Henri Ey. Théorie de l’identité du rêve et de la pensée délirante. Extrait du « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), 40eannée, n°3, juillet-septembre 1947, pp. 347-368.

Henri Ey. Théorie de l’identité du rêve et de la pensée délirante. Extrait du « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), 40eannée, n°3, juillet-septembre 1947, pp. 347-368.

 

Henri Marie Jean Louis Ey (1900-1977). Psychiatre et neurologue, fur médecin-chef de l’hôpital psychiatrique de Bonneval (Eure-et-Loir). Élève d’Henri Claude et collaborateur d’Eugène Minkiwski, il devient avec ce dernier co-fondateur de l’Évolution psychiatrique. Esprit éclectique et érudit il orgnise les Colloques de Bonneval où il  réuni autour des thèmes de la folie, des psychiatres, des médecins, des philosophes… Il théorisera les idées de John Hughlings Jakson en les appliquant à la psychiatre et plus particulièrement à la schizophrénie. Quelques publications :
— Hallucinations et Délire, Alcan 1934. réédité, éd. L’Harmattan, 2000.
— Des idées de Jackson à un modèle organo-dynamique en psychiatrie, Doin 1938, Privat 1975, L’Harmattan 2000,
— Le Problème de la psychogenèse des névroses et des psychoses (avec L. Bonnafé, S. Follin, J. LacanJ. Rouart), Desclée de Brouwer, 1950. Réédition 1977 et 2004 (Tchou)
— Études psychiatriques : Desclée de Brouwer t. I, 1948, 296 pages ; t. II, 1950, 550 p. ; t. III, 1954. 
— Traité de psychiatrie de l’Encyclopédie Médico-chirurgicale (avec 142 collaborateurs), 3 tomes, 1955.
— Manuel de psychiatrie (avec Bernard et Brisset), Masson 1960, 7e réédition,  éd. Elsevier Masson, 2010,
— (avec Abel Brion) Psychiatrie animale Paris, 1964, 606 p.
— L’Inconscient 1 vol. Desclée de Brouwer 1966, 2004 (Tchou).
— Traité des hallucinations, Masson 1973, 2 tomes, 2004 (Tchou).
— Schizophrénie: études cliniques et psychopathologiques, éd. Empêcheurs Penser en Rond, 1996.
— Psychophysiologie du sommeil et psychiatrie. Masson 1974.
— Défense et illustration de la psychiatrie, Masson 1977.
— Naissance de la médecine, un volume, Masson, 1981.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. –Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 347]

THÉORIE DE L’IDENTITÉ DU RÊVE
ET DE LA PENSÉE DÉLIRANTE
LE MÉCANISME DE LA DISSOLUTION HYPNIQUE
ET DES DISSOLUTIONS PSYCHONÉVROTIQUES

Dans la perspective qui est celle où la psychiatrie s’est classiquement située et enlisée, celle où elle se place encore le plus généralement, Ies rapports du rêve et de la folie sont simplement analogiques et contigrents. Savoir : le rêve est un assemblage d’images visuelles et un assemblage accidentel et insignifiant ; seules, certaines formes « oniriques » des psychoses lui sont semblables. Et c’est tout. On ne va pas plus loin. A une théorie mécaniciste et atomiste du rêve, correspond une théorie mécaniciste des psychoses formée de pièces et de morceaux, dont certains — les hallucinations — sont analogues aux images du rêve. L’idée d’envisager 1e rêve comme un travail significatif apparaît aussi scandaleuse que la conception du délire considéré comme un travail significatif. Quant à la tentative pour reconnaitre à ce travail commun, une condition identique, elle parait proprement insensée.

Si nos observations et analyses sont exactes (1), il faut bien pourtant nous placer au regard de ce problème dans une position radicalement difTérente. Nous avons établi (1) : 1° que le rêve n’est qu’une forme dégradée de la vie psychique, en profonde mais réelle continuité avec la pensée de la veille et la personnalité du dormeur ; 2° que toutes les formes délirantes, c’est-à-dire sous des formes ou à des degrés divers, toutes les psychoses et psychonévroses ont une structure « fantasmique » identique au travail du rêve. Reste [p. 348] donc à nous représenter, à l’aide d’une hypothèse qui en coordonnera la diversité, quel est le caractère commun au processus de la dissolution du sommeil et aux processus généralteurs des psychoses. On ne nous en voudra peut-être pas deprésenter ici seulement un simple schéma, un plan, puisqu’aussi bien, si nous pouvions dès maintenant exposer une théorie complète, c’est que notre travail n’en serait pas à ses prémisses, mais à ses conclusions.

Mais avant d’esquisser, de présenter les linéaments de cet te théorie générale, théorie qui ne saurait être rien d’autrequ’une théorie psychiatrique, destinée à embrasser toute l’étendue des formes et des mécanismes des psychoses et des psychonévroses, précisons quelles en doivent être nécessairement lescaractéristiques essentielles.

Le rêve, pas plus que le délire, n’est jamais leproduit « direct », « mécanique », et en quelque sorte « extrapsychique »du processus, dont ils sont l’un et l’autre, l’effet.La maladie, selon leprincipe deJackson, ni le sommeil ne créent pas, ils libèrent. Et c’est en quoi notre thèse sera résolument anti-mécaniciste. Ellearrache jusqu’à la racine cette idée fausse que l’image (comme l’hallucination ou l’idée délirante) est le produit d’une néo-formation idéique ou eidétique, capable de se présenter comme un « élément » générateur de rêve et de délire.

Mais si notre théorie est résolument anti-mécaniciste, elle sera aussi nettement anti-psychogénétiste. Le faiprimordial, comme disait Moreau de Tours, des rêves comme des délires, est constitué par une modification perturbatrice de l’activité psychique. Ils sont les uns et les autres conditionnés par une dissolut ion, une métamorphose régressive du champ de la conscience, dont la structure négative et déficitaire est absolument caractéristique. De même qu’aucune analyse psychogénétique ne pourra (sans tenir compte du sommeil nécessairement hétérogène àsa compréhension »)expliquerà elle seule le rêve, de même aucune psychogénèse n’atteindra la structure négative de la dissolution psychotique elle­même.

C’est dire que notre théorie garantira à la fois l’organogenèse du processus générateur et le dynamisme psychique de la formation du symptôme onirique ou délirant : elle sera organo-dynamiste. [p. 349] Elle s’inspirera tout naturellement des principes de Jackson, qui requièrent une théorie de l’évolution, de la dissolution et de l’activité restante des fonctions psychiques(2).

