Georges Surbled. Le diable et les médiums. Partie 1. Extrait de la revue « La Science catholique », treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°1, 15 décembre 1898, pp. 61-71.

Georges Surbled. Le diable et les médiums. Partie 1. Extrait de la revue « La Science catholique »,  treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°1, 15 décembre 1898, pp. 61-71.

Georges Surbled (1855-1913). Médecin polygraphe défenseur du spiritualisme traditionnel, il participe à des nombreuses revue, en particulier dans La Revue du Monde Invisible fondée et dirigée par Elie Méric, qui parut de 1998 à 1908, soit 10 volumes et La Science catholique, revue des questions sacrées et profanes… dirigée par J.-B. Jauget et dirigée par l’abbé Biguet de 1886 à 1910.
Quelques unes de ses publication :
— Le mystère de la télépathie. Article parut dans la « Revue du monde invisible », (Paris), première année, 1898-1899, pp. 14-24. [en ligne sur notre site]
Le diable et les médiums. Partie 2.  Extrait de la revue « La Science catholique »,  treizième année, 3e année de la Deuxième série – 1898-1899., n°2, 15 janvier 1899, pp. 113-123. [en ligne sur notre site]
— La stigmatisée de Kergaër. Article parut dans la revue « Le Monde invisible », (Paris), 1899, pp.104-107. [en ligne sur notre site]
— Obsession et possession.] Article paru dans la « Revue des sciences ecclésiastique- Revue des questions sacrées et profanes… Fondée par l’abbé J.-B. Jaugey, continuée sous la direction de M. L’abbé Duflot », (Arras et Paris, Sueur-Charruey, imprimeur-libraire-éditeur), n° 15, décembre 1897, pp. 46-58. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 61]

LE DIABLE ET LES MEDIUMS

Le diable existe.

Nous sommes des premiers à reconnaître son action malfaisante dans révolution du monde et dans le cours de notre vie mortelle, mais nous la croyons restreinte dans son universalité et limitée d’une part par la liberté humaine, de l’autre par le pouvoir souverain de Dieu. Nous ne sommes pas de ceux qui retendent démesurément, l’exagèrent à plaisir et la voient partout au point de provoquer et de justifier cette malheureuse proposition de nos adversaires : « Le diable, c’est l’ignorance ! »

Invoquer l’influence satanique toutes les fois qu’un phénomène étrange déconcerte notre jugement et ne trouve pas une explication scientifique foute prête et adéquate, c’est manifestement se jeter dans le merveilleux par bêtise et par peur, c’est abuser du surnaturel, c’est surtout outrager la raison, déconsidérer la foi et servir leurs pires ennemis.

Ces réflexions s’imposent particulièrement à l’occasion de là question si importante et si troublante des médiums et de l’influence qu’il faut attribuer au diable dans leurs mystérieuses opérations. La question, qui se rattache étroitement à celle du spiritisme et qui soulève tant de graves et difficiles problèmes, a toujours eu le don de passionner et de diviser l’opinion. Les uns y ont vu exclusivement l’ingérence des mauvais esprits, la main du diable ; les autres n’ont voulu jamais croire qu’à une physique supérieure ou amusante. Aucune de ces opinions extrêmes ne nous paraît établie, ni acceptable ; et nous espérons montrer dans les pages qui suivent que la vérité, ici comme toujours, se trouve dans une opinion moyenne et pondérée, tenant compte des conditions multiples de la question et faisant la juste part de l’élément diabolique sans méconnaître aucunement celle des causes naturelles.

I

Qu’est-ce qu’un médium ?

Pour le savoir, il faut s’adresser aux spirites ou plutôt à la théorie singulière qu’ils ont imaginée sur le monde, et sur l’homme.

