Hallucinations collectives. Par Georges Surbled. 1899.

SURBLEDHALLUCINATIONS0002Georges Surbled. Hallucinations collectives. Article parut dans la revue « Le Monde invisible », (Paris), 1899, pp. 206-213.

Georges Surbled (1855-1913). Médecin polygraphe défenseur du spiritualisme traditionnel, il participe à des nombreuses revue, en particulier dans La Revue du Monde Invisible fondée et dirigée par Elie Méric, qui parut de 1998 à 1908, soit 10 volumes. .
Quelques unes de ses publication :
— Le mystère de la télépathie. Article parut dans la « Revue du monde invisible », (Paris), première année, 1898-1899, pp. 14-24. [en ligne sur notre site]
— 
Obsession et possession.] Article paru dans la « Revue des sciences ecclésiastique- Revue des questions sacrées et profanes… Fondée par l’abbé J.-B. Jaugey, continuée sous la direction de M. L’abbé Duflot », (Arras et Paris, Sueur-Charruey, imprimeur-libraire-éditeur), n° 15, décembre 1897, pp. 46-58. [en ligne sur notre site]
— La stigmatisée de Kergaër. Article parut dans la revue « Le Monde invisible », (Paris), 1899, pp.104-107. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 206]

HALLUCINATIONS COLLECTIVES

Toute hallucination est-elle nécessairement isolée et individuelle ? Deux cerveaux ne peuvent-ils pas vibrer à l’unisson, ou plus exactement deux imaginations ne peuvent-elles pas être impressionnées identiquement dans le même moment ? En un mot, les hallucinations générales, collectives existent-elles ? La question a été de nos jours diversement résolue et mérite de retenir l’attention des penseurs.

Deux savants religieux, le P. Debreyne et le P. de Bonniot, n’hésitent pas à déclarer que les hallucinations collectives sont impossibles et contraires aux lois physiologiques. C’est peut-être aller un peu vite et prendre son désir pour la réalité. Sans prétendre avec les savants matérialistes que de telles hallucinations ont été fréquentes dans l’histoire et suffisent à rendre raison du merveilleux divin, sans contester les conditions multiples et difficiles qui sont nécessaires à leur réalisation, on peut, nous semble-t-il, admettre leur possibilité. Bien mieux, on doit l’admettre au nom de cette physiologie morne, dont les lois leur seraient contraires, d’après les auteurs cités plus haut. Le mécanisme de la sensation, et par suite de l’hallucination, ne diffère pas d’un individu à l’autre ; et chez tous, les opérations merveilleuses de l’imagination procèdent du même terrain cérébral. Ce qui distingue les hommes, c’est le fond psychique ; ce qui les rapproche et les confond sur bien des points, c’est le jeu physiologique des organes en général et du cerveau en particulier, Il faut décidément reconnaître que, si l’esprit humain est « ondoyant et divers », les nerfs ont une structure commune, un agencement identique et n’ont pas, ne sauraient avoir de modes spéciaux de sentir. Des hommes, réunis devant un même tableau, doivent sentir de la même façon et par suite peuvent et doivent éprouver des hallucinations semblables: leur interprétation diffère, il l’état vigile, mais les impressions sont toujours identiques. La possibilité des hallucinations collectives est établie par la physiologie, loin d’y trouver sa condamnation. L’histoire nous en offre d’ailleurs des exemples probants. [p. 207]

I

Le cas le plus simple et le plus souvent cité dans les auteurs est celui que rapporte le P. de Bonniot : « Un jour, un matelot anglais s’imagine voir flotter sur la mer le fantôme de l’un de ses camarades qui était mort quelques jours avant. Il pousse un cri, on accourt, il dit ce qu’il voit, et l’équipage tout entier croit avoir la même vision. Bientôt le navire approche du revenant, l’illusion se dissipe, ce n’était qu’un morceau de bois. » L’hallucination collective est évidente ici, et le savant jésuite ne songe pas à la contester, il en donne une excellente explication qui pourrait s’appliquer d’ailleurs à tous les cas du même genre.