I. —ÉVOLUTIONET ORGANISATION DE LA VIE PSYCHIQUE

1° Structure dynamique egénétique de l’appareil psychique

Le« psychisme », la « psyché », constituent un système de forces qui intègrent les fonctions nerveuses et non nerveuses dans une activité au maximum personnelle. C’est dans le sens d’un rapport de subordinationdes parties à la totalité que se définit son activité. C’est dirc que l’activité psychique est, par essence, constituée, et se définit par un mouvement original de lamise « en forme », de « mise en ordre » de l’infrastructure de l’organisme. Vue en coupe, dans l’instant présent, la conscience est l’opération par laquelle je prends possession de moi-même et du monde, et règle mes réactions au monde, contre une partie automatique de moi-même. Vue dans son développement, la persormalité est l’histoire de la formation de mon personnage qui s’est dégagé de ma condition spécifique et constitutionnelle,pour s’ériger en maître de ma nature et en un certain sens contre ma nature.Ainsi la nature humaine (c’est-à-dire le psychisme humain, en tant qu’il en est la plus haute expression)est en elle-même essentiellement conflictuelle. Et c’est aulour dela notion d’équilibre des forces que se déroule toute psychologie concrète,toute phénoménnlogie réelle de l’esprit.

En termes plus spécifiquement psychologiques, la consciente suppose l’inconscient, la pensée suppose l’automatisme, la personnalité suppose l’organisation spécifique, la pensée vigile suppose le rêve, Ou mieux, chacun de ces premiers termes s’érige, naturellement, en instance « supérieure », implique le terme inférieur par l’opposition qui le définit. Étant bien entendu que ces « termes »ne constituent pas un système logique, mais la structure fonctionnelle vivante denotre organisme,en tantqu’il est précisément esprit.[p. 350]

C’est dans celle perspective génétique qu’il faut envisager l’évolution des fonctions psychiques, c’est-à-dire la formation d’une causalité psychique, d’une personnalité et d’une structure de la conscience.Chacune de ces forces intimement mêlées impliquent une infrastructure. C’est du déterminisme spécifique sensori-moteur que se dégage l’indétermination libre de l’activité. C’est d’un bio­ type « physique »etspécifique de notre individu que se dégage la personne. C’est d’une forme engluée dans l ‘obscur, le présent et l’immédiat que se dégage la conscience déployée dans le temps et le jugement. Mais quelque chose reste des phases du passé dans le présent : l’antécédenessous-jacent. Quelque chose reste de l’inférieur dans le supérieur : le sous-jacendemeure en puissance.

2° Le « noyau lyrique », le « foyer imaginaire », l’inconscient

Le miracle de notre vie psychique, c’est précisément queportant en nous, au fond de nous-même, immanente à notre nature, lafolie, nous ne nous abandonnions pas à elle, quenous puissions résister àne lui consentir qu’une infiltration calculée dans la rêverie, ou des irruptions aisément et rapidement « contrôlées »dans nos émotions ou passions. C’est en quoi consiste l’exercice même de ce que l’on peut appeler ou ne pas appeler, comme on voudra, la « faculté raisonnante », mais qui se confond avecles actes mêmes de notre conscience,de notre existence.

En moi, au sein demonêtre,gîtetvit un foyer ardent, le monde des images. Images,non point seulement reflets des choses vues, mais miroirs de ce que j’ai vécu, dece que je veux être et vivre, étincelles demes désirs, formes où se rappelle, mais aussi se dessine mon « êtredans lemonde »,oùseconcentrent mes pulsions instinctives, les virtualités de mon destin, les intuitions qui nouent mon existence àune connaissance endeçà et commeà l’oréede la réalité. Ce monde « imaginaire »est traversé designifications mystérieuses etpuissantes, chargées d’une électricitéaffective, organisées en ligne de forces magnétiques. Mes fictions y circulent comme un sang nourricier. Soitqu’elles représentent dans leur germination tout ce que je n’ai pas pu « réaliser », soitqu’elles adhèrentautendre monde merveilleux, magique et secret [p. 351] qui comme un narcisse, fleurit en moi, pour autant que je me pose ou m’oppose au regard du monde de la légalité objective. C’est un passé, celui de mon enfance, et pour ainsi dire mort, en même tempsqu’il est né, mais survivant, c’est un avenir sans autre loi que celle de la puissance demon intention, c’est un monde plastique etémouvant que je tiens à ma discrétion, etqui, réfracté dans mon cœur, demeurttoujours prêt à me tendre, comme dans un miroir, l’image de moi-même. Il vit et m’anime d’une vie prodigieuse et secrète, qui necessedesolliciter mon adhésion, ma complaisanre et, d’exiger mon renoncement aux lignes géométriques et logiques d’une réalité dure et impersonnelle. Et pour si formé qu’il soitde ma propre substance, il est pourtant comme une fenêtre ouvertesur les autres, non point cette grande et transparente baie que la raison ménage àla conscience, et au travers de laquelle s’établissent les rapports les plus sûrs et les plus fermes avec les êtres et les choses, mais une voiede communication vilale plus directe et plus sensible avec l’âme d’autrui. C’est par là, que s’établissent les contacts esthétiques, cette communion irrationnelle, qui est à l’égard de la raison comme un défi et une triche. Ainsi ce tourbillon d’images, en quoi se concentre et mon pouvoir à me dresser contre le monde, et mon aspiration poétique, et mon adhérence aux formes de l’irrationnel, constitue « en moi », une partie de « mon moi », qui m’échappe et tend sans cesse à m’échapper. L’espèce decomplicité que jetrouve en moi-même,pour melaisser prendre àdes images, n ‘est pas autre chose que l’attrait qu’exerce la première forme de monmoi sur sa constitution actuelle. Jeme sens refluer vers mon passé,je me sens aimanté par ce travail sourd etobsrur, qui toutautant que celui de mon cœur prolonge àchaque instant ma vie etqui est l’ombre de mon moi, Cette « ombre », cette production germinative, cette sédimentation active de ma vie psychique, cette implication nécessaire de mes actes de conscience, cet automatismequi bouge en moi, c’est l’inconscient, l’inconscient sous son tripleaspect :implication sous-jacente dela vie psychique non entièrement engagée dans l’acte présent — foyer imaginaire — etnoyaulyrique de l’humanité.

