Guy Rosolato. L’objet de perspective dans le rêve et le souvenir. Article paru dans la « Revue Française de Psychanalyse », (Paris), P.U.F., tome XLIII – n°4, juillet-août 1979, pp. 605-613.

ROSOLATOREVE0002Guy Rosolato. L’objet de perspective dans le rêve et le souvenir. Article paru dans la « Revue Française de Psychanalyse », (Paris), P.U.F., tome XLIII – n°4, juillet-août 1979, pp. 605-613.

Guy Rosolato (1924-2012). Psychiatre et psychanalyse. Sa thèse de médecine soutenue en 1957 porte sur les « Rréférences psychopathologiques du surréalisme ». Parti prenante dès 1964 pour la fondation avec Lacan et quelques autres, de l’Ecole Freudienne de Paris, il s’en sépare peu de temps après, en 1967, pour rejoindre L’Association Psychanalytique de France. On peu le considère aujourd’hui comme un lacanien sans Lacan. Parmi ses nombreux et passionnant travaux :
— Essais sur le symbolique, Paris, Gallimard, 1969.

— La relation d’inconnu, Paris, Gallimard, 1978.
— Éléments de l’interprétation, Paris, Gallimard, 1985.
— Le sacrifice : repères psychanalytiques, Paris, Gallimard, 1987.
— Pour une psychanalyse exploratrice dans la culture, Paris, Gallimard, 1993.
— La portée du désir: ou la psychanalyse même, Paris, PUF, 1996.
— Les cinq axes de la psychanalyse, Paris, PUF, 1999.

[p. 605]

GUY ROSOLATO 

L’OBJET DE PERSPECTIVE DANS LE RÊVE ET LE SOUVENIR 

Certains rêves mettent en scène un objet étrange qui occupe seul et centre le champ de l’image onirique.

Je décrirai d’abord ses caractères qui sont très proches de ceux que l’on connaît dans les phénomènes d’Isakower, pour toutefois en proposer une interprétation différente. Plus précisément je pense qu’il est loisible d’y repérer la représentation de l’objet de perspective.

Une femme rêve d’une boule blanchâtre difficile à définir, ayant la taille et l’aspect peut-être d’une balle de tennis, qui apparaît sur sa droite, se meut vers l’autre côté en augmentant de volume, passe devant son visage sans l’atteindre, continue son chemin en décroissant pour disparaître à gauche. En même temps une sorte de sifflement se fait entendre, dont l’intensité suit les modifications plastiques de l’objet. Ce rêve n’est ni agréable ni désagréable ; tout juste donne-t-il un sentiment d’étrangeté dû à la peine à identifier la représentation.

On voit tout de suite qu’il se distingue des phénomènes hypnagogiques décrits par Isakower (1) : sont absentes en effet, les nombreuses impressions de vertige ou de flottement, de surface chiffonnée ou de matière pâteuse, et surtout les très importantes sensations buccales de modifications, de gonflement, de remplissage par une substance indéfinissable. Il n’y a pas non plus de notation concernant une indifférenciation corporelle — flou des limites, au niveau de la peau. Les circonstances non plus ne sont pas celles d’une maladie, d’un état fébrile. Du tableau complet fait par Isakower, mais qui n’est qu’un compendium de phénomènes hypnagogiques, qui ne se retrouvent évidemment pas tous ensemble dans un cas clinique donné, seuls quelques éléments, particulièrement significatifs, apparaissent dans ce rêve qui, de plus, [p. 606] n’est pas lié à la phase d’endormissement. Ce sont ces éléments que je retiendrai pour justifier une interprétation à partir des associations fournies. Sans invalider celle d’Isakower elle permet de mettre en évidence le courant latent qui concerne l’objet de perspective.

