Hypnose et sorcellerie. Par Léon Demonchy. 1904.

DEMONCHRHYPNOSE0001Léon Demonchy. Hypnose et sorcellerie. Articlé paru dans la « Revue de l’Hypnotisme expérimental et thérapeutique », (Paris), 19e, année, n°6, décembre 1904, pp. 174-178.

Léon-Jean-Constant Demonchy. Soutint sa thèse de Doctorat en médecine en 1896. Un des rédacteur et responsable de la Revue de l’hypnotisme expérimental et thérapeutique. Nous avons retenu :
— L’hypnose spirite. « Revue de l’Hypnotisme expérimental et thérapeutique », (Paris), 20e, année, n°1, juillet 1905.
— La suggestion de la voix.
— L’œuvre française des rapatriés à Évian-les-Bains. Paris, Édition Lyta, 1920. 1 vol.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 174]

Hypnose et sorcellerie

Par M. le Dr L. Demonchy

Je fus appelé à donner mes soins à une femme d’environ trente ans, littéralement clouées au lit par une crise de rhumatisme aigu. Bras et jambes étaient douloureux, raides, gonflés aux articulations ; le moindre attouchement, le poids du drap, de la couverture lui arrachait des cris de souffrance.

Pendant peu de temps je la soignais par la médication ordinaire, et elle en ressentait du soulagement, je le remarque avec plaisir. Mais qu’une rafale, qu’une bourrasque ou qu’une tourmente de neige survinssent, ma balade était épris de crise intolérable. C’était du reste pendant un hiver abominable.

Un beau jour ma malade me tint le langage suivant : [p. 175]
– Docteur, pourquoi me donnez-vous des drogues ?
– Pour vous guérir.
– Est-ce bien nécessaire !

Je repris : que voulez-vous dire ?
– Eh bien, docteur, chaque fois que vous êtes ici, près de moi, je puis mouvoir bras et jambes et quand vous êtes partis, je ne le puis plus ; pourtant, quand vous êtes là, je ne prends pas de médicaments.
– Croyez-vous donc que vous pouvez guérir sans prendre de médicaments ?
– Oui, certes.
– En effet, repris-je, cela se peut. Mais qui vous l’a appris ?

Elle hésita un peu comme pour se consulter puis rassurer, elle reprit : « je serais franche avec vous. Je sais que j’ai pu guérir sans remède par ce que mon père était guérisseur ; et je sais que vous pouvez faire ce que faisait mon père.
– Alors je suis donc sorcier comme lui ?

Elle se mit à rire.
Ce n’était pas le moment de discuter avec une malade qui voulait guérir.
– Oui vous avez raison, m’écriai-je, et je vous guérirai s’en remède.

Je prie donc mon parti de la suggestion année et je la guéris complètement.

Me voilà donc installé dans son esprit comme sorcier et malgré moi, car après la guérison je m’efforçais de lui démontrer que tout ceci n’avait rien de surnaturel mais était éminemment scientifique.

Peine perdue. « Vous parlez ainsi parce que vous devez le faire ; mais je comprends bien, allez, ayez confiance, je n’en dirai rien. » Aussi chaque fois qu’une personne envoyée par elle entrait chez moi, c’était avec des mines de conspirateurs et des airs de scruter tous les coins. Bref c’était pour eux un antre de sorcellerie moderne que mon cabinet.
– « Ah ! Me diront certains, vous n’endormiez pas votre malade ?
– Non.
– C’était donc de la suggestion à l’état de veille.

Je ne suis pas de cet avis.

La malade que je soignais n’était pas une petite maîtresse occupée de ses nerfs toute la journée ; c’était une ménagère sérieuse, hardie, mère de plusieurs enfants, travaillant dur et ferme pour élever sa petite famille. Elle était même autoritaire et c’était elle qui m’indiquait et m’imposerait la voix à suivre. Mais, sans aller jusqu’à l’hystérie, il faut [p. 176] reconnaître que son esprit était d’une tournure toute spéciale. En effet, son père était guérisseur ; cela veut dire :

Que dans sa famille on considérait l’art de guérir comme un don : impression ancestrale.

Que dans sa famille son père avait ce don : impression paternelle.

Qu’étant fille d’un pareil homme, elle pouvait et devait guérir par l’exercice d’un pareil don : d’où suggestions familiales est héréditaire et auto-suggestion supprimant toute espèce de défense.

Que rencontrant un docteur lui paraissant avoir ce dont, elle l’investissait d’elle-même d’un pouvoir sur elle, se mettant elle-même dans un état de soumission vis-à-vis de lui et cela sans contrainte, bien plus le recherchant, le créant par cela seul qu’il lui paraissait possible de le créer.

Qui oserait prétendre qu’influencée aussi diversement elle fut dans un état de veille complète et normale.

Il y avait chez elle par suite de croyances héréditaires un consentement préalable de l’esprit semblable à celui qui produit le sommeil. Il y avait chez elle une idée dominante : guérir par le docteur choisit par elle et dans certaines conditions. Il y avait de sa part abandon de sa volonté, pas de résistance, et de plus une disposition toute spéciale à recevoir l’affirmation.

C’était, si vous le voulez bien, du sommeil léger, très léger, c’était de l’hypnose. En un mot elle était dans un état spécial, dans celui de l’attente. Et son sorcier habituel, son père, n’étant pas là, elle en crée un de toutes pièces pour son besoin personnel : La montagne n’allant pas à Mahomet, Mahomet va à la montagne. Et c’est ainsi que dans un petit coin de terre, un des vôtres, Messieurs, passe encore pour sorcier.

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Un autre cas tout récent illustrera mieux encore ma pensée.

C’est à plusieurs heures d’express de Paris.

