J.-A. Fourche. Le Trumba. Extrait du « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), XVIIe année, 1920, pp. 848-864.

J.-A. Fourche. Le Trumba. Extrait du « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), XVIIe année, 1920, pp. 848-864.

 

Tiarko Auguste Fourche (1889-1942). Médecin colonies, en particulier au Congo de 1923 à 1940.
Nous vous retenu l’ouvrage suivant :
— (avec H. Morlinghe3). Les communications des indigènes du Kasai avec les âmes des morts. Bruxelles, Librairie Falk fils, Georges van Campenhout, successeur, 1939. 1 vol.

[p. 848]

LE TRUMBA
par J. A. FOURCHE

Au cours d’un précédent séjour à Madagascar, j’eus la bonne fortune de rencontrer M. Henry Rusillon, de la Société des missions évangéliques de Paris. Notre conversation roulant sur les mœurs et croyances malgaches, M. Rusillon éveilla ma curiosité en me parlant du trumba ; la lecture du livre qu’il a consacré à son étude me passionna : conçu dans un esprit de haute probité scientifique, il est d’une documentation riche et précise, révèle un esprit d’observation de premier ordre (1).

Je lui ai fait ici de nombreux emprunts ; mais, tenu de me cantonner dans la généralité des faits, j’y renvoie le lecteur curieux de trouver de [p. 849] plus amples détails sur ces phénomènes qui sont souvent, dans cette colonie, faussement qualifiés d’épilepsie malgache par de superficiels observateurs.

Dès ce moment, je résolus de consacrer une partie de mes loisirs à l’étude du trumba. La tâche m’était relativement facile : je n’avais pas oublié que j’avais été jadis un élève de Bernheim, et que j’avais suivi les cours de psychophysiologie du professeur Lambert, de Nancy. Médecin à bord d’un stationnaire qui touche tous les points de l’île, j’étais en contact avec de très diverses catégories de natifs je pratiquais la suggestion à l’état de veille ou d’hypnose aussi souvent que le requérait le cas de mes patients : les indigènes le savaient ; une telle situation, la bonne volonté d’entrer dans leurs vues et de s’assimiler leur tour d’esprit, est nécessaire lorsqu’on se livre à un genre d’observation aussi spécial. La plupart des Européens, vivant même de longue date dans la colonie, provoquent la méfiance par leur indifférence à chercher à comprendre, et leurs railleries. Il s’ensuit que leurs questions se heurteront, la plupart du temps, au silence, au « je ne sais pas » national, ou qu’ils accueilleront de bonne foi pour des vérités des mensonges flagrants. Ils déclareront ensuite que le Malgache est dénué de toute imagination, affligé de nullité spirituelle.

Rien n’est plus faux : ce peuple, ou plutôt cet agrégat de races diverses, fortement métissé par endroits d’éléments étrangers, possède une croyance nationale qui imprègne même encore les convertis au christianisme et à l’islam. Il est nécessaire d’en tracer un court exposé afin de rendre plus claire et compréhensible l’explication psychophysiologique du Trumba.

CROYANCES MALGACHES

L’homme est formé d’un corps et d’un double esprit. Le premier, figuré par l’ombre que projette le corps, est analogue au corps astral ; le second, figuré par l’ombre ténue qui double la première dans certains jeux de lumière, à l’âme des théosophes et de nombreuses confessions. Malheur à celui dont elle disparaît : les lolos ou esprits l’ont emportée; il devient semblable à l’« homme qui a perdu son ombre » du conteur allemand.

La mort ayant séparé le corps de l’esprit, celui-ci continue à rôder autour des vivants. Il a des besoins, des passions, une activité ; il influence les rêves, surveille, favorise et châtie ; il peut hanter des cases comme il m’a été raconté de celui d’une vieille femme de Tamatave furieuse de ce qu’on ait loué son logis aussitôt sa mort à des étrangers. Rusillon rapporte une histoire analogue ; ces esprits malgaches ne se comportaient pas autrement que les classiques revenants de nos maisons hantées. Par leurs paroles, leurs coups frappés et leur insupportable présence, ils rendaient l’habitation intenable.

Les lolos peuvent passer dans le corps d’un animal : ce sera un caïman, [p. 850] un serpent. On respecte comme des ancêtres certains bœufs marquas au front d’une étoile blanche. Il n’est pas rare d’entendre parler d’une ramatsa (femme malgache) qui obéit à l’ordre supérieur d’aller faire des offrandes de nourriture à un caïman. Une Betsimisare m’a conté qu’un serpent avait coutume d’aller se lover chaque nuit auprès de sa jeune sœur endormie, tant qu’à la fin leur père inquiet trancha la bête en deux ; cet acte fut vertement blâmé par le fondy (sorcier) : le reptile était à coup sûr un lolo ; cependant le tronçon capital du serpent s’étant à nouveau dirigé vers la fillette, il en tirait pour elle un heureux présage. On fit une cérémonie expiatoire.

