentatifs et permettent de les reconnaître comme tels. Il est de ce chef, si l’on veut, un état anormal, mais il n’appartient pas moins à l’expérience mentale du sujet. Expérience non vécue consciemment, mais pas inexistante. Par conséquent il n’y aurait dans ces cas aucune illusion, mais souvenirs faiblement caractérisés.

En d’autres termes, reviviscence d’états réellement vécus qui resurgissent ternes et diffus, sans avoir pourtant perdu tous les caractères du souvenir, car ils ne sont pas assimilés tout de suite [p. 41] au présent. Il semble, au contraire, que la conscience éprouve devant ces états une hésitation pénible, énervante, très voisine, toutes proportions gardées, de celle qu’on ressent quand on cherche en vain un mot connu, momentanément oublié. Dans ce cas, parmi les innombrables images verbales qui se forment, on cherche vainement celle qui correspond au mot voulu et on lutte contre toutes les autres qui accourent comme si l’attention orientée vers un mot eût sonné un ralliement général. Et toutes ces images ne servent probablement qu’à troubler la recherche volontaire puisque, deux fois sur trois, le mot introuvable vient de lui-même quand, agacés par l’insuccès, nous en abandonnons la poursuite. II en est ainsi souvent des souvenirs qu’on croit illusoires.

Je ne suis pas sujet à la paramnésie, mais j’ai cru l’être jadis.

En cherchant des analogies aux phénomènes qui l’accompagnent, je n’ai rien trouvé de mieux, dans mon expérience psychologique, que le fait ci-dessus.

C’est une comparaison imparfaite, le processus de la fausse mémoire étant beaucoup plus compliqué. Mais pour saisir un mot qu’on sent là, proche et pourtant insaisissable, prêt à jaillir et en même temps rebelle, il faut, je crois, un effort pareil, sous quelques aspects, à ceux qu’on fait pour classer dans le passé l’état qui apparaît à la fois comme souvenir et comme perception.

* * *

Comme je viens de le dire, j’ai cru éprouver jadis ce qu’on nomme fausse reconnaissance.

Voici les faits.

J’allais en tramway. C’était à la tombée du jour. On ne voyait presque rien autour de soi. D’ailleurs, mon attention était absorbée par je ne sais quelle affaire et je ne songeais nullement à regarder à travers les vitres. Tout à coup, le tramway stoppa, me tirant brusquement de mes réflexions. Alors je jetai machinalement un coup d’œil à gauche et fus frappé d’étonnement.

La rue, le trottoir, les maisons, les arbres m’apparurent comme des choses familières. Ce n’était pas une impression vague de déjà vu, mais la certitude immédiate de connaître tout cela, d’y avoir vécu, d’avoir marché sur le trottoir, visité les maisons, acheté des choses à la boutique du coin. [p. 42]

Tout se passa en moins d’une minute, car le tramway ne fit que s’arrêter pour repartir sur-le-champ. Mes états présentatifs ainsi supprimés, mon vif étonnement commença à décliner pour laisser place à une curiosité non moins aiguë.

La surprise du premier instant n’avait aucune tonalité affective appréciable. Je ne peux dire qu’elle fut agréable ou désagréable. Ce fut simplement une surprise très vive, peut-être sui generis. Je dis peut-être, car dans le moment précis où l’émotion se produisit, je ne pus pas, on le pense, l’analyser. Il est donc bien possible que certains éléments m’aient échappé quand je revins sur elle.

Je puis cependant affirmer qu’aucun phénomène d’automatisme ou dépersonnalisation ne s’esquissa.

Mes états présentatifs évanouis, le vif étonnement du premier instant commença aussi à se dissiper, chassé par un élan impétueux de l’attention, lancée vers le passé. Je fus saisi par un désir intense de trouver la source du phénomène qui venait de me surprendre. Une curiosité violente me prenait. En un temps très court, je crois avoir fouillé toutes mes expériences antérieures, pour y retrouver ou pour y encadrer le fait perturbateur. C’est dans cette exploration infructueuse du passé que je place le moment tout à fait désagréable du processus.

Cette machine arrière faite par l’esprit, désagréable dès le début, devient plus pénible au fur et à mesure que la tension psychique augmente. L’attention d’abord spontanée, se fait volontaire, mais étrangement volontaire, mieux vaudrait dire imposée à l’esprit. Les oscillations, l’effort pour choisir, la déception, la colère même, de ne pas trouver, forment un ensemble qui peut sans doute devenir angoissant, s’il dure.

Mais je crois que ces phénomènes doivent, dans le sujet normal, durer très peu.

Dans l’espèce tout se passa très rapidement.