« Le morceau de bois, écrit le P. de Bonniot, offrait de loin une vague ressemblance avec la forme humaine. Le matelot, encore tout ému de la mort récente de son camarade dont le cadavre a été jeté dans la mer, associe cette forme à l’image du défunt distinctement gravée dans sa mémoire; le reste de l’équipage, excité par les cris et les indications du visionnaire, réunit également et d’une manière spontanée la sensation qui frappe tous les yeux de la même manière et l’image qui se trouve identique dans tous les esprits ; le phénomène est à peu près le même dans tous, parce que dans tous il rencontre les mêmes éléments (1). »

L’hallucination collective a toujours le même mécanisme : un commun sentiment s’est emparé de l’âme des assistants, une commune préoccupation tient en quelque sorte les esprits en suspens, et les mêmes sensations fausses surgissent en même temps, au gré de l’imagination excitée.

Mais, dira-t-on, dans l’exemple cité, l’hallucination a été provoquée par une sensation vraie, la vue d’un morceau de bois flottant : c’est à bien dire une illusion. D’ordinaire, l’hallucination naît spontanément, d’elle-même, sans objet réel et extérieur. La sensation perçue au dehors n’est-elle pas pour beaucoup dans l’hallucination collective, en d’autres termes la sensation objective ne constitue-t-elle pas l’élément essentiel de cc genre d’hallucination ? Nullement ; et il faut insister sur ce fait : que l’illusion n’enlève à l’hallucination aucun de ses caractères propres.

Toute hallucination est liée à une impression anormale, morbide de l’organe sensoriel : elle y nait en quelque sorte, y prend corps, [p. 208] mais tire ses développements de l’encéphale et de la faculté sensible. Qu’elle siège principalement, comme la sensation même, dans 1’organe du sens externe, nul ne saurait le contester ; mais il ne faut pas oublier non plus qu’elle ne va pas sans le concours des centres nerveux et de l’imagination. Que la sensation soit vraie ou fausse, objective ou subjective, l’hallucination réclame toujours, comme la sensation externe et commune, le double et simultané concours de l’organe périphérique et du centre cérébral correspondant. Aucune différence essentielle ne sépare l’illusion sensorielle de l’hallucination proprement dite.

Pourquoi dès lors deux ou plusieurs personnes, qui ont des points communs de rapprochement non seulement par l’âge, l’éducation, le rang et le genre de vie, mais par les idées et les préoccupations actuelles, ne pourraient-elles pas être, sous une même influence, le jouet d’une hallucination commune ? Cette supposition n’a rien de contraire aux lois de la physiologie ni à celles de la logique. Le P. de Bonniot la repousse énergiquement, sans donner une raison suffisante de son sentiment.

« Il est impossible, écrit-il, que deux imaginations travaillant isolément, sans modèle commun, produisent le même tableau, quoique le sujet proposé soit le même. La raison en est évidente. Pour se former une image d’un objet que les sens n’ont jamais aperçu, l’imagination emprunte à la mémoire les éléments d’objets qu’elle suppose analogues, puis, parmi les milliards de milliards de cornbinaisons possibles avec ces éléments, elle en choisit une où son œuvre trouve corps et unité. Qu’une autre imagination travaille sur le même sujet, pourra-t-elle rencontrer les mêmes éléments, former la même combinaison ? Oui, s’il est possible de composer l’Iliade en jetant plusieurs fois au hasard les lettres de l’alphabet grec. Tout ce qu’on peut dire de plus favorable, c’est que les deux images se rencontreront dans le genre, tout au plus dans l’espèce, mais jamais dans les détails qui appartiennent à l’Individu. » Et notre auteur n’hésite pas à conclure que « deux imaginations distinctes ne peuvent, sans miracle, coïncider dans la formation d’un même type. »

On ne saurait exagérer davantage ni compliquer plus à plaisir un problème difficile pour le rendre insoluble et aboutir quand même au surnaturel. Les hallucinés ne composent pourtant pas une Iliade, et tous les hommes ne sont pas des Homère. L’imagination vulgaire est infiniment plus simple que ne le suppose le P. de Bonniot : elle ne réclame que quelques sensations propres, accessibles à tous. Pour décrire l’objet ou le sujet de leur vision par exemple, les [p. 209] hommes n’empruntent pas d’ordinaire aux poètes les couleurs variées de leur palette ou aux écrivains les mille artifices de leur art : ils contemplent l’ensemble, donnent deux ou trois traits dominants et ne s’attachent jamais à scruter les détails, à poursuivre une délicate et profonde analyse du tableau. Que la vision soit vraie ou fausse, ils en apprécient nettement les formes générales, les caractères principaux, mais ne perdent pas leur temps à en faire une description savante. C’est ce qui ressort de l’observation journalière et ce que les exemples suivants d’hallucinations collectives vont démontrer à nos lecteurs.