Les Betsimisares appellent razaha (ancêtre) certain singe sans queue de la forêt de l’Antankara. Il est interdit de lui faire du mal. D’aucuns voient en ces singes des esprits réincarnés. D’autres, de très anciens Malgaches retournés au quadrumane de par leur existence sauvage : curieux mélange d’idées de métempsychose et d’évolution régressives.

Les esprits hantent les tombes, ils sont l’âme des tam-tams (manandria) dont on se sert aux fêtes et cérémonies.

Enfin, et c’est le cas du trumba, les esprits des ancêtres se réincarnent volontiers dans le corps des vivants ; c’est qu’ils exigent une réparation, soit qu’on leur ait manqué de respect, soit qu’on ait violé les fady (choses défendues). Mécontents et justiciers, ils sont un-sujet de crainte : mais sitôt qu’ils sont satisfaits, le fait d’être possédé de l’un d’eux constitue un honneur insigne. Ils peuvent être des lolos (esprits d’ancêtres), des zanahary (esprit d’un ancêtre respecté), des andrianahary (anciens chefs, créateurs). Parmi ces derniers il est une hiérarchie qui rappelle les cercles ou plans superphysiques des théosophes. Certains sont dénommés « andrianahary an hiboka » (créateurs dans le ciel), d’autres « andrianahary tsy omby hiboka » (créateurs qui ne peuvent être contenus dans le ciel), pour n’en donner qu’un exemple.

On croit aussi au grand créateur, le seul Dieu « Andriamanitra » ou «  Zanahary be », mais il est trop loin des hommes pour daigner s’occuper d’eux. Les médiateurs entre lui et eux sont les esprits dont la présence et l’influence pèsent sans cesse sur la vie des hommes, croyance profondément sentie et vécue à tel point qu’il est difficile à un occidental de la concevoir.

LE TRUMBA

Définition

Nous l’avons dit, le trumba est un Esprit possesseur. Mais, par extension, on donne le même nom à la possession elle-même, puis aux cérémonies qui l’entourent. Nous le verrons tout à l’heure, celles-ci [p. 851] sont curieusement identiques aux honneurs que l’on rendait aux rois, au service que l’on consacre encore à leurs restes.

C’est qu’il s’agit bien d’une présence réelle, sentie par les assistants ; le sujet possédé revêt une personnalité double, la sienne et celle de son trumba, manifestées alternativement suivant qu’il est en l’état de veille ou suggestionné. Ces particularités ressortiront des chapitres suivants : je n’insiste pas sur elles pour l’instant.

Qu’il soit le Trumba des Sakalaves, le Menabé des Hovas, le Manougay des Betsimisares, le Zahanary des Betsiléos, le Misosy des voleurs, le Fondy des sorciers, le Makoa des nègres, le Lolo, le Tsioka, le Varatroza, le Razana ou le Kalanoro, suivant son caractère ou ses vertus, il n’apparaît pas qu’il y ait une différence essentielle dans la nature de la possession.

Mais celle-ci se manifeste à des degrés très divers. Les sujets sont loin d’être également suggestionnables. Le trumba est polymorphe comme l’hystérie dont il relève, encore qu’il soit encadré par le formalisme du rituel cérémonial qui l’accompagne et que nous décrirons plus loin.

ÉTIOLOGIE DU TRUMBA

Prédispositions, autosuggestion, suggestion.

M. Rusillon remarque que, bien que frappant les deux sexes, le rumba affecte plus généralement les femmes ; il fallait s’y attendre. J’ajouterai qu’il ressort de mes observations et de mes interrogatoires que les premiers troubles ont souvent fait leur apparition aux périodes critiques de la vie : puberté, début de la grossesse, plus rarement retour d’âge. J’ai vu surtout de nombreux cas coïncider avec l’apparition des règles.

J’ai noté comme M. Rusillon que les maladies et particulièrement les affections fébriles, si fréquentes, comme le paludisme, sont souvent à l’origine d’une première crise de trumba. Il est naturel que des gens simples interprètent subjectivement les rêves bizarres de la fièvre, ou objectivement les manifestations de son délire comme la révélation de la présence d’un esprit.

Les affections douloureuses de l’estomac sont dans le même cas. Tout dernièrement un tirailleur antemohoro, retour de France, vient [p. 852] me trouver : Il est habité par l’esprit de son père qui lui inflige d’horribles tiraillements d’estomac ; il s’agit en réalité d’un néoplasme avancé; un narcotique accompagné des simagrées nécessaires produit son effet. A son départ l’homme vient me remercier : son trumba est parti ; il reviendra, hélas, bientôt.

Une cause fortuite, le plus souvent un déplacement au loin, avec la fatigue et l’énervement qui en résultent, ou la violation d’une interdiction, d’un fady, peut être l’occasion d’une crise.

