J. B. Ferdinand Duvoisin De Soumagnac. Dissertation sur le sommeil. Thèse n°332, présentée et soutenue à la Faculté de Médecine de Pris, le 27 décembre 1815, pour obtenir le grade de Docteur en médecine. A Paris, De l’imprimerie de Didot jeune, 1815.

J. B. Ferdinand Duvoisin De Soumagnac. Dissertation sur le sommeil. Thèse n°332, présentée et soutenue à la Faculté de Médecine de Pris, le 27 décembre 1815, pour obtenir le grade de Docteur en médecine. A Paris, De l’imprimerie de Didot jeune, 1815.

 

Une des premières thèses en français sur le sommeil, dans laquelle on trouve quelques rares remarques sur les rêves.  Nous n’avons trouvé aucun renseignement bio-bibliographique.

 

[p. 5]

DISSERTATION

SUR

LE SOMMEIL.

Le sommeil, dans l’état de santé, est une suspension périodique des fonctions des sens, de l’entendement el des mouvemens volontaires. Les phénomènes de la vie organique ne sauraient être suspendus au-delà d’un court espace de temps sans que la mort en soit le résultat. Il n’en est pas de même de la vie animale, ses fonctions ne pourraient être prolongées d’une manière continue au-delà d’un certain temps. La continuité est donc le type des phénomènes de la vie organique ; et l’intermittence, celui de la vie animale.

La suspension périodique de l’entendement, des sens, et de la locomotion, qui constitue le sommeil, n’arrive pas simultanément.

L’attention paraît la première faculté qui se suspende. L’imagination et le jugement ne s’exercent déjà plus, que la mémoire subsiste encore ; mais bientôt elle s’engourdit. Il en est à peu près de même de la perception ; elle s’exerce, mais d’une manière involontaire. Les organes des sensations se ferment successivement. Celui de la vue cesse le premier ses fonctions.

L’organe de rouie est encore éveillé, lorsque celui de la vue est endormi ; mais les sons ne produisent sur lui qu’une faible impression, et il finit par ne plus les percevoir du tout. Quant au goût, comme c’est un sens qui ne s’exerce guère que volontairement, [p. 6] son état, lorsque le sommeil survient, ne peut être bien constaté.

On est rarement dans le cas d’apprécier l’état de l’odorat dans l’invasion du sommeil : mais, en considérant la sympathie de l’organe de ce sens avec le cerveau, on peut croire que ce sens est, avec le tact, le dernier à s’endormir,

Le muscle de la paupière supérieure est le premier qui se relâche ; ensuite ceux de la région cervicale. La tête, dont le centre de gravité se trouve au-devant de la colonne vertébrale, s’incline dans ce sens, et les vertèbres de cette région fléchissent. Les muscles des autres parties de cette région se relâchent de haut en bas.

Les membres supérieurs se détendent les premiers, les inférieurs ensuite ; et le centre de gravité étant déplacé par la flexion du tronc, le corps tomberait, si la commotion produite pur l’affaissement prompt qui a lieu ne réveillait le cerveau, et si la contraction subite qui y succède ne permettait de reprendre l’équilibre.

Dans d’autres cas, le corps étant soutenu dans la position assise, et la tête appuyée de manière que la contraction des muscles ne soit pas nécessaire pour la soutenir, on s’abandonne au sommeil, pendant lequel on continue à garder la position que l’on avait avant de s’y livrer. Si au contraire on se trouve sur un plan horizontal, oulégèrement incliné de la tête aux pieds, les membres prennent ordinairement la situation demi-fléchie , ce qui suppose un certain degréde ton dans les muscles. Les fléchisseurs plus forts que les extenseurs, doivent, sans ancun effort de la volonté, prévaloir sur ceux-ci. Tels sont les changemens qui surviennent dans les phénomènes de la vie animale ; et si l’on considère que pendant un sommeil profond on n’a pas la conscience d’avoir eu aucune sensation, on pourrait regarder comme suspendues toutes les fonctions de l’intelligence, des sens et des mouvemens volontaires.

Les fonctions de la vie organique n’éprouvent-elles aucune altération ? Il est assez difficile de s’en assurer. Cependant, outre, [p. 7] les observations qu’on aura pu faire à cet égard il y a plusieurs raisons pour croire qu’elles ont moins d’activité. En premier lieu, l’activité des fonctions dans l’état sain et pendant la veille est, en général en raison de l’excitation. Or, le sommeil a ordinairement lieu dans l’absence des causes qui agissent,soit sur nos sens, soit sur notre âme ; et l’état-même du système nerveux pendant le sommeil rend nulle toute impression ordinaire des corps extérieurs ainsi que des mouvemens vitaux. On doit donc présumer que, toute excitation étant éloignée, les fonctions de la vie organique doivent s’exercer avec moins d’énergie. Si on constate maintenant l’état d’une des sécrétions principales,soit immédiatement avant le sommeil, soit dans l’instant du réveil, on pourra en conclure l’état des autres ; car on, n’ignore pas qu’elles se trouvent dans une dépendance mutuelle. Or, on sait : que, dans une température moyenne, ou lorsqu’il fait un peu frais, il faut, pour que nous puissions facilement nous endormir,quelques degrés de chaleur de plus, soit qu’on se les procure en se couvrant plus qu’il ne faudrait pendant la veille, soit en élevant la température du lieu ; que si, malgré la fraîcheur de l’air, le sommeil a pu nous- surprendre nous avons plus froid après qu’avant nous être endormis, et qu’en général on est frileux après le sommeil.