La boule tout d’abord évoque le sein de la mère. L’analysante n’est pas sans connaître cette symbolique. Mais ces seins-là, comme masse de chair, lui donnent une impression de dégoût extrême. La mère est vécue comme un être envahissant, sans désir véritable, dont la sexualité paraît incongrue et répugnante. Ce rejet oriente dans un sens particulier l’interprétation.

Cependant la boule lui rappelle un souvenir d’enfance qui a été repris dans un rêve antérieur : étant petite elle jouait avec un ballon de caoutchouc ; s’asseyant dessus en sautillant elle avait ressenti un étrange émoi corporel, indéfinissable et délicieux qui, après coup, a été compris comme un orgasme.

La boule renvoie donc au sein maternel et à un plaisir directement sexuel, génital. Or l’absence de sensations buccales, tellement spécifiques dans les observations d’Isakower, ainsi que le dégoût avéré, ne peuvent nous orienter uniquement sur la satisfaction de l’enfant qui s’endort après la tétée. Sans doute le mouvement de rapprochement et d’éloignement ne contredit pas ce sens, mais je pense qu’il faut plutôt comprendre le mouvement de la boule comme celui d’une excitation très générale, du corps et de l’esprit, excitation libidinale diffuse, pouvant se localiser en quelque partie du corps, potentiellement, mais dans le désir de garder une distance, de pouvoir observer, auto-observer, objectiver cette excitation même. Celle-ci est figurée par les modifications de la boule qui croît et décroît : tant il est vrai que chez l’enfant qui la perçoit indistinctement ce changement d’intensité, ou de tension, peut être le plus concret de l’excitation.

Quant à la distance à prendre elle vise aussi bien la « satisfaction primaire » au sein dans la satiété et le sommeil, d’un côté, que le plaisir génital dont l’origine a été la masturbation avec ses fantasmes incestueux, ou encore, comme le dit Isakower, par la régression du Moi, l’atteinte d’une félicité hypnique où « tout le corps devient phallus » (p. 208).

Cette tentative de retrouver l’objet perdu peut devenir l’objectif central du rêve quand celui-ci se met entièrement au service du désir de dormir ; elle se caractérise, en effet, par les phénomènes d’Isakower lorsqu’ils s’accompagnent effectivement de félicité. Ici, avec l’exemple qui nous intéresse, au contraire, ce qui vient au premier plan est l’objectivation de l’excitation, en d’autres termes sa manifestation, non pas [p. 607] seulement subie passivement mais mise en jeu pour soi comme pour l’autre. Nous sommes alors dans une dialectique plus complexe, une érotique qui exploite la relation archaïque au sein et la transpose sur un plan sexuel et génital.

Il faut donc donner tout son sens à l’étrangeté de la boule blanche : son irréalité, ou plutôt sa surréalité, ne se référant à aucun objet concret, l’absence d’action humaine, son mouvement aussi abstrait que sa forme sont là pour évoquer la négativation, l’abstraction elle-même, l’objet de manque, dans sa propre absence, mais surtout comme puissance de la pensée qui pose son objet pour être objet de pensée.

ROSOLATOREVE0001

Alice au pays des merveilles.

Toutefois, l’évocation de l’excitation sexuelle dans sa plus grande concentration, c’est-à-dire figurée dans la forme dense de la sphère, de la boule blanche, et par son mouvement, est ressentie en général dans l’horreur mais aussi dans un besoin tout personnel d’objectivation et de contrôle, comme pour localiser « en dehors » cette excitation renversée en angoisse. D’autres associations liées à ce rêve en indiquent la nature : il est question successivement du pubis noir de la mère, vu par la fille, et du sexe d’un chien dont la couleur tranche sur le pelage noir. Ainsi, indirectement est posé le pénis maternel. Mais il importe de remarquer que celui-ci n’est pas figuré. Il ne s’agit nullement ici du rêve connu où la mère (ou une femme) est porteuse de pénis avec tel ou tel détail insolite. Tout au contraire, il faut s’attacher au fait que la présence directe de la négation est — comme Freud l’a montré —, impossible dans le rêve, et qu’en conséquence nous devons interpréter la boule comme la figuration du négatif qui affecte le pénis maternel : cet objet de manque est l’objet de perspective ; jusque dans le rêve il manifeste ce caractère qui lui est propre et qui vient au premier plan avec le fétiche : de se dérober (2).