Trois principes distincts s’unissent pour nous composer. Ce sont : le corps matériel, support et organe des deux autres ; l’esprit ou l’âme, cause de la conscience, de l’intelligence et de la volonté ; enfin une sorte d’intermédiaire entre l’esprit et le corps, substance extrêmement tenue, lien fluidique qui tient de l’un et de l’autre, les relie ensemble et suit [p. 62] l’âme après la mort. Ce troisième principe reçoit des spirites le nom de périsprit et est appelé corps-astral par les occultistes.

Le périsprit — dont l’existence, déclarons-le sans tarder, est purement hypothétique — permet à l’esprit, séparé par la mort du corps mortel, de se manifester à nous d’une manière visible ; tantôt sous la forme humaine, ce qui est rare, et d’ailleurs contesté, tantôt par des phénomènes physiques ou sensibles, tantôt par des communications intellectuelles. Même pendant cette vie, le périsprit qui nous enveloppe comme d’un fluide subtil et que l’on nomme souvent notre « double » est susceptible de sortir du corps et d’établir des relations entre les vivants et les morts.

Cette faculté de correspondance outre-tombe porte le nom de faculté médianimique ou médiumnite. Tout le monde la possède plus ou moins, mais elle est très développée chez certains sujets soit naturellement, soit par un exercice soutenu que viennent corroborer une vie régulière et rangée, la chasteté, la sobriété, le jeûne, l’égalité d’humeur, une bonne conscience et un fond d’altruisme. Être médium, c’est donc servir d’intermédiaire entre le monde invisible et le monde visible, entre les esprits, et les hommes qui vivent sur la terre. Nul ne peut interpeller ces esprits, converser avec eux, s’il n’est médium.

Allan-Kardec, qui est l’importateur et le grand théoricien du spiritisme en France, reconnaît plusieurs espèces de médiums suivant les moyens usités par les esprits pour se manifester à eux : les médiums à effets physiques, les médiums sensitifs ou impressibles ; les médiums auditifs, les médiums voyants, les médiums parlants, les médiums somnambules, les médiums guérisseurs, les médiums pneumatographes, les médiums psychographes ou écrivains, etc.

Les médiums à effets physiques sont de beaucoup les plus nombreux et les plus accrédités : Home est le maître du genre, et actuellement la Napolitaine Eusapia Paladino marche sur ses traces. On obtient avec eux les phénomènes matériels les plus extraordinaires, mouvements des corps, déplacements et apports, bruits divers, lévitations, etc.

Les médiums sensitifs on impressibles perçoivent la présence des esprits par des sensations légères, attouchements, frôlements, etc.

Les médiums auditifs ont l’avantage d’entendre les esprits leur parler, soit par voie psychique ou intérieure, soit par les sons d’une parole véritable, comme si une personne invisible conversait.

C’est par l’organe même des médiums parlants que l’esprit fait entendre ses communications.

Faculté plus extraordinaire encore, les médiums voyants ont le commerce le plus intime avec les esprits ; ils les voient, les appellent, conversent avec eux, les suivent partout. [p. 63]

Le médium somnambule obéit dans le sommeil magnétique, à l’impulsion des esprits et non à son propre mouvement.

Le médium guérisseur se définit de lui-même : c’est par ses mains qu’opèrent les esprits bienfaisants pour amener la guérison des maladies les plus graves et les plus invétérées.

Le médium pneumatographe sert d’agent ou plus exactement de commissionnaire aux esprits qui écrivent directement, en caractères ordinaires, ce qu’ils ont à communiquer ; il lui suffit de prendre une feuille de papier, de la plier et de la placer sur un meuble ou dans un tiroir. Regardez ce papier au bout de quelque temps : il est couvert de signes, de caractères, de dessins, parfois de lettres et de phrases entières. Le tout est plus ou moins compréhensible pour les humains, mais les esprits appartiennent à une sphère supérieure et savent sans doute ce qu’ils veulent dire.

