H.-R. Lenormand. L’inconscient dans la littérature dramatique (fragment d’une allocution prononcée au « Club du faubourg »). Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, p. 70-76.

LENORMANDPSYCHANALYSE0001Henri-René Lenormand. L’inconscient dans la littérature dramatique (fragment d’une allocution prononcée au « Club du faubourg »). Article paru dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, p. 70-76.

Henri-René Lenormand (1882-1951). Dramaturge né et mort à Paris. Fortement influencé par la psychanalyse qu’il découvrir dès 1916 il en devint un farouche défenseur et en assure la diffusion des idées. C’est surtout dans sa pièce de théâtre Le Mangeur de rêves publié en 1919, représenté à Genève puis à Paris en 1922 qu’il se forgeât cette réputation de fidèle zélateur.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. — L’ image a été rajoutée par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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L’INCONSCIE.NT· DANS LA
LITTÉRATURE DRAMATIQUE
(FRAGMENT D’UNE ALLOCUTION PRONONCÉE
AU « CLUB DU FAUBOURG II).

Toutes les grandes œuvres théâtrales, toutes celles qui cherchent à connaître l’homme en profondeur, qui s’efforcent de le saisir dans sa vérité dernière, nous ouvrent des fenêtres sur l’inconscient. A chaque instant, la lecture de ces œuvres éveille en nous une résonnance et nous accouche d’un secret que nous ignorions.

La connaissance de l’inconscient est-elle désirable chez le créateur de types humains ? Si cette connaissance est possible, va-t-elle enrichir le poète dramatique ou le paralyser ? L’artiste qui sait sera-t-il encore un artiste ? Il faut reconnaître que, depuis une vingtaine d’années, l’homme s’est placé vis-à-vis de lui-même dans une position nouvelle. Sa curiosité, orientée jadis vers les mystères du Cosmos ou de la nature physiologique est ardemment sollicitée par la découverte des régions inconnues de l’âme. Il y est allé, comme il est allé aux Pôles et dans les couches supérieures de l’atmosphère. II y est allé, en expédition, en voyage d’exploration. Il en est revenu, avec une masse prodigieuse d’observations, avec des systèmes, des méthodes, une thérapeutique. De tous ces [p. 71] matériaux est sorte une science qui pourrait s’appeler la science de l’inconscient et s’appelle la psychanalyse.

Ce que je voudrais vous montrer, c’est l’importance que le Freudisme peut avoir pour nous autres écrivains.

Freud, qui ne prétend qu’avoir créé une méthode pour la guérison des névrosés, a, sans le vouloir, ouvert la route qui mène à la compréhension de tous les phénomènes subconscients, aussi bien chez l’homme normal que chez le malade. Il nous tend la clé qui ouvre les portes secrètes de l’âme. II nous révèle les désirs cachés qui se dissimulent derrière nos rêves les plus innocents en apparence, — désirs refoulés, même dans le sommeil, par cette espèce de surveillant mystérieux qu’il appelle la censure ; — désirs ne parvenant à s’exprimer qu’au moyen de symboles, désirs cachant presque toujours des impulsions oubliées de notre petite enfance, des émotions sexuelles primitives, des velléités érotiques orientées vers la personne des parents.

Il nous explique la signification des symboles invariables, grâce auxquels la conscience des hommes de tous les temps et de tous les pays a désigné les objets qu’elle n’osait figurer directement. II nous apprend à déchiffrer ces hiéroglyphes du sommeil. Et quand nous appliquons cette découverte aux légendes, aux religions, aux contes de fées, nous nous apercevons que l’humanité primitive a spontanément inventé le [p. 72] langage figuré dont nous nous servons encore aujourd’hui dans nos rêves. Nous constatons alors qu’à travers des milliers de siècles d’évolution, nous avons maintenu le contact avec les ancêtres. Nous nous en sommes profondément différenciés dans les manifestations de notre conscience claire, de notre intelligence, mais notre inconscient est resté le même. Dans l’état de détente que procure le sommeil, il laisse affleurer des formes, des figures qui sont celles dont usait déjà la plus antique humanité. L’adolescent d’aujourd’hui, qui rêve avec persistance de coffrets, de cassettes ou de boîte aux lettres, est en proie à la même obsession déguisée que les poètes de la Grèce préhistorique qui formulèrent le mythe de la boîte de Pandore : je veux dire l’obsession du sexe féminin.

Je ne sais si je vous ai donné une idée de l’admirable instrument d’introspection qu’est la psychanalyse ? Ces régions interdites de l’âme où Diderot, Rousseau, Stendhal, Baudelaire pénétraient de temps à autre — je les cite côte à côte, parce que leurs anticipations prophétiques rejoignent les conclusions de

Freud — ces souterrains de la conscience, les voici relativement éclairés. Il y a maintenant des chemins qui y conduisent ; on s’y promène, dans une lumière encore incertaine, mais que chaque année fait plus intense. Si l’âme a encore son mystère qui est le mystère même de la vie, elle a livré de grands et nombreux secrets [p. 73]

Il en résulte que notre conception de l’homme se trouve profondément modifiée et que la littérature, qui reflète cette conception, va s’en trouver influencée. Cette répercussion d’une science nouvelle sur l’art du romancier et sur celui du dramaturge me paraît inévitable. Les gens de lettres ont toujours cherché à élargir leur conception de l’Univers en demandant à la science un stimulant de l’imagination et de la sensibilité. C’est en lisant le naturaliste Geoffroy Saint-Hilaire que Balzac a trouvé la forme du roman moderne qu’il fondait sur l’observation des espèces sociales par analogie avec les espèces naturelles. Ce sont les découvertes de Charcot et de Pierre Janet qui ont inspiré à François de Curel sa Nouvelle Idole, comme les théories évolutionnistes devaient lui suggérer plus tard l’Ame en folie. Il est certain que cette science de l’homme, que nous apporte Freud, impressionnera les artistes. La révision qu’il nous propose de nos connaissances psychologiques est si complète, sa conception de l’âme est si profondément différente de celle des psychologues contemporains qu’on peut même prévoir une véritable révolution littéraire. Le jour où les idées freudiennes auront prévalu, tout ce que nous supportons encore quotidiennement, dans le roman ou au théâtre, nous paraîtra superficiel ou faux.