Aussi bien, il y a une égale naïveté à nier l’inconscient et àen faire une personne dans la personne. Le nier,c’est abolir [p. 352] l’essentiel de la vie psychique qui est sa structure organisée propre, c’est l’étaler sur un plan, alors qu’elle est organisée comme un monde.Le considérer comme un être dans l’être, un « double » du conscient, comme une marionnette (dotée de tous les attributs d’un personnage) dans la personne, c’est encore se faire l’idée spatiale d’une séparation absolue (3)entre le conscient et l’inconscient. Pour nous, l’inconscient est l’efficience concrète mais virtuelle du passé dans l’acte d’adaptation au présent. Il fait partie intégrée de la personnalité et de la conscience. Il en est une dimension, faute de laquelle il n’y a aucune perspective possible dans ledéploiement de la vie psychique qui opère dialectiquement par « dépassements »succesifs.

Les formes supérieures de l’activité psychique

Le psychisme est une mise en forme de l’être.Ilassure l’accord profond entre l’existence du sujet et le monde, entre la première et les autres personnes de la conjugaison de l’action et de laréalité. En tant qu’opération d’intégration, il est la « conscience »à tous ses degrés, depuis les premières identifications de la connaissance, jusqu’à la prise en charge d’une situation complexe, présente dans la conscience percevante, ou représentée dans la conscience réfléchissante. En tant que système autonome devaleurs, il est la personnalité. Il s’inscrit entre ces deux coordonnées, le champ de la conscience et la trajectoire de la personnalité, chacune étant fonction de l’autre et n’étant que fonction de l’autre. Par là, par cette causalité propre etpar cette structure originale, sedéfinissent à la fois le concept de « psychogenèse »et celui de réalité del’esprit. L’esprit a une structure et une histoire, voilà ce qu’il ne faut pas perdre de vue pt dont doit s’accomoderensuitetoutedémarche philosophique del’esprit sur l’esprit. L’imaginaire, le foyer imaginaire, l’inconscient nécessaire à cette organisation se trouvent engagés dans ces structures supérieures ; il s’y trouve utilisé, et en quelque sorte volatilisé, Et nous n’avons pas peur de recourir à cette« notion »d’instrument, et à cette « comparaison »de [p. 353]  l’instrument et de l’ouvrier, car il ne s’agit ici, ni de métaphore, ni d’abstraction, ni d’illusion réaliste, mais de la réalité même de la structure de l’esprit, qui véritablement animal molem. Non point comme le bâton pousse la boule, àquoi il reste étranger, mais comme l’énergie même de cette masse qui en émane et la meut, car l’organisme est strictement et absolument automobile, dans la mesure même « où il est psychisme ».

C’est dans les conditions où ce système énergétique, ce foyer dl la conscience et cette trajectoire du moi, ne se déploient plu, librement, que transparaît alors l’infrastructure, que « se dépose » et « cristallise »la sédimentation normalement impliquée et ernportée dans son mouvement. C’est cequi se passe dans le sommeil,c’est ce qui sepasse au rours des processus psychopathiques.

II. — LA DISSOLUTION HYPNIQUEET LE RÊVE

Nous avons assez étudié la structure, le dynamisme et la théorie du rève, pour n’avoir pointà y revenir.

Le sommeil (4) est, lui, quant à l’édifice fonctionnel du psychisme, [p. 354] un accident. Il est, en effet, relativement hétérogène à la vie psychique. Il n’en dépend pas directement. Si certaines conditions inhérentes au champ perceptif ou à l’histoire des événements le favorisent ou l’empêchent, il est un processus « en troisième personne », dépendant du corps, de sa fatigue, de son métabolisme et d’un dispositif nerveux diencéphalique, somme toute assez bien connu et je puis renvoyer au livre déjà ancien mais guère dépassé de Lhermitte. Il s’inscrit dans le rythme de nos fonctions vitales végétatives. Il se caractérise par la dissolution rapide et profonde de la vie psychique, contractant en un temps très bref l’échelle des niveaux de dissolution, que l’on a tant de peine à saisir dans le passage de la veille au sommeil, à travers « l’état hypnagogique », mais qui s’y trouvent représentés, comme nous l’avons souligné au début de cette étude,

Le rêve, c’est la forme même de ma pensée, la seule expérience que j’éprouve du sommeil. C’est un événement qui se déroule dans mon champ de conscience, comme une péripétie intégrée dans mon temps et mon espace, réduits à la mesure de ma propre activité, et comme devenus un miraculeux privilège de mon désir. C’est un « vécu » d’images qui reflètent ma personnalité, repliée et soudée[p. 355] à l’obscure végétation de sa couche archaïque. La trajectoire dema personnalité sedissout dans lechamp de ma conscience imageante pour lui fournir, certes, une trame, mais privée de sa perspective totale. Et je deviens uniquement champ de ma conscience,tout entier ramené au mouvement interne de son organisation, jevis une coalescence totale, celle dema conscience ct de la réalité, par quoi celle-ci n’est plus qu’un simulacre, se vide desa référence auxautres et auxchoses pour ne se remplirque de l’expansion même de ma spontanéité. Je m’enchante et me berce, commc si « dans les bras de Morphée », c’est dans l’onde ténébreuse du sommeil que, Narcisse, je me mire, sans savoir que la seule rencontre que j’y puisse faire, est celle de ma propre image.

Ainsi, ce qui caractérise le processus sommeil-rêve, c’est qu’il est à la fois un accident et un événement. Ce qui définit son action spécifique, c’est la dissolution du champ de la conscience et dela trajectoire dela personnalilé :celle-ci étant absorbée par celle-là. La métamorphose de la structure psychique formelle représente ce que nous appelons le trouble négatif de la dissolution, celle qui garde à travers toutes nos observations et nos analyses, quelque chose d’un accident survenu à notre être et qui est objet de connaissance, non pas du rêveur qui rêve, mais du rêveur qui est éveillé ou d’autrui.Le vécu du rêve, ceque nous appelons sa structure positive, c’est au contraire, ce qui n’a été vécu et ne peut être raconté que par le réveillé, et la seule « réalité »qui représente la totalité de son expérience du songe.Sa substance est fournie par le défoulement plus ou moins total de l’inconscient. Cequi est« libéré », par le sommeil est naturellement ce qui était naturellement dépassé et se trouvait seulement impliqué dans l’exercice normal et plein de l’activité psychique. La virtualité « fantasmique »sous-jacenteau psychisme de la pensée vigile, passe de la puissance à l’acte etdevient constituante de la conscience.