Voici deux cas de violation de fady :

Un matelot sakalave mange sa ration sur le pont ; un de ses camarades projette de la graisse, par malice, dans sa gamelle ; or pour lui la graisse est fady ; à peine y-a-t-il touché qu’il tombe, entre en convulsions ; lorsque j’arrive, je le trouve raidi, les yeux révulsés, le pouls rapide, marmonnant des mots incompréhensibles. Je le réveille sans peine par injonctions parlées accompagnées de passes. Ses camarades chuchotant le mot de trumba, je déclare qu’en effet le trumba a voulu le punir pour avoir violé un fady ; mais je feins de consulter l’Esprit. J’ai vite trouvé le remède : une dose d’ipéca, et tout rentre dans l’ordre. J’ai revu ce matelot trois ans après cette petite scène : il n’a jamais reçu par la suite la visite du trumba ; il affirme aussi que c’était la première.

Il y a quelques mois je dînais chez des créoles, on avait invité une amie. Dès que celle-ci a bu sa première cuillerée de soupe aux herbes, nous la voyons se lever agitée d’un tremblement convulsif, les yeux hagards ; bientôt elle se balance en parlant d’elle à la troisième personne. C’est le trumba qui se plaint : la cuiller a touché de la graisse, a été mal lavée ; un peu de suggestion et tout se calme ; la malade s’éveille tout étonnée, se plaint de la tête et s’endort d’un sommeil normal. C’est une jeune femme de vingt-cinq ans probablement métissée de malgache et de créole indien ; mais ce n’est pas sa première crise, elle est réputée avoir le trumba.

La présence, le contact, la volonté d’un possédé, peuvent suggestionner uue tierce personne au point de lui communiquer un trumba passager ou définitif. Pour certaines races, les Sakalaves ont la réputation de donner le trumba. Des Betsimisares et des Sainte-Mariens m’ont affirmé qu’ils marqueraient les sujets choisis de terre blanche, au front ou à la racine du nez, ou leur présenteraient devant les yeux [p. 853] un miroir rayé de terre blanche, ou les regarderaient dans les yeux en disant « tu me plais, tu ressembles à un ou à une Sakalave ». C’en est fait : le sujet contracte le trumba. C’est de la suggestion pure, d’individu à individu.

Une jeune Betsimisare, croisée de Chinois, me raconte qu’elle a failli se noyer à Tamatave en se baignant avec une amie possédée du trumba Elle a soudain perdu conscience de ses actes, s’est avancée beaucoup trop loin ; on a dû la repêcher lorsqu’elle a perdu pied. Il n’y a jamais eu récidive. Son amie était une créole indienne.

Mais nulle part le processus suggestif n’est aussi évident que dans la cérémonie même du Trumba. J’ai contrôlé en y assistant, à diverses reprises, à Majunga, à Mayotte et à Diégo-Suarez, le tableau exact et frappant qu’en trace M. Rusillon. C’est lui que je vais esquisser à grands traits.

CÉRÉMONIE DU TRUMBA

Ici le suggestionneur est le moasy, ombiasy ou fondy. Possédé lui-même par plusieurs trumbas, appelés aussi fondy, il dirige en leur nom les actes importants de la vie malgache, sert d’intermédiaire entre les hommes et les esprits, indique les jours fastes et néfastes, les fady, donne les amulettes, etc. Par des possessions successives, il est devenu une incarnation des puissances supérieures. C’est un directeur de conscience, un guérisseur, un servant du rituel ; en un mot un prêtre, tel que les autres prêtres durent l’être à l’origine des religions. Il est accompagné du mpamoaka, souvent sa femme ou un parent, qui servira de médiateur entre le fondy et la foule et interprétera à l’usage de celle-ci l’ambiguïté ou l’obscurité de son langage, ou de celui du possédé.

Ce point posé, voici comment les choses se passent : une femme est malade, sa famille soupçonne l’influence du trumba. Dans une séance intime on convoque le fondy. Ou a fait asseoir la malade ; devant elle, au milieu de chants monotones rythmés par des battements de mains, le fondy se met en dansant en état d’extase, puis fait des passes, présente un miroir à la patiente ; au besoin on recouvre celle-ci d’un voile et on procède à des fumigations. Si la malade s’endort, manifeste des [p. 854] tremblements, le mpamoaka déclare qu’elle a le trumba et l’on. se sépare en décidant le jour de la cérémonie.

C’est la première séance publique. Il s’agit d’engager le trumba à se dénoncer : « on caresse le trumba ». Les assistants chantent inlassablement, frappent dans leurs mains. La malade est assise devant le fondy qui fait des invocations aux ancêtres, les nomme. Soudain il en reconnaît un. C’est lui ! Sur cette affirmation la cérémonie cesse. On se retrouvera au prochain jour faste. La malade est d’ores et déjà influencée.

La seconde séance est plus compliquée : un autel rudimentaire, une table a été dressée au nord-est; on y a placé la glace, une assiette contenant de l’eau, du miel, de la terre blanche, une offrande d’or et d’argent. La malade siège en face. L’assistance tournée vers l’est chante, prie, invoque l’esprit, l’adjure de quitter la malade qui a dû transgresser un fady : cependant le fondy essaye à nouveau de l’hypnotiser.