Nous pouvons, je crois, conclure de ce qui précède que la température du corps est moindre pendant cet étal. De là, il nous est permis de déduire l’état de la circulation,qui, à la vérité, ne tient pas immédiatement la caloricité sous sa dépendance, mais qui, est tellement liée à cette faculté, qu’en général, dans l’état de santé, l’activité de l’une et de l’autre sont dans un sensible rapport : la circulation doit donc être ralentie. Quant à la respiration,on pourrait en juger d’après l’état que nous venons d’assigner à la circulation. Elle doit aussi être moins précipitée ; mais elle présente souvent une modification particulière, même dans un état de santé parfaite, et dans un sommeil paisible et profond ; la [p. 8] respiration est stertoreuse, Les cavités nasales paraissent nécessaires pour la formation du son qui se fait alors entendre, mais je ne sache pas qu’on en ait expliqué le mécanisme. Je n’insisterai guère sur les sécrétions : il est évident que la transpiration, qui est dans une grande dépendance de la circulation, doit en suivre les modifications. Nous n’avons guère de moyens de juger de l’action des autres sécrétions. On a dit que l’absorption était plus active pendant le sommeil ; mais on sait si peu de cette fonction, on est dans ce moment si peu d’accord sur les vaisseaux qui l’exercent, que tout ce qu’on a avancé relativement au sujet qui nous occupe me paraît très-incertain. On s’est fondé sur l’action des miasmes, qu’on dit être plus pernicieux pendant le sommeil ; mais est-ce parce qu’ils sont absorbés en plus grande quantité, ou parce qu’ils s’introduisent dans un temps où le corps est moins en état d’y résister ? Est-il même bien prouvé que les miasmes agissent par absorption ? Déterminer si une substance est absorbée, est un des problèmes les plus difficiles que puisse, se proposer le physiologiste expérimentateur. S’il est si embarrassant de résoudre la question de l’absorption, que dirai-je de celle où il s’agit de déterminer la différence de l’assimilation dans les états de sommeil et de veille ?

Du sommeil
considéré dans
les différentes
espèces d’animaux

Le sommeil, chez les mammifères, ne diffère guère de celui que nous venons de décrire. Il n’y en a pas qui ne soient obligés de poser sur le tronc, c’est-à-dire de se coucher afin de dormir car leurs muscles se relâchant comme chez l’homme, et rien n’empêchant leurs articulations de céder sous le poids du corps, ils ne sauraient se soutenir debout pendant le sommeil. On avait cru que l’éléphant dormait debout, la tête appuyée par ses défenses, contre un tronc d’arbre ; mais on s’est assuré qu’il subissait, à cet égard, la loi commune aux autres quadrupèdes mammifères. Il ne doit pas être facile de s’assurer si les autres animaux de cette classe dorment, ou quels sont les phénomènes qu’ils [p. 9] présentent pendant le sommeil ; mais la grande analogie des cétacés avec les autres mammifères, ne peut nous permettre de croire qu’ils soient soustraits à l’empire su sommeil. Un raisonnement semblable nous indique que, pour dormir, ils doivent se tenir à la surface de l’eau, afin d’y pouvoir constamment respirer librement. C’est aussi dans cette position que les poëtes et les romanciers out représenté les baleines endormies, lorsque des marins, les prenant pour des îIes flottantes, sont descendus sur dos, croyant prendre terre.

Les oiseaux diffèrent de l’homme et des mammifères par la position dans laquelle ils dorment. Quoique leurs muscles se relâchent probablement alors comme chez l’homme, puisque, dans cet état, ils ne peuvent tenir la tête levée, et qu’avant de se livrerau sommeil, les oiseaux la posent sur le tronc, sous l’aile, ils dorment cependant debout, serrant fortement dans leurs pattes un bâton ou une branche d’arbre ; mais c’est la structure des os de l’articulation et des tendons qui, avec le poids du corps, forceles pattes à serrer fortement ce qu’elles tiennent. Il n’y a donc là rien de volontaire., et les oiseaux ne présentent pas d’exceptionsous un rapport aussi important.

On sait que les reptiles dorment ; mais je crois qu’on n’a guère étudié les phénomènes du sommeil dans cette classe, et encore moins dans celle des poissons. Je ne connais, parmi les animaux invertébrés, que des insectes qui soient soumis au sommeil. Je ne doute pas cependant que les autres ne le soient aussi ; excepté peut-être les polypes.

Les plantes présentens , à différentes époques de la journée , principalement vers le soir et pendant la nuit, des phénomènes de relâchement des petites branches et des feuilles, ainsi que de clôture de fleurs, auxquels on a donné le nom de sommeil des plantes. Linneus est le premier qui ait remarqué le rapport qu’ils présentent avec les phénomènes du sommeil de l’homme, ou est du moins Je premier qui les ait étudiés avec soin.

Sommeil
des plantes.