Nous avons vu plus haut que le retour à la conscience vigilelaissait subsister le souvenir du rêve, et qu’en un certain sens,il survivait au sommeil. Évadé du sortilège qui a envahi et troublé le champ de la conscience comme une émanation nécessaire de son obscure activité, le rêveur en se réveillant retrouve la possibilité d’accéder à un champ de conscience plus clair, plus net, [p. 356] plus raisonnable, point de convergence et d’articulation de son esprit et du monde, et l’événement onirique recule, s’amenuise et disparaît, à moins que, pénétrant dans la trajectoire de sa personnalité, il n’y soit incorporé, comme par exemple chez un individu « qui croità la valeur divinatoire de ses songes », ou chez tel autre « qui croit à la réalité de l’événement rêvé ». Il ne suffit pas, par conséquent, pour épuiser l’histoire naturelle du phénomène sommeil-rêve, dene leconsidérer que comme une dissolution du champ de la conscience, mais il faut encore le situer dans la trajectoire ultérieure de la personnalité, cette double perspective étant inhérente à la structure de tout phénomène psychique, de haute ou de basse tension.

III. — DYNAMIQUE DES PROCESSUS PSYCHOTIQUES

Les accidents qui surviennent à l’édifice fonctionnel psychique sont de deux ordres. Tantôt il s’agit de désintégrations du substratum d’automatismes impliqués dans l’exercice des fonctions supérieures d’intégration ; celles-ci demeurent intactes, et ces troubles vécus comme accidents restent structuralement limités ; il s’agit alors de troubles neurologiques admettant naturellement une composante psychique, mais se présentant en contraste avec l’organisation de la conscience et la trajectoire de la personnalité, par quoi précisément ils se définissent. Tantôt ils altèrent la fonction énergétique correspondant àce que Janet a appelé la « tension psychologique », etles dissolutions uniformes etl« apicales » (5) de l’activité psychique supérieure qu’ils entraînent constituent les psychoses.

Ce que le processus hypnique produit avec une vitesse considérable, une dissolution profonde qui brûle les étapes, les processus psychotiques l’engendrent plus lentement et moins complètement sous forme de niveaux dedissolution. Mais le processus psychotique [p.357] n’agit pas seulement sur la régression de l’activité de la conscience, il peut aussi inscrire une modification plus ou moins profonde dans la trajectoire de la personnalité sous forme d’altéralionde la personnalité. C’est ce double mouvement que nous devons rapidement rappeler ici et que nous avons ailleurs étudié avec la structurefantasmique des psychoses.

Les psychoses aiguës. L’échelle des niveaux de dissolution

Elles se caractérisent par une régression de l’activité de la conscience, parla constitution d’une conscience amoindrie et pathologiquement organisée.

Au niveau le plus inférieur, correspondent les structures confuso­-stuporeuses, caractérisées par une torpeur, un engourdissement, une sorte de sommeil, sans rêve ou presque, pauvre et inerte. L’opacité de la conscience est très grande, elle est passive et comme endormie. Cequ’elle vit, s’inscrit mal ou pas du tout, de telle sortequ’il est àpeu près impossible de pénétrer dans son organisation interne,dans ses contenus intentionnels et significatifs qui échappent au patient lui-même et s’engloutissent à mesuredans le gouffre del’oubli.

Les structures confuso-oniriques sont celles qui correspondent le plus à celle du rêve du sommeil. Nous l’avons, plus haut, longuement étudiée.

Les structures oniroïdes se caractérisent par une organisation « fantasmique » de la conscience qui rappelle moins directement le rêve ;nous avons décrit les états oniroïdes de dépersonnalisation imaginatifs et interprétatifs, selon qu’ils représentent un trouble de la conscience, de l’unité du moi, la projection d’une fiction ou l’infiltration de fantasmes dans la réalité objective ou sociale. Dans ces diverses éventualités, l’organisation de la conscience morbide est à peu près la même :état crépusculaire de la conscience et expériences délirantes primaires, où se mêlent en proportions diverses ce que la clinique classique nomme hallucinations,idées délirantes, illusions ou interprétations morbides.

Les structures thymiques correspondent à l’organisation maniaque ou mélancolique de la conscience (sans d’ailleurs que ce que l’on appelle manie ou mélancolie soient vraiment des troubles thymiques[p. 358] primitifs). Les états d’excitation ou d’anxiété « pure »correspondent à ce niveau.La conscience s’est organisée relativement àun état thymique fondamental : gaïté, colère, anxiété, inquiétude, remords, etc.,irréductible, j’y insiste, à des « troubles de l’humeur »primitifs et générateurs.

Ces divers niveaux correspondent donc à des dissolutions plus ou moins profondes du champ de la conscience. Ils réalisent des troubles de l’activité psychique, en tant que conscience du présent. Aussi se manifestenl-ils par une inadéquation remarquable de la conduite à l’égard de la situation actuelle.Un voile s’interpose entre l’observateur et le malade « troublé ».Et pas plus que celui-ci ne peut dominer son trouble et en être pleinement conscient, le médecin ne peut le pénétrer entièrement.Une épaisseur irréductible derêve, un « trouble »ternissant la conscience comme un souffle desommeil, s’intercalent entre le malade et autrui. De même que le rêveur dans le processus sommeil-rêve, les malades soumis à la condition négative de leurs troubles sont inconscients ou seulement vaguement conscients de son action et vivent, sans prise possible de distance ou de critique, l’événement pathologique par excellence : leur délire.Tous ces états aigus constituent le type même des expériences délirantes primaires. Elles sont, répétons-le encore. au processus de dissolution ce que le rêve est au sommeil, etcela sous des formes et à des degrés divers. Dans la mesure où il s’agit de psychoses aiguës, elles disparaissent avec le processus de dissolution, comme le rêve cesse avec le sommeil et s’encloutit au réveil dans l’oubli. Cependant,ces « expériences délirante », surtout quand elless’éloignent de la rapidité et de la profondeur de la dissolulion hypnique, restent plus vivaces, plus « troublantes »qu’un simple rêve. C’est qu’elles ont formé une « réalité » trouble et troublante plus proche de la réalité que les images du rêve. Elles ont emprunté, àcequi subsistait encore deréalité objective, une force de conviction, une organisation structurale des significations telles que leur valeur d’événements’impose plus aisément à la conscience, quand celle-ci recouvre son énergie et sa clarté, c’est-à-dire guérit, ou, si l’on veut encore, se réveille.[p. 359]

Psychoses chroniques
Niveaux de dissolution etaltérations de la personnalité

Ces psychoses sont caractérisées par une atteinte à la fois de l’organisation du champ de la conscience et de la trajectoire de la personnalité.