Pour bien situer cet objet on examinera ses rapports avec l’objet perdu (tel que le sein maternel). Deux faits, signalés par Freud dans La dénégation (1925) (3), caractérisent la fonction de l’objet perdu et mettent en évidence son importance dans l’épreuve de réalité.

Tout d’abord « on reconnaît (toutefois) comme condition pour l’installation de l’épreuve de réalité, que se soient perdus des objets qui avaient autrefois procuré réelle satisfaction ». Cette épreuve de réalité est l’affaire du Moi-réel (opposé au Moi-plaisir antérieur) et dépend de « la décision de la fonction de jugement » concernant [p. 608} l’existence réelle d’une chose représentée. Freud indique bien que deux conditions sont à remplir : premièrement, que des objets aient autrefois procuré une réelle satisfaction (donc qu’une certaine expérience de plaisir ait eu lieu, dans la relation avec la mère) : par là il n’y a pas eu rejet (Verwerfung) ; l’objet a laissé une trace. Deuxièmement, pour qu’il y ait accès à la réalité, l’objet doit avoir été perdu.

Mais Freud écrivait quelques lignes plus haut : « Le but premier et immédiat de l’épreuve de réalité n’est donc pas de trouver un objet, correspondant au représenté, dans la perception réelle, mais de le retrouver, de se persuader qu’il est encore présent. »

Nous aboutissons donc à un paradoxe (que Winnicott a perçu comme tel) où quoique perdu (au-dehors) l’objet est retrouvable, encore présent (en dedans).

En fait les choses sont plus complexes et l’objet transitionnel en témoigne par le recours théorique à un espace intermédiaire entre dehors et dedans.

Toutefois, à ce premier niveau de sécurité initiale, assurément d’importance considérable, ce qui est en jeu dans la constitution de l’objet s’appuie sur la séparation d’avec la mère, le rappel des satisfaction orales et d’attachement, et la solution intermédiaire, temporaire, que trouve l’enfant, encore fixé à sa mère, avec l’objet transitionnel dont l’effet dominant est, à mon sens, une fascination, sinon une addiction, évoquant une toxicomanie plutôt qu’un jeu qui, même pratiqué seul, nécessite une action et jusqu’à des personnages qui l’animent.

Or ce qui frappe dans ces descriptions c’est l’absence de toute référence sexuelle.

Winnicott a dû percevoir l’hiatus. Si l’on examine les remaniements qu’il a fait subir à son texte de 1951 (1953) en le reprenant dans Jeu et réalité (« Objets transitionnels et phénomènes transitionnels », donc vingt ans après, en 1971), on remarque d’abord la suppression des paragraphes qui établissent une correspondance avec le fétichisme (ou, d’ailleurs, avec toute autre psychopathologie, toxicomanie, mensonge, vol). Ce n’est pas seulement le souci d’affirmer la normalité des phénomènes transitionnels, posés sans aucun rapport avec le fétichisme, mais aussi l’évidence que celui-ci implique, avec le pénis maternel, toute une dynamique sexuelle, laquelle est absente évidemment dans la description des phénomènes transitionnels.

Par ailleurs, Winnicott rajoute une observation cursivement commentée où se dessine un travail du négatif par rapport à l’objet perdu, pour observer que « la chose réelle est la chose qui n’est pas là » (p. 36), [p ; 609] que l’absence constitue la réalité, que le négatif est plus réel que le positif, et que le symbolique en découle.