C’est qu’en ce jour on « chauffe le fer ». Durant ces litanies, ces adjurations, la patiente suggestionnée par la foule et le fondy se livre à la mimique de la souffrance. Cependant le fondy l’asperge du contenu de l’assiette puis lui « ouvre la bouche » en la marquant d’un trait de de terre blanche du coin des lèvres à l’oreille. Désormais le trumba peut parler ; il parle, par la bouche de la patiente, avoue qu’il l’a rendue malade. L’assistance le supplie à nouveau de- la quitter. A ce moment les trumbas d’anciens possédés de la foule, se manifestent par leur intermédiaire. Il y a là un phénomène soudain de suggestion collective qui semble électriser le sujet. Il se dresse, se convulsé, se livre à des mouvements saccadés, s’avance et se dépouille soudain de ses lamba (pagnes). Rapidement on le revêt de lamba neufs, préparés d’avance et qui deviennent par le fait les lamba du trumba, lamba royaux. Considéré comme l’ancêtre même qu’elle incarne, la malade entourée de la foule respectueuse est conduite au bain dans une case spéciale. A son retour elle est une créature plus calme, transfigurée, majestueuse. On la quitte après s’être entretenu avec son trumba. Dans toute la séance le mpamoaka a joué le rôle de médiateur.

Dans la troisième séance on déterminera qui est le trumba : l’assistance a été chauffée aux précédentes réunions, le sujet est-plus facilement accessible à la suggestion. Il tombe presque de suite en état second, mais l’Esprit, l’Ancêtre, le Maître, ne se dévoile pas de suite. [p. 855] Il envoie d’abord ses esclaves qui, par la bouche, de la malade, disent qu’on dérange le Maître; les assistants les injurient copieusement, c’est le Maître qu’on veut. Cependant la patiente se livre souvent à des gestes obscènes probablement en la place des esclaves. Enfin le Maître se dévoile par sa bouche. Il réprimande la malade, la foule ; on lui a manqué de respect, on a violé les fady ; il est tel ou tel roi et le sujet inspiré parle dans l’idiome propre de ce roi. Il exprime ses sentiments francophiles ou non. Dans le premier cas on s’adresse à lui en mauvais français pour lui plaire. Mais les anciens trumbas des assistants se réveillent aussi, s’interpellent dans leurs langues, discutent si le nouveau trumba n’était pas déjà incarné par ailleurs, car les esprits aiment à voyager. Enfin l’ordre s’établit ; les esprits se sentent en famille.

Alors on interroge le nouveau trumba. Il donne des conseils, prescrit des fady, etc. ; lorsque le langage de la patiente épuisée devient incompréhensible, le mpamoaka sert d’interprète.

En même temps, au dehors, après les invocations rituelles, on fait le sacrifice d’un bœuf dont le sang servira à de longues aspersions et dont la viande sacrée sera partagée pour que toute l’assistance communie en elle.

Désormais la malade doit être guérie ; la dernière cérémonie sera toute de reconnaissance ; mais elle entrera facilement en hypnose, gardera son trumba et parlera en son nom. On lui fera des offrandes d’or, d’argent, de bijoux, d’un joro velono (prière vivante) sous la forme d’un bœuf. Mais ces présents sont la propriété du trumba qui saura en faire des dons judicieux ; le sujet ne saurait en disposer pour son propre compte.

CAS DE SUGGESTION COLLECTIVE

De tels cas se rencontrent dans les fêtes, lesquelles s’accompagnent de danses, de chants monotones, rythmés par les claquements des mains et le battement voilé des manandrias, tam-tam sacrés qui sont l’âme des Esprits. En effet l’exaltation de la foule, souvent à moitié ivre d’alcool, entretien la tension nerveuse, tandis que la monotonie du rythme entraîne à l’extase.

Bien significatifs sont ceux qui se produisent aux grands jours du fanompoa, service rendu aux restes des rois, tel qu’il se passe par exemple [p. 856] à Mahabiba : chauffée déjà par les processions préparatoires de doany à doany (tombeaux), dansantes, arrêtées ou précipitées par la volonté des Esprits qui sont censés en diriger la marche, tandis qu’à chaque halte les femmes puisent de l’eau pour les lolos, quelle ne doit pas être la surexcitation des imaginations lorsqu’on arrive au Zomba be, la case des ancêtres, où l’on va converser avec les Rois, où certains privilégiés participeront au symbolique cérémonial de leur bain ! La description qu’en fait Rusillon est frappante :

Pendant que la foule, vêtue de l’obligatoire sikina sakalave, a envahi la première enceinte où les bœufs attendent le sacrifice, que les femmes de certaines tribus chantent, modulent des appels supplicatoires dans la première partie du sanctuaire, dans la seconde, derrière un voile, princes et princesses parent le lit, font des fumigations d’encens. Au nord-est du lieu est une petite case sur pilotis où l’on accède par une échelle et dont la porte est fermée. Soudain un prince ou une princesse entre en transe, grimpe l’échelle, se balance en marmonnant, conversant avec l’Esprit.