Un« état démentiel », c’est évidemment un certain « affaiblissement intellectuel », c’est-à-dire une incapacité pour la conscience de s’élever au niveau des opérations, dont nous avons dit, plus haut, qu’elles accordent l’existence du sujet à la réalité objective. Tout ce que l’on nomme troubles de la mémoire, troubles des associations del’orientation, etc., correspond à ce trouble négatif. Cette incapacité favorise la production « fantasmique »à un tel point qu’il n’y a guèrede démences sans délires, sans une « teinte délirante » dela vie psychique. Mais il y a plus, c’est la trajectoire mêne dela personnalité qui se trouve profondément altérée. En tant quedéveloppement historique d’abord, puisque le dément« perd conscience »delui-même, de sa situation, de la continuité et del’unité de sapersonne sous la multiplicité des événements. En tant qu’échelle de valeurs, déterminant un programme vital, puisque le dément est à la fois troublé dans « son jugement », dans les sentiments moraux, c’est-à-dire a perdu la capacité de se placer dans une perspective logique et éthique.

Un « schizophrène »,c’est-à-dire un malade frappé d’une évolution démentielle d’un niveau moins profond, est par la « dissociation »de son activitépsychique placé dans une situation analogue. Le syndrome primaire ou négatif de cette dissociation altère son vhamp deconscience et provoque une élaboration« autistique »de penséedélirante représentant la part positive ou secondaire de sa symptomatologie. Mais là aussi, il y a quelque chose de plus ; sa vie psychique toute entière ou presque, vécue sur le registre d’une expérience délirante primaire, issue de la structure troublée de sa conscience schizophrénique, entraîne une modification profonde de sa personnalité. Celle-ci tend à se dissoudre, à se morceler, à se volatiliser dans le tissu inextricable et incohérent des événements délirants, etla désorganisation chaotique durable de la[p. 360] conscience.Sa trajectoire se détend et se disperse et cesse desoutenir l’unité de la personne et son histoire.

Mais une autre éventualité doit être encore envisagée, celle à laquelle correspond l’évolution des délires chroniques.Les niveaux de dissolution constituent au cours de leur développement les « moments féconds » de l’activité délirante :les expériences délirantes primaires et fondamentales.Leur intégration au système de la personnalité présente ici une spécifique et décisive originalité. Tandis que les états chroniques dont nous venons de parler sont caractérisés par l’effondrement du système de la personnalité, corrélatif au travail régressif de dissolution du champ de la conscience, ici, il y à transformation et non dissolution du système de la personnalité. C’est à ce système que s’incorporent les expéiences délirantes primaires, soit pour constituer une personnalité délirante dans le sens d’une systématisation paranoïaque, soit pour bipolariser la personnalité dans le sens d’un remaniement paraphréniquc des valeurs.

Tout se passe donc, dans les psychoses chroniques démentielles, comme si la personnalité sous l’ombre progressivement portée du trouble de la conscience s’effaçait, comme si un sommeil graduellement plus profond entraînait un rêve toujours plus pauvre. Tandis que, dans les psychoses chroniques délirantes non démentielles, tout se passe comme si le travail du rêve, tirant son origine d’un « sommeil »passager ou intermittent auquel il a survécu, s’infiltrait dans le système de la personnalité et l’assurait d’une vie propre et exaltante, le rapport du trouble positif au trouble négatif étant direct dans les psychoses démentielles et inverse dans les psychoses délirantes chroniques.

IV. — DYNAMIQUE DES PROCESSUS PSYCHONÉVROTIQUE

De même que les « délires lucides »paraissent àun examen sommaire incompatibles avec la théorie organo-dynamiste que nous esquissons ici, les « névroses »se révèlent aux yeux des observateurs superficiels rebelles à entrer dans le cadre psychopathologique que nous traçons. Nous avons sans peine montré dans nos études particulières et après les psychanalystes que l’hystérie ou la[p. 361] névrose obsessionnelle communiquaient profondément et largement avec la pensée inconsciente, c’est-à-dire aver lerêve. Mais la constatation de cette osmose n’est pas suffisante pour dresser une théorie organo-dynamiste des névroses, Celle-ci exige, en effet, que l’hystérie et la névrose obsessionnelle soient envisagées dans leur double structure gativet positive, par quoi elles se présentent comme un cas particulier et spécial du même processus fondamental, du « fait primordial » de Moreau de Tours.

Disons d’abord, que les deux névroses ont ceci de commun qu’ellesapparaissent comme une forme pathologique de la personnalité, soit quecelle-ci neparvienne pas àsa maturité et à son équilibre, soit qu’y étant parvenue, elle ne puisse plus s’y maintenir. Ce que la clinique nous apprend de la « mentalité »de l’hystérique ou de l’obsédé,n’est rien d’autre que les données tirées de l’analyse de leurpersonnalité. L’une, celle de 1’hystérique, étant caractérisée par la plasticité de l’imagination, c’est-à-dire la domination de la vie psychique par la tendance à l’expression, à la réalisation des images ; l’autre, celle de l’obsédé, étant caractérisée parla stérilité des opérations psychiques, c’est-à-dire par une culture incessante de l’échec. Sous cette forme, rien ne permet de saisir les rapports qui unissent ces troubles au processus sommeil-rêve. Mais voyons les choses de plus près.

L’hystérie a une structure négative. Celle-ci est très apparente dans les accidents psychopathiques qui marquent l’évolution dela névrose (états crépusculaires, états seconds, transes, catalepsie, crises névropathiques), et l’identité de ces « états »avec le rêve est si évidente quepas unauteur ne s’est occupé de la question sans manquer dela signaler. Mais en dehors de ces « accident », l’hystérique est un malade frappé dans l’organisation même desa vie mentale et notamment de sa personnalité, comme nous venons de le rappeler. Ses tendances à vivre les images, à ne vivre qued’images, sa « mythomanie », ses fabula lions qui l’apparentent aux types psychiques d’organisation relativement faibles, infantiles, expriment un déficit de son développement ou de son organisation. Le terme de« déséquilibre »a très exactement ce sens « négatif »et vise un caractère strictement fondamental. Ces sujets facilement hypnotisables, suggestibles, fantasques, hyperémotifs ont une struture [p. 362] psychopathique, par quoi se définit exactement,etessentiellement leur psychose-névrose. Toutes les analyses de Charcot et de Janet ont convergé vers l’approfondissement de cette structure négative. La structure positive de l’hystérie par contre est réalisée par la forme complexuelle de l’affectivité, c’est-à-dire par le mécanisme psychogénétique des manifestations si variées et théâtrales de la grande névrose. Des systèmes énergétiques puissants cristallisent des attitudes, des images, des troubles fonctionnels caricaturalement significatifs. Tous les symptômes hystériques se développant sur le fond négatif de la « mentalité spéciale hystérique », comme disait Babinski, sont en effet caractérisés par la satisfaction d’un désir inconscient. Toutes les études de Freud et des psychanalystes ont convergé vers l’approfondissement de cette structure positive.

