Joseph Frank. L’INCUBE (cauchemar). Extrait du « Traité de pathologie interne », (Bruxelles), tome II, pp. 26-28.

Joseph Frank. L’INCUBE (cauchemar). Extrait du « Traité de pathologie interne », (Bruxelles), tome II, 1842, pp. 26-28.

 

Joseph Frank (1771-1842). Médecin allemande, qui laissa dans sa langue d’origine un important travail : Praxeos medicæ universæ præcepta, Leipsick, 1821-43, 13 vol.. Ses traductions en français se résumant en 1 ou 2 volumes.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images, ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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CHAPITRE X. — DE L’INCUBE (cauchemar).

§ I

DÉFINITION. BIBLIOGRAPHIE.

  1. Définition. — L’incube (1) est constitué par une perception de suffocation on de pesanteur et d’oppression sur la poitrine pendant le sommeil, avec un désir ardent de changer de place, sans qu’l soit possible au malade de le faire.
  2. Bibliographie. — Cette maladie, qui n’a pas été inconnue aux poètes, et qui a fourni un sujet pour beaucoup de dissertations inaugurales, a été décrite par Cælius Aurelianus , Paul d’Égine, Oribase, Willis, Bonet, Henri Regius, Paracelse, Dolæus, Horstius, Schenk, Forestus, Stoll, Darwin, Reil, Waller, Dony.

§ II

SYMPTÔMES. AUTOPSIE.

  1. Symptômes. — L’incube est ordinairement [p. 27, colonne 1] précédé d’insomnie, de frayeurs, de sursauts, de crampes et de songes effrayants. Puis il se manifeste une sensation désagréable dans les cuisses, la colonne vertébrale, la région précordiale ou la tête, ou dans plusieurs de ces endroits à la fois. Cette sensation consiste dans la perception d’un poids, d’une suffocation, d’une oppression, qui tantôt s’étend à tout le corps, tantôt se circonscrit à la région précordiale, et n’est, en général, accompagnée d’aucune difficulté appréciable de la respiration, ni d’aucune irrégularité du pouls. L’imagination assigne plusieurs causes à cette perception. Tantôt les malades s’imaginent qu’un chien, un ours, un lion, un géant, un homme noir, un faune, un satyre, un spectre, une sorcière, un diable entre dans leur chambre, s’asseoit près de leur lit, tire la couverture, saute sur leur poitrine et la comprime, suce leurs mamelles et (2) quelquefois les excite au plus honteux libertinage (3) ; tantôt ils croient que la maison où ils demeurent est la proie d’un incendie, ou bien qui sont exposés d’abord au vent, puis à la pluie. Sentant en général qu’ils sont le jouet d’un songe (4) et que les sens externes sont dans l’inaction, [p. 27, colonne 2] ils cherchent à vaincre leur ennemi ou à s’en débarrasser par la fuite ; mais c’est en vain, car il leur est impossible de faire aucun mouvement volontaire, ou de pousser d’autre cri qu’un gémissement de temps en temps. Enfin le paroxysme qui s’est augmenté peu à peu, parvient enfin à son plus haut degré d’intensité et se termine par un réveil subit, qui laisse après lui un sentiment de fatigue et quelquefois une sueur répandue sur la tête et la poitrine, des tremblements dans les articulations, des palpitations du cœur, des bourdonnements dans les oreilles, une céphalalgie, des taches livides, etc. Les attaques surviennent, en général, aussitôt après qu’on s’endort, rarement le malin ; lorsque le mal est encore récent, il ne survient qu’une attaque ; plus tard, elles se multiplient tellement, qu’il s’en présente toujours plusieurs successivement, et quelquefois jusqu’à dix, mais sans qu’il y ait de réveil complet entre elles, excepté dans des cas très-rares. Une attaque dure ordinairement quelques instants. Les auteurs parlent d’attaques ayant duré trois heures. Tantôt le retour a lieu une fois par année, d’autres fois tous les mois, toutes les semaines, toutes les nuits.
  2. Autopsie. — On a trouvé de la sérosité dans les cavités cérébrales, et arrivant jusqu’au quatrième ventricule. Cela semble confirmer l’opinion émise par les Arabes et adoptée par Sennert, que l’incube provient d’une lésion de ce ventricule. On l’a encore attribué au pancréas, aux poumons et au diaphragme, aux nerfs grands sympathiques, phréniques, récurrents. Les lésions du cœur ne sont pas non plus étrangères à cette maladie. [p. 28, colonne 1].

§ III

CAUSES. DIAGNOSTIC.

  1. Causes. — Les hystériques, les hypochondriaques, les hommes timides, les jeunes gens après l’âge de treize ans sont les plus sujets à l’incube, Ou regarde comme causes occasionnelles l’imagination, le chagrin, les soucis, les veilles, l’application prolongée, une vie sédentaire, les gaz, les vers, la gourmandise, l’ivresse, la pléthore, la rétention des règles et du sperme, l’air non renouvelé et le décubitus sur le dos.
  2. Diagnostic. — L’incube diffère des songes effrayants et habituels, en ce que celui qui rêve prend pour des réalités les produits de son imagination, tandis que le malade affecté de cauchemar a, en général, la conscience que ce qu’il voit est un songe. L’éphialte se distingue de l’asthme nocturne, en ce que celui-ci survient chez des individus éveillés, et en ce qu’il est accompagné d’une difficulté extrême de la respiration, tandis que chez les sujets endormis, il n’y a pas en général, d’agitation évidente de la poitrine. Il est bon de ne pas ignorer que les anciens nommaient incube le cauchemar des femmes, et succube celui des hommes, et que cette maladie peut accompagner routes les autres, sans excepter les maladies épidémiques, ni les fièvres intermittentes.