Mais il y a lieu de percevoir, au-delà de ce premier niveau de satisfaction vitale qu’oriente l’objet perdu et que compense l’objet transitionnel, une autre organisation libidinale étayée par lui. L’excitation sexuelle, génitale, telle qu’elle a pu être stimulée par les soins corporels assurés par la mère devient à la fois un moyen d’affranchissement à l’égard du besoin et de la dépendance vitale, et dirige le désir de l’enfant vers des images corporelles génitales et des substitutions à travers elles qui vont composer les théories sexuelles infantiles. Cette libération par le recours direct à la sexualité va permettre un bond mental qui poussera l’abstraction jusqu’à porter le négatif et l’absence sur une partie du corps lui-même et à constituer l’objet qu’est le pénis maternel susceptible de se résoudre, comme le comble de la négation, en tant qu’objet de perspective. Ainsi peut-on dire que cet objet de perspective est à la fente maternelle sur un plan libidinal, sexuel, ce que l’objet transitionnel est aux craintes orales d’anéantissement par rapport à l’objet perdu sur un plan vital. La différence est notable : cette accession au sexuel indépendamment des besoins qui l’ont étayé est à l’origine de toutes les substitutions, de toutes les métaphores. Elle lance la relation de désir en fonction de l’Autre. C’est elle qui entretient les constructions du jeu, les inventions des théories sexuelles infantiles et du roman familial, et, partant, les fictions de l’art et ses phénomènes de croyance propres, où, en effet, lorsqu’un objet est en cause dans sa matérialité, se profile l’objet de perspective.

La pensée, et la curiosité, la découverte, trouvent leurs racines dans leur première application au corps et par la différence sexuelle où émerge et s’exerce la négation.

Le fétichisme est le reliquat libidinal et comme le modèle conservé de leur mécanisme premier et de l’oscillation métaphoro-métonymique, comme figure inverse et défensive par rapport à la phobie atavique et à son angoisse, et liée à celles-ci.

Mais cette étape est caractérisée par la relation étroite entre l’excitation et l’objet de perspective, ce dernier étant considéré comme le lieu organique et la localisation qui circonscrit et limite l’excitation et prémunit contre une expansion, un envahissement que l’enfant pressent comme jouissance, mais qui en tant que relation d’inconnu fait aussi figure de menace ou de danger. L’objet de perspective est objet narcissique servant de rempart contre une relation avec l’Autre, contre le désir en fonction du phallus et de la jouissance. [p. 610]

Si la boule du rêve représente l’objet de perspective, avec l’ambiguïté d’avoir à figurer un objet de manque et en même temps une excitation fuyante pouvant s’accroître, mais ainsi fixée, contrôlée, il est intéressant, en suivant une démarche proposée par Bertram Lewin, de retrouver les correspondances qui existent entre la dynamique du rêve et certaines structures psychopathologiques, en l’occurrence celle de la phobie atavique.

En effet, cet auteur, à partir de ses études sur l’écran du rêve et l’organisation onirique, a étudié des rapports entre les symptômes phobiques et l’interprétation du rêve (4). Le symptôme est comme un contenu manifeste, une défense constituée contre les dangers prégénitaux ; pour la phobie, au-delà de la menace génitale centrée sur la castration, ces dangers sont résumés par une triade orale : dévorer (le sein), être dévoré, et sombrer dans le sommeil. Les terreurs phobiques liées à la vie du rêve, aux cauchemars et au réveil qui s’ensuit, démontrent le sens d’engloutissement que prend dans ces cas le fait de s’endormir.