Le médium psychographe ou écrivain est plus commun et moins fort que le précédent : il prête sa main aux esprits, et cette main trace aussitôt sur le papier des lettres et des mots qui constituent une réponse aux questions posées. Naturellement cette main agit automatiquement, et le sujet est inconscient de ce qu’elle écrit. Parfois, sur la demande du médium, on adapte un crayon à une table, à une planchette, à une corbeille, on met à proximité une feuille de papier, et c’est la table, la planchette qui actionne le crayon sous la direction, de l’esprit. Enfin, sans crayon, on voit les fables entrer en mouvement sous certaines conditions et donner, par les coups qu’elles scandent sur le plancher, les réponses des esprits aux interrogations qui leur sont faites sur les choses les plus diverses : ce sont les tables tournantes et parlantes.

Comme on le voit, le médium a avec les esprits ou soi-disant tels deux sortes de communications très différentes et qui doivent être étudiées séparément, bien qu’elles aillent souvent de compagnie : ce sont des rapports physiques et des relations intellectuelles.

Les phénomènes physiques de la médiumnité ont été plus particulièrement étudiés de nos jours : nombre de sujets s’en contentent, et la vogue leur appartient. Les médiums manifestent leur pouvoir et déploient leurs talents de bien des manières, mais les séances qu’ils dirigent sont faites pour frapper et convaincre les spectateurs : elles s’entourent de mystérieux apprêts et d’une obscurité toujours salutaire. Tantôt ce sont des fables qui s’agitent et qui tournent ; tantôt ce sont des bruits insolites inexplicables, des coups dans les murs, l’ébranlement et le déplacement de meubles, l’apport de cailloux ou de pierres, des impressions sensibles analogues à la vue d’un chien, au frôlement d’une robe, au toucher d’une main froide, etc. Les apparitions de fantômes sont plus sujettes à caution, [p. 64]

Le médium qui nous transmet les communications des esprits doit être également l’objet d’une légitime suspicion. Ces communications ont en effet un intérêt et une valeur des plus variables : il en est d’incompréhensibles, de sérieuses, de stupides, de frivoles, de grossières. Parfois le médium écrit ou raconte des choses qu’il ignore complètement et qui constituent des révélations instructives ; mais le fait est rare. Des défunts connus et aimés, des personnages fameux de l’histoire sortent de la tombe et viennent, à l’appel du médium, témoigner leurs sentiments et leurs pensées. Le fait serait extraordinaire si l’on ne remarquait une frappante concordance entre les idées du médium et celles des personnages évoqués : on dirait qu’il ne traduit pas leurs pensées, mais qu’il les leur prête en travaillant d’imagination avec l’aide d’une bonne mémoire. Les expressions trahissent l’homme. « Dans la même séance, observe très justement un auteur, l’esprit de Voltaire par exemple, s’exprimera comme un charretier, si le médium (ou simplement l’opérateur) appartient à cette classe sociale ou toute autre similaire ; et, dix minutes après, comme un homme du monde, si l’évocateur est une personne distinguée, instruite, bien élevée (1). » De pareils faits légitiment la défiance.

Il y en a d’autres qui la commandent. Tels sont ceux où l’invraisemblance le dispute à la sottise. Nous citerons seulement comme exemples deux historiettes que rapporte sérieusement Allan Kardec, et nous les donnerons sans commentaire.

« Nous assistâmes un soir, dit le maître spirite, à la représentation de l’opéra d’Obéron avec un très bon médium votant. Il y avait dans la salle un assez grand nombre de places vacantes, mais dont beaucoup étaient occupées par des esprits qui avaient l’air de prendre leur part du spectacle ; quelques-uns allaient et venaient auprès de certains spectateurs et semblaient écouter leur conversation. Sur le théâtre se passait une autre scène ; derrière les acteurs, plusieurs esprits d’humeur joviale s’amusaient à les contrefaire en imitant leurs gestes d’une façon grotesque ; d’autres, plus sérieux, semblaient inspirer les chanteurs et faire des efforts pour leur donner de l’énergie. L’un d’eux était constamment auprès d’une des principales cantatrices ; nous lui crûmes des intentions un peu légères. L’ayant appelé après la chute du rideau, il vint à nous et nous reprocha avec quelque sévérité notre jugement téméraire : « Je ne suis pas ce que vous-croyez, dit-il ; je suis son guide et son esprit protecteur ; c’est moi qui suis chargé de la diriger. Adieu ! elle est dans sa loge, il faut que j’aille veiller sur elle. »