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II

Au moment de la plus forte mêlée du siège de Jérusalem, deux chefs croisés, Godefroy et Raymond, aperçoivent, sur le mont des Oliviers, un cavalier agitant un bouclier et donnant à l’armée chrétienne le signal pour entrer dans la ville. Ils s’écrient que saint Georges arrive au secours des chrétiens.

L’apparition fut-elle réelle ? Il est permis d’en douter, et le P. de Bonniot lui-même ne la tient pas pour certaine. Nous inclinons à croire que les voyants furent victimes d’une hallucination commune. Comme Godefroy était au nord et Raymond au sud de Jérusalem (2), la communication des impressions était impossible : la vision a dû se faire en même temps et dans des conditions identiques. Une telle hallucination n’a rien d’irréalisable, quoi qu’en dise le savant jésuite. « Ce n’est pas dans le feu d’une bataille, écrit-il, que l’imagination a le loisir de se donner libre carrière. Nous avons donc de la répugnance à admettre que Godefroy et Raymond aient été hallucinés. Nous rejetterions cette hypothèse comme absolument fausse, s’il était prouvé que le guerrier céleste s’est montré, aux deux croisés, sans un aspect identique. » Mais les chefs croisés n’ont pas vu de si loin, et pour cause. L’apparition de saint Georges venait à son heure et est sans doute née des circonstances. La situation critique de l’armée chrétienne, l’issue douteuse de la bataille, la vaillance indomptable des chefs, leur foi ardente, tout était fait pour exciter vivement l’imagination, actionner la volonté et créer l’illusion sensible.

Guillaume de Tyr, qui rapporte le fait, ajoute même que l’apparition fut vue de toute l’armée. Elle venait à l’heure où, rebutés par une attaque infructueuse qui avait duré toute la journée, les soldats [p. 210] chrétiens commençaient à perdre courage et à reculer. Cette intervention de saint Georges, patron des guerriers, n’était-elle pas désirée, pressentie par tous, et son annonce n’allait-elle pas être saluée avec enthousiasme et rendre l’honneur aux armes françaises ? Que l’hallucination frappe seulement les chefs, quelques soldats, et tous s’y associeront d’instinct et la partageront complètement. Comment le P. de Bonniot ne s’est-il pas rendu compte de cette nécessité psycho-physiologique et s’est-il inscrit en faux contre l’évidence même ? « En ce moment, déclare-t-il, moins que jamais, l’imagination des croisés était capable de façonner un symbole de courage et de le placer avec un ensemble unanime sur la montagne voisine. » C’est au contraire à ce moment critique que l’espérance chrétienne et le courage héroïque des croisés devaient redoubler sous les coups de la mauvaise fortune, et qu’une hallucination collective était possible, à défaut du miracle que la foi attendait.

Mais n’insistons pas davantage sur un fait qui manque de précision et de détails circonstanciés. Sa nature reste indécise. Dieu pouvait faire un miracle en faveur des braves qui s’étaient noblement consacrés à son service et combattaient pour la croix. L’hallucination collective n’en rencontre pas moins dans ce cas toutes les conditions physiologiques et psychiques nécessaires à sa réalisation.

Un autre fait, plus simple et plus décisif, nous est fourni par le premier bataillon du régiment de la Tour d’Auvergne (aujourd’hui 46° de ligne), et raconté par son chirurgien, le Dr Parent.