Mais, puisque le [p. 10] caractère essentiel du sommeil des animaux consiste dans la suspension de l’action des sens et des organes des mouvemens voIontaires, comment peut-en appliquer ce mot aux phénomènes que présentent des êtres dont le caractère distinctif est l’absence des sens et· des mouvemens volontaires ? Jussqu’à ce que l’on ait prouvé que les plantes jouissent de ces facultés, c’est, ce me semble, une contradiction dans les termes que d’admettre le sommeil des plantes ;à moins qu’on ne veuille employer ce mot par comparaison éloignée, et non par analogie,comme on faisait anciennement en chimie, lorsqu’on parlait de beured’antimoine,defleur de soufre et de l’aine philosophique.

Epoque ordinaire
du sommeil.

L’intermission des fonctions de relation qui constitué le sommeil correspond à une grande période diurne. Le sommeil a lieu à uneépoque où les rapports de l’homme et des animaux avec ce quiles entoure existe à peine. Le milieu-qui met en jeu la plupart de ces rapports étant soustrait , à quoi servirait l’activité des fonctions de relation ? Aussi voit-on la plupart des animaux, dès que le jour disparait, se livrer au sommeil, qui dure toute la nuit, et cesse avec le retour de l’aurore. On doit en excepter ces peuples malheureux qui , habitant les régions voisines des pôles, n’ont point de périodes diurnes, de lumière et de ténèbres, mais dont toute l’année ne se divise guère qu’en un jour et une nuit. Il faut aussi en excepter certains animaux, dont le rapports avec lesautres ne se développent que pendant la nuit.

Ce sont, parmi les quadrupèdes et les oiseaux, des animaux qui, à la faveur des ténèbres, cherchent à surprendre leur proie, Ils ont souvent une marque distinctive ,dans la forme de la prunelle.

De la durée
du sommeil.

Mais, quelques soient les rapports du soleil avec l’horizon, les périodes de sommeil et de veille se succèdent toujours, dans l’état naturel, pendant une période diurne ; l’ordre seul peut être interverti [p. 11]

Ainsi les animaux, nocturnes dorment le jour et réciproquement, il en est de même des hommes qui, par leurs vices ou la nature de leurs travaux, veillent les nuits. Ceux qui, dans le pays qu’ils habitent, ne peuvent mesurer le jour par l’alternative de lumière et d’obscurité, pendant les vingt-quatre heures, les partagent cependant par le sommeil et la veille. La mesure de ces périodes est donnée par les besoins et les travaux de l’homme, et dans les pays qui lui conviennent, la mesure diurne de lumière et de ténèbres a des rapports avec elle. Mais remarquons que le jour et la nuit sont, à cet égard, une mesure plus exacte pour les animaux que pour l’homme, ce qui est une conséquence de l’étendue des besoins, et de la facilité que l’homme a, par la supérioté de ses moyens, de suppléer à l’absence de la lumière solaire ; aussi voit-on la même gradation dans les divers degrés de civilisation où les besoins de l’homme et la faculté de les satisfaire, allant toujours en croissant le jour et la nuit, sont des mesures d’autant plus inexactes des durées du sommeil et de la veille, que la civilisation est plus avancée. Mais quel que soit l’état de l’homme, on peut dire en général que le temps nécessaire pour soutenir son existence et la rendre agréable surpasse celui où il se livre au sommeil. La durée ordinaire d’une journée de travail est de douze heures. Il faut en général quatre à six heures pour en employer le produit, de manière que le terme mayen de la durée du sommeil de l’homme est de sept heures. Mais il est évident que ce calcul n’a rapport qu’à J’adulte dans la vigueur de l’âge.

Quoique les hommes et les animaux puissent dormir, soit le jour, soit la nuit, ce n’est pas une chose indifférente que l’époque où le sommeil a lieu. Au milieu de l’éclat de la lumière, on plus difficilement, le sommeil est moins profond et de plus courtedurée. La lumière solaire paraît, à cet égard, avoir le plus d’influence.

On ne peut douter qu’elle ne soit plus excitante que toute autre. [p. 12]

Ce n’est pas il cause de son éclat seulement, car la propriété de rendre les choses visibles n’est pas la seule dont soit douée la lumière. Les différences de ce fluide ne se bornent pas à l’éclat et à la couleur ; les rayons de la lune, en les condensant à l’aide d’une forte lentille, peuvent avoir plus d’éclat que ceux du jour, mais ils en diffèrent essentiellement par l’absence totale de la faculté de produire de la chaleur. On n’a pas beaucoup, à ce que je crois, recherché les différences qui peuvent exister entre la lumière solaire et celle qui se dégage dans la combustion ; je serais tenté de croire que, toutes choses égales d’ailleurs, la lumière du soleil aurait plus d’action pour empêcher ou retarder le sommeil que n’en aurait la lumière artificielle. Il n’est pas étonnant que son influence s’exerce encore pendant le sommeil, puisque le voile qui recouvre l’œil pendant cet état est translucide,et que les personnes qui ont dormi très-souvent ayant une lumière dans leur chambre, ont observé qu’elle fatiguait la vue. La différence dans ce genre d’excitation, qui peut résulter de ces deux espèces de lumière, ne saurait consister dans l’effet secondaire relatif à la température, mais dans un degré d’excitation particulier. L’éclat du jour factice produit sur l’âme un effet bien différent de celuique cause le jour naturel. Mais quelle que soit l’influence de ces différentes espèces de lumière,elle a en général une action moins forte, relativement au sommeil et à la veille, que la température.

Influence de
la température.