« Nous évoquâmes ensuite l’esprit de Weber, l’auteur de l’opéra, et nous lui demandâmes ce qu’il pensait de l’exécution de son œuvre : « Ce n’est [p. 64] pas trop mal, dit-il, mais c’est mou ; les acteurs chantent, voilà tout ! Il n’y a pas d’inspiration. Attendez, ajouta-t-il ; je vais essayer de leur donner un peu de feu sacré ! »  Alors on le vit sur la scène, planant au-dessus des acteurs ; un effluve semblait partir de lui et se répandre sur eux ; à ce moment il y eut effectivement chez eux une recrudescence visible d’énergie.

« Voici un autre fait qui prouve l’influence que les esprits exercent sur les hommes à leur insu. Nous étions, comme ce soir-là, à une représentation théâtrale avec un autre médium voyant. Ayant engagé une conversation avec un esprit spectateur, celui-ci nous dit : « Vous voyez bien ces deux dames seules, dans cette loge des premières ? Eh bien ; je me fais fort de leur faire quitter la salle. » Cela dit, on le vit aller se placer dans la loge en question et parler aux deux dames ; tout à coup, celles-ci, qui étaient très attentives au spectacle, se regardent, semblent se consulter, puis s’en vont et ne reparaissent plus. L’esprit nous fit alors un geste comique pour montrer qu’il avait tenu parole ; mais nous ne le revîmes plus pour lui demander de plus amples informations (2).

Réservons la question des communications intellectuelles qui est très suspecte et que nous retrouverons plus loin à l’occasion des tables tournantes et revenons aux phénomènes physiques de la médiumnité pour tâcher d’en pénétrer l’origine et la nature. ;

II

Tous les anciens spirites, et le fameux médium Home à leur tête, ont cru ou du moins enseigné que leur pouvoir vient des esprits : c’est bien ce qui résulte de la doctrine que nous avons résumée plus haut : Un jour un vieil ami de Home, le Dr Philip Davis, lui demandait la cause de ses merveilleuses opérations. « Je ne suis qu’un instrument inconscient, répondit le médium ; les esprits se servent de mon fluide pour se manifester, communiquer avec les hommes et faire connaître leur pouvoir. » Cette opinion était courante et a longtemps fait loi.

Comment s’étonner dès lors que nombre de gens aient cru les spirites sur parole et les aient accusés d’être les serviles instruments des mauvais esprits, les vils suppôts du diable ? Si les esprits participent réellement aux tours des médiums, ce sont de mauvais esprits ; et l’on comprend que les croyants se soient émus, inquiétés, et que l’Église ait porté de sévères condamnations contre les pratiques du spiritisme.

Mais les esprits ont-ils vraiment une action commune dans la médiumnité ? Est-il nécessaire de faire appel au surnaturel pour en rendre compte ? C’est une question qui se résoud généralement aujourd’hui par [p. 66] la négative. D’abord il est très peu de spirites éclairés qui croient encore à l’intervention ordinaire des esprits. Puis, le fameux médium Home a pris soin, avant de mourir, de nous détromper tout à fait en avouant dans une confession suprême qu’il avait menti toute sa vie. Celle confession, dont nous n’avons pas besoin de signaler l’importance, il l’a faite au Dr Philip Davis qui nous la rapporte dans les termes suivants :

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« Nous causions un soir, quelque temps avant sa mort, du seul sujet qui avait intéressé sa vie, et, chose étonnante, plus il s’affaiblissait, plus la force fluidique avait chez lui des retours de puissance extraordinaire, et il aimait à en faire parade pour s’abuser lui-même sur son état. Il ne pouvait se dissimuler qu’il s’en allait lentement, mais aussi sûrement que le voyageur qui aperçoit déjà dans le lointain la silhouette du village où il va se coucher le soir, mais il ne voulait pas y croire.