§ IV

PRONOSTIC. TRAITEMENT.

  1. Pronostic. — L’incube disparait souvent seul avec l’âge, quelquefois à la suite d’hémorrhagies, surtout d’un epistaxis, des règles, d’hémorrhoïdes, ou bien après des fièvres. D’autres fois, surtout lorsque les accès se sont repérés fréquemment, ils laissent à leur suite la faiblesse, des sueurs de la tête et de la poitrine, des taches livides, des tremblements des membres et des palpitations du cœur. On doit craindre que l’incube ne se transforme en épilepsie, en mélancolie, en manie, en catalepsie, et surtout en apoplexie. Ajoutons qu’il existe une observation d’incube mortel.
  2. Traitement. — Le traitement de l’incube consiste dans l’éloignement des causes excitantes, surtout des écarts de régime (4), puis, selon la nature de ces causes et la constitution des malades, dans [p. 28, colonne 2] l’emploi des saignées surtout locales, des tempérants, des laxatifs (5), des lavements, des frictions sur l’abdomen, des vomitifs, des amers, des anthelmintiques, des antispasmodiques, tel que le safran, la pivoine et les toniques, tels que le fer et le quinquina, sans négliger une société agréable, les voyages et l’équitation, le sommeil sur un lit dur, etc. Lorsque les accès se répètent fréquemment, il faut placer quelqu’un près du malade avec ordre de lui faire changer de position lorsqu’il verra se manifester de l’inquiétude. Il parait y avoir du danger à se servir d’odeurs, d’errhins ou du son des cloches pour éveiller le malade. S’il s’est éveillé de lui-même, il faut lui pratiquer des frictions sur les membres.

Notes

(1) Synonymes. Éphialte (de έώαλλομαι, je saute sur). Pnigalion dans Swediaur (de πνίγειν, suffoquer). Επιξολή, oppresssion, compression. Ηνιγμός ένύπνιος Dioscorides. Oneirodynia gravans Cullen. Succubus Asthma nocturnum [p. 27, colonne 1] dénomination fausse). En allemand, Nacht-Maare, Alp, Alpdrüknn, die Trute, das Nachtmænnchen ; en français, Incube, éphialte, cauchemar ; en anglais, Nightmare ; en italien, incuho, pesaroto ; en espagnol, incubo, pesadilla, mampesado, mampesadilla ; en portugais, pesadolo, pezadello ; en polonais, mara ; en danois, maren, mareriden ; en suédois, mara ; en belge, alp Naghmerrie.

(2) Dolæus parle d’un homme qui toutes les nuits, en dormant, éprouvait une sensation de succion aux mamelles ; et effectivement les papilles des mamelles se tuméfient.

(3) Une observation rapportée par Henri Regius, prouve que ce symptôme ne se rencontre pas seulement chez les femmes, mais, contre l’opinion commune, se voit aussi chez les hommes.

(4) Schenk rapporte des cas contraires. »Dernièrement, dit-il, un ecclésiastique est venu me trouver. —Monsieur, m’a-t-il dit, si vous ne venez pas à mon aide, c’en est fait, je vais périr, je suis en proie à la langueur. Vous voyez combien je suis maigre et exsangue. Je n’ai plus que la peau et les os. D’ordinaire je suis frais, j’ai bonne mine, maintenant je ne suis plus qu’un spectre, que l’ombre d’un homme. — Qu’avez-vous, lui dis-je, et à quoi attribuez-vous votre affection ? — Je vous le dirai franchement, répondit-il, et vous serez bien étonné. Presque toutes les nuits, une femme qui ne m’est pas inconnue, vient vers moi et se jette sur ma poitrine, la comprime, la resserre de façon que je ne puisse respirer qu’avec peine. Je cherche à crier, mais elle étouffe ma voix, et malgré tous les efforts pour l’élever, cela m’est impossible. Je ne puis me servir ni de mes mains pour repousser ses attaques, ni de mes pieds pour prendre la fuite. Elle me tient enchaîné et immobile. —Mais, lui dis-je en riant, ce que vous me racontez n’a rien d’étonnant (j’y reconnaissais un cauchemar), c’est un simple être imaginaire, une ombre. — Un être imaginaire, reprit-il aussitôt, une [p. 27, colonne 2] ombre ; certes il n’en est pas ainsi. Je prends Dieu à témoin que l’être dont je parle, je l’ai vu de mes yeux, je l’ai touché de mes mains. Je suis éveillé et de sang-froid quand je vois cette femme devant moi ; je la sens qui m’attaque et je m’efforce de lutter contre elle, mais sa langueur, la crainte, l’angoisse m’en empêchent.  — Il me fut impossible alors de faire revenir cet homme de sa folie. Mais à la seconde ou troisième visite, il devint plus gai, commença à reconnaître sa folie, et à concevoir l’espérance de sa guérison. Le même auteur ajoute : « Le fait suivant est assez plaisant. Un médecin raconte qu’il arriva à Averne, dans un monastère, un pharmacien qui se trouvait avec lui, fut pris en dormant d’un cauchemar, et accusa ceux qui étaient dans la même chambre, de l’avoir presque tué la nuit, en l’étranglant. Comme ses compagnons le niaient avec force et rejetaient toute la faute sur lui, qui avait passé la nuit sans dormir, dans un état de fureur, on le fit coucher la nuit suivante, seul dans une chambre bien fermée, après un ,souper copieux, dans lequel on lui avait servi des aliments flatulents. Le paroxysme revint. Il déclara que c’était un démon ; il en décrivit même la figure et les gestes, et on ne put lui persuader le contraire qu’après un traitement qui le guérit. »

(5) Il faut donc prescrire une nourriture facile à digérer, bien nutritive, saine, pas facile à corrompre, et ne donnant que peu d’excréments.

 

 

 

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