Il est souvent difficile d’isoler l’action de la lumière de celle du calorique ; mais celte analyse a presque toujours lieu relativementau sommeil et à fièvre. La lumière qui agirait sensiblement sur l’œil par sa température, nuirait singulièrement à la vision, et porterait cet organe à s’en garantir ; c’est pourquoi nous ne nous exposons qu’à une lumière qui n’agit pas sensiblement par sa température. Mais l’influence du calorique, relativement au soleil, s’étend à tout le corps, par son action sur toute sa surface. Les [p. 13] degrés de variation de température ont aussi une action plus vive sur l’économie ; ses effets peuvent être extrêmes dans les variations de l’atmosphère, tandis que celles des extrêmes de clarté et d’obscurité sont peu marquées. L’état de sommeil et de veille doit donc se trouver plus complètement dans la dépendance de l’accumulation et de la soustraction du calorique, puisque les degrés extrêmes de l’une et de l’autre sont nuisibles à l’économie. Il est évident que l’état qui résulterait de ces extrêmes de sommeil ou de veille, serait un état maladif, et que toute conclusion qu’on en tirerait, relativement au sommeil naturel, serait erronée. Pour déterminer l’effet de la température à cet égard, il faut examiner l’influence des degrés très-modérés de chaleur et de froid ; car des degrés moyens de l’une et de l’autre, quoique inférieurs à ceux qui pourraient nuire à l’économie, mais suffisans pour être incommodes, excluent le sommeil de part et d’autre, une sensation légère de froid suffit pour l’empêcher ; mais une chaleur douce, non-seulement n’y est pas contraire, mais y dispose puissamment : de manière qu’une chaleur agréable avance souvent l’heure du sommeil. Quoiqu’une douce température favorise cet état, il peut avoir lieu naturellement , malgré un froid modéré ; car l’intermission de la vie de relation est une loi si impérieuse, qu’il n’y a que les causes les plus violentes qui soient capables de prolonger veille au-delà de certaines bornes.

Le sommeil naturel peut donc avoir lieu malgré un froid modéré, mais encore malgré plusieurs autres causes perturbatrices, parmi lesquelles le bruit tient le premier rang. Comme la température. suivant le degré, favorise ou empêche le sommeil, de même le son, suivant son intensité ou sa modulation, produit des effets analogues ; quoique l’intensité du son et son incommensurabilité soient très-puissans pour exclure le sommeil, Je bruit a ceci de particulier, que l’habitude en modifie singulièrement l’influence. Au bout d’un certain temps, si on y est fréquemment exposé, [p. 14] on finit par dormir profondément au milieu du plus épouvantable fracas. Mais ce que l’habitude a de plus remarquable à cet égard, c’est que, si on est accoutumé à dormir pendant un bruit fort et continu, on se réveille lorsqu’il vient à cesser.

Quant à la modulation du son, la monotonie est très-efficace pour produire le sommeil ;mais toute modulation uniforme n’aurait point cette tendance ; il y en a qui produiraient un effet contraire, c’est ce qui a lieu lorsque le son n’a pas quelque chose d’agréable ; sans cela, le système nerveux serait péniblement excité pendant un certain temps, et le sommeil retardé. Pour que le son modulé dispose à cet état, il faut, outre l’uniformité et, une agréable mélodie, que le ton soit faible, et le mouvement grave. Mais on dort mieux en général dans l’absence du son.

Du tact.

Le sommeil peut avoir lieu, ainsi que nous venons de le dire, sans que l’œil et l’oreille soient exposés à l’action de leurs excitans. Il en est de même de l’organe de l’odorat, et à plus forte raison de celui du goût, qui ne peut s’exercer sans des mouvemens volontaires ; mais il est impossible que le sommeil ait lieu sans que les corps extérieurs agissent sur le tact. La nature des sensations qui en résulte doit donc avoir une action marquée sur le sommeil et sur la veille. En général, plus cette impression est faible, plus le sommeil est favorisé. Ces sensations sont d’autant moins fortes, que non-seulement l’action des corps extérieurs est plus faible, mais encore qu’elle nous est plus familière. La force de celte action des corps se réduit principalement à trois élémens :1° le degré d’impulsion ou de pression ; 2° celui de dureté ; 3° la forme des corps. A l’égard de l’impulsion, elle peut être considérée comme nulle, relativement au sommeil, parce qu’elle n’existe pas sensiblement dans la plupart des circonstances où l’homme s’y livre : il n’en est pas ainsi de la pression ; dans ce cas, elle consiste dans la réaction des corps que le nôtre comprime. Cette force est en raison composée du poids et de la surface comprimée. C’est pourquoi [p. 15] la position assise, quoique toutes les parties mobiles soient soutenues, est défavorable au sommeil, puisque le poids du corps porte principalement sur les parties supérieures et postérieures des cuisses. La position où l’on est étendu sur le sol est celle dans laquelle nous éprouvons le moins de pression, parce que le poids du corps porte sur une plus grande surface. A l’égard des corps qui soutiennent le nôtre, dans cette position, il n’y a que leur forme et leur dureté qui nous intéresse dans celte occasion, en faisant abstraction des rapports de ces corps avec le calorique. Quant à la forme en général, celle qui convient le plus est celle qui s’accommode le mieux aux inégalités de notre corps, de manière que la pression soit le plus également répartie ; c’est ce qui a lieu lorsque nous nous couchons sur des corps mous et élastiques, ils cèdent aux inégalités et remplacent les enfoncemens. Quant à une autre modification de forme, il importe que la surface soit aussi unie que le comportent ses rapports avec le calorique. Il est évident, d’après ce que nous avons dit relativement à la température, que le ,corps ne doit pas être de nature, par son contact, à nous soutirer trop de calorique, et à le faire échapper trop facilement, deux conditions essentielles que nous avons toujours soin de réunir dans les corps avec lesquels nous nous mettons en contact pendant le sommeil. Ceci est également vrai, non-seulement à l’égard des corps qui nous soutiennent, mais de ceux qui nous couvrent. La constriction que certaines parties de nos vêtemens exercent, et les inégalités qu’ils forment sous le corps, nous ont fait prendre l’habitude de les dépouiller lorsque nous nous livrons au sommeil ; mais il en résulte probablement un autre avantage ; le corps à besoin d’être aéré ; l’air en contact avec notre corps, et qui n’est pas renouvelé, nous donne, au bout d’un certain temps, une sensation de malaise, soit qu’il agisse sur le corps à travers la peau, comme sur les poumons, ainsi que les expériences de Jurineet d’Abhernetthy l’indiquent, soit que les exalaisons de cet organe, retenus sur sa surface, nuisent à ses fonctions. [p. 16]