Ce soir-là donc, las de causer, il s’était approché de la table, et posant ses mains, devenues diaphanes à force d’être amaigries, il me dit :

« — Je viens voir combien de temps les esprits me laissent encore à Vivre. »

« Et de toutes parts les coups frappés retentissaient dans la table, tantôt comme un roulement de tonnerre, tantôt comme un crépitement de mitrailleuse.

« —A quoi bon, lui dis-je en lui touchant le front légèrement du doigt. Est-ce que vous ne savez pas à quoi vous en tenir sur l’existence réelle de ces esprits, qui n’ont jamais existé que par la puissance de cet admirable cerveau, qui dit à la matière inerte : « Fais ceci ! » et à qui la matière inerte obéit ?… L’antiquité vous eût mis au nombre des demi-dieux !

« Je savais comment le prendre, et cette flatterie lui plut, car il me répondit :

« C’est vrai, après tout, que cette foule d’esprits devant lesquels s’agenouillent les âmes crédules et superstitieuses n’ont jamais existé ! Pour moi, du moins, je ne les ai jamais rencontrés sur mon chemin. Je m’en suis servi pour faire donner à mes expériences cette apparence de mystère qui, de tout temps, a plu aux masses et surtout aux femmes ; mais je n’ai point cru à leur intervention dans les phénomènes que je produisais et que chacun attribuait à des influences d’outre-tombe. Comment pouvais-je croire ? J’ai toujours fait dire aux objets que j’influençais de mon fluide tout ce qui me plaisait, et quand cela me plaisait ! Non, un médium ne peut pas croire aux esprits ! C’est même le seul qui n’y puisse jamais croire ! Comme l’ancien Druide qui se cachait dans un chêne pour faire entendre la voix redoutée de Teutâtes, le médium ne peut pas croire à des êtres qui n’existent que par sa seule volonté ! » [p. 67]

« Après avoir prononcé ces paroles avec effort, et comme s’il se parlait à lui-même, il se tût, et pendant quelques instants, l’œil perdu dans le vague, il sembla s’absorber dans ses réflexions…

« Et moi, j’avais sténographié ses paroles pour conserver la forme qu’il leur avait donnée… Home reniant les esprits quelques mois avant sa mort, n’était-ce pas le glas du spiritisme sonné par celui qui avait le plus contribué à le fonder ?

« Quand il revint à lui, il avait nettement conservé la notion de ce qu’il m’avait dit, car, me prenant la main, il murmura :

« — N’imprimez pas cela avant que je ne sois plus… » (3).

Voilà un aveu de charlatanisme qui ne manque pas de charme, surtout si l’on se rappelle que Home eut une fortune incomparable, un bonheur constant et qu’il écrivit en 1864 un livre sensationnel : Révélations sur ma vie surnaturelle. Que penser après cela des médiums qui l’ont suivi sur les planches des théâtres et sur le pavois de la faveur populaire et qui sont loin de l’égaler ? Que penser notamment du médium en vogue actuellement, de la Napolitaine Eusapia Paladino qui a eu quelques succès, mais nombre de revers, surtout un échec retentissant à Cambridge en 1895 ? Il nous semble que l’incrédulité des sceptiques est justifiée et que la confiance des plus fidèles a lieu d’être ébranlée.

La pratique des médiums ne relève pas de l’ordre surnaturel et n’use que de moyens purement humains : voilà la constatation qui nous paraît résulter de ce qui précède et qui s’impose en quelque sorte. Sans doute le diable peut se servir —, et s’est effectivement servi — des médiums dans plus d’une circonstance ; mais il est étranger d’ordinaire à leurs machinations qui ne mettent en jeu que l’habileté professionnelle et les ressources si puissantes de la nature.