Un second possédé s’élance, lui dispute la place. Il parle au peuple, vitupère, prophétise ; sa voix et son allure ont changé. Il incarne en effet l’Esprit qui l’inspire. Enfin les ancêtres permettent qu’on ouvre la porte. Quatre hommes qui ont passé plusieurs fois par le trumba, vêtus de rouge, coiffés de bonnets rouges, y prennent, pliant sous le jardeau., quatre petites boîtes contenant les restes des ancêtres et les déposent sur le lit après avoir passé au milieu d’une haie d’honneur. Et tandis qu’au dehors bondissent les manandrias, éclatent les coups de feu, tintent les triangles et beuglent les cornes de mer, c’est à l’intérieur une effarante explosion de manifestations de respect et d’amour, des salutations comme en face de présences augustes et réelles, à se demander si ces gens croient seulement, ou sont les voyants d’une étrange hallucination. Les possédés de trumba délirent en plusieurs dialectes ; lorsqu’on baigne les reliques dans l’eau, le miel, l’huile de ricin, c’est un délire où les privilégiés se ruent pour y participer, tandis que d’inlassables esclaves agitent des éventails sur des royautés imaginaires, que la foule des profanes se prosterne, clame des vœux et qu’on égorge les bœufs dont le sang servira à s’asperger encore. Après quoi chacun s’enfuit avec son quartier de viande.

Une cérémonie de reconnaissance prend lieu quelques jours après, comme dans la tragédie du trumba dont le rituel s’éclaire à la description de cette cérémonie dynastique. Sans doute jamais ces phénomènes d’hallucination collective n’atteignirent le paroxysme des Ramanenjana de i863. J’en emprunte au P. de la Vaissière cette impressionnante description que l’on dirait éclose de l’esprit d’un Edgar Poë.

Ranavalona I, après sa mort, mécontente de la politique xénophile de son fils Radama II, résolut de le mettre à la raison.

« Elle partit du, séjour des morts, suivie d’une foule d’ombres dont les [p. 857] unes accompagnaient seulement leur souveraine tandis que d autres portaient ses bagages.

« Au premier village qu’elles rencontrèrent sur la route, les ombres chargées de bagages passèrent leurs fardeaux aux vivants. Ceux-ci, à leur tour, les passèrent à d’autres du village suivant, comme cela se fait encore à Madagascar où les colis royaux passent de mains en mains, de village à village jusqu’à ce qu’ils arrivent à destination.

« Ainsi voyageait, dit-on, l’ombre royale. Les vivants réquisitionnés pour la corvée des bagages se sentaient tout d’abord saisis d’un violent mal de tête. Bientôt après leur apparaissaient les ombres de la suite de Ranavalona les entourant de leurs longues files et leur assignant un paquet avec ordre de le porter jusqu’au prochain village.

« Ces pauvres gens tombaient alors dans un état d’exaltation extraordinaire. Ils se mettaient à danser pendant un jour ou deux dans leur village ou aux environs, affirmant qu’ils voyaient leur ancienne souveraine et lui faisaient cortège. Ce temps écoulé ils revenaient à leur état normal et retrouvaient la paix.

« C’est le 12 mars 1863 que la nouvelle de cette étrange contagion fut portée à Tananarive par des gens du Betsiléo. Elle produisit une sensation profonde. Cette impression alimentée chaque jour par de nouveaux bruits alla croissant jusqu’au 26 du même mois.

« Ce jour-là on annonça que l’ombre de feue Ranavalona avait fait son entrée dans son ancienne capitale. Ce qui est certain c’est que la contagion envahit la ville le 26 et qu’avant le soir les visionnaires parcouraient les rues. Ils se disaient chargés d’un paquet invisible à tout le monde qu’il leur fallait porter à la suite de Sa Majesté.

« Parfois leur négligence leur attirait de rudes corrections. On les voyait alors se tordre, et pousser des cris comme sous l’impression de coups violemment administrés et leurs larmes roulaient longtemps encore après la fin du châtiment.

« Leurs yeux rouges, leurs traits tendus, les firent appeler par le peuple Ramanenjana (tendu raide), tantôt Ramenàbe (très rouge) et comme ils répétaient sans cesse le mot maïka (pressé) on les appelle aussi « Rama ika. »

L’épidémie venait du Ménabe et les rois dont les noms sont les plus répétés dans le trumba sont des noms de rois du Ménabe.

Sans doute l’épidémie des Ramanenjana diffère-t-elle assez de la possession du trumba pour qu’on ne la confonde pas avec elle. Mais sa parenté est assez évidente pour qu’il soit permis de la citer. Il semble même que certains Ramanenjana aient été possédés de trumba, car selon le P. de la Vaissière, certains affirmaient qu’ils sentaient sur eux comme le poids d’un cadavre. Mais de plus amples investigations auraient été nécessaires pour qu’il nous fût permis de conclure. [p. 858]

INTERPRÉTATION DU TRUMBA

L’hystérie telle qu’elle a été étudiée, définie, par nos psychiatres, l’hypnotisme et la suggestion dont Bernheim a si ingénieusement démonté et démontré le mécanisme, suffisent à expliquer les phénomènes du trumba.