De la position.

Outre les effets généraux du tact et de la pression sur la surface de notre corps, il y a un rapport particulier de la pression de certaines parties du tronc avec les organes intérieurs, mais qui n’est pas très-sensible pour tous les individus. Ainsi, il n’est pas indifférent, sous ce point de vue, de se coucher sur l’un ou l’autre côté, sur le dos ou le ventre. La position qui paraît en général la plus favorable au sommeil, est sur le côté droit. Souvent le poids du corps porté sur le côté gauche gêne la respiration : mais la nature de ces rapports parait peu connue ; ils sont d’ailleurs beaucoup moins constans et moins sensibles que l’influence que certaines conditions des organes intérieurs exercent sur le sommeil et la veille.

Influence des
alimens.

Ainsi la présence des alimens dans l’estomac dispose singulièrement au sommeil ; aussi beaucoup de personnes s’y livrent pour ainsi dire, de gré ou de force, immédiatement après leur repas. En général, ceux même qui ne sont pas dans ce cas y ont une grande tendance, parce que la plénitude de l’estomac est défavorable à l’exercice des facultés intellectuelles. Il parait cependant que cette influence des alimens ne s’étend pas sensiblement au-delà de la période de la digestion stomacale.

Influence des
affections de
l’âme.

Les affections de l’âme ont une influence variée, mais, en général elles tendant plus à produire la veille que le sommeil. Parmi celles qui favorisent la veille, la peur tient le premier rang ; aussiles animaux les plus craintifs paraissent-ils être ceux qui dorment le moins. L’amour maternel, qui inspire tant de sollicitude, ne permet, en général,que le sommeil le plus léger. L’on cite comme des exemples d’un grand courage ceux de personnages illustres qui se sont livrés à un sommeil paisible la veille d’an grand danger. Il en est de même, mais à un plus faible degré, des passions qui consistent dans des désirs violens, tels que l’amour, la cupidité, l’ambition. Mais celles qui sont fondées sur les regrets ont une tendance contraire ; la tristesse, le désespoir, la mélancolie, [p. 17] amènent souvent l’assoupissement. L’exercice prolongé des facultés intellectuelles retarde le sommeil. L’impulsion donnée à la pensée nous poursuit après que nous avons renoncé à l’étude, et prolongé la veille. L’exercice des sens, où l’esprit se borne à recevoir les impressions, sans réagir sur elles, paraît au contraire favorable au sommeil.

Influence du
mouvement
volontaire.

Mais il n’y a pas de faculté dont l’exercice y contribue autant que celui de la locomotion. Cependant le mouvement volontaire, qui dispose si puissamment au sommeil, ne produit cet effet que consécutivement, et ne peut, dans l’état nature coexister avec lui.

Du mouvement
communiqué.

Il n’en est pas de même du mouvement communiqué ; s’il est doux et oscillatoire, il détermine au contraire le sommeil ; même lorsqu’il est rude, il n’est pas toujours incompatible avec cet état, quoiqu’il le rende léger et imparfait.

Du sommeil
imparfait
.

Il est évident que la profondeur du sommeil se mesure par le degré d’excitation nécessaire pour le faire cesser. Outre les causes extérieures que nous avons citées comme capables de produire un sommeil plus ou moins profond, il y a des causes qui dépendent de la disposition du sujet : l’âge est la condition qui a le plus d’influence à cet égard. La suspension des fonctions de relation, probablement continuelle chez le fœtus, ne mérite pas le nom de sommeil,  par l’absence de l’intermission périodique. Mais à la naissance, le sommeil qui commence réellement alors est d’une durée beaucoup plus longue que Ia veille. Il va en diminuant cet égard jusqu’au dernier terme de la vie. Cette observation se trouve implicitement renfermée dans cet adage : Jeune homme qui veille, vieillard qui dort, la mort. Les femmes, qui souvent partagent les dispositions de l’enfance, n’y participent pas à l’égard du sommeil. Il est beaucoup plus léger chez elles, et paraît en rapport avec leur susceptibilité morale. Les tempéramens suivent le même rapport. Ainsi la durée du sommeil va en diminuant dans [p. 18] l’ordre suivant : le tempérament lymphatique, le sanguin, le bilieux. Le tempérament nerveux, s’il peut se ranger parmi les tempéramens primitifs, présente de grandes variétés.