Je me souvins que nous traversions un point de banlieue où je savais avoir habité dans mon extrême enfance. Tout s’éclaircissait. Je compris qu’il s’agissait bien de souvenirs et non pas d’illusions.

Au retour je vis une autre fois les mêmes lieux. Cette fois les lampes voltaïques brillaient. A leur lumière je reconnus à peine le parage. Je ne le percevais pas maintenant comme une très vieille connaissance, mais comme une chose connue parce qu’on vient de la [p. 43] voir pour la première fois. C’est-à-dire que la reconnaissance instantanée et foudroyante de la première fois avait perdu toute son acuité en tant que perception, tous ses caractères frappants en tant que souvenir. C’était un état indifférent au point de vue émotif.

Rentré chez moi, je pus établir que tout près du point dont l’aspect m’avait frappé, était la maison où nous avions demeuré quand je n’avais pas atteint ma quatrième année. Depuis lors je ne l’avais pas revue.

Des souvenirs précis de ces époques lointaines étaient donc restés dans l’inconscient au moins vingt-huit années. Leur éclosion inattendue fut pour moi une excellente leçon de psychologie pratique.

J’ai quelquefois à lutter contre cette forme diffuse du souvenir. Une phrase entendue ou lue ; une personne aperçue dans la rue, éveillent souvent en moi la sensation du déjà vu. Comme corollaire suit un travail de recherche, parfois infructueux, ce qui m’a fait croire à plusieurs reprises à un affaiblissement de la mémoire, et même à une légère paramnésie.

Après la forte impression dont je viens de parler, je suis resté convaincu que ces deux hypothèses étaient mal fondées. Il s’agit dans ces cas de représentations qui ont vraiment leurs racines dans le passé et non de troubles mnémoniques. Je crois qu’on fait fausse route si on s’acharne à reconnaître ces souvenirs indécis et fuyants.

Quant à moi, si après un léger tâtonnement je ne trouve rien, je n’y songe plus. Je résiste à toute tendance rétrospective. Je laisse travailler l’inconscient, il ne se fatigue pas et, souvent, réussit. L’antécédent vient généralement de lui-même, comme vient le mot oublié dans l’exemple donné plus haut.

ALDPARAMNESIE0004

* * *

J’ai envisagé déjà les phénomènes du rêve comme sources possibles de pseudo-paramnésies (qu’on me passe le mot). Revenons brièvement sur ce thème.

On est à peu près d’accord sur la richesse et la variété des songes. Mais, en général, on méconnaît que sous certains rapports [p. 44] ce qu’on pourrait bien nommer la vie du rêve ne diffère pas essentiellement de ce qu’on appelle la vie réelle.

Il est vraisemblable que la plupart des songes aient leur point de départ dans la réalité et même y puisent beaucoup d’éléments. Est-ce dire que tout dans les rêves doit dériver du réel ou lui appartenir ? En être une imitation ou une contrefaçon ? Ce serait à mon avis, une affirmation contraire aux faits. En tout cas les choses se passent, bien des fois, comme si l’esprit créait lui-même le cadre et le contenu de ses rêves. C’est-à-dire qu’on forge un théâtre, qu’on imagine des personnages, irréels, qu’on travestit la propre personnalité, tantôt pour l’améliorer tantôt pour l’enlaidir.

Voici quelques exemples.

Un de mes amis me racontait que par des moyens ingénieux et compliqués il avait volé de l’argent. Un autre s’était jeté à la nage et avait réussi à sauver un homme qui lui était absolument indifférent, avec lequel il se trouvait à bord d’un bateau. Dans ces deux cas les actions s’étaient déroulées dans des circonstances entièrement imaginaires, sans aucun point d’appui dans le passé du rêveur. Un troisième fait en dormant des vers qu’il croit très beaux, et dont il ne peut pas se souvenir au réveil. Il crée aussi des personnages qu’il baptise avec des noms difficiles et absurdes qu’il fabrique à leur intention. Au réveil il se rappelle quelquefois les noms, prénoms et titres dont il a affublé ses créations qui, on le conçoit, n’existent pas, tant s’en faut. Dans ce cas il y a, comme dans l’antérieur, création d’entités qui n’existent pas en dehors de l’esprit créateur, mais, remarquons-le, sont susceptibles d’exister. C’est d’ailleurs un fait banal cette formation d’êtres imaginaires, quoique non fantastiques ou impossibles pendant l’état de sommeil. Imaginons que les personnes dont je viens de raconter les rêves se trouvent, par hasard, dans des circonstances analogues à celles jadis rêvées. Il peut parfaitement arriver que les souvenirs latents de leurs songes associés à des états présentatifs, provoquent chez elles les sensations caractéristiques de la paramnésie. Quant à moi, j’ai de bonnes raisons pour croire que je ne passe pas une seule nuit sans rêver.