La question se précise, s’éclaircit et serait vite résolue avec l’aide de la raison et de la science, si les spirites ou plutôt les occultistes ne venaient habilement la compliquer et l’obscurcir pour sauver leur prestige très diminué et rajeunir quelque peu leur doctrine. Ils ne nient pas l’existence possible des esprits, mais ils déclarent qu’ils ne sont pour rien, dans l’action spirite. Ils professent hardiment que les prodiges des médiums sont exclusivement dus à l’extériorisation de leur corps astral. Suivons-les sur ce nouveau terrain de discussion.

III

Les spirites avisés sentent bien que l’opinion les abandonne et qu’on ne croit plus guère aujourd’hui aux revenants, ni aux réincarnations, avec [p. 68] ou sans la métempsycose. Il leur est difficile de prétendre, sans rire, dans notre siècle sceptique et gouailleur, que les mains qui touchent les assistants, agitent les meubles ou se profilent en reliefs indécis sur les murs, soient les mains des esprits des morts ; aussi, laissant les vieux errements comme des loques usées, s’efforcent-ils de prendre le vent de la science et de chercher des points d’appui dans le magnétisme d’une part, dans la physique transcendante de l’autre. C’est une tactique habile, mais qui ne les sauvera pas, car elle est au-dessus de leurs forces. La science faite de logique, d’expérience et de clarté, ne saurait s’accorder avec une doctrine obscure qui ne s’appuie sur aucun fait et se recommande seulement d’une tradition de trente-six siècles.

Mais laissons la parole au maître des occultistes, au Dr Encausse (dit Papus), qui va nous exposer toutes les beautés de la théorie : « L’occultisme, écrit-il, a toujours prétendu que la véritable cause de la plupart des phénomènes dits spirites était la sortie hors du médium de son « double » (ou corps astral, périsprit, etc.) et qu’il fallait voir là non pas un fait extranaturel, mais au contraire un fait se rattachant à la physiologie transcendante.

« Comme corollaire à cette affirmation, citons l’opinion d’Eliphas Levi à ce sujet.

« Dire par exemple que dans les soirées magnétiques de M. Home, il sort des tables des mains réelles et vivantes, de vraies mains que les uns voient, que les autres touchent et par lesquelles d’autres encore se sentent touchés sans les voir, dire que ces mains vraiment corporelles sont des mains d’esprits, c’est parler comme des enfants ou comme des fous, c’est expliquer contradiction dans les termes. Mais avouer que telles ou telles apparences, telles ou, telles sensations se produisent, c’est être simplement sincère et se moquer de la moquerie des prud’hommes, quand bien même ces prud’hommes auraient de l’esprit comme tel ou tel rédacteur de tel ou tel journal pour rire (4). »

« Maintenant, au nom de la science, nous dirons à M. de Guldenstubbé, non pas pour lui qui ne nous croira pas, mais pour les observateurs sérieux de ces phénomènes extraordinaires :

« Monsieur le baron, les écritures que vous obtenez ne viennent pas e l’autre monde ; et c’est vous-même qui les tracez à votre insu.

« Vous avez, par vos expériences multipliées à l’excès et par l’excessive tension de votre volonté, détruit l’équilibre de votre corps fluidique et astral ; vous le forcez à réaliser vos rêves, et il trace en caractères empruntés à vos souvenirs le reflet de vos imaginations et de vos pensées. [p. 69]

« Si vous étiez plongé dans un sommeil magnétique parfaitement lucide, vous verriez le mirage lumineux de votre main s’allonger comme, une ombre au soleil couchant et tracer sur le papier préparé par vous ou vos amis les caractères qui vous étonnent (5). »

Nous-même, dans un travail sur le spiritisme, Considérations sur les phénomènes du spiritisme, rapports du spiritisme et de l’hypnotisme, paru en 1890, nous avons ainsi résumé nos idées sur cette question :

La vie peut, dans certaines conditions, sortir de l’être humain et agir à distance.