Du sommeil
imparfait
.

Les causes capables de retarder le sommeil, ou de le rendre léger, renferment aussi celles qui peuvent le rendre imparfait ou partiel.Nous avons vu que toutes nos fonctions de relation ne cessaient pas simultanément leur action : il existe donc une époque où quelques- uns des sens sont assoupis, pendant que les autres continuent encore leurs fonctions ; c’est un état semblable qui constitue un sommeil imparfait ou partiel. Cependant la première expression serait mieux employée dans un sens plus général, et désignerait, soit le sommeil léger, soitle sommeil partiel ;tandis que cette dernière dénomination ne serait applicable qu’à l’état où quelques-unes des fonctions de relation ne participeraient pas à l’intermission des autres. Comme celles-ci sont de trois ordres, les sensations, l’intelligence et la locomotion, il y a également trois ordres de sommeil, partiel qui en dépendent.

Des rêves.

Le premier consiste dans l’activité plus ou moins grande des fonctions intellectuelles, et constitue lesrêves. Il a cela de particulier, qu’il peut exister isolément, mais que les autres ne peuvent avoir lieu sans lui. Rêver est penser, mais dans de certaines conditions.

Le mode même ne diffère pas toujours de celui qui a lieu pendant la veille ; c’est pourquoi les mots songeret rêver sont applicables aux deux états. Dans l’un comme dans l’autre cas, on peut penser avec plus ou moins de suite. L’incohérence des idées est donc insuffisante pour caractériser la modification particulière de la pensée pendant le sommeil ; mais il est un caractère propre aux rêves, qui les distingue du mode d’action des facultés intellectuelles pendant la veille, dans l’état de santé. Il consiste dans l’illusion qui nous fait rapporter à des êtres existans hors de nous les images présentes à notre esprit. [p. 19]

Le second ordre de sommeil partiel, joint à celui-ci l’activité plus ou moins complète de quelques organes des sens, et la perception d’impressions internes. L’ouïe paraît être l’organe qui veille le plus facilement pendant que les autres sont assoupis. Le tact le suit. Il est difficile de déterminer si, dans quelques cas, l’odorat et la vue ne sont pas susceptibles de transmettre, pendant le sommeil, des impressions à l’esprit. On aperçoit aussi pendant le sommeil des sensations internes.

Le troisième ordre de sommeil partiel est celui où l’activité des mouvemens volontaires s’associe à celle des fonctions intellectuelles, et même de quelques-uns des sens ; ce qui présente une grande variété, suivant le nombre et l’étendue de ces associations, qui consistent : 1° dans les légers mouvemens qu’on exécute presque toujours dans le cours du sommeil, à moins qu’il ne soit parfait, et dont les plus considérables consistent dans de simples changemens de position ; 2° dans ceux qui produisent la voix, et qui comprennent les mouvemens qui forment les sons inarticulés, et ceux qui forment la parole ; 3° dans les mouvemens de la locomotion, où tous les muscles obéissent à la volonté. Cet état constitue le somnambulisme. Cette variété du sommeil partiel ne me paraît guère pouvoir exister sans le concours de l’activité de quelques-uns des sens, surtout du tact ; et elle présente elle-même des modifications plus ou moins remarquables, suivant l’étendue du concours des sens et de l’intelligence. Enfin le somnambulisme peut aller jusqu’à différer très-peu de l’état de santé, où l’homme préoccupé n’est sensible qu’aux objets en rapport avec la pensée ; ou dons l’état de maladie, où l’affection consiste dans une altération mentale. Nous voilà arrivés aux limites de la santé et de la maladie. Aussi a-t-on regardé le somnambulisme comme un dérangement de la santé, qui a obtenu une place dans les cadres nosologiques.

Du sommeil
maladif
.

Le somnambulisme est donc un sommeil partiel maladif ; et tout sommeil qui n’est point le produit des causes ordinaires, [p. 20]dans leur mesure générale, constitue plus ou moins un état morbide. Aussi ce n’est pas un sommeil naturel, celui que produisent de hauts degrés de chaleur et de froid. On connaît l’influence d’une basse température pour produire un sommeil perfide, avant-coureur de la mort. De même il ne faut pas confondre le genre de sommeil qui peut surprendre un animal hivernant par un froid exclusif, avec celui qui est compatible avec sa nature, et qui se prolonge pendant la saison froide. L’autre est une torpeur qui mène nécessairement à la mort, à moins qu’on n’y obvie et qu’on ne remédie à ses effets. Les lois du langage permettent d’appliquer par extension le mot de sommeilà cet état de suspension des fonctions de relation , qui est naturel aux animaux hivernans pendant la durée du froid ; mais un physiologiste ne doit pas s’en laisser imposer par cette figure, au point de confondre cet état arec le sommeil ordinaire. La condition d’où ce sommeil paraît dépendre suffit, outre la durée, pour le faire regarder comme un état totalement différent. En effet, le froid, quelque modéré qu’il soit, loin de favoriser le sommeil tel que nous l’avons considéré dans l’homme et dans les animaux en général, surtout les vertébrés, est une cause qui tend puissamment à l’éloigner ou à le rendre imparfait. Je ne parle pas de sa durée, qui, étant démesurée, doit détruire toute analogie avec le sommeil. Cette différence est tout-à-fait manifeste lorsqu’on considère que la respiration et la circulation sont presque nulles chez les animaux hivernans, comme d’habiles physiologistes l’ont observé ; tandis que les différences d’activité de ces fonctions dans le sommeil ordinaire chez l’homme et les animaux à sang chaud, les seuls sur lesquels on soit à portée de bien faire de pareilles observations, sont peu considérables. Cet état des animaux hivernans ne doit pas plus être regardé comme un vrai sommeil qu’on ne doit le prendre pour un état maladif, puisqu’il ne nuit aucunement à l’existence de ces animaux, et qu’ilparaît au contraire devoir leur être favorable.