A propos de mes rêves, je crois pouvoir dire qu’ils sont fréquemment bien logiques et cohérents. [p. 45]

Ma mémoire, surtout, fonctionne normalement et, sous certains aspects, mieux que pendant la veille. Ainsi par exemple de la mémoire visuelle.

Si je ferme les yeux et que je cherche à voir mentalement un objet quelconque, il est bien probable que j’échoue dans cette épreuve. Je suis un visuel très médiocre. Par contre, en rêvant j’ai des images visuelles remarquables de netteté et de coloration. Je vois les objets avec leurs contours et leurs couleurs aussi vives qu’à l’état de veille. Ajoutons qu’au réveil je me souviens parfois de tous mes rêves de la nuit ou, en tout cas, de morceaux constituant un tout coordonné et complet. D’autres fois je me souviens d’avoir eu des rêves, bons ou mauvais, mais sans pouvoir préciser leurs contenus. J’en mentionnerai ici un qui offrant d’un côté tous les caractères de l’absurde, permet, de l’autre, de constater une parfaite lucidité d’esprit. Il a été en outre accompagné de phénomènes que d’habitude on rattache à la fausse reconnaissance.

Il m’est arrivé de soutenir en rêve une causerie en allemand, langue qui m’est absolument étrangère. J’ai le souvenir très net d’avoir parlé et compris l’allemand pendant le sommeil. Cela aurait été impossible même dans l’hypothèse d’une hypermnésie suraiguë, car j’ai très peu entendu parler cette langue et je ne puis pas, même en songe, avoir renouvelé pour l’allemand le cas classique cité par Coleridge. — Il s’agit là sans doute d’une illusion. Mais en même temps que je conversais, j’étais profondément étonné de pouvoir parler et comprendre, je cherchais à éclaircir ce mystère. En d’autres termes, l’état de sommeil ne m’empêchait pas d’avoir une conscience très nette de mon ignorance de la langue que je parlais ni de l’étonnement causé par le fait de la parler quand même. Donc tout se passait exactement comme cela se serait passé à l’état de veille si, par un merveilleux hasard, j’eusse tout à coup acquis une grande connaissance de l’allemand. Simultanément j’éprouvais le désir de faire cesser tout de suite l’étrange situation où je jouais le double rôle d’acteur et de spectateur. Je n’y pouvais rien.

Cela augmentait le malaise de ce rêve, où il y avait automatisme et dédoublement perçus clairement par la conscience du sujet.

Supposons à présent que, ce rêve oublié, je lise ou j’observe [p. 46] quelques cas de double personnalité, ou encore que j’entende parler pour la première fois du cas d’hypermnésie déjà cité. Dans ces deux hypothèses il pourrait bien se produire des souvenirs — dont les antécédents étant introuvables ou presque, offriraient tous les caractères de la paramnésie.

En effet, un rêve dont on se souvient au réveil peut se conserver dans la mémoire comme tel. Mais combien de fois ne se réveille-t-on pas, en sachant qu’on a rêvé, sans pouvoir pourtant préciser quelle a été la matière du rêve ?

Qui pourrait ressusciter, volontairement, ces fantômes dont le souvenir conscient n’est pas même né ? Ne sont-ils pas morts à jamais avec le sommeil qui les enfante ? II est impossible en droit de déclarer ces songes inexistants. Introuvables en fait, ils pourraient toutefois être la cause lointaine de mainte paramnésie. Pourquoi pas ?

On a dit : « La mémoire est une faculté qui ne perd rien et enregistre tout. »

Dans l’état actuel de nos connaissances, on ne peut pas s’inscrire en faux contre cette hypothèse. Certains faits semblent plutôt la confirmer, soit directement soit de biais en montrant le grand pouvoir de rétentivité dont l’esprit fait preuve dans les circonstances les plus difficiles.

L’éducation de Helen Keller, pour ne citer qu’un exemple, offre à ce point de vue un intérêt de premier ordre.

Dans l’histoire de sa vie, elle raconte comment elle fut amenée à composer un récit, « Le Roi Irémas », qui lui valut l’accusation de plagiat. Une enquête ultérieure établit que la composition incriminée pouvait avoir son origine dans un récit fait à Hellen, quand elle avait à peine deux ans de vie intellectuelle.

Le fait étant vrai, comme il semble l’être, il demeurerait acquis que, même entravée en son développement par la surdité, la cécité et l’aphonie, la mémoire humaine est encore douée d’une merveilleuse rétentivité.