Dernièrement, vous avez pu lire les expériences de M. Pelletier qui, endormant trois sujets et les plaçant autour d’une table, voit les objets matériels légers se mouvoir sans contact et au commandement. Que se passe-t-il ?

Sa volonté s’empare de la vie des trois sujets et dirige la force de ces trois périsprits sur les objets matériels qui se meuvent sous cette influence (6).

Une autre manière de vérifier, ce fait consiste à prendre un sujet endormi, isolé électriquement, et à lui demander de décrire ses impressions. Le sujet voit parfaitement le corps astral, c’est-à-dire la vie sortir du médium par le côté gauche (au niveau de la raie), et elle agit sur les objets matériels suivant l’impulsion que reçoit le périsprit (7).

Un médium n’est pas autre chose qu’une machine à dégager du périsprit (corps astral), et ce périsprit sert d’intermédiaire et de moyen d’action à toutes les volontés visibles ou invisibles qui savent s’en emparer.

Du reste, interrogez les médiums, et tous vous diront qu’au moment où les phénomènes d’incarnation ou de matérialisation vont se produire, ils sentent une douleur aiguë au niveau du cœur et qu’aussitôt après ils perdent connaissance (8).

Quand les spirites prétendent que les mains qui touchent la tête des assistants, qui déplacent les meubles ou se profilent en vagues reflets sur les murs, sont les mains des esprits des morts, l’occultisme (qui cependant n’a jamais nié l’existence possible des esprits) (9), affirme qu’il s’agit là d’un phénomène physique d’un genre particulier, et que c’est le corps astral du médium momentanément extériorisé qui produit ces faits. [p. 70]

A l’appui de notre affirmation, nous ferons remarquer non pas aux sectaires (10), mais aux hommes de science :

1° Que toute projection, en dehors, de la main astrale est accompagnée d’un refroidissement de la main physique

2° Que le refroidissement cesse en même temps que le phénomène produit sous l’influence de la main extériorisée.

3° Que chaque phénomène physique (déplacement de meubles, etc.), produit à distance, est accompagné de mouvement synchronique des muscles physiques, qui, dans les conditions normales, auraient produit le phénomène.

4° Enfin que les assistants contribuent, à leur insu, à fournir de la force dans beaucoup de phénomènes, ce qui explique la fatigue rapide ressentie par les dits assistants.

En somme, il s’agit là de la production, par des piles humaines montées en série ou en quantité d’une force condensée et dirigée par le corps astral du médium qui annonce les phénomènes dans la majorité des cas » (11).

La théorie du corps astral que nous offre le Dr Papus et qui est fidèlement pareille à celle qu’avaient les Egyptiens de la 18° dynastie, ne repose sur aucune donnée scientifique et ne mérite pas d’être discutée.

Le corps astral n’existe pas. Ce qu’on nous donne pour tel, Papus l’a avoué, c’est la vie, c’est la sensibilité qui caractérisent l’homme, c’est la force psychique ou cosmique qui parait à plusieurs l’élément irréductible de notre activité ; c’est, pour parler plus exactement, le fluide électrique ou vital qu’on recherche depuis si longtemps, qui n’est pas encore déterminé par la science, mais qui certainement joue un rôle, et un rôle important, dans la vie humaine comme dans les phénomènes étranges de la médiumnité. Toute la science est actuellement orientée dans cette voie nouvelle, ouverte par le magnétisme animal, pour découvrir l’origine et la nature du principe qui obéit à la volonté et gouverne les muscles et les nerfs.

L’avenir est là.