En poursuivant dans cette ligne de recherche, l’objet de perspective, tel qu’il peut être représenté dans le rêve, devient le pivot de la dynamique phobique. J’ai avancé (dans le dernier chapitre de La relation d’inconnu) que l’objet de perspective avait pour fonction chez le phobique d’éviter d’un côté la castration et de l’autre un effondrement dans l’abîme maternel qui se spécifie bien par la triade orale de B. Lewin. La relation phobique est avant tout visuelle et spatiale et par là sur le versant de la mère comme objet et présence proche. Etre le pénis de la mère, et objet de perspective, protège le phobique contre l’angoisse, mais le fixe dans une situation précaire face à l’objet phobogène, lui-même à comprendre comme projection, et localisation concrète de l’objet de perspective : celui-ci a pour fonction d’éviter la relation au phallus du père qui est réduit à n’être que le pénis de la mère, donc à bloquer la dialectique de l’enfant qui aurait à être ou avoir le phallus (et ceci aussi bien pour la fille). L’objet phobogène est donc cette fragile construction qui, comme objet de perspective, concurrence le phallus du père, tout en s’offrant à le suppléer.

Dans l’affrontement entre le Moi et l’objet phobogène, alternant l’un l’autre dans la position d’objet de perspective, l’enjeu est que la négation ne se réduise pas qu’à la fonction d’abolir le Moi, de l’effondrer [p. 611] dans les terreurs orales et la relation d’inconnu non contrôlée, non localisée. De même dans les phobies d’espace (claustrophobie ou agoraphobie) l’objet de perspective qu’est le Moi ne peut qu’être englouti dans cet espace ne pouvant se soutenir de la puissance phallique prenant en charge la négation. De sorte que l’angoisse provient de la précarité, cependant — il faut le noter — perçue, de l’objet de perspective qui fait obstacle à l’entrée œdipienne dans la relation avec le père et que menace l’inconnu marqué par les dangers de la triade orale, de l’engloutissement par l’origine et la fente maternelle, tels que les phobies d’espace les mettent en scène excellemment.

Dans le cas de la femme dont j’ai exposé le rêve, à la suite de son récit deux types de phobies ont pu être articulés avec la dynamique onirique : une phobie d’avions (c’est-à-dire claustrophobie combinée au franchissement de l’espace, donc aussi agoraphobie dans sa plus grande extension) et une géphyrophobie (une phobie des ponts). Cette dernière doit aussi être interprétée comme une phobie d’espace.

M. Lewin cite à ce propos le travail de Paul Friedman sur le symbolisme du pont 5 et la déclaration d’un patient qui décrit sagéphyrophobie comme « une peur de passer dans un pays dangereux, inconnu (je souligne) où il aurait pu être happé (ripper apart), ou dévoré par des animaux préhistoriques » (op. cit., 211). Dans un autre cas d’une jeune femme pour laquelle il s’avère que son corps fonctionne comme phallus (mais il y aurait lieu de suspecter qu’il s’agit plutôt d’être le pénis de la mère en tant qu’objet de perspective — le texte le laisse entendre) la phobie du pont vise un abîme, un canon à franchir, et comme dit Lewin, un primal split, une « fente primordiale », un clivage en soi, qu’il situe d’une manière judicieuse entre le sommeil et la veille, mais qui pour nous doit tout autant renvoyer à la fente maternelle. Or l’objet de perspective, il faut le souligner, a pour fonction de cacher et de montrer à la fois cette fente.

Mais le point qu’il importait de cerner est le jeu de l’excitation dans la phobie, où l’objet de perspective lui sert de fixation, de focalisation, de prise en charge aussi, et de révélateur, quitte à la renverser en angoisse, en tout cas à la détourner d’une relation d’inconnu et d’une négation prises dans la métaphore paternelle et la dialectique phallique.

Toutefois, chez le phobique celles-ci servent assurément de repère avec le témoin qui assiste à la scène ou aide à en sortir. Le psychanalyste y est appelé d’une manière particulière que je ne développerai pas ici. [p. 612]

Cette conception de la phobie atavique par rapport à l’excitation et à l’objet de perspective permet une lecture nouvelle du Petit Hans. Et à partir et au-delà du fétichisme et de la phobie l’analyse actuelle de la vie érotique et de l’orgasme ne saurait se passer de cette dynamique.