Répétons après Bernheim que l’hystérie n’est qu’un mot caractérisant le développement anormal de facultés normales, lesquelles sont’ pour tout être humain, d’être suggestionneur et suggestionnable et de jouer ce double rôle vis-à-vis de lui-même.

Tout geste et toute parole sont des suggestions qui tendent à être acceptées par le sujet dont la réactivité ne leur oppose pas un rempart suffisant. Toute suggestion reçue tend à se matérialiser, en acte si elle est la représentation d’un acte, en hallucination si elle est la représentation d’une perception, en pensée si elle est l’expression d’une pensée, etc.

L’hypnose, sommeil suggéré laissant une certaine activité à la conscience, ne fait que développer, qu’intensifier la réceptivité du sujet vis-à-vis du suggestionneur, en lui enlevant les points de repère de la réalité. Réveillé, le sujet accomplira l’acte suggéré pendant son sommeil parce que l’ordre s’est empreint dans sa mémoire subconsciente, comme une force latente qui doit devenir agissante à son heure.

Enfin toute suggestion s’impose d’autant plus facilement qu’elle cadre avec le caractère, les croyances, les mœurs, les souvenirs et les aspirations, en un mot avec toute la vie intérieure du sujet. C’est le cas du trumba ; en complète harmonie avec lui, le Malgache est tout disposé à l’accepter, outre qu’il l’honore.

Mais un intermédiaire est utile, sinon absolument nécessaire. Dans la cérémonie du trumba, c’est le fondy qui ne cesse de suggestionner le malade. C’est lui qui affirme la présence supposée du trumba, lui qui le reconnaît, le nomme, tant qu’il en impose la conviction au sujet déjà étourdi, préparé par les danses, les chants. les fumigations, hypnotisé par tous les procédés classiques, passes, fixation des yeux, présentation du miroir, objet brillant.

Quant au sujet lui-même, il n’est pas sans avoir entendu les traditions orales se rapportant aux ancêtres et aux rois. Avant que d’en être acteur il est infiniment probable qu’il a assisté à des scènes du même [p. 859] genre, très répandues et auxquelles les voisins sont volontiers conviés. Il sait d’avance le répertoire du rôle qu’il va jouer. Il n’imagine rien dont il ne connaisse les éléments.

Les mêmes observations s’appliquent aux cas de suggestion collective. On ne peut s’empêcher de songer, en assistant aux processions délirantes du fanompoa, aux danses de Saint-Vit, aux possédés de Saint-Georges de Yéni Chehr en Troade, à la procession luxembourgeoise d’Echternach, à la fête de Sainte-Orosia en Haut-Aragon. Du même point de vue, les Ramanenjana et les convulsionnaires sont deux formes d’une même contagion suffisamment analysée pour qu ‘il soit inutile d’y revenir. Quant au trumba c’est une « possession » comme les autres.

En dehors de leurs crises, les possédés du trumba qu’il m’a été loisible d’examiner offrent tous ce caractère d’être impressionnables et suggestionnables à un haut degré. Qu’on leur saisisse brusquement un membre, celui-ci s’immobilisera, raidi, dans la position où il a été laissé. Il est aisé de réussir avec eux les petites expériences que l’on pratique à l’état de veille, faire tomber en avant, en arrière, empêcher les mains jointes de se séparer, etc. Il est facile aussi de les endormir ; j’y ai réussi presque chaque fois que je l ‘ai essayé par de simples injonctions répétées d’une voix calme tout en les fixant aux yeux ou en abaissant leurs paupières. On les réveille d’une crise sans grande peine.

Une partie d’entre eux, environ cinquante pour cent, accuse avant les crises la sensation de l’aura. C’est parfois une lourdeur de tête ; le plus souvent ce symptôme prémonitoire est caractérisé par une crampe d’un orteil, une sensation de froid à un pied, remontant rapidement vers le ventre.

La personnalité double que l’on constate chez eux, au moment des crises, leur est commune avec nombre de leurs semblables d’Europe. Entrés « dans la peau » de leur rôle, ils le joueront jusqu’au bout de leurs forces. Un sujet mâle incarnant une reine, s’habillera en femme et réciproquement. Il adoptera, nous l’avons vu, le dialecte particulier à son trumba. Rien qui soit étonnant : le Malgache est voyageur ; il adore les déplacements, et il n’est pas de centre important où il n’entende parler et parle lui-même les principaux dialectes de l’île. Enfin nous le voyons emprunter l’attitude, le timbre de voix supposés de [p. 860] l’ancêtre qui s’est substitué à sa propre personnalité, parler de celle-ci à la troisième personne. Beaucoup de nos « hystériques » sont dotés d’une personnalité double ou multiple et n’en usent pas autrement. En outre, l’entrancé malgache parlant au nom de l’ancêtre ou du roi ne sort pas des lieux communs de la plus grande banalité : il parlera de viols de fady, recommandera des voyages, déplorera les usages nouveaux et souvent bafouillera.