Eh bien, la question que je voudrais vous entendre discuter est celle-ci : devons-nous résister au courant qui cherche à nous entraîner vers les souterrains de la conscience ? ou devons-nous, au contraire, céder à ce courant et laisser voguer avec nous le drame [p. 74] jusqu’à ces cavernes d’où il ressortira certainement très différent de ce qu’il y est entré ? Est-il préférable que les auteurs dramatiques n’aient sur le monde enseveli que l’homme porte en lui-même que des données intuitives ? Doivent-ils se contenter des lueurs spasmodiques que leur instinct y projette ? ou faut-il souhaiter qu’ils entreprennent l’exhumation méthodique des secrets de l’homme ?

Quelles seront, au point de vue de l’art, les conséquences de l’une et de l’autre attitude ?

Continuer dans la voie de la psychologie traditionnelle ? Analyser, décrire les passions dans leurs réactions directement saisissables ? On le peut. L’humanité d’aujourd’hui, si profondément bouleversée par les crises sociales, offre encore une très riche matière à l’observateur. Mais ne croyez-vous pas que la fatigue et l’écœurement qui nous surprennent en face de presque toute œuvre publiée et représentée proviennent, non pas de la surabondance de ces œuvres, mais de leur similitude ? Poème, tragédie, roman, tout ce qui naît en littérature étudie l’homme dans les manifestations de sa conscience claire. Et il me semble que notre époque est anxieuse d’autre chose. II y a, en nous, en certains d’entre nous, du moins, l’exigence intime inavouée d’un déplacement du point de vue, d’un changement de plan. Nous sommes à la veille d’un départ et nous rêvons avec curiosité, avec un peu d’angoisse peut-être, au voyage vers l’inconscient

Ne croyez pas que ce soit un voyage sans danger ? [p. 75]Nous pouvons y laisser beaucoup plus que des illusions. Nous pouvons y perdre la faculté de produire. Les anciens disaient que celui qui a vu Dieu doit mourir. L’artiste qui a contemplé la vérité dernière de son âme doit peut-être se taire.

Vous connaissez tous Œdipe et vous savez l’interprétation qu’en donne la psychanalyse. Pour Freud, Œdipe qui a, sans le savoir, épousé sa mère et tué son père, n’est qu’une symbolisation des tendances de l’enfance, assaillie par des velléités inconscientes de meurtre et d’inceste. Eh bien, supposez que Sophocle, au lieu d’avoir eu de ces phénomènes une intuition géniale et fugitive, en ait trouvé la confirmation dans l’analyse des rêves, supposez qu’il ait eu à sa disposition tous les moyens de contrôle dont dispose un psychiâtre moderne, supposez qu’il ait eu conscience de l’inconscient humain, l’Œdipe qu’il aurait écrit eût été fort différent de celui que nous avons. Peut-être même n’aurait-il pas écrit Œdipe.

Et Shakespeare, qui a, lui aussi, devancé les constatations et la psychanalyse, s’il avait connu, jusque dans ses rouages les plus subtils, le mécanisme de ce qu’on appelle « la fixation à la mère », nous aurait donné d’Hamlet une image bien différente.

Je ne veux pas influencer votre débat, je veux cependant, pour finir, vous exposer mon sentiment : je crois que, tout en voyant les dangers qui nous menacent, il faut les braver. Je crois qu’il faut suivre la [p. 76] voie qui nous est ouverte. II faut tenter l’aventure. Je crois que ceux d’entre nous qui se laisseront paralyser par la connaissance de l’inconscient ne seront pas de grands artistes. Je crois qu’il n’y a pas de vérité dernière à laquelle nous puissions être acculés. Je crois que l’âme recule toujours, sous des déguisements successifs, devant celui qui cherche à la connaître. Si loin que nous allions, je crois que nous trouverons toujours en face de nous un fantôme assez incertain, assez énigmatique pour nous permettre de rêver, de douter, de chercher, d’aimer, de craindre —c’est-à-dire de créer.

H.-R. LENORMAND.

 

RICHARD WAGNER (Parsifal) :
Kundry : « Apprends à connaître cet amour qui enveloppait Gamuret lorsque l’ardeur d’Herzéloïde débordait en le consumant. (Elle penche sa tête sur celle de Parsifal et attache ses lèvres aux siennes en un long baiser.)
Parsifal : « Oui, cette voix, c’est ainsi qu’elle l’appelait,… et ce regard je le reconnais. Aussi celui. là qui lui sourit si troublant, ces lèvres… oui… ainsi elles frémissaient pour lui…. ainsi se courba la nuque … ainsi, fièrement, la tête se releva… ainsi voltigeaient gaiement les boucles… ainsi se nouait à son cou le bras… ainsi la joue effleurait mollement… »

 

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