La névrose obsessionnelle a également une structure gativqui correspond à ce que Janet a appelé le « syndrome psychasthénique ». La faiblesse de l’activité psychique se manifeste par l’impossibilité d’accéder aux actes et aux formes psychiques qui exigent une forte tension psychologique. L’obsédé ne peut pas parvenir àaccomplir un effort suffisant pour se rendre maître de lui-même. Il se laisse envahir par les forces anarchiques qu’il ne domine pas. Ses idées s’éparpillent. des termes indéfinimenl intermédiaires s’interposent àchaque phase de sa pensée et de son action. Il gaspille son énergie au lieu de l’utiliser. Ses tics, ses agitations forcées,ses conduites de dérivations, ses manies constituent les traits caractéristiques de ce déficit. La structure positive del’obsession, la signification du « siège »paradoxal de l’obsédé par lui-même est telle d’un désir de punition, d’un martyre consenti et profondément satisfaisant, qui engage toute la vie inconsciente dansundrame ficetet indéfiniment actualisé, ainsi que Freud et son école l’ont encore admirablement démontré. Comme l’écrivait déjà L. A. Muratori en 1746, « les peurs imaginaires »les phobies, les dégoûts, les timidités etles scrupules sontdes « maladies particulières de la fantaisie humaine »(6). [p. 363]

Si bien que les névroses nous apparaissent maintenant dans leur structure comme des psychoses d’un niveau très élevé, comme des troubles de ces formes d’activité psychique qui présentent les plus grandes difficultés etrequièrent le plus d’énergie.L’être normal,dès qu’il se détend ou se fatigue,tombe assez facilement dans les pâmoisons, émotions, irritations, rêveries imaginatives, idées fixes ou obsédantes. Mais cequi caractérise la structure névrotique, c’est queprécisément les malades ne peuvent plus sortir de ce niveau. Mais si les névroses sont des psychoses de niveau très élevé, elles sontaussi plus élevées dans la trajectoire de la personnalité.Celle­ci,et notamment la masse de l’inconscient avec ses conflits, ses tendances,ses complexes pénètre entièrement dans l’organisation névrotique. Enfin et surtout, les névroses seraient incompréhensibles, si nous ne discernions dans leur structure même l’identité du travail sommeil-rêve, Cetravail,nous l’avons vu, est caractérisé par la régression de la conscience qui tend dans sa chute à refluer vers le monde inconscient des images, vers lenoyau « fantasmique ».N’est-ce pas là exactement le même « travail »que nous retrouvons dans le mécanisme de l’hystérie de la névrose obsessionnelle ? Dans l’hystérie tend constamment à se réfléchir le monde des images : l’hystérique tend à s’hypnotisepar elles-même ,à les exprimer jusqu’à l’épuisement, et même quand elle revient à son niveau quasi normal, le système de la personnalité hystérique toute infiltrée  de rêve et d’imaginaire ne cesse de refléter ce substratum inconscient, sans jamais pouvoir rompre totalement ses adhérences avec les fantasmes.Dans la névrose obsessionnelle, la faiblesse de l’appareil énergétique psychique permet la poussée du noyau « fantasmique »inconscient, qui travestit la signification de ses lignes de force sans affaiblir leur puissance. C’est dans une cette structure aboulique et hésitant qu’est vécu le conflit sous forme d’images obsédantes, reflets de la dialectique des images instinctives. L’hystérie est un rêve morbide. L’obsession est un ve contenu.

Tout ce que Janet et Freud ont décrit de meilleur sur ces névroses s’applique rigoureusement, dans cette perspective, à refermer le cercle de toutes les explications possibles.Ils se complètent, car ainsi que les deux moitiés de la sphère de Magdebourg sont hermétiquement closes par le vide ,la structure négative et la [ p. 364] structure positive des névroses sont intimement coaptées par le travail même du rêve qu’elles contiennent, qui les unit et qui les engendre en une indissoluble unité.

V.— LE PHÉNOMÈNE SOMMEIL-RÊVE ET LA THÉORIE GÉNÉRALE
DES TROUBLES NÉGATIFS ET POSITIFS EN PSYCHIATRIE

La vie psychique, avons-nous dit, s’inscrit entre deux coordonnées, le champ de la conscience et la trajectoire de la personnalité. La trajectoire de la personnalité se construit à partir de l’organisation successive des champs de la conscience à chaque moment du temps, et elle constitue cette forme organisée et pulsionnelle de la durée qu’est le personnage, en tant que fragment de l’histoire. Le champ de la conscience s’organise comme mode de connaissance du personnage et prise de vue sur la réalité, la visualisation de ses contenus étant assez démonstrative de sa structure essentiellement spatiale, Aussi la forme première de notre vie psychique est­elle la conscience en tant que système de coordonnées de l’espace, en tant qu’activité intellectuelle opérant une synthèse du monde dans l’immobilisation relative de l’instant présent. La matière de la vie psychique c’est le flux même de la durée organisée en trajectoire de la personnalité.

Le sommeil est une dissolution de la forme psychique :un accident ;le rêve, une phase de la matière psychique :un événement. Si nous disons que le sommeil est la condition gative du rêve, c’est pour entendre que le bouleversement, sinon l’évanouissement du champ de la conscience, constitue une éclipse des valeurs de réalité, qui « libère la matière psychique », de telle sorte que la trajectoire de la personnalité se brise dans son élan et se résorbe dans la production positive d’un événement interne, essentiellement subjectif, caractéristique de la conscience imageante. La structure de l’appareil psychique comporte nécessairement, implique ce double phénomène.Il transparaît dans la rêverie, c’est-à-dire toutes les fois que l’hypotension de la conscience engage davantage dans son organisation le système propre des valeurs subjectives.

C’est dans cette perspective qui s’implante solidement dans[p. 365] une conception de la viepsychologique résolument dynamiste que doit être envisagée la théorie des troubles négatifs (sommeil) et des troubles positifs (rêve), des psychoses. Une vue assez superficielle des choses risquerait, en effet, de voir dans la structure positive et négative des troubles, une sorte de juxtaposition de partes extra partes, réintroduisant la vieille dichotomie paralléliste « psychique-organique ».