Des Parisiens sont arrivés pour passer quelques jours afin de respirer l’air de la grande campagne. Il arriva à l’un d’eux un léger accident. Un fort mouvement de la main avec une certaine gêne dans l’articulation du pouce. À Paris, on n’y eut même pas fait attention, on est si près de tout secours. Là, on prend peur : peut-être y a-t-il quelque chose de démis, de casser. Le médecin le plus proche est à une ville distante d’une dizaine de lieux ; il ne doit venir que dans deux jours. Quel ennui ; partir, se mettre en route : qu’elle dépense ! Qui tiendra la maison ? L’esprit inquiet commence à se démener. Il n’y a donc personne ici qui puisse donner les premiers soins d’urgence. On s’informe, et à travers les réponses ambiguës les réticences et les chuchotements, on vient à prononcer le nom d’un sorcier de l’endroit. On le vente. On en rit, on hausse les épaules, mais en revient à la charge ; l’idée s’introduit dans le cerveau de nos Parisiens puis la curiosité s’en mêle. Ce doit être curieux de voir un sorcier de près. Mais là, un vrai, un de la campagne. Et puis on n’en mourra pas, nous autres gens de Paris, on ne nous en imposera pas comme à tous ces gens du pays. Bref on envoie [p. 177] chercher le sorcier. Et déjà le charme opère. On l’attend, on trouve qu’il ne vient pas assez vite ; l’état d’attente se transforme en attente anxieuse, on pense déjà moins à son mal, on attend le guérisseur comme un sauveur. Mais lui, le malin, use de subterfuges. Certain de l’intérêt qu’il inspire, il ne vient pas tout de suite, mais se laisse désirer, se fait attendre ; on vient le chercher à plusieurs reprises : enfin il se décide, il vient : c’est une grâce qu’il accorde. On est à ses ordres. Enfin le voilà, il parle, il tourne, il retourne, il prononce des mots quelconques, fait quelques frictions, un peu de massage, assure qu’on est guéri et c’est tout. Le mal, qui était peu de choses, disparaît dans les jours suivants ; il serait disparu même sans le sorcier. Mais on est sous sa loi dans le village ; ont crie au miracle et le voilà en pied dans la maison. Insensiblement, on a perdu sa faculté de défense, on est doucement descendue dans un abandon de la direction de la volonté, on trouvre même du plaisir à ne plus penser par soi, et toutes les autres facultés de l’individu parfaitement éveillée, on est entré avec une volupté incomparable dans un état spécial, qui est l’hypnose de l’attente. Si je me sers du mot attente, c’est qu’il me séduit davantage que l’expectant attention des Anglais.

Si l’on examine de près ces deux cas, si l’on fait l’effort pour pénétrer les différentes phases, on arrive forcément à la conclusion qu’ils se ressemblent et se complètent l’un l’autre, que l’hypnose y joue le plus grand rôle. Vous avez donc assisté là à la genèse de la sorcellerie dans ces deux observations, où dans l’une je fus acteur, dans l’autre spectateur.

Faut-il généraliser et prétendre que, dans tous les cas de sorcellerie, le grand facteur est l’état d’hypnose et qui dit sorcellerie dit hypnotisme ? Oui certes, sans aucun doute.

Toutefois il faut s’entendre ; il faut savoir sortir des bornes voulues de l’hypnotisme expérimental et clinique pour remonter aux faits de la vie réelle, et alors je puis dire hardiment oui, c’est là de l’hypnose dans le sens le plus large, c’est-à-dire une manière d’être du cerveau dont la direction volontaire, résonner, conscience, et diminué chez l’individu par quelque procédé que ce soit. La femme, par exemple, qui court dans les magasins sous prétexte d’occasion et qui, séduite par l’éclat chatoyant des couleurs, fait porter à domicile un tas d’achat dont elle ne se sentait pas le besoin au départ, n’est-elle donc pas en état d’hypnose ? Et les gens arrêtés et bouche béante devant les vitrines étincelantes des joailliers, ne sont-ils pas en état d’hypnose ; un rien, en effet, suffit pour les faire passer de l’idée à l’acte ; ils sont fascinés : l’idée de la possession entre dans leur cerveau sans défiance et un rien, l’idée étant essentiellement matrice et productrice de mouvement, un rien suffit pour les faire passer à la réalisation du désir, voire même à la kleptomanie.

Nous voyons ainsi que nombreux doivent être les gens qui, étant éveillé, sont pourtant en état de sommeil léger en un mot d’hypnose. [p. 178]

Eh bien, tous les gens qui s’adressent aux sorciers sont eux aussi en état d’hypnose. S’ils ne sont pas attirés, fasciné par l’éclat et devantures ou des magasins, s’ils sont à la campagne reposée et avec eux tout le temps pour prendre leur décision, ils sont tout autant fascinés que les surmenés des grandes villes, ils sont en état permanent d’attente.

D’un autre côté, il ne prête des pouvoirs mystérieux à un individu qui doit les guérir parce qu’il est le sorcier et eux-mêmes sont à tel point sous sa domination qu’ils s’inclinent sans discuter et doivent être guéris ou tout au moins améliorés. Et quand un sorcier en fait long comme le doigt, en lui en attribue long comme le bras.

Somme toute il y a là un ensemble de suggestions et d’auto-suggestion sur un terrain d’hypnose régionale, s’il m’est permis d’employer une pareille expression, pour désigner l’ensemble du pays sur lequel s’exercent ces différents phénomènes.

D’un côté un dominateur, de l’autre des dominés dans un état d’attente, se sont bien, ce me semble, les mêmes termes que les suivants, hypnotiseurs, hypnotisés, hypnose, couronné par l’ordre ou la suggestion.

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