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C’était pendant les guerres d’Italie. Après une longue marche de dix-neuf heures, huit cents hommes de ce régiment furent logés le soir dans une vieille abbaye. Ils étaient entassés les uns sur les autres, sans couvertures, avec de la paille pour lits. « Les habitants, dit le docteur Parent, nous prévinrent que le bataillon ne pourrait rester dans ce logement, parce que, toutes les nuits, il y revenait des esprits, et que déjà d’autres régiments en avaient fait le malheureux essai. Nous ne fîmes que rire de leur crédulité ; mais quelle fut notre surprise d’entendre à minuit des cris épouvantables retentir en même temps dans tous les coins de la caserne et de voir tous les soldats se précipiter dehors et fuir épouvantés ! Je les interrogeai sur le sujet de leur terreur, et tous me répondirent que le diable habitait dans l’abbaye, qu’ils l’avaient vu entrer par une ouverture de la porte de leur chambre, sous la forme d’un très gros chien à longs poils noirs qui s’était élancé sur eux, leur avait passé sur la poitrine avec la rapidité de l’éclair et avait disparu par le côté opposé à celui par lequel il s’était introduit. » [p. 211]

Les soldats refusent de rentrer et passent dehors le reste de la nuit. Une enquête sérieuse les trouve tous unanimes à protester qu’ils ont réellement vu ce qu’ils affirment. La nuit suivante, encouragé par les officiers qui promettent de veiller, le bataillon reprend son logement. En effet, ces messieurs se distribuèrent dans les chambrées et restèrent levés pendant que leurs hommes dormaient. « Vers une heure du matin, continue le Dr Parent, et dans toutes les chambres à la fois, les mêmes cris de la veille se renouvelèrent, et les hommes qui avaient vu le même chien leur sauter sur la poitrine, craignant d’en être étouffés, sortirent de la caserne pour n’y plus rentrer. Nous étions debout, bien éveillés et aux aguets pour observer ce qui arriverait, et comme il est facile à supposer, nous ne vîmes rien paraître. »

Il y a là, selon nous, une hallucination collective, et il est facile de s’en rendre compte. Les soldats étaient arrivés fatigués par une longue marche et s’étaient endormis avec la pensée que la vieille abbaye était fréquentée par les mauvais esprits. Des cauchemars devaient nécessairement résulter d’une telle disposition psycho­sensible. Tous les soldats n’en ont pas été la proie sans doute ; mais il suffit, pour expliquer l’événement, que plusieurs l’aient ressentie. L’hallucination n’a pas été générale d’emblée, mais elle s’est communiquée comme par enchantement, elle s’est généralisée par sympathie et par entraînement. Le diable a pris aux yeux de plusieurs la forme d’un chien noir, et tous l’ont vu sous cette forme simple et commune. L’hallucination était des plus faciles, et sa répétition montre bien qu’elle était en pleine harmonie avec l’état psychique des soldats.

Le P. de Bonniot ne peut nier qu’il y ait eu là une véritable hallucination, mais il ne la tient pas pour naturelle et la croirait volontiers provoquée par le diable. « Ce chien, écrit-il, qui au même moment saute sur huit cents poitrines dans diverses chambres, cette épouvante qui saisit à la même minute tant d’hommes endormis, sont des signes certains que le phénomène dont parle le Dr Parent était purement subjectif. Les officiers n’ont rien vu, sinon leurs soldats qui s’enfuyaient en criant ; ils ne devaient pas voir autre chose. « Mais, bien que subjectif, ce phénomène n’était pas un simple cauchemar. Brierre de Boismont (3) l’explique par la fatigue, la chaleur et quelque « gaz nuisible ». C’est une manière de dire qu’on ne sait pas ce que c’est. L’hypothèse du cauchemar revient à supposer que huit [p. 212] cents imaginations, qui se donnent libre carrière chacune de son côté, comme cela a lieu pendant le sommeil, se rencontrent toutes, deux fois à la même minute (4), reproduisant exactement le même fantôme. Huit cents soldats, qui tirent à volonté dans un champ de manœuvre n’opéreraient pas une plus grande merveille, s’ils déchargeaient leur arme deux fois seulement en vingt-quatre heures et avec tant d’ensemble qu’on n’entendit qu’un seul coup. Un principe incontestable aussi bien dans les sciences d’observation qu’en métaphysique, c’est que des effets identiques demandent une cause identique. L’imagination de huit cents individus est essentiellement variée et capricieuse, elle n’a donc pas pu enfanter la même image dans les huit cents individus. Admettre le contraire, c’est se jeter dans l’absurde par peur du merveilleux. Ce qui établit naturellement un commencement d’unité entre plusieurs imaginatlons, c’est l’instinct de sympathie ; quand cet instinct ne peut s’exercer, ou l’harmonie n’existe pas, ou elle provient d’une cause extérieure qui sait mettre en œuvre les ressorts de l’imagination (5). »

Le recours au diable pour expliquer les faits extraordinaires est grave et dangereux : il nous parait ici absolument inutile pour rendre raison de l’hallucination collective. L’explication naturelle du phénomène n’a rien d’absurde ni de contradictoire. Sans doute, à l’état vigile, l’imagination est en puissance de raison, et l’esprit n’est pas disposé à accepter sans contrôle, à subir docilement les entraînements ou les illusions des sens. Mais le cauchemar dont il est question se rattache à l’état morphéique, et le P. de Bonniot ne voit pas que cette circonstance est capitale et suffit à tout expliquer.