Il ne doit pas en être de même de celui qu’amène l’usage immodéré [p. 21] de certaines boissons, qui, dans la mesure ordinaire, produisent des effets salutaires. Les liqueurs spiritueuses, prises en petite quantité, peuvent favoriser le sommeil ; mais seules, et dans cette proportion, elles ne sont pas capables de le déterminer. Si elles produisent cet effet quand on les prend en trop grande quantité,le sommeil qui en résulte est vraiment un état maladif, et constitue le narcotisme par ivresse. Plusieurs autres substances ont un effet

Des
narcotiques
.

analogue. On leur a donné le nom de narcotiques,mais elles présentent toutes certaines modifications qui leur sont propres. Celle qui caractérise l’ivresse consiste principalement dans une grande flaccidité des membres. L’opium ne produit pas toujours cet effet ; à une certaine époque de son action intense, il détermine des convulsions. L’alcohol et l’opium sont, de tous les narcotiques, ceux qui peuvent produire l’assoupissement avec le plus de facilité et le moins de danger, si on ne donne que la quantité nécessaire pour déterminer cet effet. L’opium l’emporte de beaucoup à cet égard sur l’alcohol ; son action est, à petites doses, plus sûre et moins compliquée. En effet, l’assoupissement qui résulte d’une petite quantité d’opium ne diffère pas sensiblement du sommeil naturel ; tandis que l’alcohol produit une variété d’effets sur le cerveau, les mouvemens volontaires et l’estomac, avant de déterminer l’assoupissement. Cependant celui qui en résulte, lorsqu’il n’est pas l’effet d’une trop grande quantité, est sans danger. Il n’en est pas de même des autres narcotiques, qui n’occasionnent l’assoupissement qu’au péril de la vie, et avec un cortège de symptômes bien différens de ceux du sommeil naturel. Le danger est d’autant plus grand, que les symptômes s’éloignent davantage de ce type.

Des substances
qui déterminent
la veille
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Il est des substances qui, prises intérieurement, produisent un effet contraire en prolongeant la veille. Parmi celles qui ne sont pas délétères, il en est qui nous servent souvent de boisson ; tels sont le thé et le café, qui, pris quelque temps avant l’heure du sommeil [p. 21] habituel, ont la propriété de le retarder. Il est évident que le temps pendant lequel le sommeil peut être retardé dépend de la force de l’infusion, de sa quantité, et de la susceptibilité de l’individu. Les effets qui en résultent paraissent moins susceptibles d’être diminués par l’habitude que ceux des narcotiques qui sont le moins délétères, particulièrement l’opium. On peut, comme on le sait, parvenir à en prendre des doses considérables sans ressentir d’effet narcotique. Il peut exister d’autres substances non délétères capables de retarder beaucoup le sommeil. Il semblerait, au premier coup-d’œil, qu’elles doivent être en grand nombre, et qu’il suffirait de les prendre au hasard dans la classe des excitans ; mais s’il en existe beaucoup, comme je suis bien disposé à le croire, elles sont peu communes, et probablement peu énergiques. Les substances que nous connaissons, au contraire, comme propres à produire une forte excitation capable d’éloigner le sommeil, sont, à l’exception de celles que nous avons nommées, de nature à produire un effet délétère.