Pour en revenir au rêve, il convient de bien délimiter les caractères qui conduisent à y voir précisément un objet de perspective. Ainsi l’excitation est représentée, comme nous l’avons vu, par la masse qui envahit, ou par le son auquel on ne peut se soustraire (ainsi en est-il pour l’enfant), mais aussi par l’angoisse ou l’horreur qui en est le renversement, aboutissement et signal d’un danger inconnu. Mais différents degrés peuvent se voir entre plaisir, indifférence et horreur (6), de même que dans la distance prise (dans le cas cité le passage de droite à gauche en donnait une lecture comme le ferait, dans notre latéralisation, une enseigne lumineuse). En outre, on remarquera que l’indice de pénis maternel est donné par un souvenir mis en relation avec le rêve (dans le cas présenté, le chien) et qui peut prendre une tonalité étrange, entre le rêve et le sommeil, singulièrement retenu, et ayant par là valeur de souvenir-écran. Un autre exemple montrera cette correspondance : une femme rêve d’une boule végétale et épineuse qui s’approche d’elle, de sa poitrine, en grandissant rapidement jusqu’à provoquer une impression d’envahissement et d’horreur intolérable. Il n’y a pas de sensation intrabuccale. Ce rêve rappelle deux souvenirs qui sont oniroïdes, insolites, mais cependant rapportés à l’état de veille : le premier est d’avoir vu passer nu(e) le père ou la mère ; le second est celui d’une montre ovale et convexe qui était mue d’un mouvement de bascule synchrone avec son tic-tac ; ce dernier souvenir semble particulièrement désinséré et isolé. Toutefois il évoque une manifestation clitoridienne, qui se « montre » dans des battements rythmiques de l’excitation et conduit ainsi à détecter l’objet de perspective.

On voit donc que le type de rêve, ou plutôt de complexe rêve/souvenir décrit ici doit être nettement distingué :

1° Des rêves personnalisés, avec une action, où apparaît une femme ayant un pénis.

2° Des rêves qui, quoique « abstraits », figurent des objets immobiles, ne changeant pas de volume, et de forme autre que ronde : par exemple un homme se souvient d’avoir rêvé dans son enfance, au cours d’états fébriles, d’un cordon, au relief évoquant la torsion d’une corde, immobile et si près des yeux qu’un malaise d’accommodation semblait en résulter.

3° Des rêves également « abstraits » de surface en mouvement, qui ondulent, se plissent, s’éloignent ou se rapprochent, se déchirent, ou de filaments, d’écheveaux, de courants qui se déroulent, ou s’écoulent, se tissent, ou s’entremêlent.

Ces rêves posent des problèmes différents, plus en rapport avec les phénomènes d’Isakower, ou avec l’écran du rêve de B. Lewin et s’expliquent suffisamment par les interprétations qu’en donnent ces auteurs.

Dr Guy ROSOLATO

NOTES

(1) Otto ISAKOWER, Contribution à la psychopathologie des phénomènes associés à l’endormissement (1938), Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1972, n° 5, p. 197-209.

(2) Cf. « Le fétichisme dont se dérobe l’objet », dans La relation d’inconnu, Gallimard, 1978.

(3) Le Coq-Héron, n° 52, p. 13, trad. B. THIS et P. THÈVES.

(4) Phobic symptoms and dream interpretation (1952), dans Selected writings of Bertram D. Lewin ; The Psychoan. Quart., Inc., 1973.

(5) The bridge : a study in symbolisai, Psy. Quart., 1952, XXI, p. 49-80.

(6) W. REICH a soutenu que le caractère masochiste se constitue lorsque l’accroissement de l’excitation sexuelle est ressenti comme un déplaisir, selon une perspective anale (cf. L’analyse caractérielle, 1933, Payot, 1971, p. 222 sq.). Il y aurait lieu, dans ce sens, de dégager les rapports entre paranoïa et phobie atavique sur cette base masochiste commune.

 

 

 

 

 

 

 

LAISSER UN COMMENTAIRE