On peut donc sans trop se hasarder croire à la conservation intégrale du passé. Les souvenirs sont là, imprimés dans le cerveau selon les uns ; flottant autour du moi, nimbant la conscience d’une sorte de halo, selon les autres. Sur le fait de la conservation on peut tomber d’accord, sans rien préjuger sur sa cause originaire. [p. 47]

Et ce passé toujours prêt à revivre, n’étant, en somme, que la partie déjà écoulée de notre existence, se souvenir c’est ressusciter une fraction de cette existence la revivre dans le présent : «  On ne se souvient pas des choses, on ne se souvient que de soi-même. » Et c’est toute notre vie que, volontairement ou non, nous pouvons revivre, car le moi de nos rêves aussi bien que le mot de nos veilles, peut ressusciter à un moment quelconque de notre présent. Dans l’étude de la paramnésie a-t-on prêté une attention suffisante à cette possibilité ?

La tendance générale à considérer le psychisme du rêve comme illusoire ou fantomal peut bien avoir occasionné ici une défaillance (1) de méthode.

On a peut-être oublié que l’expérience du rêve est aussi psychologiquement réelle que l’expérience acquise pendant la veille. On l’oublie si on prend pour expérience vécue la dernière seule quand, en vérité, les deux comptent. Il est en effet impossible de scinder la vie spirituelle en parties cloisonnées : d’un côté la veille, la seule utile parce que active ; d’autre part le rêve, chose qui —l’action y étant nulle — ne compte pas dans la vie psychique.

ALDPARAMNESIE0003

Cette scission ne répond pas aux faits. Il semble plus conforme à la réalité de ne pas réduire la vie à l’action.

Vivre et agir ne sont pas synonymes. La veille ou, pour parler en bergsonien, ce qu’on appelle « attention à la vie » est à la rigueur attention à l’action ; mieux encore : « l’effort pour s’insérer dans la réalité (2) » ou « l’appréhension du réel (3) ». C’est une partie la plus importante — faut-il le dire ? — de l’existence humaine. Mais la moitié, ou à peu près, de cette existence se déroule dans le sommeil pendant lequel « l’âme étant une chose pensante pense toujours ». Et l’on fait fausse route si on veut traiter en quantité négligeable cette partie si importante, et encore si énigmatique du devenir humain. [p. 48]

Comme je l’annonçais au début, je me suis proposé dans ce modeste essai de décrire surtout des impressions personnelles. Envisagé de ce biais ce travail, comme toutes les observations fidèlement faites, peut avoir quelque valeur pour ceux qui s’occupent de psychologie introspective.

Là-dessus je n’ai rien à ajouter avant de terminer.

Mais si, chemin faisant, je me suis laissé aller à faire un peu trop de théorie, on voudra bien me le pardonner, considérant que ces remarques, je les présente uniquement à titre de simples indications méthodologiques.

A. L. D.

NOTES

1) Il y en a certainement une autre dans la tentative de produire expérimentalement la paramnésie, soit en nous-mêmes, soit chez les autres. Il y a là une impossibilité absolue, à cause de l’instantanéité propre au phénomène. Celui-ci, en effet fond sur le sujet. Et cette production brusque étant un caractère essentiel de la paramnésie, la supprimer équivaut à supprimer cette dernière.

2) M. Bergson, L’Ame et le corps, Paris, Flammarion.

3) Dr P. Janet, Les Névroses, Paris, Flammarion.

René Magritte.

René Magritte.

LAISSER UN COMMENTAIRE






2 commentaires pour “La Paramnésie et les rêves. Par A. L. D. 1915.”

  1. LisetteLe dimanche 25 janvier 2015 à 19 h 29 min

    Les rêves m’ont toujours fascinés. J’ai tenter de comprendre leur « vie » comprendre comment ils me concernaient. J’ai lu C. Yung au sujet des rêves, de l’importance de la connaissance des mythes, des symboles, des archétypes pour en facilité l’interprétation des rêves. Il suggère d’écrire nos rêves, ce que j’arrive parfois à faire et à parfois ne pas faire. Mais je soutiens que seule une connaissance, je dirais, professionnelle ou théorique est nécessaire pour cette interprétation. J’ai apprécié le contenu de cet article. Une phrase – entre autres – a attiré mon attention: « on ne se souvient pas des choses. on se souvient que de soi-même. » Merci.

  2. Michel ColléeLe lundi 26 janvier 2015 à 7 h 59 min

    L’étude des rêves a encore un long chemin à parcourir. Merci pour votre témoignage.