Suivant l’usage, la crise se termine dans l’abattement, provoqué par une débauche exagérée d’activité musculaire et verbale. Au réveil le sujet aura tout oublié. Il ressentira une grande lassitude, des courbatures, des maux de tête ; il succombera souvent à une invincible et bien compréhensible inclination au sommeil.

C’est le schéma parfait d’une crise d’hystérie classique, accidentelle ou provoquée. Ses caractères spéciaux lui sont imprimés ici par les particularités des croyances, le rituel des cérémonies en l’honneur des ancêtres et des rois, dont est empreint par avance le cerveau du sujet, MM. Rusillon et Raoul Allier en font la remarque judicieuse.

Le seul détail qui offre quelque originalité consiste dans la constance avec laquelle « l’être second » influence « l’être premier ». Le trumba donne ses ordres au sujet par la propre bouche de ce dernier. Revenu à lui, celui-ci les suivra, les exécutera ponctuellement ; il respectera tel et tel fady, fera tel voyage suivant les injonctions qu’il s’est données à l’état d’hypnose. J’ai vu récemment une ramatoa d’une classe aisée embarquer clandestinement, sans bagages et sans argent, à Diégo Suarez. Elle se rendait à Mayotte sous le prétexte peu plausible d’aller voir des parents éloignés. Je viens d’apprendre qu’elle n’avait fait qu’obéir à un ordre de son trumba.

Il est des commandements moins anodins, tel le cas de cette sorcière qui, de par la volonté d ‘un de ses trumba, allait porter à manger ail caïman chaque soir, jusqu’au jour où il réclama qu’elle offrit son propre enfant en pâture. Prise entre l’instinct maternel et la suggestion, elle résista. Le trumba fixa un terme à l’exécution de l’ordre donné, faute de quoi la femme mourrait. En effet, au jour suprême, ayant lutté jusqu’au bout, elle entra dans la rivière et s’y noya.

M. Rusillon cite également le cas d ‘un Européen qui mourut au jour fixé pour avoir refusé d’obéir au rumba. Mais ne peut-on [p. 861] soupçonner le sorcier d’avoir aidé le destin par quelque habile poison afin de sauvegarder sa réputation ?

A propos du fondy surtout, se pose le problème de la simulation. A l’encontre de M. Rusillon, qui croit à leur sincérité, il m’étonnerait que celle-ci fût si universellement répandue dans les pratiques malgaches. J’en juge d’ailleurs uniquement par analogie avec les nôtres. La supercherie est répandue partout où elle offre quelque intérêt ; tel médium, tel sujet qui ne se trouvera pas en état de répondre au rôle que le public attend de lui tendra à y recourir. Or le fondy, le possédé du trumba, tiennent au respect supersticieux qui les entoure, éprouvent l’orgueil du rôle qu’ils jouent, outre que leur entourage ne saurait abandonner dans le besoin le représentant d’un héros défunt sur la terre.

D’autre part la crainte d’un outre-tombe sacré avec lequel on ne peut jouer sans danger doit rendre la simulation consciente assez rare.

ÉVOLUTION DU TRUMBA

Puisque la suggestion suffit à rendre compte du trumba, on peut dire qu’entre le possédé lui-même et l’assistant qui, chauffé par la danse et les chants, aura reproduit inconsciemment la mimique du possédé et se sera cru momentanément sous l’influence d’un trumba, il n’existe qu’une différence de degré.

Passagère, accidentelle, suivie ou non de récidive, la crise a pu simplement s’ébaucher, ou suivre un développement classique et complet. C’est que le sujet est plus ou moins réceptif, suggestionnable, et voilà tout. Il m’est arrivé, après avoir suivi longtemps un cortège de danseurs anjouanais, d’éprouver un besoin irrésistible de me joindre à eux et de reproduire leurs gestes. De la même manière il arrive que certains avis qui nous ont frappés nous obsèdent jusqu’à la hantise. Ces faits sont bien connus.

Le trumba, régulièrement, officiellement reconnu, paraît assez bien s’accommoder de ce que son vecteur humain mène une vie normale. De temps à autre, sous l’influence de quelque cause organique ou toute extérieure, une fête, une cérémonie, ou simplement parce que des voisins sont venus pour le consulter et l’ont appelé à force d’invocations [p. 862] et de cris, il se manifestera, inspirera son porteur, lequel aura revêtu pour la circonstance ses lamba royaux et se dandinera appuyé sur une canne d’ébène à pommeau d’argent, cerclée de grelots qui sont censés tinter à la venue de l’esprit.

Les assistants en profiteront pour l’interroger, le consulter. Il jouera quelque peu le rôle de nos somnambules extralucides. Il donnera ses ordres aussi bien à son incarnation de hasard qu’à l’assistance, puis tout rentrera dans l’ordre.