Du sommeil
dans les maladies
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Les poisons sont des causes de maladie, dont on a bien apprécié les effets dans ces derniers temps ; mais il y a un bien plus grand nombre de causes morbifiques que jusqu’ici on n’a pas bien étudiées. Ce seraitdonc une recherche trop vague que d’examiner leur influence sur le sommeil ou la veille. Cependant leurs effets considérés en eux-mêmes, et comme ayant une existence indépendante de leurs causes, sont bien connus. L’état de sommeil et de veille en fait partie. Ce sont des symptômes de maladies qui naissent sous l’influence des mêmes causes. Rechercher l’influence des maladies sur le sommeil et la veille, c’est prendre pour cause ce qui n’est qu’un effet analogue. Il en serait de même si réciproquement on voulait déterminer l’effet du sommeil et de la veille sur les maladies. On doit donc se borner à examiner les rapports qu’ils peuvent avoir avec les autres symptômes. Mais avant tout, il importe de déterminer la part que le sommeil peut avoir à la maladie, c’est-à-dire jusqu’à quel point il [p. 23] se rapproche ou s’éloigne de son type naturel. En général, on peut dire que plus il y ressemble,moins il y a de danger. Cependant cette règle pourrait, dans certains cas, nous induire dans l’erreur la plus fatale. Une fièvre intermittente a eu un ou deux accès sans présenter de symptômes fâcheux. A l’époque où le troisième aurait pu revenir, le malade dort d’un sommeil paisible et profond, en tout semblable à celui qui a lieu dans l’état de santé. Il se réveille à l’heure ordinaire, et semble en convalescence. A l’époque du quatrième accès,il s’endort comme de coutume, et ne se réveille plus. Tel est le caractère insidieux des fièvres intermittentes soporeuses , et le malheur qui a souvent résulté de l’ignorance, ou de l’imprudence. La coïncidence du sommeil avec l’époque de l’accès dans une fièvre intermittente suffit pour avertir le médecin vigilant. Dons d’autres cas, la longue durée de cet état, d’ailleurs assez semblable au sommeil naturel, indique le danger ; mais,dans certaines fièvres nerveuses continues, cet état est au contraire favorable. C’est lorsqu’un sommeil léger succède au délire, et pendant lequel les autres symptômes s’adoucissent. Le degré d’excitation qu’il faut pour chasser le sommeil donne assez exactement la mesure des dangers.

On a distingué plusieurs degrés dans l’assoupissement qu’on regarde comme maladif.

Dans les premiers, les mouvemens sont seulement ralentis,les sensations moins vives, les facultés morales affaiblies ; c’est la somnolence, qui est fort commune dans toutes les espèces de fièvres, même dans l’inflammatoire.

Dans la seconde, il y a penchant continuel et irrésistible au sommeil ; mais ce sommeil est extrêmement léger ; le malade répond aux questions qu’on lui fait, quelquefois sans ouvrir les yeux ; et aussitôt qu’on l’abandonne à lui-même, il retombe dans son sommeil apparent. C’est cet état qu’on appelle cataphora: on le remarque surtout dans les fièvres putrides et ataxiques.

Quand le malade ne se réveille qu’avec la plus grande difficulté, [p. 24] qu’il faut, pour lui faire exécuter quelque mouvement ou proférer quelque plainte, le piquer ou le pincer fortement, lui brûler la peau, etc., l’assoupissement est porté au troisième degré ; on le nomme carus s’il est sans fièvre ; et coma, si le pouls est fébrile ; le premier s’observe dans l’apoplexie ; le second dans les fièvres ataxiques.

Enfin il est un dernier degré d’assoupissement dans lequel tous les stimulans sont absolument sans action, on l’a appelé léthargie.

L’assoupissement du cerveau avec l’excitation des sens est ce qu’on a appelé coma vigil. On conçoit facilement que, si le sommeil a lieu dans sa mesure ordinaire, malgré le trouble considérable des fonctions, il doit être de mauvaise nature. En effet, ce trouble est un excitant, auquel le système nerveux serait sensible s’il n’était pas altéré ; le sommeil n’aurait lieu que d’une manière imparfaite, et serait de courte durée. C’est ce qui a lieu dans les fièvres inflammatoires, bilieuses, et même muqueuses, lorsqu’elles ont une certaine activité, ainsi que dans les phlegmasies. L’absence du sommeil ou son peu de durée est, en pareil cas, dans l’ordre naturel, c’est-à-dire dans celui qui convient à notre nature. La présence du sommeil, au contraire, dans une mesure qui approcherait de celle qui a lieu dans l’état de santé ferait supposer quelque altération profonde du système nerveux, et particulièrement du cerveau ; et cette altération doit paraître d’autant plus profonde, que l’organe principalement affecté est plus important. C’est ce qui a lieu dans les phlegmasies ; l’altération du tissu, existant pendant tout le cours de la maladie, doit toujours tendre à éloigner le sommeil. Mais comme l’intermission des fonctions de rapport est une loi à laquelle l’homme ne saurait se soustraire au-delà de certaines bornes sans l’anéantissement de son être, l’exclusion totale du sommeil pendant la durée de certains cas de phlegmasies serait incompatible avec la vie. Dans les névroses, les fonctions nutritives sont en général peu altérées, et la maladie paraît siéger dans l’ensemble, ou dans une partie du système nerveux. [p. 25] C’est ici que l’on trouve les anomalies les plus étonnantes relativement au sujet qui nous occupe : le sommeil le plus profond et le plus prolongé, les veilles les plus actives et les plus opiniâtres. Qui pourrait ici déterminer si le sommeil est la suite de lanécessité du repos malgré la maladie, ou un signe d’amélioration par la diminution du mal ? Car les névroses sont particulièrement intermittentes, soit régulièrement, soit irrégulièrement ; et l’on ne sait si le sommeil vient parce que la douleur cesse, ou si la douleur cesse parce que le sommeil survient. Mais que savons-nous des causes prochaines, non-seulement des maladies, maisdes phénomènes de l’état de santé ? Dois-je donc rechercher la cause du sommeil, soit dans l’un, soit dans l’autre état ?

J’ai, dans le cours de cette dissertation, indiqué toutes les causes éloignées et déterminantes du sommeil qui sont à ma connaissance ; et c’est en quelque sorte expliquer le phénomène que de dire qu’il constitue une des lois les plus générales de l’économie animale.

 

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