Le trouble négatif est intimement lié au trouble générateur (le processus nerveux hypnogène et le sommeil), dans et par la notion de dissolution. C’est lui qui confère sa structure originale au tableau clinique, c’est-à-dire à l’ensemble symptomatique qui seprésente au travers de la désorganisation du champ de la conscicnce à tel ou telmoment du temps. La cinétique de la dissolution joue un rôle déterminant. Sa vitesse, son rythme, la courbe de son évolution constituent des caractères primordiaux de la forme de dissolution. La profondeur de dissolution conditionne le niveau struclural auquel s’organise la vie psychique, le degré de la régression que subit l’activité psychique. Ces caractères s’impriment directement dans la forme même du tableau clinique.Toute phénoménologie de l’obsession, d’une crise de manie, de la pensée schizophrénique vise à atteindre cette structure formelle de la psychose, par quoi elle se caractérise essentiellement.

Le trouble positif, c’est comme dans le ras du rêve libéré par le sommeil, l’émergence du monde des images et de l’inconscient contenu en puissance dans la trajertoire de la personnalité. Cet engagement plus ou moins exubérant de ce qui était normalement réprimé dans la constitution même du vécu anime le matériel psychotique et l’investit de valeurs humaines profondes, d’un réseau vivant designifications.

L’erreur, la terrible illusion àéviter consisterait à se figurer un cadre vide, un « négatif », une forme, un néant « rempli » par un contenu positif, l’être.Une telle conception des choses, qui réduirait soit le trouble négatif au trouble positif (thèse psycho­génétiste), soit le contenu à n ‘être qu’une contingence àl’égard du contenant (thèse mécaniciste),est naturellement à proscrire radicalement. Il n’y a pas une sorte d’axe immuable, autour duquel glisserait un anneau dont il remplirait la forme de sa matière toujours [p. 366] identique à elle-même. Nous retomberions ainsi dans une sorte de mécanique naïve et absurde.

Pour bien saisir le sens à donner à tous les concepts dont nous nous servons, il faut revenir à ce que nous avons déjà exposé et à notre schéma fondamental de l’évolution de fonction psychique.

Le trouble négatif n’est qu’une modalité inférieure, une anomalie de l’intégration.Et celle-ci n’est pas une instance hétérogène transcendant les fonctions intégrées. Elle est l’activité même de la conscience, qui est toujours et nécessairement conscience de quelque chose.De telle sorte qu’une certaine dissolution de la conscience ne se caractérise pas par une forme négative vide dont le « contenu »serait contingent, mais par une certaine manière d’être de la conscience, qui dans sa totalité structurale n’admet aucune partie hétérogène à sa signification et est constituante génératrice et en certain sens créatrice de son vécu.Le trouble négatif n’est pas une partie des symptômes, il constitue la forme générale qu’affecte la vie psychique en voie de régression.

Le trouble positif n’est pas constitué non plus par une juxtaposition de parties, de choses. La « part subsistante »de l’être est l’être subsistant dans l’entier de son reste, C’est ce qui subsiste dela trajectoire de la personnalité, quand le champ de la conscience qui a pour mission de l’engager, de l’ériger, de le mettre en forme, se dissout. Or la différenciation du champ dela conscience et celle du développement de la personnalité, les processus d’identification et le système de l’idéal du moi sont absolument corrélatifs. De telle sorte que l’image sanglante que nous trouvons au centre de tel état oniroïde, par exemple, n’est pas autre chose que la forme d’agressivité de l’être à quoi est réduite sa personnalité. Cette corrélation du monde des images, reflets à la fois du monde et de l’instinct, et de la structure dela conscience est la loi même de la constitution et de l’unité del’activité psychique.

Dans l’activité psychique normale, nous pouvons fairemonter telle image prise dans le filet de notre imagination ou de notre attention, jusqu’à la surface de notre conscience vigileou réfléchie, mais elle ne se présentera que comme une partie du champ, un élément à partir duquel nous pourrons travailler… ou nous réjouir.Elle gardera son caractère artificiel et anachronique que lui confère [p. 367] précisément l’actualité de sa « représentation ».Si nous nous ahandonnons à la rêverie, déjà nous nous livrons à une forme de conscience qui rejoindra l’image à mi-chemin de son assomption et se l’incorporera dans la mesure même où notre esprit s’identifiera déjà à elle.

Dans le sommeil et le rêve, la négativité de notre consciencecoïncide avec la positivité de l’imaginaire, par la métamorphose régressive qui nous fait passer d’une conscience qui pensesur l’image à une conscience qui s’engloutit dans l’image.

Dans les psychoses qui « décontractent » dans le temps, et à des profondeurs intermédiaires, la dissolution hypnique, nous observons ce même mouvement complexe plus ou moins durable, régulier ou progressif d’un travail, qui est, à des degrés divers et sous diverses formes, celui-là même du rêve. C’est pourquoi, comme nous l’avons dit, toute psychose est délirante. La forme du délire dépend du niveau de dissolulion et des modalités de son intégration dans la personnalité, comme nous l’avons vu. En ce sens, les image qui le constituent, la structure « fantasmique » de chaque psychose font partie intégrée d’un cerlain mode de pensée,.Le délire ne seréduit pas au thème qu’il exprime,le délire n’est ce thème que parce que le thème correspond à une certaine organisation de la conscience. Le délire n ‘est pas seulement « contenu » de la conscience, mais reflète également la « forme »de la conscience.

Dans la psychonévrose obsessionnelle, au terme de l’analyse formelle de la pensée cormpulsionnelle etde l’analyse compréhensive du mécanisme de l’autopunition, ne setrouvent pas deux parties du trouble obsessionnel,mais l’envers et l’endroit d’une même forme de régression de la conscience et de la personnalité.

Ainsi sont également exclues les naïvetés du mécanicisme et de la psychogenèse dans une théorie « psychoplastique »du trouble psychique (c’est-à-dire une théorie de la formation de ses symptômes).Et il n’a fallu rien de moins que pénétrer dans l’intimité de la structure de la vie psychique pour saisir qu’elle nous livre alors le secret de la psychose immanente à sa nature, comme le rêve que nous portons par le mouvement même de notre vie, en nous.

Et c’est le dernier mot, auquel nous conduisent ces analyses[p. 368] et ces réflexions :la considération du rêve est tellement essentielle pour le psychiatre qui cherche un fil dAriane dans le labyrinthe psychiatrique, que l’on peut dire que la seule explication concevable des psychoses, c’est justement la référence constante et systématique aux divers aspects d’un même fait. Ce fait, c’est, tour à tour, celui d’une structuration hiérarchisée de notre psychisme ;celui d’un monde imaginaire immanent à notre pensée, celui d’un inconscient contenu par notre pleine conscience, celui d’un éventail de psychoses qui déploie à des niveaux divers le monde des images, c’està-dire, en fin de compte, la possibilité de rêver.