Les occultistes le pressentent et font d’incroyables efforts pour dériver à leur profit le courant d’intérêt et de sympathie qui va au magnétisme renaissant : ils veulent à tout prix, confondre leur hypothétique corps astral avec la force psychique ou vitale, mais la science ne liera jamais sa cause à la leur et ne se fera pas leur misérable complice. [p. 71]

Un jour, un savant indépendant et audacieux, M. le colonel de Rochas, a imaginé que la sensibilité pouvait sortir du corps, s’extérioriser en quelque sorte, et il a appuyé sa supposition sur une théorie nouvelle : celle de l’hypnose profonde. Rappelons en quelques mots la fameuse « découverte. »

On sait que, d’après Charcot et l’École de la Salpêtrière, tout individu qu’on hypnotise passe par trois phases caractéristiques : la léthargie, la catalepsie, le somnambulisme. Après le somnambulisme, une suggestion ou une excitation vive réveille le sujet. Or, M. de Rochas eut l’idée de modifier les procédés communs d’expérience et de revenir, quand l’hypnotisé était en somnambulisme, aux passes des anciens magnétiseurs : L’état profond de l’hypnose serait né de cette pratique et se caractériserait par l’extériorisation de la sensibilité.

On n’ignore pas que, dans les trois états classiques de l’hypnose, le sujet ne manifeste pas la moindre sensibilité. Cette sensibilité reparaît, d’après M. de Rochas, dans des conditions extraordinaires, à mesure qu’on entre en hypnose profonde. Sans cloute l’insensibilité du patient persiste absolument au niveau de la peau, mais — fait incroyable — elle cesse à 40 ou 20 centimètres, de sorte que l’on peut conclure, en toute justice, à l’extériorisation de la sensibilité. Que l’on pince, ou plutôt que l’on fasse le simple geste de pincer le sujet à la distance de 15 centimètres, et aussitôt il accuse une vive douleur (12).

La « découverte » de M. de Rochas a été saluée avec enthousiasme, avec reconnaissance par les occultistes comme la confirmation, la seule, de leur doctrine. L’extériorisation de la sensibilité, n’est-ce pas, pour eux, l’extériorisation du corps astral ? Le Dr Papus est ravi d’un pareil succès et proclame du coup que « le colonel a grandement mérité de l’occultisme » (13).

Malheureusement, l’hypnose profonde et l’extériorisation de la sensibilité sont des hypothèses que rien n’est venu démontrer : tous les expérimentateurs sérieux qui ont voulu les vérifier ont échoué dans leurs tentatives, ce qui n’est pas pour donner crédit aux aventureuses théories de M. de Rochas.

La médiumnité n’a d’ailleurs que faire du corps astral et de l’occultisme : des chercheurs l’ont étudiée de nos jours avec conscience et en ont trouvé une explication scientifique naturelle des plus satisfaisantes, au moins pour la généralité des cas.

Dr SURBLED.

NOTES

(1) Santini, Photographie des effluves humains, p. 36, note.

(2) Livre des Médiums, p. 205-206.

(3) La fin du monde des esprits, le Spiritisme devant la raison et la science, Paris, 1887.

(4) Eliphas Levi, Clef des grands mystères, p. 240.

(5) Eliphas Levi. Science des esprits, p. 267.

(6) Une proposition de cette force aurait besoin d’être démontrée ; mais les occultistes sont de meilleure composition que nous : il suffît que leur grand maître affirme pour qu’ils croient. Dr S.

(7) Op. cit., p. 7.

(8) Op. cit., p. 8.

(9) Les spirites éclairés ont toujours été d’avis que, tout en admettant l’existence d’agents spirituels, il faut attribuer une très grande part, dans la production des phénomènes physiques, aux influencés provenant, du -médium, Dr Papus.

(10) Cet aimable qualificatif s’adresse aux savants qui ne partagent pas, et pour cause, les théories de l’occultisme que professe le grand maître Papus. Dr S.

(11) Papus, Lumière invisible, médiumnité et magie, 1896, p.35-38.

(12) A. de Rochas. Les états profonds de l’hypnose, 1892 ; Extériorisation de la sensibilité, 1895.

(13) Loc. cit., p. 59.

 

 

 

 

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