Dans le sommeil normal, l’attention disparait et la sensibilité n’obéit plus à une règle supérieure, mais l’imagination ne se donne pas libre carrière, comme l’affirme notre auteur : elle se nourrit des souvenirs du passé et surtout des impressions de la veille. Le merveilleux agencement des images au cours du rêve n’est pas livré à l’arbitraire ni au caprice de l’imagination : il dérive du mécanisme cérébral et se rattache aux sensations dominantes qu’a éprouvées le dormeur à l’état vigile. Cette vérité est encore plus manifeste dans le cauchemar qui s’alimente presque exclusivement d’impressions vraies exagérées par le trouble encéphalique.

Tout le monde sait par expérience le retentissement marqué et comme fatal qu’exercent sur le rêve les souvenirs les plus récents, surtout quand les faits observés ou entendus ont mis en mouvement l’imagination et remué la fibre sensible. Les histoires de revenants, racontées au coin du feu pendant les longues veillées d’hiver, ne manquent pas leur effet dans la nuit des dormeurs ; et la plupart disent au réveil qu’ils ont vu en rêve des personnages fantastiques, des scènes dramatiques et invraisemblables, fruit naturel et évident des récits entendus avant de se mettre au lit. Quelques-uns, plus nerveux, sont violemment agités et arrivent au cauchemar.

C’est ainsi que peut légitimement s’expliquer l’hallucination collective du régiment de la Tour d’Auvergne. Ces huit cents hommes épuisés par la fatigue et la chaleur, ont été fortement remués, captivés, suggestionnés en quelque sorte par les histoires de revenants qu’on leur a contées. Ils étaient braves, mais crédules. À peine endormis, ils sont tombés dans le rêve, qui s’est généralement nourri du diabolisme redouté et qui a abouti chez un certain nombre à un même cauchemar, à une hallucination identique. L’imagination étant montée et tendue vers un même objectif, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une même image ait surgi dans les différents cerveaux. Dire le contraire, c’est se jeter dans l’absurde par amour du merveilleux.

Désireux de fixer les bornes précises de l’hallucination, le P. de Bonniot a formulé la proposition suivante :

Une représentation sensible qui se trouve à la fois et de tout point identique en deux ou plusieurs individus, si elle n’a pas été préparée par la perception antérieure du même type, ne saurait être une hallucination.

On peut s’autoriser de cette rigoureuse proposition pour dire que les soldats d’Italie ont véritablement subi une hallucination collective. Ils n’avaient jamais vu le diable, mais ils avaient tous observé bien des fois des chiens noirs ; et c’est pourquoi leur cauchemar a incarné le démon, objet du rêve, sous la forme d’une perception ancienne et commune.

Ln proposition du P. de Bonniot, est-il besoin de le dire, garde toute sa force vis-à-vis des prétentions exorbitantes des savants qui ont un parti pris décidé contre le surnaturel et osent traiter d’hallucinations certaines apparitions merveilleuses dont notre époque a été favorisée.

L’hallucination collective est possible et, quoique rare, a été observée : voilà tout ce que nous avons voulu établir dans les pages précédentes. Il est, et il sera toujours facile à la lumière de la raison et de la science, de distinguer radicalement des hallucinations les apparitions d’ordre surnaturel et divin, qui présentent des caractères spéciaux et nettement tranchés.

Dr SURBLED.

NOTES

(1) Le Miracle et des sciences médicales, p. 96.

(2) Guillaume de Tyr, 1. VIII, ch. XVI et XVII.

(3) Des hallucinations, p. 284 et suiv.

(4) Notre auteur fait erreur, la première hallucination ayant eu lieu à minuit et la seconde vers une heure du matin.

(5) Op. cit, p. 101-102.

 

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