HENRI EY.

Notes

(1) Ce travail constitue la dernière partie d’un mémoire intitulé Rêve el Psychoses, encore inédit.

(2) Cf. notre travail : Henri EY et Julien ROUART, Application des principes de Jackson à une neuro-psychiatrie dynamiste. Paris, Doin, 1937, et mon arlicle :Une conception organo-dynamiste de la psychiatrie, Annales médico-psychologiques, 1943.

(3) Cf. les schémas de FREUD.

(4) Principaux travaux sur le sommeil parus depuis 1930 :G. ENDRES ET W. VONFREY, Ueber Schlaf und Schlafmenge, Zeitschr. F.Biologie, 1930.— LHERMITTE, Le sommeil, 1 vol., 1931, Paris.— A. SALMON, Le sommeil est-il déterminé par l’excitation d’un centre hypnique ou par la dépression fonctionnelle d’un centre de la veille ?Revue de Neurologie, 1932, I, p. 714. — H. WINTERSTEIN, Schlaf und Traum, 1 vol., Berlin, 1932. — ZONDEK und BlER, Hypophyse und Schlaf, Klinische Wochenschrit, 1932. — COLUCCI, Il glutation dell, encefalo nel sonno sperimental, Rivisla di Neurologia, 1933. — HESS, Der Schlaf, Klin. Wochenchr., 1933. — JANICHEWSKI, La conception biologique du sommeil, Encéphale, 1933. — KOCH, Elektronarkoseversuch, Klin. Wochenschr., 1933, — P. MEIGNANT, Sommeil et réflectivitè conditionnelle, Encéphale, 1933, —MULLIN, KLIEITMAN and COOPERMAN, Studieson the physiology of sleep, Amer. J. ofPhysiology, 1933. — STŒCKMANN, Versuche über Verkürzung und Verlegung der Schlafzeit, Münchener Med, Woichenschr., 1933. — TOURNAY, Séméiologie du sommeil, 1 vol., Paris, 1934. — CLAPARÈDE, Le sommeil et la veille, Nouveau Traité de Psychologiede G. DUMAS, 1934.— H. DOST, Zur Physiologie des Schlafes, Arch. r exper. Pathol. und Pharmakol., 1934. — J. H. SCHULTZ, Wachen und Schlafen, Deutsche Med, Wochenschr., 1934. — F. BREMER, Cerveau isolé et physiologie du sommeil, Société de Biologie, 1935. — STUART N. ROWE, Localization of the Sleep Mechanism, Brain, 1935, 58. — F. BREMER, Activité électrique du vortex cérébral dans les états de sommeil et de veille chez le Chat, Société de Biologie, 1936. — FOSTER KENNEDY, Sleep, New YorkSlate Journal ofMedecine, sept.,1936. — SCEMINSKY, Neuere Unteruchungen überelektrische Narkose. Wien. Klin, Wochenschr.,1936. —E.D). ADIAN, The physiology of sleep, Irish J. ofMed. Science, juin 1937. — H. BLAKE, Brain potentials and deplh of sleep, Amer. J. of Physiol., 1937. — BLAKE (H.) et GERARD (R. W.), Brain potentials during sleep, Amer. J. of Physiol., 1937. — F. BREMER, L’activité cérébrale au [p. 354] cours du sommeil et de la narcose, Bull. Acad. Royale de Médecine de Belgique, février 1937. — A. C. IVY and J. G. SCNEDORF, On the hypnotoxin theory of sleep, Amer. Journ. ofPhysiology, 1937, n°2. — R. KLANE, Die bioelektrischeTätigkeit der Grosshirnrinde im normalem Schlat, J. f. Psych, u. Neurol., 1!J37. — KLEITMANN, MULLIN, COOPERMAN and TITELBAUM, Sleep characteristics. 1 vol., Chicago, 1937. — MARINESCO, SAGER et KREINDLER, Études électroencéphalographiques, Bull. Acad. Méd. de Roumanie, 1937. — E. P. PICK, Ueber Aenderung energetischer Vorgünge im Grosshirn durch Schlaf, Klin. Wochenschr., H137. — A. SALMON, Corrélations cortico-diencéphaliques et diencéphalo-hypophysaires dans la régulation de la veille et du sommeil, Presse Médicale, avril 1937, — F.BREMER, L’activité électrique de l’écorce cérébrale et le problème physiologique du sommeil, Bollelino della Societa ilaliana di Biologia sperimentale. 1938. — H. DABlS, P. A. DAVIS, A. LOOMIS, E, N. HARVEY and G. HOBART, Human brain potentials during the inset of sleep, Journal of Neurophysiology, 1938. — A. SALMON, Il problema del sonno, Rivisla di Biologia, 1938. — Carl D. CAMP, The question of the existence of a sparate of sleep in the Brain, J. of nervous and mental disease, 1940. — Joseph H. GLOBUS, Probable topographie relations of the sleep regulating centres, Archives of Neurol. and Psych., 1940, I. —R. GRÜTTNER und A. BONKALO, Ueber Ermüdung und Schlaf auf Grund Hirnbioelektrischer Untersuch., Archiv f. Psycho u. Neurol., 1940, 3. — P. CHAUCHARD, Recherches sur le mécanisme normal, Revue Scientifique, 1942. — H. REGELS­BERGER, Ueber vegetative Korrelationen im Schlafe des Menschen, Zeitschr, f. die gesamle Neurol, u. Psychiatrie, 1942, 174. — P. CHAUCHARD, Le résultat de l’analyse chronaximétrique des états du sommeil, Presse Médicale, 1944. — Ch. DAVIDSON and E. L. DEMUTH, Disturbances in Sleep Mechanism, Arch. of Neurol. and Psych., 1946, I.

(5) Nous les appelons, « apicale »parce qu’elles suppriment lIe sommet de la pyramide fonctionnelle et s’opposent ainsi aux désintégrations basales. On trouvera dans lepetit volume (Rapportsde la Neuroloqie et dela Psychiatrie, Paris. Hermann, 1947), qui lescontient, lesdiscussious que j’ai eues avecAjurriaguera et Hécaen à ce sujet.

(6) L. A. MURATORI, Trattatodella Forza della Fantasia Umana, Venise, 1746. Cf. l’étude que le regrettéPaul Schiff consaera peu avant sa mort à cevieil ouvrage,inÉvolution Psychiatrique. 1947.

 

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