On remisera la canne et la lamba ; le sujet reprendra ses occupations. Rien ne le distinguera des autres, sinon qu’il respectera les ordres, les fady qui lui sont prescrits. Il s’abstiendra de manger de la graisse, du mouton, du cabri, etc., se nourrira de certaines brèdes. Il aura la figure marquée à la terre blanche ou bien il portera dans les cheveux, à la cheville, au poignet, quelque ornement consacré à son trumba. Suivant les opinions de celui-ci, il aimera les danses, la joie, les chants, les fleurs, aura horreur de la couleur noire, des chapeaux ou des étrangers.

Selon que les suggestions se feront autour de lui plus ou moins fréquentes, les crises tendront à s’espacer ou à se précipiter.

La question de savoir si le trumba tend à se répandre ou non est difficile à résoudre, les observations sont trop rares, trop récentes aussi. Je puis affirmer l’avoir rencontré ün peu partout. Le mot sakalave « trumba » est connu sur toute la côte. Je l’ai vu sévir à Diégo-Suarez, à Majunga, à Mayotte, Tuléar, Nosy-Bé, Fort-Dauphin, Sainte-Marie, Tamatave, etc. Il n’atteint pas seulement des Malgaches convertis ou non à l’islam ou au christianisme : même des « libre-penseurs » hovas n’en parlent qu’avec réserve. Les métis n’y échappent point.

Fait plus curieux, des créoles subissent la contagion. Je sais des Arabes du Yémen et des Somalis d’Aden et de Djibouti qui recourent aux offices du fondy. M. Rusillon fait allusion à des Européens qui n’ont pas échappé à son emprise, tant il est vrai que le dépaysement, la fièvre, l’ennui d’un poste isolé, le contact étroit d’une mentalité étrangère, peuvent désaxer l’esprit, outre que les concubines indigènes doivent jouer un rôle important dans la dissémination de cette superstition.

L’avenir dira si notre civilisation peut la faire disparaître. M. RusilIon exprime à cet égard sa confiance en l’action spirituelle des [p. 863] Missions. Mais j’ai eu l’occasion de rencontrer une métisse Sainte-Marienne à Ambohibé. Celle-là, catholique, était aussi possédée par un trumba, qui, si paradoxal que le fait puisse sembler, n’était autre que Sainte-Marguerite. Il n’y a donc pas qu’en Chine que l’on admette les saints, les prophètes et les apôtres en qualité d’ancêtres respectés ou de héros du ciel.

Je croirais plutôt en l’influence d’une contre-susgestion individuelle, pratiquée à l’état de veille ou d’hypnose. Encore faudrait-il qu’elle fui répandue, ce qui me paraît assez difficile, et maniée avec assez de tact et de souplesse pour que le remède ne devienne pas plus dangereux que le mal.

Enfin, il faut se l’avouer : la magie est née du jour où l’homme a cherché à s’expliquer le monde ; les sorciers et les esprits sont contemporains des temps anciens où se formait l’intelligence humaine.

Il serait puéril de croire que l’on peut effacer du doigt des croyances aussi profondes, aussi immémoriales.

Analalave, 27 décembre 1919.

DISCUSSION

M. PIÉRON. — M. Fourche nous apporte une observation d’hystérie rituelle.

Les phénomènes de « possession », comme manifestations hystériques de suggestions religieuses, apparaissent bien en tout temps, chez presque tous les peuples, primitifs ou civilisés. En général, ces phénomènes se présentent, toutefois, comme des manifestations individuelles et spontanées avec lesquelles le rite doit compter, ne serait-ce que pour « exorciser » les possédés, mais qui ne sont pas véritablement rituelles. Les cas au contraire où le phénomène pathologique est, non seulement dirigé par le rite, mais provoqué, patiemment développé selon les règles du culte, sont particulièrement intéressants pour le psychologue et le sociologue, car ils sont situés sur le domaine commun où les lois sociales et les lois individuelles se mêlent étroitement.

Le rite, d’origine sociale, s’impose à l’individu ; mais il faut que le terrain individuel soit préparé, il faut que la suggestibilité soit pathologiquement développée pour que la manifestation rituelle de la possession soit rendue possible ; les seules considérations sociologiques ne peuvent [p. 864] donc expliquer une forme cultuelle comme celle-ci. Et d’autre part, il est bien certain que c’est socialement qu’est déterminée la forme d’un tel accident hystérique dont la psychopathologie individuelle ne peut suffire par conséquent à préciser l’évolution.

C’est à ce titre que le trumba malgache, qu’a personnellement étudié M. Fourche, me paraît particulièrement intéressant.

Notes

(1) Un culte dynastique avec évocation des morts chez les Sakalaves de Madagascar. Le Trumba, par Henry Rusillon. Librairie Alphonse Picard, Paris, 1912.

On trouvera également des indications précieuses dans le livre du P. de la Vaissière, Vingt ans à Madagascar, publié à Paris en 1885, et dans l’étude de Davidson, Edimburg médical Journal, 1867, reproduite en 1889 dans le numéro 6 de l’Antanarivo Annual.
Le livre de de Flacourt sur l’Isle de Madagascar, fertile cependant en traits de mœurs locales, ne mentionne pas le trumba.

 

 

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